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Revue | Etudes anglaises |
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Numéro | vol. 74, no 4, octobre-décembre 2021 |
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- Sur un vers de Lamia : anthropologie et poétique du corps chez Keats - Marc Porée p. 387-398 En quatre sections, « Entendre », « Voir », « Toucher », « Tourner », l'article se propose de lire un vers de Lamia (1820), le dernier du poème, retenu pour ce qu'il a à la fois de spécifiquement keatsien et d'objectivement universel. De circonstanciel et d'immémorial. Précédée d'un rapide tour d'horizon de ce qui fait le propre d'un vers de John Keats, l'analyse s'adosse à trois types de lectures, et de lecteurs : l'anthropologie visuelle, telle que mise en œuvre par Georges Didi-Huberman, dans ses travaux qui mêlent archéologie de la forme et métapsychologie de l'image, Ninfa dolorosa (2019) tout particulièrement. Le visuel se trouve aussi du côté des recherches intermédiales : il y a dans Lamia la mise en scène d'un spectacle haut en couleurs, évoquant l'univers du show business, voire du cinéma et de ses stars (Orrin N.C. Wang) ; mais l'austère et formel enveloppement du corps de Lycius, en préambule à sa mise au tombeau, selon un motif iconographique vieux comme le monde, dissout intégralement l'empire du divertissement. La philosophie, en l'espèce celle de Jean-Luc Nancy, disparu pendant la rédaction de l'article, grand analyste du corps « excrit ». La poétique, et les poéticiens, enfin, attachés au mètre comme aux allitérations, à la forme du vers comme à la trace qu'il laisse dans son sillage. Non pas tout Keats dans un vers, mais un vers de part en part keatsien. Keats in toto, en bref.In four sections, “Hearing,” “Seeing,” “Touching,” “Turning,” the paper purports to read a line excerpted from John Keats's Lamia (1820), the last line, to be precise, selected in view of what makes it specifically Keatsian and objectively universal in its appeal. At once circumstantial and immemorial. Preceded by a quick insight into what is unique to lines by Keats, the analysis is underpinned by three types of readings and readers. Visual Anthropology, as conducted by Georges Didi-Huberman in works that combine the archeology of forms and the metapsychology of images, Ninfa dolorosa (2019) in particular. The visual is also featured thanks to intermedial studies: Lamia stages the world of show business, and possibly too, the realm of movies and cinema stars (Orrin N.C. Wang). But the austere and formal winding of the body of Lycius in heavy robes prior to his entombment, in the line of iconographic models that are as old as the hills, finally puts paid to the presence of entertainment. Philosophy—that of the late Jean-Luc Nancy, who excelled at portraying the “corps excrit.” And finally poetics, and poeticians, attached to discussing meter and alliterations, the form of a line of poetry, but also its indelible imprint. Not all of Keats in a single verse, therefore, but a line that is Keatsian through and through. Keats in toto, in short.
- Jewett's Trees - Cécile Roudeau p. 399-416 A-t-on perdu de vue les arbres du pays des sapins pointus? La critique sur The Country of the Pointed Firs a peu suivi l'injonction du titre qui pointe avec insistence vers lesdits sapins. Cet essai se propose de commencer à combler cette lacune en se mettant à l'écoute des arbres qui bruissent obstinément dans le texte de Jewett. Dans The Country of the Pointed Firs, le bois est une ressource — artistique, figurale, économique. En ce sens, Jewett embrasse le paradoxe d'une région, la Nouvelle-Angleterre, qui tire sa grandeur de la déforestation tout en étant, au cœur de la nation et de l'empire, le fer de lance des régulations environnementales. Le texte participe de l'exploitation qu'il dénonce. Pourtant, les arbres y sont à peine une catégorie. Le roman s'appuie sur la singularité de rencontres avec des arbres singuliers à partir desquelles se construit une parenté. Au-delà d'un décentrement de l'humain, The Country of the Pointed Firs brouille la frontière entre des formes de vie que le texte fait advenir, par, et en tant que, relation. Conjugant au présent certaines ontologies amérindiennes, The Country of the Pointed Firs synchronise temporalités et épistémologies, et exige que nous lisions autrement — non pas tant « comme » un arbre, mais « avec » l'arbre, une continuité qui n'exclut pas la différence.It would seem we have lost the trees of Jewett's Country of the Pointed Firs. While its title sends us pointedly toward its “firs,” almost no Jewett scholarship has focused specifically on its arboreal content. This essay addresses this blindspot by reading The Country of the Pointed Firs closer to the bark and leaves of Jewett's trees. In the novel, wood is a resource for artistic, figurative, and economic exploitation. In accordance with a New England tradition that simultaneously demanded environmental regulations and defended the grandeur of a regional and national empire based on deforestation, Jewett structurally participated in the exploitation that her text also denounces. And yet, Jewett's trees rarely come wholesale. The Country of the Pointed Firs is made up of singular encounters with singular trees that the text turns into humans' next of kin. Thus, not only does the text de-center humans; it provocatively blurs the border between forms of life that come into being and as relation. Reviving past Native American ontologies and practices, The Country of the Pointed Firs synchronizes temporalities and epistemologies, and asks us to read differently—not so much “like” a tree, but as part of an intertwined worlding “with” the tree.
- “I remember dates. Numbers”: All the many mistakes in No Country for Old Men - Béatrice Trotignon p. 417-432 Prenant au mot le personnage de Carson Wells dans No Country for Old Men, qui dit avoir la mémoire des dates et des chiffres ainsi que l'œil pour des détails comme les étages manquants d'un bâtiment, cet article se propose de relever quelques incohérences dans le roman en termes de géographie et de technologie. On peut les interpréter comme une stratégie mise en œuvre par McCarthy pour saper la forme générique du thriller mais aussi pour mettre en exergue les erreurs de jugement, notamment celles du personnage principal, le sheriff Bell. C'est sa voix qui structure le roman et que les lecteurs sont encouragés à écouter avec attention, à la recherche d'indices enfouis.Following Carson Wells's cue in No Country for Old Men to pay close attention to dates, numbers and missing floors, this paper tracks a few bizarre inconsistencies in the novel in terms of place and technology. They can be interpreted not just as part of McCarthy's undermining of the genre of the thriller but also as hints to the central theme of errors and misjudgment, more particularly illustrated in the many mistakes made by Sheriff Bell, the main character. His voice, opening and closing the novel, leads readers into closely listening for hidden, elliptic clues.
- Making sense of historical and diegetic time (and space) in No Country for Old Men (novel to film) - Julie Assouly p. 433-448 L'adaptation par Joel and Ethan Coen (2007) du roman de Cormac McCarthy paru en 2005, No Country for Old Men, est construite sur une représentation complexe de l'espace et du temps. L'œuvre se déroule dans le Texas occidental en 1980, mais fait également référence à la Frontière à travers les ruminations du sheriff Bell au sujet de ses ancêtres, les paysages iconiques du western et un réseau de signifiants bien connus. Des allusions à la guerre du Vietnam et à la Seconde Guerre mondiale, que l'on peut lier aux guerres de l'ère Bush, viennent complexifier la représentation du temps historique influant, semble-t-il, sur notre perception du temps diégétique. Partant de cette temporalité multiple, cet article propose de mettre en évidence la façon dont une vision mythifiée de la Frontière (sous l'influence du sheriff Bell), le croisement de l'espace et du temps (chronotopes) et la temporalité affective contribuent à rendre le récit plus opaque, semant le doute auprès du lecteur/spectateur quant à sa compréhension.Joel and Ethan Coen's adaptation of Cormac Mc
Carthy's 2005 novel No Country for Old Men (2007) is built on a complex representation of time and space. Set in West Texas in 1980, it also alludes to the Frontier through Sheriff Bell's ruminations on his ancestors, the iconic Western landscapes and a network of recognizable signifiers. Historical time is complexified by allusions to the Vietnam war and World War Two, which can be connected to the Bush era wars, and somehow contaminate our perception of diegetic time. Dwelling on this multilayered temporality, this paper proposes to consider how Sheriff Bell's mythologized perception of the Frontier, the intersection of space and time (chronotopes) and affective temporality complexify the narrative and blur the reader/viewer's faculty to make sense of it. - « Well! Why not? » : réalisme magique et souveraineté narrative dans Carpentaria d'Alexis Wright - Anne Le Guellec-Minel p. 449-463 L'article explore à nouveaux frais l'intérêt de la catégorie du réalisme magique pour l'étude de Carpentaria. Il commence par revenir sur ce que Wright et d'autres artistes aborigènes contemporains ont pu définir comme le « réalisme aborigène », pensé comme un mode de résistance à la politique d'effacement de la civilisation aborigène, avant d'examiner différentes acceptions du réalisme magique. Il est incontestable qu'une pensée trop restrictive de la littérature, comme simple expression d'une spécificité culturelle, d'une contestation politique, ou encore du traumatisme issu de la violence coloniale, ne rendrait pas justice à l'inventivité créatrice de Wright. Notre étude du roman réévaluera donc la tension conceptuelle qui est au cœur du réalisme magique, et qui semble de nature à éclairer l'extraordinaire richesse et complexité du roman, et dessine un remarquable espace de liberté dans un paysage social, culturel et environnemental bien sombre.This article explores anew how the category of magic realism might be relevant to the study of Alexis Wright's Carpentaria. It begins by going back to what Wright and other contemporary Aboriginal artists have defined as “Aboriginal realism,” thought of as a mode of resistance to the policy of erasure of Aboriginal civilization, before examining various ways in which magical realism has been defined. It is clear that an overly restrictive view of literature, as a simple expression either of cultural specificity and political protest or of the trauma of colonial violence, would not do justice to Wright's creative inventiveness. This study will therefore re-evaluate the conceptual tension at the heart of magic realism, which seems apt to illuminate the extraordinary richness and complexity of the forces that open up a remarkable space of freedom in a bleak social, cultural and environmental landscape.
- Que reste-t-il de l'Amérique jacksonienne ? Nouveaux regards sur la jeune République étatsunienne - Michaël Roy p. 464-481 Cet article revient sur la conférence en ligne donnée par l'historien Daniel Feller en juillet 2020 sous l'égide de la Society for Historians of the Early American Republic (SHEAR). Intitulée « Andrew Jackson in the Age of Donald Trump », la communication de Feller portait sur l'instrumentalisation politique de la figure de Jackson par Trump, ses partisans et ses pourfendeurs. Pour des raisons liées à son contenu autant qu'à sa rhétorique, ainsi qu'au contexte dans lequel elle a été prononcée, cette communication a donné lieu à une vigoureuse controverse au sein de la profession historienne. On se propose ici d'en éclairer les enjeux historiographiques. L'article montre comment le champ des études sur la période jacksonienne s'est reconfiguré au cours des dernières décennies, et explique ce que la communication de Daniel Feller a manqué, délibérément ou non, de cette reconfiguration.This essay discusses the paper delivered online by historian Daniel Feller in July 2020 under the auspices of the Society for Historians of the Early American Republic (SHEAR). In his paper, entitled “Andrew Jackson in the Age of Trump,” Feller argued that both friends and foes of Donald Trump have drawn false analogies between the seventh and the forty-fifth presidents of the United States and misrepresented Jackson in order to better praise or damn Trump. Because of its tone and content, but also due to the particular context in which it was given, the paper caused a heated controversy among historians of the early American republic. In this essay I discuss the historiographical dimensions of the controversy. I show how Jacksonian historiography has evolved over the past decades, and argue that Feller's more or less deliberate avoidance of recent historical perspectives in the study of the period helps explain the reception of his paper.
- Abolitionism and the Antebellum U.S. Women's Rights Movement: The (Missed) Connections of the First National Woman's Rights Convention (1850) - Hélène Quanquin p. 482-493 Bien qu'elle ait été parfois éclipsée par la convention de Seneca Falls de 1848, la Première Convention Nationale pour les droits des femmes qui eut lieu à Worcester, dans le Massachusetts, les 23 et 24 octobre 1850 fut un événement important pour le combat pour les droits des femmes aux États-Unis. Alors que son organisation fut permise par la mobilisation de compétences et de ressources issues de l'abolitionnisme, elle est la preuve que les militantes et militants commençaient à développer un discours sur les droits des femmes qui incluait le droit de vote. Contrairement à ce qui se passa à Seneca Falls, une femme noire, Sojourner Truth, s'adressa à l'assemblée, ce qui montre qu'il existait la possibilité d'un mouvement véritablement inclusif. Cependant, l'utilisation constante de la métaphore de l'esclavage ainsi que la façon dont la présence de Truth fut présentée pendant toute la convention anticipèrent les divisions du féminisme et l'exclusion des Africaines-Américaines du mouvement après la guerre de Sécession.Although it has been overshadowed by the Seneca Falls Convention of 1848, the First National Woman's Rights Convention that took place in Worcester, Massachusetts on October 23-24, 1850, was an important event for the antebellum fight for women's rights in the United States. While it relied on skills and resources that originated in abolitionism, it also showed that activists were starting to develop a women's rights discourse that included woman suffrage. Unlike what happened at Seneca Falls, a Black woman, Sojourner Truth, addressed the convention, which points to the possibility of a truly inclusive movement. The constant use of the slavery metaphor as well as the way Truth's presence was framed throughout the meeting, however, anticipated the divisions of U.S. feminism and Black women's exclusion from the movement after the Civil War.
- WH- + TO, why + Ø : le rôle de l'infinitif avec et sans TO dans les interrogatives infinitives - Marie Dubois-Aumercier p. 494-509 Cet article porte sur les caractéristiques syntaxiques et sémantiques des interrogatives infinitives de l'anglais. Ces propositions, qu'elles soient indépendantes ou subordonnées, sont soumises à de nombreuses contraintes qui les distinguent des interrogatives finies par lesquelles elles peuvent être paraphrasées. Elles ne peuvent en effet pas comporter de sujet exprimé ; elles ne peuvent apparaître que dans certains des environnements dans lesquels les interrogatives finies sont acceptables ; elles ont une valeur modale ; elles ne sont généralement pas considérées comme de vraies questions. Les interrogatives infinitives en why présentent une spécificité supplémentaire : elles comportent un infinitif sans TO lorsqu'elles sont indépendantes et un infinitif avec TO lorsqu'elles sont subordonnées. L'article montre que la théorie avancée par Cotte 1998, selon laquelle TO dit un mouvement vers l'actualisation du procès, permet de rendre compte de ces contraintes et de comprendre ce qui les motive. Il montre également que la spécificité des interrogatives infinitives en why peut être expliquée par l'interaction entre le sens de why, la valeur de la subordination et le contraste entre TO et Ø, qui dit un mouvement de virtualisation inverse à celui codé par TO.This paper investigates the syntax and semantics of infinitive interrogatives in English. Both independent and subordinate infinitive interrogative clauses are subject to syntactic, semantic and pragmatic constraints that set them apart from finite interrogative clauses: their subject must remain unexpressed; they can occur in only a subset of the environments in which finite interrogatives are licensed; they receive a modal interpretation; they are generally not interpreted as real questions. The use of why infinitive interrogatives is even more constrained, since independent why clauses contain a bare infinitive while subordinate why clauses are headed by a TO-infinitive. This paper shows that the theory of TO as expressing a movement towards the actualization of the event (as put forward in Cotte 1998) can be used to explain and properly account for these constraints. It also argues that the specific characteristics of why infinitive clauses can be accounted for by the study of the interaction between the meaning of why, the value of subordination and the meaning of Ø, which reverses the orientation of the movement expressed by TO.