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Revue | Participations |
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Numéro | no 36, 2023/2 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Introduction. Gouverner par les liens - Linda Haapajärvi, Olivia Vieujean, Flávio Eiró, Anick Vollebergh p. 7-30
- L'État par l'intime. Techniques et ambiguïtés du gouvernement par l'intimité en Europe - Anick Vollebergh, Anouk de Koning, Milena Marchesi p. 31-65 En Europe, de nouveaux programmes de protection sociale illustrent un mouvement actuel : la tentative de gouverner par la communauté. Par la mise en perspective de trois enquêtes de terrain réalisées avec des professionnel·les et des bénévoles du soutien à la parentalité à Amsterdam, Milan et Paris, nous montrons comment cette forme de gouvernement est mise en œuvre et comment elle fait émerger de nouveaux enchevêtrements aux effets incontrôlables. Plus précisément, nous montrons comment les politiques sociales de proximité : (1) empêtrent les professionnel·les du welfare dans des réseaux locaux complexes, (2) brouillent la frontière entre les professionnel·les et les citoyen·nes ainsi qu'entre l'État et la société civile, (3) s'appuient sur des relations personnalisées et du travail affectif. La réorganisation de l'intervention sociale via des maillages territoriaux locaux produit un écheveau inextricable de réseaux et de partenariats. En outre, plutôt que de susciter des communautés résilientes qui prendraient soin d'elles-mêmes, les nouveaux programmes de protection sociale impliquent de plus en plus de citoyen·nes dans la mise en œuvre des modes de gouvernance qui les visent. Enfin, plutôt que d'être déchargé·es des responsabilités d'aide et de protection sociales étatiques, les professionnel·les à l'échelon local s'avèrent des agent·es particulièrement efficaces d'un retour de l'État social.
- Faire avec la maison de quartier. Les tactiques de participation des femmes immigrées dans les quartiers populaires de Paris et Helsinki - Linda Haapajärvi p. 67-88 Pour lutter contre l'exclusion sociale, les États européens se tournent aujourd'hui vers les méthodes de gouvernance relationnelle. Alors que les professionnel·les du travail social ont développé des techniques élaborées pour produire des citoyen·nes engagé·es et des communautés cohésives, la réception de ces interventions par les individu·es ciblé·es reste mal connue. Appuyé sur une enquête ethnographique menée en parallèle à Paris et à Helsinki, cet article forge une analyse relationnelle de la « seconde production » des politiques publiques, appréhendée à l'échelle de la rencontre entre les professionnel·les du travail social et les femmes immigrées habitantes des quartiers populaires. Il développe la notion de « tactiques de participation » pour analyser les tentatives de ces dernières de ménager une marge de manœuvre au sein des programmes participatifs. L'article met en lumière la pluralité des tactiques de participation inventées par les femmes immigrées et la multiplicité des situations de vie dans lesquelles celles-ci s'inscrivent. Il développe une approche relationnelle de l'analyse des processus de réception en mettant en évidence la nature du lien qui connecte les bénéficiaires aux institutions locales comme l'élément principal qui définit l'issue de ces tactiques.
As participatory methods of social policy proliferate in Europe, it has become urgent to understand how their target publics make use of them in their everyday lives. While social work professionals have developed elaborate techniques to produce engaged citizens and cohesive communities, the reception of these interventions by the targeted individuals remains poorly understood. Based on an ethnographic survey conducted in parallel in Paris and Helsinki, this article offers a relational analysis of the «second production» of public policies, examined through the interactions between social work professionals and immigrant women living in working-class neighborhoods. The notion of “tactics of participation” is used to analyze the economic, familial, and administrative projects immigrant women try to pursue by means of policy instruments created for other finalities, namely the creation of empowered, locally engaged citizens and safe and cohesive communities. The article highlights the plurality of these tactics of participation, invented by immigrant women, and the multiplicity of life situations in which they are put to use. It develops a relational approach to the analysis of reception processes, highlighting the nature of the link that connects beneficiaries to local institutions as the main element determining the outcome of these tactics. - « Travailler à partir de sa propre vie ». Proximité de genre et travail d'animation dans une association de femmes immigrées - Violette Arnoulet p. 89-115 Prenant pour exemple une association de femmes installée dans une cité de logements sociaux de la banlieue parisienne, cet article analyse l'émergence conjointe au cours des années 1980 d'une catégorie de public, les « femmes du quartier », et d'une forme de travail social, l'« animation de quartier ». À partir d'une enquête sociohistorique, l'article reconstitue les conditions de création de l'association, le parcours et les pratiques de ses deux premières animatrices de 1982 à 1991. Il interroge plus particulièrement le recours à une proximité de genre entre animatrices et adhérentes de l'association, comme principal ressort du travail d'animation, dans un contexte d'essoufflement des formes d'encadrement existantes dans cette ville communiste de l'ancienne Banlieue rouge. Après avoir exposé les dynamiques locales qui soutiennent l'émergence d'une catégorie de public définie par le genre et le lieu de résidence, l'article analyse comment les animatrices mobilisent leurs expériences de jeunes mères étrangères, de résidentes du quartier et de militantes pour accomplir la tâche qui leur est confiée. Il montre finalement qu'en reprenant à leur compte une catégorie à laquelle elles sont assignées, elles façonnent un rôle peu défini d'animatrice de quartier, au profit d'une conception militante du travail social.Using the example of a women's association based in a social housing estate in the Paris suburbs, this article analyzes the joint emergence in the 1980s of a category of public, the “women of the neighborhood,” and a form of social work, “neighborhood facilitation.” Based on a sociohistorical survey, the article reconstructs the association's creation, as well as the career and practices of its first two facilitators from 1982 to 1991. More specifically, it examines the use of gender proximity between the facilitators and the association's members as the main resource of the facilitation work, in a context of crisis for existing forms of municipal and associative affiliation in this neighborhood in the former communist-run “red suburbs.” After describing the local dynamics that support the emergence of a category of public defined by gender and place of residence, this text analyzes how the facilitators mobilize their experiences as foreign young mothers, as residents of the neighborhood, and as activists to accomplish the task entrusted to them. It shows that by appropriating a category to which they are assigned, they shape a loose role of neighborhood facilitator that favors an activist conception of facilitation work.
- Des citoyen·nes à reconnecter ? La fracture numérique et le réengagement de l'État dans les mondes ruraux en France - Chloé Devez p. 117-140 À mesure que l'État français conduit sa dématérialisation, l'inclusion des populations en difficulté avec le numérique devient un enjeu majeur des politiques publiques. Cette contribution s'intéresse au dispositif « Conseiller numérique France services » et au travail relationnel qu'il implique. Lancé par le gouvernement en 2021, il visait à financer le recrutement de médiateurs et médiatrices numériques au sein de collectivités territoriales et d'associations. À partir d'une observation participante dans une petite association rurale de formation à l'informatique, l'article montre que la mise en œuvre du dispositif repose sur les ressources sociales locales des promoteurs et promotrices du numérique et sur leur capacité à les mobiliser pour créer et s'insérer dans des réseaux institutionnels complexes. Leur travail en direction des publics s'appuie sur des relations fortement personnalisées, porteuses de malentendus auprès des plus précaires.As the French state proceeds with dematerialization, the digital inclusion of disadvantaged populations is becoming a major issue in public policy. This contribution focuses on the “France Services digital adviser” scheme and the relational work it implies. Launched by the government in 2021, it aimed to finance the recruitment of digital mediators within rural authorities and associations. Based on a participant observation in a small rural association, the article shows that the implementation of the scheme relies on the local social resources of digital promoters and their ability to mobilize them to create and insert themselves into complex institutional networks. Their work with the public relies on highly personalized relationships, which can lead to misunderstandings with those in the most precarious situations.
- L'intégration par les « soft skills ».Une « start-up sociale » au service de l'insertion professionnelle des réfugié·es en France - Ulysse Bical p. 141-163 Cet article s'intéresse aux récentes évolutions de la politique d'intégration des personnes étrangères en France, en particulier à la priorité donnée à l'emploi des réfugié·es. À partir d'une enquête ethnographique menée dans un organisme auquel est déléguée la mise en œuvre de cet objectif, il analyse le travail d'intégration tel qu'il est réalisé par l'organisme et prescrit aux réfugié·es. La start-up leur dispense, outre des cours de langue, une formation aux « compétences relationnelles » qui enjoint les immigrant·es à se conformer à une série de normes comportementales – dont le respect conditionnerait leur entrée et leur maintien sur le marché du travail.This article tackles the recent changes in French policy on the integration of foreigners, focusing on the priority given to refugees' employment. Building on an ethnographic investigation of an organization charged with pursuing this goal, the article analyzes the integration work performed by the organization and mandated for the refugees. The start-up offers the refugees language classes but also training in “soft skills,” through which the immigrants are enjoined to comply with a series of behavioral norms supposedly essential to their entrance to and success in the labor market.
- Un travail social « réaliste » : Comment les associations « opératrices » de l'action sociale tempèrent les attentes envers l'État français - Tessa Bonduelle p. 165-191 Pour gérer la crise des réfugié·es, l'État français a sous-traité l'accompagnement des demandeurs et demandeuses d'asile et des réfugié·es à des associations. La sous-traitance soumet ces associations à des objectifs d'efficacité et d'austérité, contraignant le travail de leurs salarié·es et mettant à mal l'idéal d'un travail social humain et relationnel. Cet article analyse les pratiques d'accompagnement des salarié·es de ces associations dans des centres d'hébergement et des programmes de réinstallation. Fortement contraint·es dans leur capacité à humaniser les opérations de l'État, ces salarié·es entreprennent un travail social « réaliste ». Ils et elles façonnent le « rapport ordinaire » (Spire, 2016) des demandeurs et demandeuses d'asile et des réfugié·es à l'État en les socialisant à une forme de résignation face à des services publics dégradés.To manage the “refugee crisis,” the French state outsourced the support of asylum seekers and refugees to French not-for-profit organizations. Outsourcing subjects these organizations to efficiency and austerity objectives, constraining the work of their employees and undermining the ideal of human and relational social work. This article analyzes the social work practices developed by not-forprofit employees in emergency shelters and resettlement programs. Severely limited in their ability to humanize state operations, these employees undertake “realistic” social work. They shape the “ordinary relationship” (Spire, 2016) that asylum seekers and refugees have with the state by socializing them to a form of resignation in the face of degraded public services.
- Des Gilets jaunes à l'Assemblée Citoyenne de Commercy (France) : les enjeux politiques et constitutionnels d'une expérience de démocratie directe communaliste - Sixtine Van Outryve p. 193-218 Cet article porte sur l'expérimentation de démocratie directe communaliste qui s'est déroulée à Commercy, en France, depuis le début du mouvement des Gilets jaunes jusqu'au projet de présenter une liste aux élections municipales de 2020. L'article commence par mettre en récit cette expérience afin de comprendre comment les participants et participantes imaginent l'idéal de donner le pouvoir au peuple assemblé, ainsi que de saisir les formes expérimentales concrètes qu'ils et elles créent pour ce faire. Après avoir analysé la manière dont ce mouvement réinvente la représentation, l'article entreprend ensuite d'exposer les enjeux constitutionnels rencontrés par les acteurs et actrices dans leurs réflexions sur l'institutionnalisation de l'assemblée. Lors de ce processus se pose en effet une interrogation fondamentale propre à tout pouvoir constituant : celle de sa légitimité à institutionnaliser un nouveau système démocratique. À travers cette expérience, il s'agit donc de comprendre comment le paradoxe constituant peut être pensé, et résolu, par un mouvement de démocratie directe communaliste.This article focuses on the experiment in communalist direct democracy that took place in Commercy, France, from the beginning of the gilets jaunes (yellow vests) movement, to the project of putting forward a list of candidates in the 2020 municipal elections. The article begins by narrating this experiment to show how participants imagine the ideal of giving power to the assembled people, and to describe the concrete experimental forms they create to this end. After analyzing the ways in which this movement reinvents representation, the article explores the constitutional issues encountered by the actors in their reflections on the institutionalization of the assembly. Indeed, this process raises a fundamental question for any constituent power: its legitimacy to institutionalize a new democratic system. Through this experiment, the aim is to understand how the constituent paradox can be thought through, and resolved by, a communalist direct democracy movement.