Contenu du sommaire : Expériences de l'État
Revue |
Cahiers du genre ![]() |
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Numéro | no 76, 2024 |
Titre du numéro | Expériences de l'État |
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Dossier. Expériences de l'État
- Expériences de l'État et imbrication des rapports sociaux : Une sociologie de la rencontre bureaucratique au pluriel - Prunelle Aymé, Thomas Douniès, Gwenaëlle Perrier p. 5-28
- « Faire famille » au guichet de l'État civil : Une ethnographie de la suspicion - Suzanne Quintin p. 29-58 À partir d'une ethnographie comparée du travail des officières d'état civil de deux services municipaux français, l'article cherche à comprendre comment s'établissent les critères de suspicion des publics souhaitant « faire famille » aux yeux de l'État. En 2005 et 2019, deux circulaires d'application relatives à la lutte contre les mariages arrangés et les reconnaissances de filiation frauduleuses ont été élaborées afin de renforcer les mesures de contrôle, notamment à destination des personnes en situation irrégulière ou précaire. Ces directives délèguent aux personnels municipaux du bas de l'échelle la possibilité d'évaluer la crédibilité des couples et des parents qui se présentent au guichet. Mais l'approche intersectionnelle met en évidence la manière dont les critères de suspicion s'actualisent selon le contexte d'interaction. Non seulement l'appréciation des dossiers « douteux » prend appui sur les expériences biographiques des officières d'état civil, leur position sociale de genre, de classe et de race ; mais elle s'opère également à l'échelle des administrations municipales et des éluꞏes qui entretiennent plus ou moins une grille de lecture politique ou gestionnaire des familles.Based on a comparative ethnography of the work of civil registrars in two French local offices, this article seeks to understand how the criteria for suspicion of people trying to 'act as a family' are established from the point of view of the state. In 2005 and 2019, two implementing circulars relating to the fight against marriages of convenience and false declarations of parenthood were drawn up to reinforce control measures, particularly for undocumented and/or socially precarious persons. These directives delegate to lower-ranking municipal officers the task of assessing the sincerity of couples and parents who turn up at the register's desk. The intersectional approach shows how the criteria for suspicion are shaped by the context of interaction. Not only is the assessment of 'dubious' cases based on the biographical experiences of civil officers and their social position in terms of gender, class and race; it is also shaped at the level of municipal administrations and elected representatives, who more or less adopt a political or administrative approach to families.
- Fardeau administratif et gouvernement des mères pauvres : Une enquête au guichet des child grants en Namibie - Ronan Jacquin p. 59-90 Cet article analyse le genre du fardeau administratif à partir du cas des programmes d'allocations pour enfant en Namibie. À partir d'une enquête par entretiens, observations et archives menée entre 2019 et 2021, l'article montre que l'accès aux aides et l'expérience des procédures administratives sont façonnées par le croisement de plusieurs rapports sociaux, dans une perspective intersectionnelle. D'une part, de nombreuses demandeuses sont exclues en raison d'un fardeau administratif construit par l'inadéquation entre la conception des procédures administratives et l'économie familiale des classes populaires africaines. D'autre part, les pratiques d'évaluation et de tri des agentes à l'égard des demandeuses au guichet sont structurées par des rapports de genre, de classe et de race. Le genre peut néanmoins constituer, pour certaines demandeuses, un support et une ressource pour revendiquer le droit à une allocation.This article analyzes the gender of administrative burden using the case of child grants programs in Namibia. Drawing on a study using interviews, observations and archives, conducted between 2019 and 2021, the article shows that access to benefits and the experience of administrative procedures are shaped by intersectional social relations. On one hand, many women who apply for benefits are excluded because of an administrative burden caused by the inadequacy between the design of administrative procedures and the situation of African working-class families. On the other hand, the evaluation and selection practices of administrative agents towards applicants are structured by gender, class and race. However, gender can also be a resource for some of them in claiming their right to benefits.
- Des recours genrés à l'État : Usages et effets des consultations juridiques de l'inspection du travail - Aude Lejeune p. 91-119 Cet article examine comment le genre façonne les recours à l'État, à partir d'une enquête ethnographique conduite au sein d'une permanence juridique gratuite de l'inspection du travail, principalement utilisée par des salariéꞏes des classes populaires du secteur privé. Il montre d'une part que les temporalités du recours à l'État et les usages de la consultation diffèrent selon le sexe des salariéꞏes qui sollicitent ce service et, d'autre part, que la consultation en elle-même renforce les écarts entre les femmes et les hommes dans la manière dont elles et ils font valoir leurs droits au travail.This article examines how gender shapes use of the state, based on an ethnographic study conducted among users of a free legal advice service provided by the Inspection du travail (French labor inspection), among which a majority are working-class private sector employees. It shows, firstly, that the timing of access to the state and how the service is used differ depending on the gender of the employees who use it and, secondly, that the service itself amplifies the differences between women and men in the way they exercise their labour rights.
- L'insertion par le travail entre reconnaissance et déqualification : L'expérience des usagerꞏes de l'Insertion par l'Activité Économique - Axelle Peltier p. 121-148 L'orientation des usagerꞏes vers le marché du travail est devenue une finalité de plus en plus centrale des politiques d'insertion. En contribuant à la dégradation de la condition salariale et à la progression d'une forme d'injonction à la « mise au travail », cette tendance à « l'activation » fragiliserait la fonction intégrative de ce secteur d'action publique. L'objet de cet article est d'appréhender ces effets à partir de l'expérience des salariéꞏes du secteur de l'Insertion par l'Activité Économique (IAE). Cette approche centrée sur la réception de l'action publique dans une perspective intersectionnelle permet d'éclairer l'ambivalence qui caractérise le rapport qu'iels entretiennent au dispositif. La tension entre le rôle intégrateur du travail d'insertion et sa dimension déqualifiante se décline ainsi de manière différenciée selon l'inscription de ces usagerꞏes des politiques d'insertion dans les rapports de classe, de genre et de race.Since the emergence of integration policies, directing people towards the labor market has become an increasingly central objective. Contributing to the deterioration of workers' conditions and the development of a sort of injunction to 'get to work', this trend towards 'activation' can undermine the integrative aspect of this field of public action. The aim of this article is to understand these effects based on the experience of employees included in the Insertion par l'Activité Économique (integration through work) program. This approach, which focuses on the reception of public action from an intersectional perspective, provides an insight into the ambivalence that characterizes how beneficiaries relate to the program. The tension between the integrative role of integration policies and how they degrade people's skills is expressed in different ways, depending on how these beneficiaries of integration policies identify in terms of class, gender and race.
- Se socialiser aux forces de l'ordre à l'adolescence : Une analyse intersectionnelle de la construction des représentations sur la police - Pierre Pozzi p. 149-173 Très présente médiatiquement et politiquement en France, la question des rapports entre la police et la population constitue un champ de recherche fécond. Cet article propose d'étudier la manière dont les jeunes, de divers horizons, construisent des représentations sur les forces de l'ordre. Ainsi, il s'agit d'analyser, à partir d'une perspective intersectionnelle, comment les contacts influencent les perceptions juvéniles de ce service public et, à travers lui, de l'État. L'enquête confirme le rôle prépondérant des contrôles d'identité dans les processus de socialisation à l'institution policière et à ses agent∙e∙s, en particulier pour les jeunes hommes racisés qui y sont confrontés. Elle met, par ailleurs, en évidence l'effet des contacts sollicités mais aussi des expériences indirectes racontées par des proches, notamment des jeunes femmes, dans le cadre de la prise en charge des violences sexistes et sexuelles.The issue of police-population relations, which receives a great deal of media and political attention in France, is a fertile field for research. This article examines the ways in which youths, across a wide range of sociological backgrounds, construct representations of the police. Using an intersectional perspective, the aim is to analyze how contact with police forces influences youths' perceptions of this public service and, by extension, of the state. The study confirms the key role played by identity checks in the process of socialization with the police and its officers, particularly among young, racialized boys who are the main targets of ID checks. It also highlights the impact of solicited contacts and indirect experiences reported by friends and family, particularly among young girls, in dealing with gender-based and sexual violence.
- Faire reconnaître l'homophobie : Une affaire de race, de genre et de classe au Défenseur des droits - Trung Nguyên-Quang p. 175-206 À partir des réclamations adressées au Défenseur des droits pour « discrimination à raison de l'orientation sexuelle », cet article s'intéresse aux pratiques discursives de présentation de soi des réclamantꞏes, et à l'impact de ces pratiques sur l'instruction des réclamations par les agentꞏes de l'institution. Adossé à des données quantitatives et qualitatives, l'article montre comment les propriétés sociales des réclamantꞏes – en particulier leurs positions de genre et de race – infléchissent le processus judiciaire de reconnaissance de l'homophobie. L'analyse du récit de l'expérience de l'homophobie montre également que la capacité à formaliser discursivement un acte homophobe pour le faire reconnaître par les catégories du droit se situe tendanciellement dans le haut de l'espace social. La judiciarisation de l'homophobie produit ainsi un sujet de droit sexuel idéal-typique, à la croisée des rapports sociaux de classe, de genre et de race.Based on complaints lodged with the defender of rights for “discrimination on the grounds of sexual orientation”, this article looks at the discourse used by claimants to introduce themselves, and the impact of this discourse on the investigation of complaints by the institution's officers. Using quantitative and qualitative data, the article shows how the social attributes of claimants - in particular their gender and racial positions - influence the judicial process of recognizing homophobia. The analysis of accounts of experiences of homophobia also shows that the ability to discursively formalize a homophobic act with a view to having it recognized under the terms of the law tends to be found among people in higher positions on the social ladder. The judicialization of homophobia thus produces an ideal-typical subject of sexual law, at the crossroads of social relations based on class, gender and race.
- Comprendre « la boîte noire » de la bureaucratie représentative : Identités raciales, respect et contraintes bureaucratiques - Celeste Watkins-Hayes, Stéphanie Alkofer, Thomas Douniès, Gwenaëlle Perrier p. 207-246
- Expériences de l'État et imbrication des rapports sociaux : Une sociologie de la rencontre bureaucratique au pluriel - Prunelle Aymé, Thomas Douniès, Gwenaëlle Perrier p. 5-28
Hors-champ
- Trajectoires contrastées et formes d'engagement de femmes sans-papiers - Joanne Le Bars p. 247-272 Cet article propose de revenir sur la lutte menée à la fin des années 2000 par une association parisienne pour la régularisation des femmes sans-papiers à partir des trajectoires d'engagement de trois militantes algériennes et marocaines issues des classes populaires ou moyennes citadines. La création de l'association par des militantꞏes fortement pourvuꞏes en capitaux culturel et social participe à son position-nement favorable dans l'espace militant et dans la lutte engagée pour la régularisation par le travail de femmes sans-papiers. Le nouvel agenda autour de l'égalité femmes/hommes initié dès les années 1960 participe aux logiques de consolidation de la figure de la travailleuses sans-papiers ainsi qu'à l'émergence, à l'échelle internationale, de la figure de la travailleuse domestique. Face au déclassement engendré par l'absence de titre de séjour en France, l'association offre aux militantes les plus dotées en capital culturel des « canaux de mobilités » pour l'ascension sociale et une place d'encadrement en son sein. Dans le prolongement du travail domestique invisibilisé que les participantes à l'enquête réalisent sur la scène professionnelle, leur travail militant reste marqué par des hiérarchies participant à réassigner ces femmes à un travail du care moins valorisé. Quant aux moins pourvues des militantes, elles occupent une position minorisée au sein de l'association. Le caractère inédit de cette régularisation collective dessine en creux l'hétérogénéité contenue dans la figure de « la travailleuse sans-papiers » et les formes aiguës de domination au croisement de la classe, du genre et de la race qui affectent les trajectoires des femmes sans-papiers.This article examines the struggle led at the end of the 2000s by a Paris-based group campaigning for the legalization of undocumented women, based on the experiences of three Algerian and Moroccan women activists from working-class and middle-class urban backgrounds. The fact that the group was founded by activists with a high level of cultural and social capitals contributed to its ability to position itself favorably in the sphere of activism and in the fight for the legalization of undocumented women through work. The new agenda for gender equality initiated in the 1960s contributed to the consolidation of the figure of the undocumented woman worker, as did the emergence of the figure of the housemaid at an international level. Shaped by political context and opportunities, the trajectories of female activists also depend on their dispositions, the structure of activist organizations and the social profile of their leadership. Faced with the marginalization caused by not having a residence permit in France, the group provided the activists who had the highest levels of cultural capital with "channels of mobility" to move up the social ladder and secure a leadership position in the group. In line with the invisibilized domestic work carried out by the women we spoke to in their professional lives, the campaigning work they do is still subject to a gendered hierarchy that reassigns women to less valued care work. Those with lower levels of social and cultural capital occupy minority positions within the group. Ultimately, the unprecedented nature of the obtained collective legalization reveals the heterogeneity behind the figure of the "undocumented worker" and the acute forms of domination at the intersection of class, gender and race that characterize the trajectories of undocumented women.
- La prise en charge de l'école par les pères pendant le confinement de 2020 : Une distance non exempte de gratifications - Julie Landour, Pascal Barbier, Jean-Marie Le Goff p. 273-296 À partir d'une enquête par entretiens auprès de parents hétérosexuels d'enfants scolarisés en France et en Suisse, l'article rend compte des mécanismes qui ont perpétué la prise en charge genrée du travail scolaire au cours du confinement du printemps 2020. Il confirme d'abord que les femmes ont maintenu leur prise en charge principale du travail scolaire, quelle qu'ait été leur disponibilité ou celle de leur conjoint. Il présente ensuite la manière dont les pères ont justifié leur retrait du travail scolaire, tout en bénéficiant de la reconnaissance de leur aide ponctuelle. Il montre enfin les configurations familiales et les propriétés sociales spécifiques qui favorisent l'implication scolaire de quelques pères sur la période.Based on a study of interviews with heterosexual parents of schoolchildren in France and Switzerland, this article describes the mechanisms that perpetuated the gendered approach to schoolwork during the spring 2020 lockdown. It first confirms that women continued to take primary responsibility for schoolwork, regardless of their availability or that of their partner. It then looks at the way in which fathers justified staying away from schoolwork, while seeing their occasional help recognized. Finally, it shows the particular social characteristics of the few fathers who became involved in schoolwork over the period.
- Trajectoires contrastées et formes d'engagement de femmes sans-papiers - Joanne Le Bars p. 247-272
- Notes de lecture - Pascale Molinier, Ilana Eloit, Florence Tamagne, Clotilde Lemarchant, Séverine Depoilly p. 297-318