Contenu du sommaire : Fabriques de l'ignorance

Cet article traite de produits dérivés de la littérature, plus exactement de bougies et parfums inspirés d'écrivains et de leurs œuvres et analyse la communication commerciale de trois marques, Zoé Ferdinand, Lothantique et Jardins d'écrivains. Ces marques, qui cherchent à donner une réalisation concrète au concept de correspondance, ont trois intérêts principaux à concevoir des produits littéraires : d'abord présenter la marque sous le nom prestigieux d'éditeur, inscrire le produit dans un imaginaire qui favorise la mémorisation olfactive, enfin jouer du storytelling, en s'inspirant des passions amoureuses racontées par la littérature. Pourtant, ces marques ouvrent des interrogations sur l'idée d'une adaptation et médiation olfactive de la littérature et d'une transmédialité qui peuvent aussi avoir cours dans un contexte muséal.

Le présent article tente de fournir une vue d'ensemble des questions les plus pressantes pour les études sur l'ignorance ( Ignorance Studies) du point de vue de la philosophie de la connaissance. Il entend montrer que les problèmes affrontés par ce courant d'études gagnent à être rapportés à des terrains et des usages pratiques et mobilise pour ce faire une épistémologie pragmatiste, inspirée de Peirce et de Dewey. L'article instruit dans cette perspective une double question : en quoi ces études sur l'ignorance peuvent-elle être éclairées par la perspective pratique fournie par le pragmatisme ? En quoi les questions vives des Ignorance Studies peuvent-elles aider à prolonger, dans le débat contemporain, l'épistémologie pragmatiste ?

Cet article propose une réflexion croisée sur deux ethnographies en ligne réalisées entre 2017 et 2020 : l'étude de djihadosphères d'une part et celle de groupes consacrés aux relations amoureuses et sexuelles homme-machine d'autre part. Derrière ces deux objets en apparence très éloignés émergent des problématiques communes tant liées à la production des connaissances qu'à leur restitution. Il s'agira d'abord de questionner le prix éthique d'une approche incognito, puis de cerner les enjeux d'une récolte clandestine de données sensibles, avant de présenter les stratégies mises en place pour restituer nos travaux de façon éthique et dès lors restreinte.

L'endométriose est une maladie chronique souvent qualifiée d'invisible. Celle-ci ne comporte pas de symptômes directement reconnaissables à la surface du corps et les lésions qu'elle entraîne résistent aux regards des professionnel-les de l'imagerie médicale. Des mécanismes d'invisibilisation et de disqualification façonnent également l'expérience des personnes atteintes d'endométriose et les confinent dans les marges de la production des savoirs. Les cadrages hégémoniques de l'endométriose ne reconnaissent alors que très partiellement leur vécu. Dans cette situation, comment produire le sens d'une expérience pour laquelle les mots sont disqualifiés ? Comment devient-on « malade de l'endométriose » et comment produit-on des connaissances à partir d'une expérience discréditée et invisibilisée ? Cet article propose une première piste de réponse en rendant compte d'une pratique auto-ethnographique, attentive au rôle de l'expérience corporelle dans la production du savoir.

Cette contribution revient sur l'affaire médiatique de la « Ligue du LOL » qui, en février 2019, a révélé des actes de (cyber)harcèlement, commis par des journalistes et des communicants, principalement à l'encontre de jeunes femmes féministes appartenant au même milieu professionnel. Dans le cadre de ce dossier, nous proposons de prendre de la hauteur par rapport à la controverse médiatique qui a mis en opposition deux types de discours sur le modèle binaire de l'accusation, d'une part, et de la réparation d'image, d'autre part. Nous interrogeons ainsi la manière dont la médiatisation de l'affaire produit des savoirs sur le cyberharcèlement tout en reconduisant des formes d'ignorance en lien avec le maintien de rapports de domination structurels.

Nous interrogerons la place de la vulgarisation dans la communication publique des institutions scientifiques, ainsi que ses rapports à un ordre positiviste de la connaissance. La mise en récit du monde social portée par la vulgarisation, en même temps qu'elle repose sur une hiérarchisation des champs sociaux vis-à-vis des instances de construction des savoirs scientifiques, implique également une hiérarchisation des disciplines entre elles. Au-delà d'un genre littéraire réputé homogène ou d'une simple catégorie de dispositifs de médiation des sciences, la vulgarisation peut apparaître comme un récit institutionnel, de sens commun, regroupant et structurant les pratiques triviales des chercheurs autant que des médiateurs, autour d'une sociodicée contribuant à légitimer une domination d'ordre politique, tant dans les espaces publics que scientifiques.

Cet article est une contribution à la réflexion sur différentes formes de communications publiques dans un régime autoritaire, dans la Russie contemporaine. Il n'est pas fréquent de les évoquer au prisme de la fabrique de l'ignorance. Celle-ci résulte de plusieurs niveaux de contrôle : celui des discours étatiques (qui se confond avec la parole du chef), celui de l'action législative (qui détermine les conditions de possibilité de la parole critique) et celui des discours médiatiques. L'article se concentre sur certaines mesures contraignant la liberté d'expression au sein de l'espace public russe, sur les effets conjugués de l'action normative, communicationnelle et législative du pouvoir. Enfin, on considère les médias comme un moyen d'assurer une circulation des représentations du conservatisme comme cadre commun : l'ignorance collective résulte aussi de l'impossibilité du débat et du dialogue.

Centré sur les fictions françaises de 1960 à nos jours traitant de la vigne et du vin, cet article analyse la construction, à travers des marqueurs spécifiques, des archétypes socio-professionnels des personnages féminins et masculins. Nous verrons par exemple que les motifs narratifs sporadiques de la partenaire (assistante) œnologue ou de l'héritière vitivinicole sont utilisés dans ces fictions comme faire-valoir et réceptacle de figures masculines dominantes. Secondaire dans la construction des intrigues, ce rapport de genre semble se réduire à des représentations différenciant les femmes et les hommes dans leur rapport au travail, mais aussi dans leur rapport à l'identité culturelle liée au terroir et à ses traditions. En fait, le sujet de ces fictions demeure uniquement l'objet culturel qu'est le vin et la valorisation d'un patrimoine français.