Contenu du sommaire : Isolement et ouverture au monde
Revue | Le Moyen Age |
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Numéro | tome 128, no 1, 2022 |
Titre du numéro | Isolement et ouverture au monde |
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Articles
- Avant-propos - Élisabeth Gaucher-Rémond, Ambre Vilain p. 13-18
- Claustration et ouverture dans le Voir Dit de Guillaume de Machaut - Alain Corbellari p. 19-29 Les questions de la clôture et de la claustration sont essentielles et intimement liées dans le Voir Dit de Guillaume de Machaut. Le texte, où prolifèrent les rondeaux et dont la Roue de Fortune gouverne la narration, comprend en outre nombre de scènes où l'enfermement est thématisé : enfermement des objets, tel le portrait de Toute Belle, confinement des amants dans leurs chambres ou dans l'auberge de la Foire du Lendit, menace de prise de corps par les Grandes Compagnies, finalement détournée par le biais de l'allégorie, tout le Voir Dit métaphorise en fin de compte la possibilité qu'a la littérature d'enclore le secret ultime des amants.The questions of enclosure and confinement are crucial and closely linked to one another in the Voir Dit by Guillaume de Machaut. The text, in which roundels proliferate and the Wheel of Fortune dictates the narrative, also includes a number of scenes in which confinement is thematized: the enclosure of objects, such as the portrait of Toute Belle, the confinement of the lovers in their rooms or in the inn at the Foire du Lendit, the threat of seizure by the Great Companies, finally diverted by means of the allegory. The Voir Dit ultimately metaphorizes the potential of literature to enclose the ultimate secret of the lovers.
- Villon et Saturne : un mélancolique se souciant du monde. Question d'ethos et d'écriture - Fleur Vigneron p. 31-48 La lecture du Débat de Villon et de son cœur, pièce qui traite du soi, met en place une image de mélancolique présente également dans d'autres poèmes. On pourrait penser que cet autoportrait sous le signe de la bile noire empêche de s'ouvrir au monde, mais on montrera que les références villoniennes ne sont pas celles auxquelles on s'attend et qu'elles construisent un ethos qui conduit le poète à s'adresser aux autres et à se soucier de la société dans laquelle il vit. En effet, l'enfant de Paris lie la mélancolie et la colère, comme d'autres à son époque, brouillant quelque peu la théorie plus autorisée des quatre tempéraments. La figure de Saturne – à la fois planète de la mélancolie et personnage qui dialogue avec Salomon sous forme de proverbes – incarne un point de rencontre entre les deux tempéraments bilieux et elle résume une image de soi en même temps qu'un choix d'écriture.The reading of Débat de Villon et de son cœur, a piece that deals with the self, depicts an image of the melancholic that is also present in other poems. One might think that this black bile self-portrait prevents an opening up to the world, but Villon's references are not those one expects. They build an ethos that leads the poet to address others and to worry about the society in which he lives. Indeed, the child of Paris links melancholy and anger, like others of his time, somewhat blurring the more authoritative theory of the four temperaments. The figure of Saturn – both a planet of melancholy and a character who dialogues with Solomon in the form of proverbs – embodies a meeting point between the two bilious temperaments and summarizes an image of the self as well as a choice of writing.
- Prison tient ma vie enfermee, ou comment se recréer une vie sociale derrière les barreaux : le cas du Prisonnier desconforté - Caroline Blot p. 49-61 Isolé du monde par les barreaux de sa prison, l'auteur du Prisonnier desconforté du château de Loches fait face à la vacuité de sens produite par cette peine qui est, par définition, une privation de vie publique. Dès lors, la poésie devient la voie privilégiée pour recréer ce monde absent. Il s'agit tout d'abord pour le Prisonnier de rejouer la Genèse divine qui se dissout alors dans une genèse littéraire, action mimétique et proprement poïétique. La voix poétique rappelle ensuite directement le monde à ses yeux à travers une revue testimoniale des états du monde et de sa propre expérience. Mais cette capture visuelle tend à créer une permanence artificielle et illusoire, douloureuse ; il ne reste plus dès lors au Prisonnier qu'à tenter de multiplier les formes de dialogue, avec les futurs lecteurs, avec Dieu, avec les œuvres littéraires passées ou futures, que ce soit par des adresses directes ou des formes poétiques invitant en elles-mêmes au dialogue. L'ouverture ne se fait plus au monde mais par l'ouverture d'un nouveau monde, fait de mots et d'échos.Cut off from the world by the bars of his prison, the author of Prisonnier desconforté du château de Loches confronts the emptiness of meaning caused by this sentence which, by definition, deprives him of normal life. From then on, poetry becomes the preferred way to recreate this absent world. First of all, it deals with the Prisoner replaying the divine Genesis, which then dissolves into a literary genesis and mimetic and truly poiesis action. The poetic voice then directly recalls the world to his eyes through a testimonial review of the states of the world and his own experience. But this captured visual tends to create an artificial and illusory permanence, which is painful. Hence it only remains for the Prisoner to try to multiply the forms of dialogue, with future readers, with God, with past or future literary works, addressing them either directly or through poetic form, inviting them to the dialogue. There is no longer an opening to the world but an opening of a new world, one that is made up of words and echoes.
- Singularité éthique et rêves communautaires : sur quelques enjeux du lyrisme carcéral chez Clément Marot, Michel d'Amboise et Étienne Dolet (1534–1544) - Nicolas Lombart p. 63-84 Loin d'être un phénomène périphérique, la poésie carcérale de Clément Marot (les poèmes du « cycle carcéral », 1534 ; L'Enfer, 1539), Michel d'Amboise (l'Aglogue ou carme pastoral, 1533 ; Le Babilon, 1535) et Étienne Dolet (Le Second Enfer, 1544) est le signe fort d'une interrogation nouvelle sur la nature profonde du rapport entre un individu singulier et la communauté qu'il a provisoirement quittée. Dans le prolongement de la tradition boécienne et dans le contexte particulier de la législation pénale au début du xvie siècle, le poète-prisonnier se trouve dans une situation doublement inédite : comme prisonnier « mis à nu » et séparé de la collectivité, il est particulièrement conscient de son estat et des défauts de la communauté dont il a été injustement exclu ; comme poète paradoxalement « élu », marqué (positivement) par l'infamie, il est capable de produire une vision nouvelle de cette communauté à la fois lointaine et désirée.Far from being a peripheral phenomenon, the prison poetry of Clément Marot (the poems of the “prison cycle”, 1534; L'Enfer, 1539), Michel d'Amboise (Aglogue ou carme pastoral, 1533; Le Babilon, 1535), and Étienne Dolet (Le Second Enfer, 1544) is a powerful indicator of a new questioning of the profound nature of the relationship between a singular individual and the community that has been temporarily left behind. In a continuation of the Boecian tradition, and in the particular context of penal legislation at the beginning of the sixteenth century, the poet-prisoner finds himself in a doubly unprecedented situation. As a prisoner “stripped naked” and separated from the community, he is particularly conscious of his own estat and of the defects of the community from which he has been unjustly excluded. As a paradoxically “chosen” poet, marked (positively) by infamy, he is capable of producing a new vision of this community that is both distant and desired.
- Le langage graphique des prisonniers sur les murs face au dedans et au dehors, à la fin du Moyen Âge - Audrey Ségard p. 85-107 À la fin du Moyen Âge, certains prisonniers ont fait entrer l'image, en plus de l'écrit, dans leur espace d'enfermement, tel le château de Selles à Cambrai. Ils ont orné les murs de leurs cellules en gravant ou traçant des thèmes divers. Çà et là, des scènes religieuses voisinent avec des personnages, le monde animal, domestique ou héraldique, tout en côtoyant des marques écrites. Cette conquête des espaces carcéraux par la pratique graphique relève d'une stratégie de communication de la part des prisonniers. Les graffiti répondent à un besoin de s'exprimer face au dedans et au dehors. Ces signes, qui revêtent une dimension identitaire, individuelle et collective, décors d'un entre-soi social, manifestent un souci de résister au monde extérieur. Ces images inédites nous donnent également accès au rêve d'évasion de ces hommes isolés vers le dehors, un monde humain familier et divin eschatologique. Elles participent aussi à des enjeux mémoriels en se laissant approcher par divers lecteurs.At the end of the Middle Ages, some prisoners brought pictures, in addition to written words, into their confined space, such as in Selles Castle in Cambrai. They decorated the walls of their cells with engraved or drawn various themes. Here and there, religious scenes are next to characters, the animal, domestic or heraldic world, all alongside written marks. This conquest of prison spaces through graphic practice is a communication strategy by the prisoners. Graffiti fulfill their authors' need to express themselves for both the inside and the outside. These signs assume an individual and collective identity and they are the decoration of a social entre-soi. Thus they show a concern with resisting the outside world. These original and hitherto unseen pictures also give us an insight into the dreams of escape these isolated men had towards the outside, a familiar human and divine eschatological world. Moreover, they are useful for memorial questions to different readers.
- Enfermement et franchissement : le thème de la visite miraculeuse dans l'imagerie médiévale - Ambre Vilain, Ambre Vilain p. 109-126 La prison constitue un lieu paradoxal. Espace clos de captivité où l'on purge une peine à l'issue d'un jugement, elle est aussi, dans une perspective hagiographique, le lieu d'incarcération d'un innocent, donc un lieu d'injustice qui prélude au jour de naissance du saint. La fréquence du thème de l'enfermement dans la littérature hagiographique n'a paradoxalement pas donné lieu à une iconographie variée et profuse. Cet article souhaite s'intéresser à une problématique attachée au thème de l'enfermement : celle de la visite miraculeuse formant modèle à une conception plus large de la prison. Par définition le thème de la visite met en scène l'intérieur et l'extérieur et la question du franchissement de cet espace, autant de problématiques abordées dans le présent volume. Il s'agira ainsi de replacer dans un contexte culturel la problématique de la visite aux prisonniers, qu'il s'agisse de celle de saints à des laïcs ou de celle d'anges, voire du Christ lui-même, aux saints prisonniers, au travers des images et ainsi tenter de déterminer un modèle présidant à l'élaboration de ce corpus iconographique.Prison is a paradoxical place. As both an enclosed space of captivity where one serves a sentence following a judgment, and, from a hagiographic perspective, the place of incarceration of an innocent person, prison is thus a place of injustice which preludes the day of the saint's birth. The frequency of the theme of imprisonment in hagiographic literature has paradoxically not given rise to a varied and profuse iconography. This article wishes to focus on an issue attached to the theme of imprisonment: that of the miraculous visit forming a model for a broader concept of prison. By definition, the theme of the visit brings into play the interior and the exterior and the question of crossing this space, all of which are addressed in this volume. The aim is to place in a cultural context the issue of visits to prisoners, whether it be the visit of saints to laymen or that of angels, or even of Christ himself, to holy prisoners through images, in an attempt to identify a model that presides over the development of this iconographic corpus.
- Et quidem alia causa est episcoporum, alia monachorum : une brève étude comparative sur les usages des tombeaux chez les prélats séculiers et réguliers (xiiie–xive siècle) - Robert Marcoux p. 127-148 Bien que relative dans les faits, la différence du rapport au temporel entre les clergés séculier et régulier est constitutive de l'identité sociale de chacun. À travers l'analyse statistique de 225 tombeaux d'abbés et d'évêques français des xiiie et xive siècles, cette brève enquête comparative propose de le démontrer en identifiant entre les deux catégories cléricales des tendances divergentes relatives à l'emplacement, au type, aux matériaux et à l'iconographie des monuments.Although factually relative, the difference between the secular and regular clergy in their relationship to the temporal is constitutive of their specific social identity. Through the statistical analysis of 225 tombs of thirteenth- and fourteenth-century French abbots and bishops, this brief comparative investigation aims to demonstrate this difference by identifying divergent trends between the two clerical categories in terms of the location, type, materials, and iconography of the monuments.
- Entre les murs : l'hôpital d'Amour du Livre du Cœur d'amour épris - Tristan Fourré p. 149-161 Alors que le retrait final du Cœur entre les murs de l'hôpital résonne comme une forme d'enfermement, il s'agit d'interroger l'organisation spatiale de ce lieu qui vient ébranler le chevalier en le présentant comme un malade qui s'ignore. Multipliant les frontières (seuils, passages, limites…), il spatialise l'identité du héros afin de mieux la remodeler. Ces différentes métamorphoses, vécues au gré de la découverte des merveilles de l'hôpital – notamment l'armorial et le cimetière –, interrogent non seulement la vitalité du Cœur, mais aussi celle de la littérature dont il est l'héritier. L'opposition entre amants loyaux et déloyaux, directement inspirée de L'Hôpital d'Amour d'Achille Caulier, soulève en effet la question de la fidélité, y compris vis-à-vis d'une tradition littéraire. De fait, le séjour à l'hôpital semble mettre en tension différentes possibilités d'appréhender l'expérience amoureuse (la vivre, la lire, l'écrire). Derrière le Cœur qui visite l'édifice affin d'en savoir raconter se laisse alors entendre une voix qui vacille, cherchant une manière de survivre, en quête de matière. Ainsi, tandis que le personnage se retire à l'hôpital, la voix poétique se déploie hors les murs, délivrant un diagnostic littéraire et mettant le livre au monde.While the final withdrawal of the Heart within the walls of the hospital resonates like a form of confinement, it is the questioning of the spatial organization of this place that weakens the knight by presenting him as a sick person in denial. By multiplying the boundaries (thresholds, passageways, limitations…), it spatializes the identity of the hero in order to better refashion it. These different metamorphoses, experienced through the discovery of the wonders of the hospital—notably the armorial and the cemetery—question not only the vitality of the Heart, but also that of the literature it inherits. The opposition between loyal and disloyal lovers, directly inspired by Achille Caulier's L'Hôpital d'Amour, raises the question of fidelity, including with respect to a literary tradition. In fact, the hospital stay seems to put in tension different possibilities of perceiving the love experience (living it, reading it, writing it). Behind the Heart, which visits the building in order to tell about it, a wavering voice can be heard, looking for a way to survive, in search of narrative matter. Thus, while the character withdraws to the hospital, the poetic voice unfolds outside the walls, dispensing a literary diagnosis and bringing the book to the world.
- Bondavin revisité. Sibon continuée - Noël Coulet p. 165-169 Un protocole d'un notaire instrumentant sur les bords de l'étang de Berre en 1343–1345 révèle l'activité de crédit de Bondavin de Draguignan, le Shylock reconsidéré de J. Shatzmiller, dans un secteur de l'espace provençal qu'il ne semblait pas avoir fréquenté.A protocol composed by a notary active near the Étang de Berre in 1343–1345 testifies of the credit activity of Bondavin de Draguignan, the reconsidered Shylock of J. Shatzmiller, in a area of Provençal space he did not seem to have frequented.
Bibliographie
- Bibliographie : La médiévistique sous le nazisme - Agnès Graceffa p. 171-181
Comptes rendus
- Comptes rendus - p. 183-295
Nécrologie
- Dominique Boutet, 1949–2021 - Armand Strubel p. 327-334
- Jean Richard, 1921–2021 - Pierre-Vincent Claverie, Alain Marchandisse p. 335-338