Contenu du sommaire : Pensée et écriture engagées aux Etats-Unis.

Concept daté, sinon vieilli, l'« écriture engagée», après les décapages théoriques des années 60-80, ne semble pas pouvoir échapper à un réexamen volontairement provocateur. On fait ici un bref historique de l'expression et de ses avatars avant de s'interroger selon deux axes : ou bien la notion d'écriture se réduit à de l'utilitaire et du véhiculaire et nous ne sommes plus en littérature ; ou bien cette notion implique que l'expression d'idées puisse céder devant une polysémie de fait et s'ouvre alors une nouvelle bifurcation : 1) l'« écriture» véritable est «engagée» de facto en ce qu'elle est intervention d'un sujet dans le monde, d'où « pléonasme » ; 2) les idées se font exigeantes et le didactisme inévitable : la notion même d'écriture, alors, vacille et fait obstacle, d'où « oxymore ».

Après une rapide situation du contexte idéologique ayant suscité le développement d'une écriture militante (« radicale » au sens large du terme), cet article rappelle brièvement l'impact du mouvement contrastant avec la modestie quantitative de la production. L'essentiel de l'analyse porte sur le fonctionnement de cette écriture, dont on n'ignore pas la dette par rapport aux conventions réalistes, mais qui dépasse le réalisme par la volonté militante qui lui imprime une thématique et une forme spécifique. Sont remarquables en particulier le caractère centripète de la structure et l'hypertrophie du réfèrent. On aboutit ainsi à une écriture qui, fondée sur une esthétique de combat, englobe aussi bien la fiction que la non-fiction (autobiographie) et qui, contrairement à ce que l'on croit en général, s'est efforcée de faire preuve d'innovation et d'invention malgré les pièges formels auxquels elle n'a pu échapper.

L'histoire du radicalisme littéraire américain peut être lue à partir des points de vue les plus divers, chacun de ceux-ci permettant de soulever une importante partie du voile. L'un des aspects les moins bien compris du problème est le rôle de l'assimilation culturelle : celle-ci a pourtant joué un rôle primordial dans l'ascension de Partisan Review vers les sommets de la scène littéraire américaine au cours des années 1950. Cet essai a pour objet de réfléchir sur le rôle de la marginalité et de l'assimilationnisme dans l'histoire de Partisan Review, et cela d'un triple point de vue. Nous étudierons les rapports entre le radicalisme politique, l'avant-garde littéraire et la génération des immigrants juifs qui fondèrent la revue ; nous examinerons les effets produits sur la culture américaine des années 1950 par ces intellectuels à la sensibilité particulière et aux racines culturelles européennes ; nous lancerons enfin l'idée d'une comparaison avec d'autres groupes d'immigrants (les fondateurs d'Hollywood, par exemple) qui surent transformer leurs perspectives marginales et les fondre dans le courant général de la culture américaine.

Robinson Jeffers est dans doute le seul, parmi les poètes de sa génération dont la réputation ait autant souffert de sa défense d'idées « engagées » bien qu'il n'ait lui-même jamais formellement adhéré à aucun mouvement politique, social, ou littéraire. Son isolement physique et spirituel quasi-permanent, au long des années vingt et trente, dans une période d'intense agitation idéologique, pourrait passer pour un refus d'engagement, n'était sa récusation violente et opiniâtre de la société américaine et de la civilisation occidentale tout entière. La persistance de ses opinions radicales et négatives en fait un modèle très particulier de l'écrivain « engagé ». L'article se propose d'examiner comment la notion conventionnelle d'« engagement » s'articule avec l'expérience poétique de Jeffers. Il tente aussi d'apporter des explications à l'attitude pacifiste de Jeffers après 1938, vue notamment à travers son recueil The Double Axe, en rappelant sa participation avortée à la Première Guerre Mondiale, sa conception solipsiste de la fonction sociale du poète, ainsi que son utilisation de la vision poétique comme prophétie.

La guerre d'Espagne, moment privilégié d'engagement pour les écrivains anglo-américains, a joué un rôle ambivalent dans leurs trajectoires intellectuelles par rapport au communisme. De compagnon de route du stalilisme on passait, dans une évolution typique, par une crise de doute et d'identification avec une tendance gauchiste, pour aboutir à un refus total du communisme. Chez certains la guerre d'Espagne a précipité ce processus, tandis que chez d'autres elle l'a retardé. Pour Dos Passos, comme pour Orwell, tous deux témoins horrifiés de la répression stalinienne en Espagne, elle l'a précipité. Tandis que For Whom the Bell Tolls de Hemingway exprime dans l'ensemble la perspective d'un compagnon de route, Adventures of a Young Man de Dos Passos est en quelque sorte l'équivalent romanesque de Homage to Catalonia, puisqu'il dénonce le rôle des staliniens en Espagne. L'article analyse le roman de Dos Passos et le paradoxe qui veut que sa critique" soit pertinente mais sa qualité esthétique médiocre.

La guerre moderne se coulant généralement dans un moule nationaliste, les pacifistes de toutes tendances ont tout aussi généralement été des internationalistes, quelque sens qu'on donne à ce mot. Dans leurs cadres nationaux respectifs, ils ont été perçus comme des éléments antipatriotiques — ou « un-American » pour employer l'expression usitée aux Etats-Unis. Ce qu'il y a néanmoins d'étonnant dans le cas du pacifisme américain, c'est son caractère profondément « américain » et, à la limite, son osmose avec les croyances et principes fondamentaux de la tradition américaine. Dans la mesure où les pacifistes d'Amérique se sont retrouvés en situation de dissidence, il leur a toujours été possible de s'appuyer sur des pré-supposés et des perspectives qui cadraient tout à fait avec américain du discours. Voilà qui tranche singulièrement avec l'Europe où le pacifisme s'est toujours trouvé en opposition dialectique par rapport à un discours dominant fondé sur des principes fondamentaux tels que la raison d'état ou la Realpolitik. Cependant, et c'est là un paradoxe, plus court est l'écart entre consensus et contestation, plus la tolérance devient difficile à observer. La capacité d'ouverture et d'ingestion de la société amé ricaine tend à se réduire lors même qu'elle est proclamée avec le plus de véhémence. C'est sous cet angle que sont ici analysées les périodes les plus cruciales de l'histoire des Etats-Unis.

L'engagement des intellectuels américains contre la menace nucléaire a été limité et épisodique. Dans la période immédiatement postérieure à Hiroshima, de nombreux intellectuels prirent une part active à la campagne en faveur d'un contrôle international de l'énergie atomique, mais l'échec de cette campagne et les débuts de la guerre froide eurent pour effet de réduire l'engagement des intellectuels dans ce domaine. Bien que le niveau d'engagement se soit accru pendant les années d'inquiétude consécutives aux retombées radioactives et aux essais atmosphériques (1954-63, puis à nouveau au début des années 1980), il est resté bas en règle générale. A cette règle une exception marquante : celle de ces intellectuels qui ont joué un rôle majeur dans la stratégie du nucléaire civil. Répondant à l'appel lancé par John Dewey pour que les intellectuels adoptent une approche pragmatique/instrumentaliste de la réalité sociale, ainsi qu'à celui de Reinhold Niebuhr insistant sur la nécessité de reconnaître le rôle du pouvoir et de l'intérêt de groupe dans la vie des nations, ces intellectuels contribuèrent de façon essentielle à l'entreprise de justification de la puissance nucléaire américaine comme moyen de servir les intérêts planétaires de la nation liés à la guerre froide, tout en réduisant simultanément les chances d'un conflit nucléaire généralisé. Si tant est que les intellectuels aient encouragé la formation d'une opposition radicale à l'armement nucléaire et aient concouru à rendre l'opinion plus consciente de la réalité de la menace nucléaire, le crédit en revient principalement aux poètes, aux romanciers et aux auteurs de science-fiction.

Dans cette étude des intellectuels américains pendant les années de participation américaine à la Première guerre mondiale, l'accent est mis à la fois sur les accidents qui marquent leurs trajectoires professionnelles et les débats qui les opposent, souvent violemment, sur le problème de l'engagement politique de l'intellectuel en temps de guerre. Evitant de s'en tenir à une typologie d'intellectuels de caractère statique ou à une attitude d'indignation morale devant le spectacle de tant d'empressement à se mettre au service des passions guerrières ou des intérêts de l'Etat, on s'est efforcé, au moyen de concepts empruntés à Antonio Gramsci, à Robert Brym, à Magali Sarfatti Larson et à Pierre Bourdieu, de faire apparaître le comportement politique de l'intellectuel comme partie intégrante d'une dynamique sociale complexe.

Le thème des relations de couple interacial est un thème récurrent du roman afro-américain. Constitué d'un blanc et d'une noire des origines aux années 40, ce couple s'inverse depuis la Seconde Guerre Mondiale. Contrairement aux idées faites, la stratégie du roman afro-américain récent, étudiée de près, indique qu'il tend à conclure de façon claire à une résistance à l'assimilation raciale et à dénoncer ce couple mixte. Cette étude retrace l'évolution du couple interacial et tente d'interpréter les mécanismes du rejet du couple bi-racial fictionnel.