Contenu du sommaire : Séries féministes
Revue | Cahiers du genre |
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Numéro | no 75, 2023 |
Titre du numéro | Séries féministes |
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Dossier. Séries féministes
- Qu'est-ce qu'une série féministe ? : Introduction - Sandra Laugier, Pascale Molinier p. 5-30
- Les femmes à l'épreuve du pouvoir : Genre, environnement et pouvoir dans Borgen et Occupied - Damien Tissot p. 31-57 En Europe, les questions environnementales sont désormais au cœur des préoccupations sociales et politiques. Les nouveaux héros et les nouvelles héroïnes du xxie siècle sont-elles pour autant des militant·es écologistes ? Pour répondre à cette question, cet article examine les séries Borgen et Occupied et plus particulièrement les parcours de ses protagonistes, Birgitta Nyborg et Anita Rygh. Si ces personnages ne sont pas des militantes écoféministes, un cadre d'analyse écoféministe permet en revanche de faire apparaître les structures et les contradictions des discours dans lesquels sont prises ces deux femmes. L'article examine la manière dont ces personnages habitent et négocient le pouvoir dans les institutions patriarcales, articulent sur le plan éthique les sphères publique et privée, et renouvellent les logiques genrées de l'identité territoriale et nationale. Ces personnages n'incarnent ni un modèle ni une morale, mais ils n'en possèdent pas moins une dimension morale dans la mesure où ils mettent à jour pour le spectateur les exigences éthiques parallèles, opposées, ou concurrentes avec lesquelles de dernier doit composer sa vie.Environmental issues are now a key social and political concern in Europe. Yet are environmental activists the new heroes and heroines of the 21st century? To answer this question, this article examines two TV series, Borgen and Occupied, and in particular the careers of their main characters, Birgitta Nyborg and Anita Rygh. Although they are not ecofeminist activists, an ecofeminist critical framework does bring to light the structure and contradictions of the discourses in which these two women are caught. The article examines how the characters embrace and negotiate power in patriarchal institutions, how they ethically organize private and public spheres, and how they redefine the gendered rationales of territorial and national identity. The characters do not embody a model or ethic, but they do have an ethical dimension, insofar as they reveal to the viewer the concurrent, opposed or conflicting moral imperatives they have to compose with in leading their lives.
- Réimaginer la féminité : La représentation des femmes dans les séries russes contemporaines - Tatsiana Zhurauliova, Anastasia Krutikova, Camille Braune p. 59-88 Depuis le début des années 2000, un nombre croissant de séries télévisées russes mettent en scène des personnages féminins complexes, projetant une vision distincte de la féminité propre à la société post-soviétique. En prenant comme point de départ trois séries récentes – Les Deux collines (Dva holma), An Ordinary Woman (Obyčnaja ženŝina) et Agents dormants (Spjaŝie) – cet article explore la manière dont la représentation féminine dans la télévision russe contemporaine sert non seulement de miroir reflétant les changements sociaux, mais aussi de champ de bataille pour des luttes idéologiques plus larges dans une nation sous régime autoritaire. L'analyse de l'évolution du paysage télévisuel dans le contexte sociopolitique plus large de la Russie d'après 2012 met en lumière les intersections complexes de la politique de genre dans le contexte politique et médiatique russe actuel.Since the early 2000s, there has been a growing number of Russian TV series that prominently feature complex female characters, offering a distinct vision of womanhood and femininity that is specific to the post-Soviet society. Taking as a point of departure three recent series — Two Hills (Dva holma), An Ordinary Woman (Obyčnaja ženŝina), and Sleepers (Spjaŝie) — this paper explores how female representation in contemporary Russian television serves not just as a mirror reflecting societal attitudes, but also as a battleground for larger ideological struggles in a nation under authoritarian rule. By discussing the evolving televisual landscape in the broader sociopolitical context of post-2012 Russia, the analysis sheds light on the intricate intersections of gender politics within the current Russian political and media context.
- Être une femme, noire et queer : Colorblind casting et féminisme intersectionnel dans la série How to Get Away with Murder - Franziska Humphreys p. 89-108 À travers l'histoire d'Annalise Keating, brillante avocate sans scrupules, la série How to Get Away with Murder (2014-2020) met en scène les liens complexes entre des enjeux de genre, de race et de traumatismes trans-générationnels. À partir de trois scènes emblématiques évoquant la féminité noire consacrées au soins des cheveux, le présent article examine les façons dont la série contribue à changer durablement l'esthétique et les conditions de production de la télévision états-unienne dans le sens d'une démarche féministe intersectionnelle. Dans ce contexte, l'article interroge notamment la stratégie du colorblind casting comme possible élément d'une idéologie post-raciale ou comme proposition inédite d'identification et de mise en visibilité par surreprésentation de minorités racisées.In the series How to Get Away with Murder (2014-2020), the story of Annalise Keating, a brilliant and unscrupulous lawyer, dramatizes the complex connections between issues of gender, race, and transgenerational trauma. Drawing on three iconic scenes evoking black womanhood through hair care, this article examines the ways in which the series contributes to establishing permanent shifts in the aesthetics and production conditions of American television toward an intersectional feminist approach. In this context, the article analyzes the strategy of colorblind casting as an element of a post-racial ideology or an innovative approach to identification and visibility through the overrepresentation of racialized minorities.
- Des femmes autistes dans des séries : Une nouveauté, entre stéréotypes de genre et validisme - Adrien Primerano p. 109-132 Astrid et Raphaëlle et Extraordinary Attorney Woo sont deux séries qui mettent en scène des personnages féminins autistes . Dans une perspective intersectionnelle, il s'agit de montrer les ambivalences dans cette représentation, qui proviennent de l'usage au féminin de la figure masculine du techno-autiste, mais aussi d'une représentation des relations amoureuses qui s'appuie sur une figure masculine du prince charmant et sur une imposition de normes « validocentristes » au sein du couple. Enfin, l'absence des mères renvoie à un discours antiféministe de culpabilisation maternelle.Astrid et Raphaëlle and Extraordinary Attorney Woo are two series featuring autistic female characters. From an intersectional perspective, this article aims to show the ambivalence of these representations, which derive from the use of a female version of the techno-autistic male figure, as well as from a representation of romantic relationships based on the male figure of the prince charming and the enforcement of ableist norms in couples. Finally, the absence of mothers refers to an antifeminist discourse of maternal guilt.
- L'empowerment paradoxal de la female loser dans les séries Fleabag et Chewing-Gum - Elena Defay-Thibaud p. 133-154 Le personnage du loser s'infiltre dans les comédies depuis plus de trente ans désormais, qu'il s'incarne en maladroit sous les traits de Pierre Richard dans La Chèvre ou en flemmard acariâtre comme Jeff Bridges dans Le Big Lebowski. Or, force est de constater que cette figure subit une inégalité de représentation fictionnelle : qu'en est-il de la présence de la female loser sur nos écrans ? Avec l'aide des outils narratologiques, ce travail s'interroge sur les enjeux médiologiques et féministes de la female loser dans les séries Fleabag et Chewing-Gum, qui semblent mettre au cœur de leur narration, leur propre paradigme d'empowerment.The loser figure has been a fixture in comedies for over thirty years now, for example the clumsy and luckless Pierre Richard in La Chèvre (English title Knock on Wood), or Jeff Bridges playing a slacker in The Big Lebowski. Yet there is no denying that this figure is unequally represented in fiction: what can be said about the presence of the female loser on screen? Using narratological tools, this article examines the mediological and feminist implications of the female loser by looking at the Fleabag and Chewing-Gum TV series, which feature their own paradigm of empowerment at the heart of their narratives.
- Féminités adolescentes en crise(s) : Trajectoires et expériences sociales des héroïnes de la série Euphoria - Tatiana Daligault p. 155-172 Les personnages féminins de la série pour adolescent·es, ou teen drama, Euphoria évoluent au fil des arcs narratifs, affrontant les actes scénaristiques comme autant d'étapes vers un devenir adulte. La série interroge la pluralité des féminités et de leurs relations avec, comme thématique transversale, les crises à affronter. Par une approche sociologique, l'article objective les groupes sociaux d'appartenance des six protagonistes, retrace leurs trajectoire, épreuves et expériences sociales à partir de l'étude des deux saisons que compte, pour le moment, la série. Cette approche permet de questionner les constructions actuelles des féminités adolescentes.Female characters in the teen drama series Euphoria grow and evolve over the course of narrative arcs, taking on scripted acts as stages on the journey to adulthood. The series looks at the multiplicity of femininities and their relationships, using the associated crises they provoke for the characters as a cross-cutting theme. Using a sociological approach, the article objectifies the social groups to which the six main characters belong, tracing their trajectories, ordeals and social experiences based on a study of the series' two seasons to date. This approach allows to question current constructions of teenage femininities.
- Sortir du placard en kryptonite : Le triomphe de la communauté de fans de Supergirl - Christina Dokou, Stéphanie Alkoder p. 173-206 Bien que plutôt médiocre, la série télévisée Supergirl, diffusée entre 2015 et 2021 par le réseau CW et consacrée aux aventures de la cousine de Superman, s'est fait connaître pour avoir proposé, presque sans le vouloir, une interprétation de la sexualité de l'héroïne contraire au canon établi par les comics. Quand les auteurs introduisent durant la saison 2 le personnage de Lena Luthor (la sœur de l'ennemi juré de Superman, Lex Luthor, qui s'en distingue par son grand cœur) sous les traits de Katie McGrath, ils ne se doutent pas que l'actrice irlandaise va, par le charme lesbien irrésistible qu'elle dégage, transformer l'amitié prévue entre elle et Kara Danvers/Supergirl en une relation que les fans et les spectateurs et spectratrices (même non-LGBTIQ+) perçoivent immédiatement comme romantique. Sous l'impulsion des fans queer dont l'intérêt pour la série fait grimper les taux d'audience, les auteurs accordent plus d'attention à ce sous-texte alternatif et font passer la relation initialement passagère de Kara et Lena au premier plan de l'intrigue. Cependant, alors que devant le spectacle de leurs relations, les fans soulignent (à juste titre) qu'elles ne sont justifiées par aucune explication hétérosexuelle et demandent à ce que leur romance, et la bisexualité de Supergirl, soit reconnue officiellement dans le monde de la série télévisée et des comics, les auteurs de la série s'acharnent à brouiller les pistes en assortissant Lena ou Kara à des prétendants masculins ou en insistant, jusqu'à l'absurdité, sur leur statut d'« amies », au point d'être accusés de faire un usage éhonté de la stratégie de queerbaiting. Cet article décrit le développement d'un scénario alternatif centré sur la relation romantique entre les deux femmes, surnommée « SuperCorp », grâce à l'activité et l'influence « prosommatrices » (au sens d'Alvin Toffler) des fans queer. « SuperCorp » apparaît également comme la marque de l'effort actuel visant à inclure plus de personnages queer/minoritaires dans les productions culturelles, mais aussi de la possibilité que donnent aujourd'hui les médias sociaux à des fans qui n'étaient autrefois que des spectateurs passifs de faire œuvre créatrice.Though otherwise mediocre, the CW Network television series Supergirl (2015-2021), chronicling the adventures of Superman's cousin, gained prominence for powerfully challenging the comic-universe canon of the titular heroine's sexuality, albeit unintentionally. When, during Season 2, the show cast Katie McGrath as Lena Luthor (the good sister of Superman's arch-nemesis, Lex Luthor), they did not expect that the Irish actress's strong lesbian appeal would transform the friendship scripted between her and Kara Danvers/Supergirl into something immediately perceived by fans and viewers—even non-LGBTIQ+ ones—as a deeply romantic relationship. Encouraged by the strong queer following of the show, who boosted ratings spectacularly, Supergirl writers began cultivating this alternative subtextual scenario, upgrading Kara and Lena's original short encounter into the main plot axis of the entire show. While, however, fans (rightly) clamored, seeing the two women's interactions, that “there is no heterosexual explanation for this” and demanded that their romance—and Supergirl's bisexuality—be acknowledged as canon in both the CW and the DC universes, the writers and producers of the show insisted at constantly gaslighting such expectations by either pairing Lena or Kara with male suitors or reiterating, to the point of absurdity, their status as “friends,” thus eliciting accusations of shameless queerbaiting. The article chronicles the development of “SuperCorp” (the joint moniker of Lena and Kara's relationship) as a dominant plotline even beyond the show through the “prosumptive” (to use Alvin Toffler's term) influence of queer fandom; it further hails “SuperCorp” as a sign of current cultural inclusiveness for queer/minority characters, but also of social media culture granting a creative voice to fans that in the past were merely passive viewers.
- Angela McRobbie : Penser le genre et le féminisme à l'heure du néolibéralisme - Delphine Chedaleux p. 207-226 Cet article revient sur l'œuvre d'Angela McRobbie, sociologue britannique et figure de proue des Cultural Studies féministes. Depuis les années 1970, ses réflexions imbriquent l'analyse du capitalisme néolibéral, de la production matérielle et idéologique de la féminité ainsi que de ses dimensions subjectives. L'article fait le choix de se concentrer sur la partie la plus empirique de son travail et s'articule autour de trois objets qui lui sont chers : les cultures de la féminité chez les adolescentes de la classe ouvrière, le post-féminisme et la mode.This article reviews the work of Angela Mc
Robbie, a British sociologist and leading figure in feminist cultural studies. Since the 1970s, she has been analyzing neoliberal capitalism, the material and ideological production of femininity and its subjective dimensions. This article focuses on the most empirical part of her work, concentrating on three objects she holds dear: cultures of femininity among working-class teenage girls, post-feminism, and fashion. - Les travailleuses du sexe à Lomé face à la Covid-19 : Vulnérabilités et stratégies multiples - Ayité Claude Mawussi, Florence Tagodoe, Koffi Kpotchou p. 227-255 La pandémie de la Covid-19 et la mesure du couvre-feu ont beaucoup fragilisé les travailleuses du sexe à Lomé. Le présent article questionne les effets de la crise sanitaire sur leur activité. Il montre que le couvre-feu a dégradé leur travail et les a rendues économiquement plus vulnérables. Dans ce contexte, la plupart d'entre elles, même si elles en connaissent les conséquences, continuent d'avoir des comportements à risque, alors que d'autres nient l'existence de la maladie. Pour certaines, l'activité de prostitution a migré sur les réseaux sociaux, alors que d'autres ont enclenché un processus de reconversion professionnelle ou continuent uniquement de voir leurs clients réguliers. Ces stratégies sont fonction des ressources de chacune.The Covid-19 pandemic and curfew measures have significantly affected sex workers in Lomé. This article examines the effects of the health crisis on their activity. It shows that the curfew has worsened their work and increased their economic vulnerability. Within this context, most sex workers, even if they know the consequences, continue to engage in risky behavior, while others deny the existence of the disease. Some have migrated their sex work to online social media, while others have started a process of professional reconversion or continue to see only their regular clients. These strategies depend on the resources of each individual.
- Genre et race dans les relations d'hospitalité : Quand des femmes blanches accueillent des hommes noirs - Évangeline Masson-Diez, Oriane Sebillotte, Marjorie Gerbier-Aublanc p. 257-281 Depuis 2015, des initiatives individuelles et collectives se développent pour pallier l'urgence ou le manque de réponses institutionnelles à la situation des exilé·es dans différents domaines : les distributions alimentaires, l'accompagnement administratif et juridique, et plus récemment, l'hébergement chez soi d'exilé·es. Les terrains socio-ethno-graphiques mobilisés dans cet article mettent en évidence que les accueillis sont principalement des hommes d'Afrique subsaharienne tandis que les femmes blanches sont sur-représentées parmi les accueillant·es. Partant de cette réalité, ce texte interroge la manière dont les rapports sociaux de genre, de race et d'âge façonnent l'accueil au quotidien. Les protagonistes de l'accueil, dans leurs interactions, visent à normaliser et rendre possible l'hospitalité, en négociant d'une part les relations d'altérité et, d'autre part, les rapports de séduction qui émergent souvent d'un foyer et d'une intimité partagés.Since 2015, individual and collective initiatives have been developing to address the emergency or lack of institutional responses to the situation of exiles. They take the form of food distributions, provision of administrative and legal support, and more recently, hosting exiles in one's own home. Our socio-ethnographic fieldwork shows that the hosted exiles are mainly men from sub-Saharan Africa, while white women are over-represented among the hosts. In light of this situation, this article examines how gender, race and age shape the everyday experience of hospitality. The protagonists involved in hosting, in their interactions, aim to normalize and make hospitality possible, by negotiating, on the one hand, their relations with otherness, and, on the other hand, the seductive relationships that often emerge out of sharing a home and intimacy.
Notes de lecture
- Roman Kuhar et David Paternotte (dir.) – Campagnes anti-genre en Europe. Des mobilisations contre l'égalité : 2018, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 363 p. - Francis Dupuis-Déri p. 283-287
- Catherine Larrère – L'écoféminisme : 2023, Paris, La Découverte, coll. Repères, 128 p. - Pascale Molinier p. 287-293
- Amia Srinivasan – Le droit au sexe. Le féminisme au vingt-et-unième siècle : 2022, Paris, PUF, traduction française Noémie Grunenwald, 360 p. - Farah Deruelle p. 293-297
- Judith Butler – La Force de la non-violence. Une obligation éthico-politique : 2021, Paris, Fayard, traduction par Christophe Jaquet, 256 p. - Lucile Richard p. 297-302
- Marie Buscatto – La TRÈS grande taille au féminin. Les ambivalences d'une stature « hors-norme » : 2022, CNRS Éditions, 287 p. - Priscille Touraille p. 302-309
- Loïc Szerdahelyi (dir.) − Quelle égalité pour l'école ? : 2022, Paris, L'Harmattan, 210 p. - Giorgia Magni p. 309-313
- Réjane Sénac – Radicales et fluides : les mobilisations contemporaines : 2021, Presses de Sciences Po, 290 p. - Audric Vitiello p. 314-319
- Delphine Lacombe – Violences contre les femmes. De la révolution aux pactes pour le pouvoir (Nicaragua, 1979-2008) : 2022, Presses Universitaires de Rennes, 306 p. - Marylène Lapalus p. 319-323
- Lola Zappi – Les visages de l'État social. Assistantes sociales et familles populaires durant l'entre-deux-guerres : 2022, Presses de Sciences Po, 368 p. - Zoé Poli p. 323-327