Contenu du sommaire : Alimentation et politique aux États-Unis
Revue | Politique Américaine |
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Numéro | no 39, 2022/2 |
Titre du numéro | Alimentation et politique aux États-Unis |
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- Éditorial - Aurélie Godet p. 5-7
- Nourrir le corps politique - Alice Béja p. 9-18
- Unis contre la faim ? Associations caritatives, pouvoirs publics et industrie dans l'économie politique des banques alimentaires - Joshua Lohnes, Alice Béja p. 19-50 Suite à la délégation de services publics vers des acteurs privés sous la présidence Reagan, l'économie des banques alimentaires aux États-Unis est devenue un marché de plusieurs milliards de dollars. Les mouvements sociaux et politiques qui ont institutionnalisé les réseaux alimentaires caritatifs sont divers et hétérogènes, illustrant les intérêts concurrents d'un système alimentaire américain depuis longtemps aux prises avec des tensions paradoxales entre le gaspillage alimentaire et la faim. Cet article analyse l'économie morale de la lutte contre la faim au sein d'un mouvement social diversifié qui négocie un ensemble de codes juridiques et de normes sociales établis au cours des quarante dernières années. Il fait l'hypothèse que les réseaux caritatifs sont un point d'observation privilégié de la compétition politique autour de l'avenir du système alimentaire américain.Rising out of the devolution of public services to private actors during the Reagan administration, the food banking economy in the United States is now a multi-billion-dollar industry. The social and political movements that institutionalized charitable food networks are diverse and often contradictory, offering a window into the politics and competing interests of a U.S. food system that has long grappled with glaring contradictions between food waste and hunger. In this paper, I analyze shifting moral economies of hunger relief within a diverse social movement (re) negotiating a set of legal codes and social norms established over the past forty years of hunger relief through charity. I argue that charitable food networks offer a window into the political contest currently unfolding over the future of the U.S. food system.
- Coopération, autonomie et territoire politique : les Systèmes alimentaires locaux aux États-Unis - Clémence Nasr p. 51-79 Au sein de la tendance des circuits courts alimentaires, les Systèmes alimentaires locaux (SAL) se distinguent en raison de l'importance attachée à l'échelle locale et à la proximité géographique entre producteurs et consommateurs. Aux États-Unis, ils pointent également la revitalisation de la communauté. La littérature se concentre précisément sur les risques inhérents à cette échelle : idéalisation et, surtout, repli identitaire et sécession par rapport à la société nationale. Si cette analyse est justifiée, elle n'épuise pas la réalité des SAL. Nous voulons montrer, en les considérant depuis le point de vue de la philosophie sociale, que ceux-ci renferment la possibilité que se mettent en place de véritables rapports coopératifs débouchant sur la maîtrise collective du cycle alimentaire. Dès lors, le territoire agri-alimentaire local revêt une dimension politique qui ne relève pas de l'identité, mais bien de l'aspiration à une forme d'autonomie.Within the trend of short food supply chains, Local Food Systems (LFS) stand out because of the importance attached to the local scale and to the geographical proximity between producers and consumers. In the US, they also highlight a sense of community revitalization. The literature focuses precisely on the risks inherent in this scale: idealization and, above all, withdrawal into identity and secession from national society. While this analysis is justified, it does not exhaust the reality of SALs. I want to show, from a social philosophy point of view, that they contain the possibility of establishing real cooperative relationships leading to the collective control of the food cycle. From then on, the local agri-food territory takes on a political dimension that is not a matter of identity, but rather of the aspiration to a form of autonomy.
- La souveraineté alimentaire au cœur des mobilisations décoloniales et anti-capitalistes : le cas de la communauté autochtone Navajo pendant la pandémie de covid-19 - Eugénie Clément-Picos p. 81-112 Cet article analyse l'évolution du rôle des fermier·es Dinés* de la réserve amérindienne Navajo, dans le Sud-ouest des États-Unis. La nation Navajo cristallise les problèmes du sud-ouest du pays : accès à l'eau, à l'alimentation, manque d'emplois, crise climatique et gouvernance. Dans une perspective ethnographique, les différentes formes de violence rencontrées sont analysées à partir des pratiques et discours des fermier·es. Entre négociations et tensions avec les ONG, les autorités tribales et fédérales, les fermier·es doivent combiner un idéal d'autonomie en interdépendance avec les attentes de la communauté Navajo et la réalité économique. Cet article propose un matériau original pour l'examen et la compréhension des luttes environnementales et défis alimentaires pendant la pandémie de covid-19.This article focuses on the changing roles of Diné farmers in the Southwestern United States. The Navajo Nation crystallizes the problems and solutions of the southwest of the country: access to water, food, lack of jobs, climate crisis and governance. Based on the practices and discourses of farmers, I question the different forms of violence they face and in which they live. Covid-19 highlighted their work as educators. Between negotiations and tensions with NGOs, tribal and federal authorities, Navajo farmers must combine an ideal of autonomy in interdependency with the expectations of the Navajo population and the economic reality. This article offers new perspectives to examine environmental and food struggles during the covid-19 pandemic.
- The Intimate Politics of Soul Food: On the Tastes and Distastes of a New Orleans Black Middle-Class Family - Nicolas Larchet p. 113-140 Ces dernières années, la cuisine traditionnelle du Sud des États-Unis a été à la fois stigmatisée pour sa contribution à l'épidémie d'obésité et de plus en plus adoptée par la culture populaire américaine. En tant que fusion d'influences africaines, européennes et amérindiennes, la cuisine du Sud est véritablement américaine, mais sa propriété est contestée entre les communautés blanches et noires. À partir d'une ethnographie des pratiques de consommation d'une famille noire de classe moyenne de La Nouvelle-Orléans, cet article vise à dépasser les présupposés culturalistes réduisant la soul food à une tradition du passé et les Africains-Américains à un groupe monolithique. En revisitant la théorie de la « distinction » de Bourdieu pour prendre en compte l'intersection des catégories de race et de classe, nous verrons comment les pratiques de consommation de cette famille permettent à ses membres de revendiquer les valeurs de respectabilité des classes moyennes sans trahir leur identité noire, en se distinguant à la fois des Noirs pauvres et des blancs de classe moyenne qui menacent leur position sociale.The traditional cuisine of the Southern United States has been both stigmatized for its contribution to the obesity epidemic and appropriated into mainstream American culture in recent years. As a fusion of African, European, and Amerindian influences, “Southern food” is a truly American cuisine, but its ownership is contested between whites and black Southerners. Based on an ethnographic study of the consumption practices of a New Orleans black middle-class family, this article aims to move beyond culturalist assumptions reducing “soul food” to a tradition from the past and African Americans to a monolithic group. Revisiting Bourdieu's theory of “distinction” to account for class as well as racial differentiation, it explores how this family's consumption practices allow them to claim middle-class respectability without betraying their black identity, distinguishing them from both poor blacks and middle-class whites threatening their precarious position.
- Serving Up the American South: The Intersectional Politics of Barbecue in Food Media - Alkım Kutlu, Eva Rüskamp p. 141-175 Les catégories de race, de classe et de genre, façonnées par les migrations forcées, l'esclavage et la ségrégation, informent la culture du Sud des États-Unis de manière significative. Un plat comme le barbecue, vecteur de sociabilité et de nostalgie, porte ainsi la marque d'une histoire complexe et douloureuse. Cet article analyse la façon dont les émissions culinaires sur le barbecue (diffusées, entre autres, sur Netflix) tendent à effacer le passé inconfortable de ce plat et, plus largement, à dissimuler les réalités sociales qui sous-tendent les pratiques alimentaires dans le sud des États-Unis. Notre hypothèse est qu'une approche critique de ces représentations, qui font du barbecue un spectacle, à la fois plat et événement communautaire, peut contribuer à la compréhension des enjeux intersectionnels propre à cette région.Southern U.
S. culture has been shaped by a history of forced migration, slavery, and segregation as well as by particular understandings of race, class, and gender. Often seen as fostering sociability and nostalgia, a regional dish like barbecue also bears the scars of this complex, painful history. Our article analyzes the way culinary TV shows featuring barbecue (most of them broadcast on Netflix) tend to erase the disturbing history of this food, and more broadly, conceal the social realities that underlie southern dietary practices. Our hypothesis is that a critical approach to these representations, in which barbecue is simultaneously portrayed as a dish, a spectacle, and a community event, can illuminate the intersectional issues specific to this region. - Rejecting Shame: Fat Activism, Social Media, and Food Performances - Sabine Elisabeth Aretz p. 177-201 Le « Fat Activism » (« militantisme des gros ») vise à rejeter la stigmatisation des corps gros ; ce mouvement demeure fragmentaire et controversé. Dans ses incarnations contemporaines, il se manifeste principalement sur les réseaux sociaux et crée ainsi un espace mondial ouvert qui, par la mise en scène de la vie quotidienne des militant.es, construit un mouvement collectif de résistance. Les « Fat Studies » n'étudient que peu cette présence en ligne des militant·es par le biais de la représentation de la nourriture et de l'acte de manger. Cet article analyse la fonction de ces performances alimentaires comme actes de résistance. Le fait de documenter et de rendre publique la consommation joyeuse de nourriture conçue comme « malsaine » manifeste un refus de la stigmatisation. Les trois études de cas choisies – Christy Collins, Candy Godiva et Marissa Matthews – permettent, à travers une approche inspirée de l'étude des mouvements sociaux, de décrire les mécanismes de ce rejet de la honte.Fat Activism, a pursuit centering the rejection of the shaming of fat bodies, remains fragmented and heavily debated. In its current waves, Fat Activism largely takes place on social media, creating an accessible, global network that utilizes a particular depiction of activists' everyday life to perform and establish a collective movement of resistance. As current Fat Studies rarely engage with the presence and usage of eating and food in Fat Activists' social media activities, this article analyzes the function of food performances as statements and acts of resistance. As fat individuals are shamed for their bodies, the act of documenting and publicizing joyfully eating foods that are largely deemed “unhealthy” depicts a particular resistance to that shame. Close readings of three case studies of Fat Activists on social media – Christy Collins, Candy Godiva, and Marissa Matthews – outline the mechanism of this social movement approach to rejecting shame.
- Comptes-rendus d'ouvrages - Frédéric Heurtebize p. 203-223