Contenu du sommaire : Les mots du vote de la Rome antique à la Révolution française

Revue Mots. Les langages du politique Mir@bel
Numéro no 132, juillet 2023
Titre du numéro Les mots du vote de la Rome antique à la Révolution française
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  • Dossier

    • Pour une généalogie des mots au service d'une mise en perspective des pratiques de vote - Louis Autin, Virginie Hollard, Romain Meltz p. 9-15 accès libre
    • Creare : le verbe latin de l'élection chez Tite-Live ? - Virginie Hollard p. 17-34 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      La théorie standard du vote romain n'a pas beaucoup de mal à voir dans le verbe latin creare un mot de l'élection par les comices romains des magistrats de la cité, même si les chercheurs précisent souvent que le véritable auteur d'une creatio de magistrat est le magistrat présidant la séance comitiale et créant son propre successeur. Un examen précis des emplois de ce verbe chez l'historien Tite-Live permet de reconsidérer la légitimité d'une traduction du verbe creare par le français « élire » ou en tout cas l'idée selon laquelle ce verbe participe d'une théorie globale de l'élection des magistrats dans la Rome républicaine.
      ‪In the Latin verb creare, the standard theory of Roman voting certainly includes a sense of depicting the election by the Roman comitia of the city's magistrates, although researchers often point out that the actual author of a magistrate's creatio is the magistrate presiding over the court session and creating his own successor. A precise examination of the uses of this verb by the historian Livy suggests the justification of translating creare as “to elect”, or at least the idea that this verb is part of a global approach to magistrates' election in republican Rome.‪
    • L'élection sans le vote. Le détournement du vocabulaire électoral chez Tacite - Louis Autin p. 35-51 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Si les élections n'ont pas disparu avec l'installation du Principat à Rome, les leviers dont disposaient les empereurs pour contrôler le processus électoral rendaient l'intervention du peuple purement formelle. Face à ce constat, Tacite redéploya le lexique électoral, dont le référent était désormais caduc au plan politique, et l'appliqua métaphoriquement à d'autres rapports de pouvoir (relation prince/armée, alliances matrimoniales et construction dynastique), dans un processus de resémantisation à forte valeur de dévoilement politique du nouveau régime.
      ‪While elections in Ancient Rome did not disappear with the establishment of the Principate, it is well known that the controls available to the emperors to manage the electoral process reduced the intervention of the people to a mere formality. Consequently, Tacitus redeployed the electoral vocabulary, which was now obsolete, in a political context, and applied it metaphorically to other power relationships (the relationship between emperors and army, the matrimonial alliances and establishing dynasties). Such a process of resemantization can be seen as the unveiling of the true political nature of the new regime.‪
    • Création et circulation d'un lexique du vote entre France et Italie (xiiie-xive siècles) - Carole Mabboux p. 53-66 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      L'article propose d'observer l'émergence croisée, dans les espaces idiomatiques français et italiens, d'un lexique politique du vote inspiré du modèle antique et de le confronter au vocabulaire employé concomitamment dans les sources documentaires et les chroniques vernaculaires pour décrire, à une période contemporaine, des opérations similaires.
      ‪The article proposes to observe the cross-emergence, in French and Italian idiomatic language, of a political electoral vocabulary inspired by the model of Ancient Rome, and to compare it with the vocabulary used concomitantly in documentary sources and vernacular chronicles describing similar operations at that time.‪
    • Le peuple ou la plèbe ? La compréhension des comices tributes chez les érudits antiquaires de la Renaissance - Shingo Akimoto p. 67-81 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article vise à montrer comment les érudits antiquaires du milieu du xvie siècle ont renouvelé la compréhension du terme de comices tributes. L'étude a particulièrement pour objet deux visions différentes de la constitution « démocratique » romaine, exposées par Nicolas de Grouchy (1510-1572) et Carlo Sigonio (1522-1584). L'une est fondée sur l'unité du « peuple », l'autre sur le droit de la « plèbe ».
      ‪This article aims to show how mid-16th century antiquarian scholars renewed the understanding of the term “Tribal Assembly”. This study focuses mainly on two different visions of the “democratic” Roman constitution, presented by Nicolas de Grouchy (1510-1572) and Carlo Sigonio (1522-1584). One is based on the unity of the “people” and the other on the rights of the “plebeians”.‪
    • Quand le citoyen devint associé : effets de traduction et emprunts au droit des affaires dans la pensée politique française du xviiie siècle - Henri-Pierre Mottironi p. 83-100 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Avec l'essor d'une société tournée vers le grand commerce au xviiie siècle s'opère un changement majeur dans l'idée de citoyenneté : le citoyen en vient à être considéré comme un actionnaire de la chose publique. En adaptant au domaine politique la terminologie du droit des affaires, s'est imposée progressivement à la fin de l'époque moderne une conception plus économique et contractuelle du lien entre électeurs et élus, qui fonde l'idée de mandat représentatif. Cet article vise à retracer certaines étapes de cette transformation sémantique en montrant le rôle des traductions de l'anglais au français dans ce phénomène au xviiie siècle. À la fin du xviie siècle, l'image du magistrat comme tuteur de la république, que l'on doit à Cicéron, est reconvoquée dans la pensée politique britannique. Mais elle est traduite dans les termes du droit du trust dans les grands textes anti-absolutistes et républicains britanniques, faisant émerger tout une doctrine du bon gouvernement comme un gouvernement limité de dirigeants trustees des libertés de leur peuple. Difficilement traduisible, cette terminologie politique est transcrite en français au xviiie siècle dans le vocabulaire de la commission et la procuration. Ce jeu de traductions participe à politiser un ensemble de termes jusqu'alors cantonnés à un usage commercial et qui devient par la suite constitutif du vocabulaire politique de la Révolution française : « commettants », « commis », « constituants » et « pouvoirs constitués » transforment ainsi le citoyen en associé.
      ‪With the rise of “commercial society” in the 18th century, a major change took place in the idea of citizenship: the citizen came to be considered as a shareholderin public affairs. By adapting the terminology of business law to the political domain, a more economic and contractual approach to the link between electors and elected officials took over progressively at the end of the Early Modern era, and this led to the idea of representative mandate. This article aims to trace some of the stages of this semantic transformation by showing the part played by translations from English to French in this phenomenon in the18th century. At the end of the 17th century, Cicero's image of the magistrate as guardian of the republic was revived in British political thought, but it was translated into the terms of the law of trust in the great British anti-absolutist and republican texts, leading to the emergence of a whole doctrine of good government as a limited government by rulers who were trustees of their people's liberties. Difficult to translate, this political terminology was transcribed into French in the 18th century using the vocabulary of commission and proxy. This set of translations led to the politicising of a set of terms that had previously been confined to commercial use and that would come to constitute the political vocabulary of the French Revolution, such as commettants (“principals)”, commis (“employees”), constituants (“constituents”), and pouvoirs constitués (“established. powers”). All this transformed citizens into political shareholders.‪
    • Electio, élection, élections : La tentation du nominalisme et l'objectivation d'une pratique d'État - Christophe Le Digol p. 101-120 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Au début de la Révolution française, toute fonction publique devient élective. Les révolutionnaires étendent le régime des élections à des fonctions qui ne sont pas uniquement politiques, mais qui nécessitent une relation de confiance publique entre le titulaire d'une fonction publique et les citoyens sur qui s'exerce son autorité. Ce régime de l'élection s'applique à une variété de fonctions publiques relevant de différentes activités (politique, administration, armée, religion, enseignement, etc.). Définie à l'époque comme un « choix », quelles que soient les procédures retenues, l'élection inclut dans les premières années de la Révolution française un ensemble d'opérations de désignation, telles que la nomination et le concours, qui ne sont plus aujourd'hui considérées comme relevant de l'élection.
      ‪At the beginning of the French Revolution, all public offices became elective. The revolutionaries extended the system of elections to functions that were not only political, but which required a relationship of public trust between the holder of a public office and the citizens over whom his or her authority was exercised. This system of elections was applied to a variety of public functions in different activities (politics, administration, army, religion, education, etc.). Defined at the time as a “choice” regardless of the variety of procedures used, in the early years of the French Revolution, election included a variety of appointment processes, such as nomination and competition, that are no longer considered as being part of an election.‪
    • Dire un candidat à Rome sous la République - Romain Meltz p. 121-134 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Nommer quelqu'un parait être une proposition politique simple. Le verbe nominare existe déjà dans la Rome républicaine, mais, du fait de la diversité des situations dans lequel il est utilisé, sa traduction par nommer en français est incertaine. Il existe pourtant un nombre considérable de « nommer » dans les traductions françaises récentes du latin de Tite-Live, mais, une fois étudiés cent cas de ces « nommer » pris au hasard, il apparait qu'en immense majorité le latin utilise dicere qui a pourtant donné le français dire, ce dernier ayant perdu tout sens politique. Mais peut-on vraiment traduire dicere par nommer ou désigner ? Une étude détaillée de ces dicere montre que la réalité recouverte par ces deux termes est très diverse elle aussi et qu'elle amène à relativiser, à propos de Rome en tout cas, la distinction moderne entre élire et nommer.
      ‪Nominating someone in the political sense seems quite an obvious gesture. The Latin verb nominare already existed in republican Rome, but because of the diversity of situations in which it is used, its translation by nommer (“to name”) in French is uncertain. There is, however, a considerable number of usages of “ nommer” in recent French translations of the Latin of Livy's works, but, when a hundred cases of these usages of “ nommer” taken at random have been studied, it appears that the vast majority of their Latin counterpart are dicere, which led to the French dire (“say”), which has lost all political implication. But can we really translate dicere by “to nominate” or “to appoint”? A detailed study of these usages of dicere shows there is a range of meanings covered by these two terms and that it puts into perspective the modern distinction between “elect” and “nominate ”, at least in Rome.‪
  • Varia

    • Le « déficit d'empathie » d'Emmanuel Macron ? Quand la presse décrypte les émotions présidentielles… - Eva Chaussinand p. 137-148 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      En nous appuyant notamment sur les articles du Monde parus sous le premier mandat d'Emmanuel Macron, nous entendons montrer par cette étude qu'entre la dénonciation polémique du « manque d'empathie » d'un président jupitérien et la mise en scène démagogique d'un politique qui « joue la carte de l'empathie » auprès de son peuple, la presse française n'a eu de cesse d'interroger l'image d'Emmanuel Macron à l'aune de cette capacité d'identification aux sentiments d'autrui, repère de notre société et de ses discours.
      ‪Mostly based on the newspaper articles published in Le Monde during Emmanuel Macron's first term, this study aims to show that between the controversial denunciation of the “lack of empathy” of an “imperial” president and the demagogic demeanour of a politician who “plays the empathy card” with his people, the French press has constantly questioned Emmanuel Macron's image against his capacity to identify with the feelings of others, an ability which is a benchmark of our society and its rhetoric.‪
    • « Projet », « renaissance », « renouveau »… : référence ou proférence dans le discours d'Emmanuel Macron ? - Damon Mayaffre, Laurent Vanni p. 149-168 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Aux limites de la sémantique référentielle, nous proposons une sémantique proférentielle pour décrypter le discours d'Emmanuel Macron. Aux limites du référent politique, nous proposons avec Thierry Melchior (1998) ou Clément Viktorovitch (2021) le proférent. Après avoir affirmé la nouveauté en 2017, E. Macron plaide le renouveau en 2022. Après avoir suscité la naissance d'En Marche en 2017, E. Macron invente Renaissance en 2022. Après avoir espéré la fondation d'une nouvelle donne politique en 2017, E. Macron propose un comité de la Refondation en 2022. Nouveau ou re-nouveau, naissance ou re-naissance, fondation ou re-fondation, derrière la prédilection statistique de E. Macron pour les mots en re, l'idée au fond reste la même : la proférence sans cesse renouvelée du mouvement dans le discours, de la transformation ou de l'inédit. Le macronisme apparait ainsi moins comme un contenu politique ou idéologique reconnu que comme une dynamique revendiquée ; et cette dynamique est d'abord celle produite ou proférée par le discours.
      ‪Beyond referential semantics, we suggest an analytical semantical approach focussing on the speech acts to decipher Emmanuel Macron's political discourse. Beyond the political referent, we suggest with Thierry Melchior (1998) or Clément Viktorovitch (2021) the speech act. After having affirmed this novelty in 2017, E. Macron argues for renewal in 2022. After established the En Marche political party in 2017, E. Macron invented Renaissance in 2022. After hoping for the foundation of a new political deal in 2017, E. Macron proposed a Refounding committee in 2022. New or re-new, birth or re-birth, founding or re-founding, behind E. Macron's statistical partiality for re-words, the basic idea remains the same: the constantly renewed semantic movement of speech acts in a discourse, of transformation or of the unprecedented. “Macronism” thus appears more as a an asserted dynamic rather than as recognised political or ideological content; and this dynamic is first and foremost that which is produced or uttered in the speech.‪
  • Comptes rendus de lecture