Contenu du sommaire : Rapports ordinaires à la violence d'État au Venezuela

Revue Cahiers des Amériques Latines Mir@bel
Numéro no 103, 2023
Titre du numéro Rapports ordinaires à la violence d'État au Venezuela
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Chronique

  • Dossier - Rapports ordinaires à la violence d'État au Venezuela : productions, résistances, (dé)légitimations

    • Pour une sociologie politique des rapports ordinaires à la violence d'État. Productions, résistances et (dé)légitimations dans le Venezuela contemporain - Yoletty Bracho, Fabrice Andréani accès libre
    • Necropolítica en la Venezuela bolivariana: el Estado como máquina de guerra - Keymer Ávila, Magdalena López accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article propose une analyse de la violence institutionnelle au Venezuela. Il mobilise le concept de machine de guerre afin de saisir l'État vénézuélien actuel et plus particulièrement le dispositif nécropolitique constitué par les Fuerzas de Acciones Especiales (FAES) de la Police Nationale Bolivarienne (PNB). Pour cela, nous mobilisons des outils conceptuels issus des études africaines (African Studies), comme les notions de « criminalité étatique » (Bayart), « nécropolitique » et « gouvernement privé indirect » (Mbembe). Ces notions se révèlent efficaces pour comprendre le nouvel État émergent au Venezuela. À l'appui d'une méthodologie normative et empirique, nous décrivons comment les pratiques nécropolitiques sont les manifestations d'une structure qui n'est ni centralisée ni spatialement délimitée et dont les conséquences touchent essentiellement la catégorie sociale des plus pauvres.
      The article proposes an analysis of Venezuelan institutional violence. It works with the concept of war machine to understand the current Venezuelan state and especially the dynamics at work within the Fuerzas de Acciones Especiales (FAES) of the Policía Nacional Bolivariana (PNB). To this end, we use conceptual tools from African Studies, such as “criminalization of the State” (Bayart), “necropolitics” and “indirect private government” (Mbembe). Under a methodology that combines the normative and the empirical, we describe how state necropolitical practices have become a symptom of a State structure, which is neither centralized nor spatially delimited and which impacts the poorest much more than any other social category.
    • Des grupos de trabajo aux colectivos : l'évolution des groupes armés progouvernementaux durant l'ère Chávez - Alejandro Velasco accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le terme colectivo est devenu l'une des expressions les plus répandues et controversées de l'ère Chávez au Venezuela. Si ce terme désigne en principe un sous-ensemble spécifique de partisans du gouvernement chaviste – à savoir, des groupes paraétatiques qui recourent à la violence armée pour le maintenir au pouvoir –, les colectivos demeurent un phénomène encore peu étudié, tant sur les plans conceptuel qu'empirique : les uns les décrivent comme des « paramilitaires », les autres comme des « groupes d'autodéfense » (ou de vigilantisme), tandis que d'aucuns avancent qu'ils contrôleraient jusqu'à 10 % du territoire vénézuélien. Cet article cherche à dépasser la confusion conceptuelle et empirique qui entoure ce terme. Il propose une analyse approfondie de l'évolution de ces groupes armés progouvernementaux, qui s'avèrent éminemment diversifiés au vu de leurs origines comme de leurs structures organisationnelles, de leurs positionnements idéologiques, de leurs rapports à l'État et de leurs répertoires d'action – mais qui ont cependant tous été regroupés sous ce même terme générique de colectivos. Cette appellation commune escamote des nuances de taille qui permettraient de construire un tableau plus complet des transformations du chavisme, d'un projet originel de démocratie participative à un projet de socialisme vertical qui a fini par accoucher d'un État autoritaire et d'une nation au bord de l'effondrement. Il s'agit ici de comprendre comment ces groupes perçus dans les premières années du chavisme comme marginaux voire indésirables – y compris par Chávez lui-même – ont pu devenir aussi prééminents que redoutés, et ce que la dépendance croissante du gouvernement Maduro à leur égard nous dit de l'état actuel du chavisme – aussi bien en tant que mouvement que système de gouvernement.
      The term “colectivo” has arguably become one of the most widely deployed, and fraught, words in the Chávez era. Nominally used to refer to a particular subset of pro-government supporters –namely, para-state groups who employ armed violence to enforce the government's hold on power – conceptually and empirically “colectivos” remain significantly understudied a phenomenon, by some described as “paramilitaries,” by others as “vigilantes,” even at times speculated to control as much as ten percent of Venezuela. This paper seeks to cut through the conceptual and empirical confusion surrounding the term. Instead it offers a comprehensive assessment of the evolution of armed pro-government groups with very diverse origins, organizational structures, ideological postures, relationships with the state, and repertories of contention, but that nevertheless came to be encapsulated under the umbrella term “colectivo” and in doing so, eliding important nuances that may provide a fuller picture of how chavismo transitioned from a participatory democratic project, to a top-down socialist project, to an authoritarian state, to a nation on the verge of collapse. It asks: how did the rise into prominence and notoriety of groups once seen as fringe in chavismo's early years, even undesirable by Chavez himself, take place, and what does the Maduro government's growing reliance on such groups suggest about the state (both as condition and as governance system) of chavismo today?
    • Impartir justicia en el contexto de un Estado acerrojado: revolución y crisis - Mila Ivanovic accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Pénétrer dans le milieu judiciaire au Venezuela est une manière de saisir les transformations étatiques qui ont eu lieu durant la Révolution bolivarienne (1999-2022) et ainsi comprendre les mécanismes de verrouillage du pouvoir. A partir d'une vision macro et micro, cet article rend compte des premiers résultats d'une recherche en cours, et nous projette dans le monde social hermétique de l'administration judiciaire qui nous donne une idée du verrouillage de l'État vénézuélien depuis une décennie.
      Analysing the inner workings of the judicial sphere in Venezuela is a way to grasp the State transformations that have taken place during the Bolivarian Revolution (1999-2022) and to understand the mechanisms which guarantee the continuity of Chavista political power. From a macro and micro perspectives, this essay presents the first results of an ongoing research and projects us into a hermetic social world, that of the administration of justice, in order to better understand the iron-clad nature of the Venezuelan state in the last decade.
    • Con y contra el Estado: revisitando los mecanismos de coerción y respuestas comunales en Venezuela - Carlos G. Torrealba M. accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'État vénézuélien promeut une série de mécanismes de coercition qui s'inscrivent dans un processus plus large d'institutionnalisation et désinstitutionalisation des expériences participatives dans le pays. Cet article s'inscrit dans une recherche plus large qui vise à expliquer la manière dont les comuneros font face à ces mécanismes en fonction de leurs niveaux d'institutionnalisation et d'intermédiation avec et contre l'État. À partir de la comparaison de quatre comunas du centre-ouest du Venezuela, l'objectif de cette étude est de comprendre les réponses que les comunas développent face aux restrictions administratives et politiques qui leur sont imposées d'en haut, et d'approfondir l'examen de leurs différentes manifestations concrètes, en mettant l'accent sur le discours de ses protagonistes.
      The Venezuelan State promotes a set of coercive mechanisms that are embedded in a broader process of institutionalization and de-institutionalization of participative experiences in that country. This article draws upon a broader investigation that aims to explain the way in which comuneros cope with these mechanisms based on their levels of institutionalization and intermediation with and against the State. Based on the comparison of four comunas in central-western Venezuela, the aim of this study is twofold: to understand the way the comunas deal with the administrative and political restrictions imposed on them from above, and to study these responses in concrete terms, while putting emphasis on the discourse of its protagonists.
    • “¡Hoy tenemos Patria!” La pertenencia nacional entre los jóvenes de un barrio en la Caracas post-Chávez - Henry Moncrieff Zabaleta accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article soulève la question de l'appartenance à la « patrie » au Venezuela, une nation plongée dans une crise politique et économique déjà ancienne. À l'appui d'une ethnographie visuelle guidée par une photo-élicitation avec des jeunes hommes, j'analyse comment ils vivent leur enracinement nationaliste après la mort de Chávez, dans un quartier populaire situé sur les collines de Caracas, une région montagneuse qui concentre les conditions d'exclusion socio-économique les plus dures de la capitale. Ces zones sont historiquement touchées par la privation et la violence structurelles. Cette analyse cherche à comprendre les formes d'identification sociale des enfants de la Révolution bolivarienne, une génération qui naît lors de la mise en place du projet socialiste qui se déploie au Venezuela depuis plus de 20 ans. Les jeunes que j'ai rencontrés, entre 2014 et 2017, doivent gérer leur propre subjectivité face à la polarisation de la scène politique partisane et aux transformations du pays, pour ancrer leurs racines et développer leur attachement dans un environnement marqué par les pénuries alimentaires, les abus policiers, la violence urbaine et la migration forcée. En ce sens, « se sentir faire partie » du Venezuela est une interpellation symbolique de l'État bolivarien, une politique performative qui assure des prédispositions, instaure des pratiques et dresse des frontières chez les jeunes, et génère des violences, des loyautés, des cruautés et des complaisances qui révèlent des appartenances brisées et des identifications radicales/extrêmes.
      This article raises the problem of belonging "to the homeland" in Venezuela, a nation subsumed in a long standing political and economic crisis. Based on a visual ethnography guided by a photo-elicitation with young males, I analyze how they experience their nationalist roots after Chávez´s death. I focus especially on a popular neighborhood located in the hills of Caracas, a mountainous geography that concentrates the harshest conditions of socioeconomic exclusion in the Venezuelan capital. These areas have been historically affected by structural deprivation and violence. This analysis seeks to understand the forms of social identification of the children of the Bolivarian Revolution, a generation that was born during the implementation of the socialist project in Venezuela, over the last 20 years. The young people I met, between 2014 and 2017, must manage their own subjectivity in the face of the partisan polarization and the transformations of the country, thus seeking to build roots and attachment in an environment marked by food shortages, police abuse, urban violence and forced migration. In this sense, the fact that they "feel part of" Venezuela can be interpreted as a symbolic interpellation of the Bolivarian state, a performative policy figuring predispositions, practices and borders among young people, as well as violence, loyalties, cruelties and indolences that point out broken belongings and radical identifications.
    • « Aujourd'hui, nous avons enfin une patrie ! » L'appartenance nationale chez les jeunes hommes d'un quartier populaire de la Caracas post-Chávez - Henry Moncrieff Zabaleta accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article explore la question de l'appartenance à la « patrie » au Venezuela, une nation plongée dans une crise politique et économique prolongée. Au moyen d'une ethnographie visuelle structurée autour d'un travail de photo-élicitation avec des jeunes hommes d'un quartier populaire surplombant Caracas, j'analyse leurs modes d'affiliation national(ist)e depuis la mort de Chávez à l'aune de leurs ancrages dans cet espace historiquement marginalisé sur le plan socio-économique et marqué par la violence. Il s'agit de comprendre les formes d'identification sociale des enfants de la Révolution bolivarienne, de cette génération née il y a une vingtaine d'années, à l'époque de la mise en place du projet socialiste porté par Chávez. Ces jeunes que j'ai rencontrés entre 2014 et 2017 sont porteurs de subjectivités propres face à la forte polarisation partisane et aux transformations du pays, en quête de sens et d'attaches dans cet environnement marqué par les pénuries alimentaires, l'arbitraire policier, la violence urbaine et la migration forcée. Pour eux, le fait de se « sentir Vénézuélien » passe par des formes d'interpellation symbolique de l'État bolivarien, dans le cadre d'une politique performative articulée autour de prédispositions, de pratiques et de frontières déterminées, avec leur lot de violences, de loyautés et d'indifférences, entre appartenances brisées et identifications radicales.
      This article raises the problem of belonging "to the homeland" in Venezuela, a nation subsumed in a long standing political and economic crisis. Based on a visual ethnography guided by a photo-elicitation with young males, I analyze how they experience their nationalist roots after Chávez´s death. I focus especially on a popular neighborhood located in the hills of Caracas, a mountainous geography that concentrates the harshest conditions of socioeconomic exclusion in the Venezuelan capital. These areas have been historically affected by structural deprivation and violence. This analysis seeks to understand the forms of social identification of the children of the Bolivarian Revolution, a generation that was born during the implementation of the socialist project in Venezuela, over the last 20 years. The young people I met, between 2014 and 2017, must manage their own subjectivity in the face of the partisan polarization and the transformations of the country, thus seeking to build roots and attachment in an environment marked by food shortages, police abuse, urban violence and forced migration. In this sense, the fact that they "feel part of" Venezuela can be interpreted as a symbolic interpellation of the Bolivarian state, a performative policy figuring predispositions, practices and borders among young people, as well as violence, loyalties, cruelties and indolences that point out broken belongings and radical identifications.
  • Études

    • Sociétés financières d'immobilier et système urbain mexicain : le rôle des investisseurs dans le renforcement des centralités métropolitaines - Brice Barois, Leïly Hassaine-Bau accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Au cours de la première décennie du xxie siècle, le Mexique a mené des réformes institutionnelles afin de promouvoir la création d'entités financières sur le marché boursier destinées à lever des fonds pour un secteur immobilier en pleine expansion. En convertissant les biens immobiliers locatifs en actifs boursiers, les fonds d'investissement immobilier cotés en bourse (FIBRA) en constituent l'un des principaux instruments. Inspirés des Real Estate Investment Trust (REIT) américains, ces entreprises gèrent des biens qui engendrent des loyers dans le secteur productif, tels que des bureaux, des centres commerciaux, des hôtels et des bâtiments industriels, entre autres. Cet article analyse la participation de cet instrument au processus d'urbanisation financiarisée en analysant les portefeuilles immobiliers des FIBRA et leur diffusion dans le système urbain.
      During the first decade of the 21st century, institutional reforms were carried out in Mexico to promote the creation of financial entities in the stock market to raise funds for a growing real estate sector. Real estate investment trusts (FIBRA), which convert rental properties into stock market assets, are one of the main instruments. Inspired by the US Real Estate Investment Trust (REIT), these companies manage rental properties in the productive sector, such as offices, shopping centers, hotels, and industrial buildings, among others. This article examines the participation of this instrument in the process of financialized urbanization by analyzing the real estate portfolios of FIBRAs and their diffusion in the urban system.
    • Desigualdad y distribución del ingreso en Brasil (2001-2015), una aproximación a partir de Thomas Piketty - Rafael Gonçalves-Almeida accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      À partir des travaux menés par Thomas Picketty, le présent article tente de faire résonner la pensée économique française sur l'évolution des inégalités socio-économiques au contexte latino-américain. Pour cela, il s'emploie à tester l'efficacité de sa pensée en l'appliquant au contexte des économies périphériques, en particulier au Brésil. Selon la Banque Mondiale (2020), le Brésil est le neuvième pays le plus inégalitaire parmi les 164 États étudiés, après le Mozambique, le Swaziland, la République Centrafricaine, Sao Tomé-et-Principe, la Zambie, le Surinam, la Namibie et l'Afrique du Sud. Ainsi, cette étude vise à améliorer la compréhension du phénomène d'accroissement des écarts entre les différentes classes sociales de la région, en confrontant les apports d'autres experts et d'auteurs critiques de sa théorie.
      Based on the theory developed by Thomas Piketty, this article aims to adapt the French economist's thinking on the evolution of socioeconomic inequalities to those in Latin America. In doing so the thesis discusses the effectiveness of Piketty's thinking in the context of peripheric economies, particularly Brazil, which according to the World Bank in 2020, is the ninth most unequal country among 164 States, following Mozambique, Swaziland, Central African Republic, São Tomé and Prince, Zambia, Suriname, Namibia and South Africa. Finally, the study broadens the understanding of increasing inequalities between the different social classes in the region, including the contribution from other experts and critical authors of its theory.
  • Passages

    • Cris, réprimandes, rumeurs et murmures : les réponses des mères aux acteurs armés et à la militarisation dans deux quartiers de Caracas - Verónica Zubillaga, Rebecca Hanson accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Comment les mères font-elles face à la violence chronique et à la présence constante d'armes dans leurs quartiers ? Comment construisent-elles du sens situé et des pratiques discursives à partir de leurs expériences et relations avec des acteurs armés ? Nous comparons les expériences de femmes dans deux quartiers populaires de la classe ouvrière à Caracas. Dans ce projet ethnographique comparatif, nous voulons montrer comment, au milieu d'une déprédation étatique et de la présence envahissante des armes dans leur vie, les femmes utilisent leurs rôles culturels de mères pour accomplir des formes de résistance quotidienne vis-à-vis des différents acteurs armés imposant leur présence dans les barrios. Dans leurs épreuves de tous les jours, les mères font appel à des actions discursives dramatiques – de celles plus ouvertement frontales, comme les cris, les réprimandes et les discussions, à d'autres plus occultées, telles que les « rumeurs circulantes » et les « rumeurs captives », sans oublier les formes plus vulnérables, comme les chuchotements – qui sont des ressources principales dans la micropolitique de leurs quartiers. Notre recherche suggère que les stratégies dépendent du contexte et varient très probablement en fonction de nombreux facteurs, y compris l'histoire de l'organisation citoyenne, les pratiques policières et le type d'acteur armé avec lequel elles cohabitent dans leur quartier.
      How do mothers deal with chronic violence and the constant presence of guns in their neighborhoods? How do they build situated meaning and discursive practices out of their experiences and relationships with armed actors? We compare the experiences of women in two poor and working-class neighborhoods in Caracas. Through this comparative ethnographic project, we aim to show how, in the midst of state-sponsored depredation and with an overwhelming presence of guns in their lives, women use their cultural roles as mothers to perform everyday forms of resistance vis-à-vis the different armed actors that impose their presence in the barrios. In the mothers' daily struggles, dramatic discursive actions—from more openly oppositional ones, such as shouting, scolding, and talking, to more hidden ones, such as both “circulating gossip” and “captive gossip,” to more vulnerable ones, such as whispering—are main resources in the micropolitics of their neighborhoods. Our findings suggest that strategies are context dependent and most likely vary according to numerous factors, including the history of civic organizing, policing practices, and the type of armed actor with whom they cohabitate in their neighborhood.
  • Lectures