Contenu du sommaire : L'animal médiatique

Entre 1793 et 1802, Nicolas Maréchal poursuit la collection des vélins du Muséum national d'histoire naturelle. Il y réalise des portraits de carnassiers sensibles et singuliers, dont l'hyène sanguinaire, la sarigue maternelle et la civette nuisible. La diffusion des reproductions des vélins dans les publications scientifiques et de vulgarisation dévoile les dessous du regard que porte l'humanité sur une altérité qui fascine autant qu'elle effraie. L'évolution du discours naturaliste se déroule en trois phases entre le Directoire et le Consulat. Les fables contées par Buffon et ses écrits « mondains » laissent place à la « science sévère » du Muséum où les progrès en histoire naturelle sont portés par les professeurs-administrateurs. En parallèle, la question de l'utilité de l'animal ouvre à la vulgarisation des connaissances.

Dès leur création en 1805, les fosses aux ours du Jardin des Plantes de Paris constituèrent l'une des grandes attractions parisiennes. Leur principale caractéristique fut d'abriter la plus grande vedette-animale de la capitale sur le long terme : Martin. Car il n'exista à la ménagerie qu'un seul Martin. La mort de l'ours Martin donna toujours lieu à sa substitution paraphysique, permettant de maintenir l'homonymie dynastique. Ce phénix du Jardin des Plantes fit l'objet de fréquentes chroniques retraçant ses petites habitudes, ses grands moments de gloires ou ses faits d'armes. Martin fut ainsi drolatique pour les périodiques satyriques, dramatique pour les quotidiens sérieux ; du reste, l'analyse de la presse révèle que Martin ne fut pas un ours, mais un personnage social.

Jusqu'à sa disparition durant la décennie de 1860, le boulevard du Temple s'érige en centre névralgique de la vie théâtrale parisienne et française. Il participe alors activement au succès du genre mélodramatique, mais il accueille aussi d'autres genres populaires, comme les hippodromes et pantomimes zoologiques du Cirque Olympique. La présence animale est leur dénominateur commun. Érigés en protagonistes, les éléphants parviennent à se constituer en figures célèbres de plein droit, devenant de véritables vedettes. L'objectif du présent article est d'étudier le rôle de la presse dans la popularisation de ces vedettes animales et le surgissement du phénomène qualifié d'éléphantomanie. L'article étudie les registres émotionnels véhiculés par les journaux, porte-parole d'une opinion publique majoritairement fascinée par ces « colosses de la nature ». Il s'agit également de sonder les portraits, récits et discours de presse sur ces éléphants, autant de leur vivant, qu'après leur mise à mort. Enfin, l'article questionne l'identité hybride de ces animaux humanisés.

Les romans d'aventures géographiques constituent une part primordiale de la littérature populaire du XIXe siècle, et doivent leur succès à l'exotisme qu'ils proposent. Via une étude de cas, nous montrons comment l'animal exotique devient un véritable topos du genre, à la fois incarnation endémique de l'ailleurs et synonyme d'aventures. Cette omniprésence est cependant paradoxale : l'animal est une réalité essentiellement médiatique, et les apparences scientifiques du discours de fiction cachent une méconnaissance des auteurs et des illustrateurs, tout en participant de la mise en place d'un imaginaire social et d'une idéologie coloniale. Les animaux privilégiés dans les textes et les images le sont en fonction de deux critères : leur degré de violence supposé et leur étrangeté au regard des références zoologiques européo-centrées.

Les spectacles animaliers connaissent un essor fulgurant dans la seconde moitié du XIXe siècle, en particulier à Paris. À partir d'un corpus d'affiches numérisées par la BNF (1850-1914), cet article analyse la façon dont ces productions médiatiques, à la croisée de logiques publicitaire et artistique, participent à figer des imaginaires des relations humains-animaux. À travers l'étude des représentations d'animaux tour à tour dressés, apprivoisés, anthropomorphisés, ou encore exotisés, l'article montre comment l'affiche illustrée participe non seulement à une économie large du « dressage » animal, mais aussi du regard humain.

Le chien, meilleur ami de l'homme, est très présent dans les productions culturelles pour la jeunesse. Les studios Walt Disney en ont notamment animé plus de cent. Nous nous sommes intéressées à la représentation du chien transmise aux jeunes spectateurs dans les films de la firme. Notre analyse chronologique montre une relation en deux temps : d'abord un anthropomorphisme exacerbé induisant une négation de l'animalité du chien, puis une évolution vers une reconnaissance de son individualité. Le cinéma étant témoin et acteur de notre rapport à l'animal, les chiens compagnons présents dans les dessins animés Disney participent donc de la diffusion progressive, mais encore hésitante, d'une relation humain-chien nouvelle et bienveillante.

Prenant le contre-pied des analyses qui se focalisent sur la dimension positive de la présence animale dans les livres pour enfants, cet article s'intéresse à l'animal en tant que personnage repoussoir. À travers l'analyse d'un corpus d'albums jeunesse, consacrés à l'apprentissage de la « politesse » et de la « propreté », il étudie des logiques qui sont à l'œuvre dans la mise en scène graphique et narrative de l'animal exécrable. L'examen de ce matériel montre que la représentation de la bestiole dégoûtante s'appuie sur l'héritage traditionnel de la littérature édifiante et réaffirme la différence entre l'humain et l'animal. Que ce soit dans le registre moralisant ou celui de l'humour scatologique, il y ressort une ambition au contrôle de l'animalité sauvage.

L'oiseau mazouté fait partie des figures classiques de la marée noire. Affiché au moment de la catastrophe, il finit cependant par être effacé. Son émergence a été lente. Constaté dans les années 1920, victime de pollution chronique, il ne s'impose qu'avec le naufrage de l'Amoco Cadiz en 1978 et après l'épisode du Torrey Canyon en 1967. L'image et l'expression d'« oiseau mazouté » ont donc fini par s'imposer, tout en étant porteur d'un discours qui diffère selon les périodes. Ainsi il devient tour à tour la victime du progrès, d'une société de consommation, d'une manipulation, etc.

L'article propose d'analyser une forme originale de controverse autour de la représentation de la question animale sous sa forme antispéciste sur les ondes de Radio Libertaire, la radio de la Fédération anarchiste à Paris. Cette controverse a généré de nombreuses traces dans les bulletins intérieurs de la Fédération anarchistes ainsi que sur des blogs antispécistes. Des témoignages de militants anarchistes permettent d'étoffer ce corpus. L'étude détaillée de ces sources permet de comprendre les tensions théoriques qui animent les membres de la Fédération anarchiste, à la recherche d'alliés dans la lutte contre toutes les formes d'autorité (Églises, État, Capitalisme), et les militants antispécistes à la recherche de débouchés pour leurs idées, loin des médias dominants qu'ils jugent complices de l'exploitation des animaux. Ces tensions débouchent sur l'exclusion à deux reprises des émissions radiophoniques se réclamant de l'antispécisme sur les ondes de la FA.

Illustrant la massification du phénomène social des animaux de compagnie observé en France dès les années 1960, le magazine télévisé 30 Millions d'amis, créé par le journaliste Jean-Pierre Hutin et diffusé de 1976 à 2016, a sensibilisé des générations de publics aux bienfaits de la relation à l'animal-compagnon. Légitimant la libération du sentiment à l'égard des animaux, le programme a également contribué à promouvoir certaines causes à travers le récit de la souffrance des bêtes. Par sa longévité et sa popularité, 30 Millions d'amis contribue à mettre en lumière l'évolution des sensibilités et permet d'interroger la définition des catégories animales à travers leurs usages médiatiques et le rôle de la mise en récit télévisuelle. L'analyse des 5 300 reportages diffusés sur quarante ans montre que trois âges d'inégale durée structurent la morphologie de l'engagement et des sensibilités de 30 Millions d'amis : l'âge de la célébration de l'animal-compagnon en 1976-1977 ; l'âge de l'affirmation des causes relatives à l'animal de compagnie (1978-1990) ; et l'âge de la diversification des causes et de leur extension au-delà de la catégorie dominante des animaux de compagnie (1991-2016).

People for the ethical Treatment of Animals (PeTA) produit d'abondantes publicités mettant des célébrités féminines dans une situation marquante impliquant le corps, le plus souvent le leur et dénudé. Nous présentons tout d'abord les trois composantes majeures de ce discours (provocation, célébrité, corporéité) visant à obtenir la médiatisation à destination du grand public. Nous menons ensuite une étude de contenu du traitement de PeTA en France par la presse et la télévision de 1994 à 2020 afin d'établir dans quelle mesure cette médiatisation résulte de la stratégie de l'organisation pour promouvoir le véganisme et l'antispécisme. Nos résultats indiquent une visibilité croissante de PeTA après son implantation en France, des différences entre médias et une ambivalence quant aux évolutions de la médiatisation obtenue. Cela permet d'interroger l'enjeu de la communication dans la cause animale par rapport au positionnement et à la stratégie de l'organisation militante.

Cet article s'intéresse à la représentation de l'animal dans le jeu vidéo, en se concentrant sur les bestiaires médiévaux et en étudiant leur « remédiatisation » (au sens où l'entendent David Jay Bolter et Richard Grusin) dans des productions contemporaines appartenant au genre du médiéval fantastique. Il théorise la notion de « bestiaire vidéoludique » et l'applique aux livres animaliers internes à l'univers fictionnel de The Elder Scrolls V : Skyrim (2011) et Monster Hunter : World (2018). Il observe les spécificités ludo-narratives de ces bestiaires et comment ils témoignent, sur le plan idéologique, d'une perpétuation de visions controversables de l'animal, notamment celles de l'animal comme allégorie de l'altérité et comme objet collectionnable.

Le chat est apte à créer un sentiment d'appartenance à un groupe bienveillant, où s'invente un lieu de pratiques communautaires en ligne. Cette sympathie s'exprime par le rapport avec l'animal, et surtout la délimitation inter/transespèces dans les communautés anglophones et francophones du XXIe siècle. Cette étude de discours s'attache à étudier les énoncés prétendument félins, notamment dans leurs éléments connivents, en interaction en ligne (partages félins au sein des mèmes comme le Nyan Cat, ou des lolcats anonymes, par exemple dans les pages Facebook d'amateurs de chats qui les réunissent autour de codes co-construits). Les chats connus, ou de célébrités, rassemblant des communautés de consommateurs, sont ensuite abordés, alors que le « Twitwi Chat » utilise les chats célèbres comme Scat pour modèle linguistique à suivre. Enfin, TikTok renégocie les limites du partenariat humain-félin.

Cet article entend explorer la diplomatie chinoise du panda, son histoire, ses stratégies d'influence et ses pratiques numériques. Il vise à mettre en lumière comment le panda est devenu un animal politique, diplomatique et médiatique pour le gouvernement chinois. Notre étude expose comment, à l'ère numérique, les grands médias chinois mobilisent l'image du panda pour contribuer à la médiatisation de la politique étrangère nationale, de ses initiatives géopolitiques et de ses plaidoyers diplomatiques, afin d'interagir et de dialoguer avec les internautes et de construire une image « adorable » et une réputation favorable à la présence chinoise sur la scène internationale.