Contenu du sommaire : Actualités de la pensée anarchiste en géographie
Revue | Géocarrefour |
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Numéro | vol. 97, no 1, 2023 |
Titre du numéro | Actualités de la pensée anarchiste en géographie |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- « L actualité de la pensée anarchiste en France », éditorial du Comité de rédaction de Géocarrefour - Comité de rédaction
- Contre les spatialités étatiques et capitalistes, pour l'autonomie territoriale. La géographie anarchiste aujourd'hui - Anonyme Les liens entre géographie et anarchisme existent depuis les travaux fondateurs de Reclus ou Kropotkine, et les apports respectifs entre cette discipline scientifique et cette philosophie politique sont largement reconnus. Mais peut-on pour autant parler d'une géographie anarchiste ? C'est la question principale à laquelle nous avons essayé de répondre en revenant sur les spécificités épistémologiques et méthodologiques, sur les approches conceptuelles et empiriques des travaux qui mobilisent une approche anarchiste en géographie. Celle-ci, tout en dénonçant les inégalités produites par le capitalisme et un système multiple de domination, se fonde en premier lieu sur une critique de l'État. L'approche anarchiste en géographie permet ensuite d'identifier des dynamiques territorialisées de lutte contre l'oppression et de quête d'une émancipation. Ces « spatialités autonomes » apparaissent prioritairement dans des zones en marges, qu'elles soient des périphéries rurales ou des interstices urbains. Elles incarnent matériellement les valeurs libertaires et permettent une préfiguration et une mise en actes des projets d'émancipation.The links between geography and anarchism have existed since the founding works of Reclus and Kropotkin, and the respective contributions of this scientific discipline and this political philosophy are widely recognized. But can we really speak of an anarchist geography? That's the main question we've tried to answer by reviewing the epistemological and methodological specificities, and the conceptual and empirical approaches of works that take an anarchist approach to geography. This approach, while denouncing the inequalities produced by capitalism and a multiple system of domination, is based primarily on a critique of the State. The anarchist approach to geography then identifies territorial dynamics of struggle against oppression and the quest for emancipation. These "autonomous spatialities" appear primarily in marginal areas, whether rural peripheries or urban interstices. They materially embody anarchist values and enable the prefiguration and implementation of emancipation projects.
Articles
- Maîtriser et cueillir. Une pensée de la liberté à travers l'aménagement du milieu - Anonyme Cet article fait le postulat d'une perspective mésologique de la liberté, articulée autour de deux dimensions fondamentales : la maîtrise du milieu et la construction de l'habiter. Il mobilise une littérature récente qui explore les liens entre savoir, pouvoir et liberté quant à l'aménagement des milieux de vie. Il s'appuie, aussi et surtout, sur l'ethnographie d'un conflit minier dans le pays du Couserans en Ariège. L'étude des pratiques habitantes de part et d'autre du conflit a en effet mis en lumière des formes d'émancipation étroitement associées à la maîtrise de son milieu. Trois cas sont étudiés dans l'article : 1) le vécu d'un groupe d'éleveurs transhumant face à la réintroduction de l'ours permet d'approcher les formes d'oppression liées à l'imposition de façons d'être au/de faire avec le milieu ; 2) l'ouverture collective et autonome d'une source fait émerger la condition mésologique, sociale et politique de la relation au milieu et de sa dimension émancipatrice ; 3) le cas d'un jardin potager, mêlé aux autres exemples, permet d'explorer la dimension collective de l'habiter ainsi que le rôle de la part sauvage dans l'émancipation par le milieu. L'article ouvre plusieurs perspectives quant aux études anarchistes en géographie. Il montre la centralité de la forme-Etat dans la mésopolitique, soit le gouvernement des humains par le contrôle de leurs milieux de vie. C'est à travers la mise en perspective de la part du champ du pouvoir, de la part habitante/populaire et de la part sauvage intervenant dans la production des milieux, qu'émergent certaines formes d'oppression/d'émancipation. A cet effet, les savoirs géographiques, lieux du pouvoir autant que du populaire, constituent un outil fécond. Tandis que l'approche ethnographique et la posture inductive permettent de caractériser les ressorts infrapolitiques de l'habiter et par-là nourrir une perspective sociale et politique de la mésologie.This article predicates a mesological (Berque, 2016) perspective of liberty, hinged on two elementary dimensions: milieu knowledge and the construction of dwelling. It mobilizes a recent literature to explore relationship between knowledge, power and emancipation regarding milieu planning. It also leans on the ethnography of a mining conflict in Couserans, Ariège (France). The inhabitants' practices study on both sides shone a light on a common feeling of emancipation, closely tangled to milieu control and knowledge. We examine here three case study: 1) the forms of oppression linked to the imposition of ways of being/doing with their environment, throughout the experience of a transhumant farmer group confronted to bear reintroduction; 2) the collective and autonomous opening of a source brings out the mesological, social and political condition of the relationship to the environment and its emancipatory dimension; 3) the case of a vegetable garden, mixed to the others, allows us to explore the collective construction dwelling, as well as the role the “wild part” of milieu plays. The article opens several perspectives regarding anarchist studies in geography. It reveals the centrality of State form in mesopolitics, that is, the government of humans through the control of their milieu, and the forms of power that ensue. One track would then consist into putting in perspective the power field share, the inhabitant/popular share as well as the wild share of milieu. Geographical knowledges, as places of power as much as of the popular, constitutes a fruitful trail. While ethnographical approaches and inductive posture make it possible to characterize infrapolitical sources of inhabitance, and thus nourish a social and political mesology.
- Des espaces communs face à l'imposition de l'espace public : la résistance organisée de Technopolice contre la vidéosurveillance - Anonyme La résistance organisée face à la vidéosurveillance publique signifie plus qu'une opposition à la surveillance, elle ouvre la possibilité d'une critique de l'espace public et de son dépassement par la notion d'« espace commun ». La thèse défendue dans cet article s'appuie sur une recherche de terrain menée auprès de collectifs actifs dans la campagne Technopolice, dédiée à la résistance à la surveillance urbaine (entretiens, observations et participations à leurs activités). Après avoir fait le constat de l'algorithmisation croissante du contrôle de l'espace public, l'article se penche sur la structure organisationnelle décentralisée de Technopolice, reliant des groupes locaux autonomes via une plateforme centralisant des informations et favorisant la participation des habitant·es pour contester la légalité de la surveillance. L'enjeu est de démontrer que l'organisation de Technopolice reflète une autodétermination collective qui génère un espace politique alternatif remettant en question l'ordre établi de l'espace public et ses fondements philosophiques.Organized resistance to public video surveillance means more than opposition to surveillance; it opens up the possibility of a critique of public space and its overcoming through the notion of "common space". The thesis defended in this article is based on field research conducted with collectives active in the Technopolice campaign, dedicated to resistance to urban surveillance (interviews, observations and participation in their activities). After noting the increasing algorithmization of control over public space, the article looks at Technopolice's decentralized organizational structure, linking autonomous local groups via a platform that centralizes information and encourages residents' participation in challenging the legality of surveillance. The aim is to demonstrate that Technopolice's organization reflects a collective self-determination that generates an alternative political space challenging the established order of public space and its philosophical foundations.
- L'épuisement des sols : Reclus-Kropotkine versus Marx-Liebig - Anonyme Au XIXe siècle, la croissance démographique et l'expansion industrielle pose à l'agriculture la question de son évolution pour répondre à l'augmentation du nombre de bouches à nourrir, sujet toujours actuel. Depuis Malthus, plusieurs savants mettent l'accent sur l'appauvrissement des sols, sujet qui intéresse les auteurs socialistes comme Marx, d'une part, et les géographes anarchistes d'autre part, comme Élisée Reclus et Pierre Kropotkine. Là où Marx s'appuie sur des savants catastrophistes comme Liebig, lequel est aussi un homme d'affaires cherchant à vendre ses fertilisants, pour étayer sa vision d'un capitalisme courant à sa perte, Reclus et Kropotkine, tout en déplorant les dégâts de l'agro-industrie, mettent l'accent sur les progrès déjà accomplis par l'horticulture dans plusieurs régions et la possibilité d'améliorer les sols.In the 19th century, population growth and industrial expansion raised the question of how agriculture should evolve in response to the increase in the number of mouths to feed. Since Malthus, a number of scientists have focused on soil depletion, a subject of interest to socialist writers such as Marx on the one hand, and anarchist geographers such as Élisée Reclus and Pierre Kropotkine on the other. Where Marx relied on catastrophist scientists such as Liebig, who was also a businessman seeking to sell his fertilizers, to support his vision of capitalism on the road to ruin, Reclus and Kropotkin, while deploring the damage done by agro-industry, emphasized the progress already made by horticulture in many regions and the potential for soil improvement.
- Rien n'arrête un peuple qui danse : dimensions spatiale et libertaire de la free party - Anonyme Dans cet article, nous proposons une approche géographique et libertaire du mouvement free party. Nous définissons la free party comme une organisation socio-spatiale alternative, libre, éphémère, autogérée, émancipatrice de la société de consommation et d'un certain nombre de discriminations inhérentes au monde de la fête actuel (sélection en fonction de critères sociaux, vestimentaires, ethniques, budgétaires…). De ce point de vue, nous étudions la free party comme une fête libre en opposition avec la marchandisation de la fête et le contrôle de l'état et des pouvoirs publics, puis nous abordons les valeurs de la free party selon un certain nombre d'approches conceptuelles, avant de mesurer les pratiques libertaires inhérentes à la free party et leurs caractères éphémères.In this article, we propose a geographical and libertarian approach to the free party movement. We define free party as an alternative socio-spatial organization, free, ephemeral, self-managed, emancipatory from the consumer society and a certain number of discriminations inherent in the current party world (selection according to social, clothing, ethnic, budgetary, etc.). From this point of view, we study free party in opposition to the commodification of the party and the control of the state and public authorities, then we approach the values of free party according to a certain number of conceptual approaches, before measuring the libertarian practices inherent to free party and their ephemeral characteristics.
- Autonomie, territoire et échelles de formation des sujets politiques : le soulèvement des communautés de Cherán et d'Ostula et le mouvement des Autodéfenses du Michoacán (2009-2014) - Anonyme L'objectif de cet article est de soutenir une conception actualisée et critique de l'autonomie pour comprendre les rapports entre sujets sociaux. Bien que partant des intuitions de Proudhon, j'argumenterai qu'il faut dialectiser les processus de formation des différents sujets collectifs (politiques) pour esquisser un projet émancipateur proche de celui de Castoriadis, soit la systématisation de rapports sociaux autonomes à toutes les échelles de la société (individuelles, groupales, fédérales, etc.). En concevant l'autonomie ainsi, il devient possible de considérer le territoire comme la dimension spatiale ou l'échelle du sujet autonome, ce qui permettra de faire le lien avec les apports de géographes anarchistes latino-américains comme Lopes de Souza. À partir de cette matrice théorique, j'illustrerai comment des luttes locales contre le crime organisé, celles des communautés indigènes de Cherán (purépecha) et Ostula (Nahua) dans l'État du Michoacán au Mexique, ont favorisé la réaffirmation de sujets communautaires en quête d'autonomie. Historiquement ancrées sur leurs territoires et imprégnées de pratiques d'autogouvernements, ces deux communautés vont avoir un rôle clé dans la formation d'une sujet politique d'une échelle plus large, celui du mouvement des autodéfenses contre le cartel sanguinaire des Chevaliers templiers, questionnant au passage le rôle de l'État. La structuration d'un mouvement qui s'articule à partir des communautés permet ainsi une certaine analogie avec la proposition fédéraliste du communisme libertaire.The objective of this article is to support an updated and critical conception of autonomy to understand the relationships between social subjects. Although starting from Proudhon's intuitions, I will argue that it is necessary to dialectize the processes of formation of the different collective (political) subjects in order to outline an emancipatory project close to that of Castoriadis, that is, the systematization of autonomous social relations at all scales of society (individual, group, federal, etc.). By conceiving of autonomy in this way, it becomes possible to consider the territory as the spatial dimension or the scale of the autonomous subject, which will make it possible to make the link with the contributions of Latin American anarchist geographers like Lopes de Souza.From this theoretical matrix, I will illustrate how local struggles against organized crime, those of the indigenous communities of Cherán (purépecha) and Ostula (Nahua) in the state of Michoacán in Mexico, have favored the reaffirmation of community subjects in quest for autonomy. Historically anchored in their territories and imbued with self-governance practices, these two communities will have a key role in the formation of a political subject on a broader scale, that of the self-defense movement against the bloodthirsty Knights Templar cartel, questioning in passing the role of the State. The structuring of a movement which is based on communities thus allows a certain analogy with the federalist proposal of libertarian communism.
- Identités culturelles rurales en résistance : études de cas au nord et au sud du Brésil - Anonyme Dans la perspective quasi-hégémonique de l'urbanisation et de la mondialisation, les espaces ruraux sont des lieux où s'exercent très fortement les dominations sociales et économiques. Dans cette dynamique, la culture est un soutien et un outil, pour convertir, modifier ou résister. L'identité vue comme un processus de construction de significations et de systèmes de représentations est confrontée à un contexte global menaçant les identités culturelles locales, voire la possibilité de produire de nouvelles identifications. Ce travail analyse les stratégies de résistance culturelle liées aux pratiques d'identités développées par des communautés serranas et sem-terras dans l'Etat de Santa Catarina et de quilombos dans la région de Baixo Tocantins dans l'Etat de Pará, au Brésil. Il entend contribuer aux réflexions sur les ancrages locaux, les représentations des identités culturelles et les stratégies de résistance dans un contexte postmoderne.In the quasi-hegemonic perspective of urbanization and globalization, rural spaces are places where social and economic influences are very strongly exerted. Within this reality, culture is a powerful instrument to convert, transform, or resist. The identity seen as a process of signification and representation system constitution is confronted to a global context threatening local cultural identities, and even the possibility to produce new identifications. This work analyzes the strategies of cultural resistance related to identity practices developed by Serranas and Sem-terras communities in the state of Santa Catarina and quilombos in the region of Baixo Tocantins in the state of Pará, Brazil. It intends to contribute to reflections on local foundations, representations of cultural identities and strategies of resistance in a postmodern context.
- Hiérarchisation de l'espace et intervention de l'État. Sbiba, hautes steppes tunisiennes - Anonyme La société des hautes steppes tunisiennes est pendant plusieurs siècles, organisée contre l'Etat. Deux institutions proscrivent la division du corps social : l'utilisation collective de la terre et l'utilisation collective de la violence. Durant la période coloniale, la diminution progressive de la mobilité de leur population semi-nomade crée, en même temps qu'elle en procède, les conditions d'une amorce d'urbanisation à travers une polarisation durable de l'espace. La logique centrifuge qui anime auparavant l'espace et la société se transforme progressivement en une logique centripète. Le recouvrement d'une société pastorale, semi-nomade, aux rapports territoriaux spécifiques, par une société nationale-territoriale commence dès avant la colonisation lorsque par le biais du pouvoir central politico-religieux se mettent en place les éléments de dissolution de la société pastorale que sont les zaouia maraboutiques et les premiers embryons urbains. Le processus est long et ce n'est que dans les années 1970 - 1980 que les hautes steppes commencent à être intégrées à l'espace national. L'Etat central tunisien impose une « modernisation » de l'agriculture impulsée par les agences de développement de l'ONU. A la différenciation horizontale de la société (groupes agnatiquement différenciés mais équivalents) et de l'espace (territoires de ces groupes) s'est définitivement substitué une hiérarchisation verticale (spécialisation fonctionnelle de segments de la société et de l'espace).For several centuries, the society of the Tunisian high steppes was organized against the State. Two institutions proscribed the division of the social body : the collective use of land and the collective use of violence. During the colonial period, the gradual reduction in the mobility of their semi-nomadic population created, as well as produced, the conditions for the beginnings of urbanization through a lasting polarization of space. The centrifugal logic that had previously animated space and society was gradually transformed into a centripetal logic. The recovery of a pastoral, semi-nomadic society, with its specific territorial relationships, by a national-territorial society began even before colonization, when the central politico-religious power put in place the elements that dissolved pastoral society, namely the maraboutic zaouia and the first urban embryos. The process took a long time, and it wasn't until the 1970s and 1980s that the high steppes began to be integrated into the national landscape. The central Tunisian state imposed a "modernization" of agriculture, driven by UN development agencies. The horizontal differentiation of society (agnatically differentiated but equivalent groups) and space (the territories of these groups) was definitively replaced by vertical hierarchization (functional specialization of segments of society and space).
- Maîtriser et cueillir. Une pensée de la liberté à travers l'aménagement du milieu - Anonyme
Récit de luttes
- Diritti alla Città : un collectif de défense des centres sociaux autogérés à Bologne - Anonyme À Bologne, ville réputée pour ses politiques publiques progressistes et ses initiatives citoyennes alternatives, un collectif d'habitants et de militants, Diritti alla Città, s'est emparé de la question des espaces publics vacants. Confrontés à des dynamiques de gentrification et de mise en tourisme, des mouvements se réclamant de l'anarchisme et du communisme défendent la tradition locale en matière de centres sociaux autogérés face aux expulsions et à une marchandisation de l'espace. Le cas de Diritti alla Città pose l'interrogation fréquente, pour ce type d'organisations militantes radicales, de l'équilibre entre les stratégies d'action directe et de négociation avec les institutions.In Bologna, a city renowned for its progressive public policies and alternative citizen initiatives, a collective of residents and activists, Diritti alla Città, took up the issue of vacant public spaces. Faced with dynamics of gentrification and tourism, movements claiming to be anarchist and communist defend the local tradition of self-managed social centers in the face of evictions and commodification of space. The case of Diritti alla Città frequently raises the question, for this type of radical activist organizations, of the balance between strategies of direct action and negotiation with institutions.
- Diritti alla Città : un collectif de défense des centres sociaux autogérés à Bologne - Anonyme
Compte rendu d'ouvrages