Contenu du sommaire : Quelle démocratie ? La réflexion sur la crise, la modernisation et les limites de la démocratie en Allemagne et en France pendant l'entre-deux-guerres | Allemagne, 30 ans après : de l'unification à l'unité ?
Revue | Revue d'Allemagne |
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Numéro | Tome 54, N° 2, juillet-décembre 2022 |
Titre du numéro | Quelle démocratie ? La réflexion sur la crise, la modernisation et les limites de la démocratie en Allemagne et en France pendant l'entre-deux-guerres | Allemagne, 30 ans après : de l'unification à l'unité ? |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Quelle démocratie ? La réflexion sur la crise, la modernisation et les limites de la démocratie en Allemagne et en France pendant l'entre-deux-guerres
- Introduction - Pascal Fagot, Christian Jacques, Annette Lensing, Reiner Marcowitz p. 297-301
- Hans Kelsens „Reine Rechtslehre“ in der Ersten Republik - Péter Techet p. 303-318 Hans Kelsen est l'un des théoriciens du droit les plus connus du XXe siècle. Sa théorie du droit peut certainement être comprise comme un produit de l'État multi-ethnique des Habsbourg et de la Vienne moderne. L'Empire des Habsbourg était uni en tant qu'entité juridique, son concept du droit et de l'État formaliste-légaliste a trouvé son expression théorique dans la « Théorie pure du droit », qui décrivait le droit comme une fonction en assimilant le système juridique à l'État. La Première République représente également le contexte historique pour la « Théorie pure du droit ». Les conflits politiques, sociaux et culturels en Autriche à l'époque étaient très souvent tranchés par la Cour constitutionnelle, dont Kelsen était membre. Kelsen a façonné la juridiction par sa théorie de l'équivalence de la juridiction et la législation, qu'il a utilisée pour établir une juridiction politique et activiste. L'article analyse l'œuvre de Kelsen et sa position en tant que juge constitutionnel comme un reflet de son temps.Hans Kelsen is one of the best-known legal theorists of the 20th century. His legal theory can certainly be understood as a product of the Habsburg multi-ethnic state and modern Vienna. The Habsburg Empire was held together as a legal entity, its formalistic-legalistic legal and state concept found its theoretical expression in the “Pure Theory of Law”, which describes the law as a function and equates the legal system with the state. The First Republic also represents an important historical context for the “Pure Theory of Law”. The political, social and cultural conflicts in Austria at the time were very often decided by the Constitutional Court, of which Kelsen was a member. Kelsen shaped the constitutional judiciary with his theory of equating the decision-making with the lawmaking, which he used to establish an activist, political judicial review. The essay analyzes Kelsen's legal theoretical work and his position of constitutional judge as reflection of his own time.
- Cinéma national ou international ? Le débat franco-allemand sur le film parlant européen à travers la presse et les versions multiples (1928-1932) - Maria Adorno p. 319-333 Vers la fin des années 1920, lorsque les pays européens sont en train de se remettre de la guerre, une véritable révolution bouleverse le délicat équilibre du cinéma : la généralisation du film sonore. Le pouvoir médiatique intrinsèque aux talkies attire l'intérêt des gouvernements, et l'objet filmique en vient ainsi à être instrumentalisé au service de la propagande nationale de chaque pays. Cet article interroge les liens entre le discours démocratique et l'univers du cinéma à travers une étude franco-allemande de la presse de cinéma. Nous montrons l'évolution chronologique du débat de 1928 à 1932, tout en soulignant le rôle joué par le phénomène transculturel des « versions multiples », qui arrivent à passer les frontières nationales à travers une apparente démocratisation de la pensée filmique.Towards the end of the 1920s, when European countries are recovering from the war, a real revolution upsets the delicate balance of cinema: the generalisation of sound film. The intrinsic mediatic power of talkies attracts the interest of governments, and films get to be instrumentalized in the service of the national propaganda of each country. This article investigates the links between the democratic discourse and the universe of cinema through a Franco-German study of the film press. We examine the chronological evolution of the debate from 1928 to 1932, while stressing the role played by the transcultural phenomenon of ‘multiple versions', which manage to cross national borders through an apparent democratization of filmic thought.
- Le combat des « jeunes conservateurs » contre la République de Weimar - Michel Grunewald p. 335-346 Les « jeunes conservateurs » allemands tels Moeller van den Bruck (1876-1925) ou Edgar Julius Jung (1894-1934) formèrent dès le début des années 1920 une « opposition fondamentale » à la jeune république née après la défaite du Reich wilhelmien. Hostiles à toutes formes de partis, organisés souvent en « clubs », soutenus par les milieux d'affaires et les anciennes élites, ils déployèrent à travers leur presse et leurs manifestes une idéologie qu'on peut résumer à trois aspects principaux : leur refus radical du libéralisme et de tout État démocratique, leur combat pour instaurer un État autoritaire et leur option pour une économie corporatiste, autogérée et dont un État stratège exercerait la tutelle. Comme toutes les forces de droite qui avaient espéré s'allier à Hitler, à partir de 1934, les « jeunes conservateurs » furent placés devant une alternative très simple : s'intégrer au nouveau Reich ou se taire.As early as the 1920s, the German “Young Conservatives” like Moeller van den Bruck (1876-1925) or Edgar Julius Jung (1894-1934) set up a “fundamental opposition” to the young republic established after the defeat of the Wilhelmine Reich. Hostile to all types of party, organized like clubs, their major support came from the business world and former elites. Their press and manifestoes gave voice to an ideology marked by three major aspects: the staunch refusal of liberalism and any form of democratic State, the struggle for the creation of an authoritative State and the choice of a self-directed corporate economy controlled by a strategist State. Like all the other right-wing movements that had hoped to ally with Hitler, after 1934 the “Young Conservatives” had to face a simple alternative: join the new Reich or remain silent.
- Joseph Roth face aux violences politiques sous la République de Weimar - Marion Garot p. 347-360 L'écrivain autrichien Joseph Roth (1894-1939) eut une grande carrière de journaliste avant d'être reconnu comme romancier. Il doit sa renommée auprès de quotidiens allemands comme le Frankfurter Zeitung, le Neue Berliner Zeitung ou encore Vorwärts à sa plume de feuilletoniste. Parcourant toute l'Europe pour le compte des rédactions, il rédigea plus de mille articles entre 1919 et 1938. L'Allemagne de la République de Weimar et ses problématiques sociales et politiques sont des sujets privilégiés de Joseph Roth. Les faits de violence politique attirent particulièrement son attention, Roth assistant aux grands procès des années 1920 et décryptant pour ses lecteur·ice·s les enjeux politiques derrière les affaires qu'il suit. Favorable à la démocratie, Joseph Roth pose un regard critique sur les acteurs du système parlementaire de Weimar, les reportages analysés dans cet article rappelant à travers sa plume les défis de la jeune et fragile démocratie allemande.The Austrian writer Joseph Roth (1894-1939) had a great career as a journalist before he became known as a novelist. He owes his fame with German newspapers such as the Frankfurter Zeitung, the Neue Berliner Zeitung and Vorwärts to his pen as a feuilletonist. He travelled all over Europe on behalf of the newspapers and wrote more than a thousand articles between 1919 and 1938. Germany during the Weimar Republic and its social and political problems was one of Joseph Roth's favourite subjects. He was particularly interested in political violence, attending the major trials of the 1920s and deciphering for his readers the political issues behind the cases he followed. As a supporter of democracy, Joseph Roth took a critical look at the actors of the Weimar parliamentary system, the articles analysed here reminding us through his pen of the challenges of the young and fragile German democracy.
- « La démocratie, pour sa part, est infiniment humaine. » La lutte de Thomas Mann en faveur de la démocratie dans l'entre-deux-guerres - Sebastian Hansen p. 361-378 Pendant la Première Guerre mondiale, Thomas Mann – poussé par la crainte d'une politisation, d'une démocratisation et d'une économisation complètes de la vie – s'oppose clairement à une occidentalisation de l'Allemagne. Toutefois, l'écrivain se montre d'emblée ouvert à la nouvelle République de Weimar. La présente contribution examine son penchant pour la démocratie, dans laquelle il voit, après la guerre, une opportunité de réaliser son concept d'humanité et une possibilité de s'engager dans ce sens. N'en font pas seulement partie ses prises de position politiques avant et après des élections. Par-dessus tout, Thomas Mann s'efforce de diverses manières d'attribuer à la démocratie un sens positif et, face à la critique et au rejet politiques dont elle est l'objet, d'encourager son développement, notamment dans le sens d'une démocratie sociale.During the First World War, Thomas Mann resisted the westernization of Germany. He feared that this would bring about a complete politization, democratization and economisation of life. However, the writer was open to the new Republic of Weimar from the beginning. The essay examines Mann's turn to democracy, in which he saw an opportunity to realise his concept of humanity after the war, and his commitment to democracy. This included not only political statements before and after elections. Above all, Thomas Mann endeavoured in many ways to ascribe a positive meaning to democracy and, in the face of political criticism and rejection, to call for its further development, especially towards a social democracy.
- Un espace littéraire d'imagination politique - Jean-François Laplénie p. 379-394 La mise en forme romanesque des événements révolutionnaires de 1918-1920 impose aux écrivains une réflexion sur la représentation des positions idéologiques en présence et la mise en scène des débats entre ces positions. En particulier, la deuxième vague de ces « romans de la révolution », écrits entre 1927 et 1932 et conçus comme la continuation des romans de guerre des années 1927-1928, ouvrent entre la période révolutionnaire, à laquelle ils se réfèrent, et le contexte de crise de la démocratie, dans lequel ils sont publiés, des espaces narratifs d'expérimentation et d'imagination politiques qui donnent à ces romans, qui tiennent à la fois du Zeitroman et du roman historique, une dimension uchronique. À partir de deux romans parus en 1930 (Frieden d'Ernst Glaeser et Nachkrieg de Ludwig Renn) et en apparence similaires, le présent article illustre comment les choix esthétiques conditionnent des conceptions différentes de l'action politique : à l'apathie et à l'inaction qui découlent d'une présentation monolithique des positions politiques (Glaeser) répond, chez Renn, une interrogation sur l'articulation entre idéologie, position et action politiques.The novelistic shaping of the revolutionary events of 1918-1920 required writers to reflect on the representation of the ideological positions involved and the staging of debates between these positions. In particular, the second wave of these “revolution novels”, written between 1927 and 1932 and conceived as a continuation of the war novels of 1927-1928, opened up narrative spaces of political experimentation and imagination between the revolutionary period, to which they referred, and the context of the crisis of democracy, in which they were published. Based on two seemingly similar novels published in 1930 (Ernst Glaeser's Frieden and Ludwig Renn's Nachkrieg), this article illustrates how aesthetic choices express different conceptions of political action: in Glaeser's case, the apathy and inaction resulting from a monolithic presentation of political positions contrast with Renn's reflection on the relationship between ideology, political position and action.
- Metakritik des „autoritären Liberalismus“ - Christian E. Roques p. 395-411 L'idée que le concept de « libéralisme autoritaire » que Hermann Heller développe en 1932 visait aussi, au-delà de Carl Schmitt, l'« État fort » des Ordolibéraux et entreprenait ainsi de thématiser les sympathies d'Alexander Rüstow et de Walter Eucken pour une forme d'État autoritaire et dictatoriale, est devenue un lieu commun de la recherche sur le sujet. Cette thèse fut popularisée dans les années 1980 par les monographies de Claus-Dieter Krohn et Dieter Haselbach et est aujourd'hui si solidement établie que même les partisans déclarés de la tradition ordolibérale parlent désormais des convictions « préfascistes » d'Eucken et de Rüstow avant 1933. Cet article se propose de revenir sur ce débat en reprenant la question, pour ainsi dire, en sens contraire : après une analyse approfondie des argumentations de Krohn et Haselbach, il en critique la pertinence et la justesse historique en remontant aux textes sources du début des années 1930. L'idée qui sous-tend l'ensemble de l'argumentation est qu'à la lumière des recherches récentes sur l'histoire de la démocratie dans l'entre-deux-guerres, il est possible de défendre une analyse plus nuancée des argumentations de Rüstow et Eucken et de montrer qu'elles ne se situent, au bout du compte, pas nécessairement dans le camp antirépublicain.The idea that the concept of “authoritarian liberalism” that Hermann Heller developed in 1932 was also aimed, beyond Carl Schmitt, at the Ordoliberal “strong state” and thus undertook to thematize the sympathies of Alexander Rüstow and Walter Eucken for an authoritarian and dictatorial form of state, has become a commonplace in the research on the subject. This thesis was popularized in the 1980s by the monographs of Claus-Dieter Krohn and Dieter Haselbach and is now so firmly established that even the declared supporters of the ordoliberal tradition today speak of Eucken's and Rüstow's “pre-fascist” convictions before 1933. This article intends to revisit this debate by taking up the issue, so to speak, in reverse: after a thorough analysis of Krohn's and Haselbach's arguments, it criticizes their relevance and historical accuracy by going back to the source texts from the early 1930s. The idea behind the whole argument is that, in the light of the recent research on democracy in the interwar period, it is possible to defend a more nuanced analysis of the arguments of Rüstow and Eucken and to show that they are, in the end, not necessarily in the anti-republican camp.
- Théories socio-économiques et critiques de la démocratie parlementaire - Bernd Zielinski p. 413-427 La contribution analyse d'abord l'impact des théories socio-économiques en tant qu'élément des idéologies antidémocratiques à travers l'exemple de Carl Schmitt. Les attaques de Schmitt contre la démocratie parlementaire étaient centrées sur la notion d'« État total » qu'il utilisait à la fois pour critiquer l'État démocratique d'intervention et pour légitimer des formes étatiques autoritaires. L'influence idéologique considérable de Schmitt à son époque est ensuite démontrée à travers les exemples de l'économiste Alfred Müller-Armack et du juriste Ernst Forsthoff. Sur un autre plan, la contribution évoque également les liens entre Schmitt et le juriste français René Capitant, démocrate convaincu. Ce dernier fut en partie influencé par certaines thèses de Schmitt lors de son analyse des faiblesses et crises de la Troisième République. Mais l'objectif politique du futur résistant Capitant fut la stabilisation de la démocratie parlementaire en France se situant ainsi à l'opposé des intentions de Schmitt.This contribution analyzes the impact of socio-economic theories on anti-democratic ideologies through the example of Carl Schmitt. Schmitt's attacks on parliamentary democracy centered on the notion of the ‘total state', which he used both to criticize the democratic interventionist state and to legitimize authoritarian forms of statehood. Schmitt's considerable ideological influence on his contemporaries is then demonstrated through the examples of the economist Alfred Müller-Armack and the lawyer Ernst Forsthoff. The contribution also discusses the links between Schmitt and the French jurist René Capitant, a convinced democrat. The latter was partly influenced by some of Schmitt's theories in his analysis of the weaknesses and crises of the Third Republic. However, the political objective of Capitant, who would later join the French Resistance, was the stabilization of parliamentary democracy in France, which was the opposite of Schmitt's intentions.
Allemagne, 30 ans après : de l'unification à l'unité ?
- Introduction - Karim Fertikh, Reiner Marcowitz p. 431-436
- Expériences quotidiennes et visions du futur sur l'ancienne frontière interallemande - Béatrice von Hirschhausen, Laure de Verdalle p. 437-454 Cet article présente les premiers résultats d'une enquête conduite dans deux villages situés de part et d'autre de l'ancienne frontière interallemande, entre Thuringe et Bavière, en « revisitant » le terrain ethnographique conduit par Valentine Meunier dans les années 1990. Trente ans après la réunification, les résultats électoraux des dernières années et les sociabilités locales signalent la persistance d'une « frontière fantôme » sur le tracé de l'ancien Mur, en dépit de l'intensité des circulations quotidiennes et des relations de travail. Pour en éclairer les raisons, nous interrogeons la présence de l'ancienne frontière dans les discours ordinaires ; nous examinons les mobilisations de l'idée de « communauté » (Gemeinschaft) dans les pratiques et les discours de nos enquêté·e·s ; nous interrogeons les rapports au futur déclinés de façon très contrastée selon les niveaux territoriaux.This article presents the first results of a research project conducted in two villages located on either side of the former German border between Thuringia and Bavaria, “revisiting” the ethnographic fieldwork conducted by Valentine Meunier in the 1990s. Thirty years after reunification, the electoral results of the last few years and the local social behaviours point to the persistence of a “phantom border” on the line of the former wall, despite the intensity of daily circulation and work relations. In order to shed light on the reasons for this, we examine the presence of the old border in ordinary discourses; we examine the mobilization of the idea of “community” (Gemeinschaft) in the practices and discourses of our respondents; and we examine the relationship to visions of the future, which is expressed in very different ways depending on the territorial level.
- Les inégalités régionales de richesse et de pauvreté en Allemagne : le contraste est-ouest est-il toujours pertinent ? - Michel Deshaies p. 455-467 Depuis la réunification allemande, les inégalités économiques entre l'est et l'ouest de l'Allemagne ont eu tendance à s'atténuer. En particulier au cours des années 1990, les nouveaux Länder ont entamé un processus de rattrapage économique par rapport aux Länder de l'Ouest. Aujourd'hui encore, les nouveaux Länder sont néanmoins sensiblement plus pauvres que les Länder de l'Ouest. Les situations sont cependant très inégales car, entre temps, les contrastes économiques se sont accentués entre les Länder du nord de l'Allemagne de l'Ouest et les Länder du sud, de loin les plus riches. À l'intérieur des nouveaux Länder, les inégalités de richesse se sont aussi creusées, non seulement entre le nord et le sud, mais surtout entre villes et campagnes. En Allemagne, si le contraste Est-Ouest reste prédominant, il a tendance à s'atténuer au profit d'un gradient nord-sud et des inégalités villes-campagnes.Since German reunification, economic inequalities between eastern and western Germany have tended to diminish. In particular during the 1990s, the new Länder began a process of economic catching up with the western Länder. Even today, the new Länder are nevertheless significantly poorer than the western Länder. However, the situations are very uneven because in the meantime, economic contrasts have accentuated between the Länder in the north of West Germany and the Länder in the south, by far the richest. Within the new Länder, wealth inequalities have also widened, not only between north and south, but above all between towns and the countryside. In Germany, while the east-west contrast remains predominant, it tends to diminish in favor of a north-south gradient and urban-rural inequalities.
- Un événement controversé. La manifestation du 4 novembre 1989 à Berlin-Est et les mémoires conflictuelles de la « révolution pacifique » - Caroline Moine, Guillaume Mouralis, Laure de Verdalle p. 469-483 Le 4 novembre 1989, une manifestation d'une ampleur sans précédent a lieu à Berlin-Est. Initiée par l'opposition et autorisée par le pouvoir, elle s'achève par un meeting d'environ trois heures sur l'Alexanderplatz, pendant lequel différentes personnalités du monde artistique, intellectuel et politique de RDA prennent la parole pour réclamer une démocratisation du pays et un socialisme rénové. Dans ces discours, il n'est nullement question de l'unification des deux Allemagnes ni même d'abattre le Mur. Or, quatre jours plus tard, le mur de Berlin s'ouvre et, dans les mois qui suivent, le pays est conduit vers une unification présentée comme désormais inéluctable. Depuis trente ans, la place du 4 novembre 1989 dans l'économie de la « révolution pacifique » en RDA apparaît mal assurée. Pour éclairer la mémoire fragmentée et souvent conflictuelle de cet événement, cet article en rappelle d'abord les caractéristiques principales. Il analyse ensuite l'évolution des commémorations et du traitement médiatique du 4 novembre 1989. Il montre enfin que l'événement occupe une place paradoxale dans les biographies de ses principaux acteurs et actrices.On November 4, 1989, a demonstration of unprecedented scope took place in East Berlin. Initiated by the opposition and authorized by the government, it ended with a three-hour meeting on Alexanderplatz, during which various personalities from the artistic, intellectual and political spheres of the GDR took the floor to call for the democratization of the country and a renewed socialism. In these speeches, there was no mention of the unification of the two Germanies or even of tearing down the Wall. However, four days later, the Berlin Wall was opened and, in the months that followed, the country was led towards a unification that was presented as inevitable. For thirty years, the place of November 4, 1989, in the economy of the “peaceful revolution” in the GDR has been unclear. In order to shed light on the fragmented and often conflicting memory of this event, this article first recalls its main characteristics. It then analyzes the evolution of the commemorations and media treatment of November 4, 1989. Finally, it shows that the event occupies a paradoxical place in the biographies of its main actors.
- Héritages de l'unification, contre-culture et ville en mutation : le cas du changement de direction à la Volksbühne de Berlin (2015-2019) - Corentin Jan p. 485-498 Sous le mandat de Frank Castorf, la Volksbühne am Rosa-Luxemburg-Platz a proposé un projet artistique et politique contre-culturel qui entendait rompre avec le consensus de l'unification allemande pour mieux interroger le présent dans ses conflictualités multiples. Cet article entend observer ce qu'il advient de ce héritage initial dans l'affaire qui a suivi de 2015 à 2019 le remplacement de Castorf par Chris Dercon, curateur belge issu du monde de l'art. Si le conflit entre les deux parties s'est très vite polarisé entre une vision locale du théâtre, fortement opposée à la gentrification berlinoise, et une conception internationale de la création artistique, rapidement accusée de néolibéralisme, une étude de la controverse selon les outils développés par la sociologie pragmatique montre que la question de la RDA, de l'unification et de leur héritage y apparaît sous la forme de déplacements et de reconfigurations paradoxales. Au-delà du cas de la Volksbühne, cette affaire montre les conséquences encore vives de l'unification dans la ville en permanente mutation qu'est la capitale allemande.Under Frank Castorf's direction, the Volksbühne am Rosa-Luxemburg-Platz proposed a counter-cultural artistic and political project that sought to break with the consensus of German unification in order to question the present times in their multiple conflictualities. This article intends to analyse the role of such a legacy in the affair that followed between 2015 and 2019 Castorf's replacement by Chris Dercon, a Belgian curator from the art world. If the conflict between the two parties took the form of a clash between a local vision of theatre, strongly opposed to Berlin's gentrification, and an international conception of artistic creation accused of neoliberalism, a study of the controversy with the methodological tools of the pragmatic sociology shows that the question of the GDR, of unification and of their legacy appears in the form of paradoxical displacements and reconfigurations. Beyond the case of the Volksbühne, this affair shows the still vivid consequences of unification in the permanently changing German capital.
- Quelles conséquences de l'unification allemande sur les perspectives de développement d'un Land rural du nord-est de l'Allemagne ? - Joséphine Lécuyer p. 499-514 Le présent article est centré sur un Land rural du nord-est de l'Allemagne, le Mecklembourg-Poméranie-Occidentale. Il analyse dans quelle mesure avoir appartenu à la RDA est, encore trente ans plus tard, un facteur structurant pour le Land et ses perspectives de développement. La Réunification et les années qui ont suivi marquent une rupture démographique dont les conséquences sont toujours sensibles en termes de perte de population et de vieillissement accéléré. De plus, le Land est confronté à une forme de stigmatisation, à la fois en raison des scores élevés pour les partis d'extrême droite et de sa réputation de région associée au vide et au déclin. De nouvelles perspectives semblent cependant se dessiner vers la Pologne, grâce à l'immigration polonaise importante en Poméranie occidentale et à la proximité de la grande ville polonaise de Szczecin.This article focuses on a rural Land in north-eastern Germany, Mecklenburg-Western Pomerania. It analyses the extent to which belonging to the former GDR is still, thirty years later, a structuring factor for the Land and its development prospects. Reunification and the years that followed marked a demographic break, which consequences are still significant in terms of population loss and accelerated ageing. In addition, the Land faces stigmatization, both because of the high scores for far-right parties and its reputation of a declining region. However, new prospects seem to be emerging toward Poland, thanks to the significant Polish immigration to Western Pomerania and the proximity of the large Polish city of Szczecin.
- L'unification économique de l'Allemagne – modalités et répercussions - Bernd Zielinski p. 515-529 L'article analyse la situation économique et sociale actuelle de l'Allemagne de l'Est sur fond d'une discussion sur les modalités de l'unification économique financière et sociale en 1990. Celle-ci s'est réalisée sous la forme d'un transfert rapide à l'Est des institutions ouest-allemandes et a pris la forme d'une « thérapie de choc ». Dans un premier temps, elle entraînait en ex-RDA une véritable désindustrialisation et l'augmentation massive du chômage. La contribution évoque ensuite les grandes étapes de l'évolution de l'économie est-allemande de l'unification jusqu'aujourd'hui, marquée à la fois par une modernisation profonde et la persistance de problèmes structurels. Elle thématise également comment l'unification a, par un effet de retour, contribué à accélérer la transformation du « capitalisme rhénan », le modèle traditionnel ouest-allemand de régulation économique, et influencé en même temps la donne au niveau européen.The article analyzes the current economic and social situation in East Germany against the background of a discussion on the methods of economic, financial and social unification in 1990. This took the form of a rapid transfer to the East from West German institutions and consisted in a „shock therapy“. Initially, this led to a real deindustrialization and a massive increase in unemployment in the former GDR. The contribution then discusses the major stages in the evolution of the East German economy from unification to the present day, which is marked both by profound modernization and the persistence of structural problems. It also thematizes how unification has, through a feedback effect, contributed to accelerating the transformation of “Rhine capitalism”, the traditional West German model of economic regulation and influenced at the same time the situation at the European level.
- 30 ans de politique familiale en Allemagne : vers la fin de la fracture entre Est et Ouest ? - Anne Salles p. 531-546 L'effondrement sans précédent des naissances dans l'est de l'Allemagne après l'unification a soulevé la question du rôle joué par l'extension de la politique familiale ouest-allemande à l'ensemble du pays, tant celle-ci ne répondait pas aux attentes des habitants de l'ancienne RDA. Si le niveau de fécondité remonte progressivement à l'Est pour s'établir finalement au-dessus du niveau de l'Ouest à partir de 2008, on observe précisément une inflexion dans la politique familiale allemande avec la mise en place de réformes qui ne sont pas sans rappeler certaines mesures de la RDA. Pour autant, le rapprochement qu'on observe entre les deux parties de l'Allemagne dans les choix familiaux et les décisions de fécondité demeure partiel et le sujet indubitablement sensible. Si l'impact des réformes de politique familiale sur certains choix familiaux ne fait guère de doute, comme la progression du travail à temps partiel chez les mères à l'Est ou le report des naissances, il n'en demeure pas moins limité dans d'autres cas, comme en atteste l'attachement des Allemandes de l'Est au travail à temps plein, ce qui s'explique notamment par le caractère limité des réformes, par un certain décalage entre l'orientation des politiques familiales et les modèles familiaux à l'Est et par le contexte économique.The unprecedented collapse of births in eastern Germany after unification raised the question of the role played by the extension of West German family policy to the whole country, since it did not meet the expectations of the inhabitants of the former GDR. Although the fertility rate in the East has been gradually rising, finally reaching a level above that of the West from 2008 onwards, there has been a shift in German family policy with the introduction of reforms that are reminiscent of certain measures taken in the GDR. However, the rapprochement between the two parts of Germany in terms of family choices and fertility decisions remains partial and the subject is undoubtedly sensitive. The impact of family policy reforms on certain family choices, such as the increase in part-time work among mothers in the East or the postponement of childbirth, is not in doubt, but in other cases it is limited, as evidenced by the attachment of East German women to full-time work. This can be explained in particular by the limited nature of the reforms, by a certain discrepancy between the orientation of family policies and family models in the East and also by the economic context.
- Un pays, deux cultures d'immigration - Gwénola Sebaux p. 547-568 Cet article analyse les conséquences anthropologiques et culturelles de quarante ans de division au prisme des politiques migratoires et post-migratoires dans les anciens et nouveaux Länder. Au terme des deux premières décennies du xxie siècle, les discours et stratégies politiques en la matière varient-ils sensiblement ? L'omniprésence de la question migratoire ne masque-t-elle pas des inégalités Est-Ouest plus profondes ?L'article interroge la réalité du « clivage migratoire » Est-Ouest, ses manifestations, ses causes historiques, mais aussi son ampleur réelle et sa réduction graduelle dans l'Allemagne contemporaine.This article analyses the anthropological and cultural consequences of forty years of division through the lens of migration and post-migration policies in the old and new Länder. At the end of the first two decades of the 21th century, do the political discourses and strategies in this area vary significantly? Does the omnipresence of the migration issue not mask deeper East-West inequalities?The article examines the reality of the East-West ‘migration divide', its manifestations, its historical causes, but also its actual extent and its gradual reduction in contemporary Germany.
- La politique étrangère de l'Allemagne unifiée. Entre continuités et ruptures - Reiner Marcowitz p. 569-582 Le discours de « changement d'époque » du chancelier fédéral Olaf Scholz le 27 février 2022 au Bundestag allemand face à l'attaque russe contre l'Ukraine et son annonce d'un engagement militaire accru de la République fédérale d'Allemagne au sein de l'Alliance occidentale rompt avec toutes les traditions ancestrales du pays en matière de politique étrangère et de sécurité. Depuis la création de l'État ouest-allemand, tous les gouvernements allemands ont en effet pratiqué une politique de retenue militaire maximale, d'autant plus que cela permettait de tirer les bonnes leçons des erreurs du passé, mais aussi de tenir compte de la situation géographique et politique particulière et de servir les intérêts économiques de la République fédérale d'Allemagne. Jusqu'à présent, l'unification allemande n'a pas changé grand-chose à cette situation, à la grande déception des alliés du pays : si l'Allemagne a toujours joué un rôle diplomatique important sur la scène internationale, la participation à des opérations militaires comme celles menées dans les Balkans dans la seconde moitié des années 1990 ou en Afghanistan après les attentats du 11 septembre 2001 sont restées des exceptions. On peut donc se demander si le discours du chancelier Scholz marque effectivement le début d'une nouvelle culture en matière de politique étrangère et de sécurité en République fédérale d'Allemagne ou si, à l'instar d'autres débats de ces dernières années, il s'essoufflera à cause de la persistance du rôle traditionnel de l'Allemagne en tant que « puissance civile ».The “turning point” speech by Chancellor Olaf Scholz on 27 February 2022 in the German Bundestag in view of the Russian attack on Ukraine and his announcement of an increased military engagement of the Federal Republic of Germany within the Western alliance marked a break with all established foreign and security policy traditions of the country. Since the founding of the West German state, all German governments have practised a policy of maximum military restraint, the more so as this was the right lesson to learn from the mistakes of the past, but also taking into account the special geographic and political situation and serving the economic interests of the Federal Republic of Germany. To the disappointment of its allies, German unification has not changed this much: although Germany has always played an important diplomatic role on the international stage, participation in military operations such as those in the Balkans in the second half of the 1990s or in Afghanistan after the attacks of September 11, 2001 have remained exceptions. In this respect, the question is whether Chancellor Scholz's speech actually heralds the beginning of a new foreign and security policy culture in the Federal Republic of Germany or whether it will ultimately fizzle out again, similar to other debates of recent years, due to the persistence of the traditional role of Germany as a “civilian power”.
- L'extraterritorialité de la loi pénale en questions - Sandie Calme p. 583-586