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Revue Actes de la recherche en sciences sociales Mir@bel
Numéro vol. 26, no. 1, 1979
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Une jeunesse difficile - Laurent Thévenot p. 3-18 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Une jeunesse difficile Les jeunes contrecarrent les plans du statisticien. Quand ils n'échappent pas tout simplement à son comptage parce qu'ils n'appartiennent à aucun ménage, comme par exemple les jeunes travailleurs vivant en foyer ou les jeunes placés dans des établissements spécialisés, ils se prêtent mal au classement, même dans les grilles les plus éprouvées. Déjouant l'opposition actif/inactif, ils circulent entre des statuts intermédiaires tels que ceux d'aide familial, de militaire, de stagiaire en entreprise ou même de chômeur. Mais ces statuts souvent conçus à leur intention, s'avèrent aujourd'hui inadéquats pour rendre compte du continuum insécable qui s'est constitué entre la position du jeune assisté par sa famille ou par l'école et celle de l'adulte rétribué pour son travail. Aussi les retrouve-t-on relégués dans des catégories statistiques déclassées, dans des populations de «comptés à part», d'actifs ou de chômeurs «marginaux». Cependant, cette instabilité prolongée n'a pas le même sens pour tous les jeunes quelle que soit leur origine sociale, Fadolescence des jeunes issus des classes populaires ne coïncidant que de façon très éphémère et très superficielle avec celle des autres classes sociales. Les titres scolaires des jeunes issus des milieux populaires sont les moins valorisés sur le marché du travail mais si les employeurs recherchent toujours cette main-d'œuvre pour sa vigueur et sa soumission, ils ne peuvent plus cependant, comme autrefois, l'embaucher ouvertement au titre de jeune et ils ont abandonné les appellations d'emploi telles «garçon», «gamin», «fille» au profit d'intitulés suggérant un véritable «métier», payant ainsi en «monnaie de singe» la possession de diplômes. Les difficultés que rencontre le statisticien pour classer ces jeunes inclassables l'incitent à se rabattre sur le critère de l'âge, apparemment plus univoque. Mais la précision numérique de cette variable, que l'on oppose aux définitions vagues et arbitraires que donne le sens commun du clivage «jeune»/«vieux» ne fait que masquer l'enjeu social que constitue l'établissement de cette frontière. En examinant le sorite paradoxal du tas, paradigme de l'opposition flou/net et en confrontant les analyses purement logiques qui en sont faites aux usages sociaux de cette dialectique (entre «jeunes» et «vieux» d'une même profession par exemple), on met en évidence les présupposés qui fondent le paradoxe.
    Difficulties in Classifying Youngsters. Youngsters thwart the plans of the statisticians. If they don't immediately fall outside his reckoning through not belonging to any household, as is the case with young workers living in hostel accommodation or those youngsters housed in specialized establishments, they lend themselves badly to classification, even when using the most tried-and-tested grids. Frustrating the opposition between active and inactive, they circulate between the intermediate statuses of soldier, probationary employee or even unemployed. But these statuses frequently designed with them in mind, now prove inadequate in accounting for the indivisible continuum that has formed between the position of the youngster who is assisted by his parents or by the school and that of the adult in gain ful employment. So we find them relegated to downgraded statistical categories in populations of people «to be counted separately» or as active persons or unemployed persons «on the fringe». Nonetheless, this prolonged instability does not mean the same for all youngsters irrespective of their social origin, the adolescence of youngsters from the working class coinciding only very briefly and superficially with that of youngsters from other social classes. The academic qualifications of youngsters from working-class backgrounds are the least valued on the job-market but if employers persist in seeking out that manpower for its vigour and submissiveness, they are however no longer able, as in the old days, to take them on openly as youngsters and they have dropped job titles such as «lad», «boy» or «lass» for titles suggesting a genuine «skill», thereby getting round the youngsters school qualifications by fobbing them off with empty promises. The difficulties encountered by the statistician in classifying these unclassifiable youngsters prompt him to fall back on the criterion of age, ostensibly more unequivocal. But the numerical precision of this variable, which they set against the vague and arbitrary definitions produced by the common-sense rift «young»/«old» merely conceals the important social crux that is at the heart of the drawing up of these lines of demarcation.
  • Jeunes sans avenir et travail intérimaire - Michel Pialoux p. 19-47 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Jeunesse sans avenir et travail intérimaire. En s'appuyant sur un ensemble d'études monographiques conduites,au cours des années 70, dans plusieurs «Grands Ensembles» et dans diverses cités de transit ou d'urgence de la région parisienne et sur le recueil d'histoires scolaires et professionnelles, on a cherché à éclairer les conditions dans lesquelles les «jeunes» de ces cités — groupe qui a ici une réelle existence collective entrent sur le marché du travail et tentent d'y développer des stratégies de relative amélioration de leur statut en utilisant notamment les possibilités qu'offre l'expansion très rapide du travail intérimaire. La compréhension des affrontements qui se déroulent sur le marché du travail suppose la connaissance précise des conditions dans lesquelles ces jeunes ont grandi, du rapport qu'ils entretiennent avec «leur» cité —monde clos et haï—, de la manière dont ils ont vécu leur échec scolaire et, notamment, leur relégation dans les sections-repoussoirs des collèges d'enseignement technique. Si une sous-culture apparaît dans l'espace de la cité, elle se constitue d'abord dans le sentiment d'une indignité partagée. Dès leurs premières expériences du travail, qui sont vécues collectivement sur le mode très particulier des relations de bande, la plupart des jeunes découvrent que l'espoir d'une promotion professionnelle leur est interdit et qu'ils sont dépossédés de tout avenir. Dans les conditions spécifiques de la cité, il se constitue, chez ces adolescents, un système original d'attitudes, une forme particulière de «réalisme» qui les amènent à refuser les emplois non qualifiés proposés par la grande industrie (l'usine, la chaîne, le pointage) et les petites entreprises (le travail de «larbin» qui expose à des humiliations fréquentes) et à s'emparer de la formule du travail intérimaire, c'est-à-dire à s'engager dans une logique du «coup par coup» en recherchant des emplois précaires, interchangeables, à haut risque, mais dans lesquels il est possible, éventuellement, de «tenter sa chance». Une homologie existe entre la structure des dispositions créées par la vie dans la cité et celle qui est attendue des ouvriers qui s'embauchent régulièrement en intérim. Certes, ces jeunes entretiennent des rapports différents avec le travail intérimaire, rapports fatalistes ou résignés, en certains cas, réalistes ou «stratégiques» en d'autres. Il reste que le travail intérimaire fait apparaître comme vertus professionnelles des traits de comportement qui jusqu'alors avaient plutôt été jugés comme des symptômes d'inadaptation sociale, et que cette situation sert les intérêts d'un type déterminé d'entreprises. A certains égards, le comportement de ces jeunes observés au milieu des années 1970, préfigure, sur un mode paroxystique, celui de larges fractions de la jeunesse ouvrière, démoralisée, déçue et placée en porte-à-faux, à la fois par l'aggravation de la crise économique et par les transformations du système scolaire qui accentuent de plus en plus le décalage entre les aspirations des individus et les chances que leur offre réellement le système économique.
    Youngsters with no Prospects and Temporary Employment. Using a body of monographic studies conducted during the nineteen seventies in several housing estates and in a variety of short-term residences and hang-outs in the Paris area, and drawing on academic and professional case-histories, anattempt lias been made to illuminate the conditions in which the «youngsters» from these abodes —a group which in this case has a genuine collective existence— enter onto the job market and try to work out ways of bringing about a relative improvement in their status, notably by using the openings made available by the boom in temporary employment. To understand the confrontations taking place on the job market presupposes a detailed knowledge of the conditions in which these youngsters grew up, of the relationship between them and «their» community —a closed and hated world— and of the way they experienced their school failure and above ail their relegation to the «cast-off» sections of the Technical training Colleges. If a sub-culture does emerge in these communities, it is constituted first and foremost through the feeling of shared indignity. Starting from their first work-experiences, lived out collectively on the highly distinct level as a gang-spirit, the majority of the youngsters discover that all hopes of professional advancement are barred to them and that they are robbed of any future. In the specific conditions of their home community, adolescents develop a System of attitudes peculiar to themselves, a peculiar form of «realism» which leads them to turn down the unskilled jobs offered them by heavy industry (the factory, the assembly-line, clocking in) and by petty commerce (the «flunkey's» tasks which lay them open to repeated humiliation) and to seize upon the formula of temporary jobs; in other words, they commit themselves to a logic of the «piece-meal», by seeking out unstable, interchangeable and high-risk jobs which nonetheless offer a potential opportunity to «try one's luck». There is a likeness between the structure of the outlook as fostered by life within the home community and what is expected from workers who regularly sign on for temporary employment. Naturally these youngsters entertain a whole variety of relation-ships with temporary work —those of resignation and fatalism, in some cases, in others those of realism or ruse. The fact remains that temporary work appears to make professional virtues out of behaviour traits formerly judged to be symptoms of social maladjustment, and that this situation serves the interest of a certain class of firm. In certain respects, the behaviour of these youngsters, studied in the mid —seventies, foreshadows in an extreme form that of large sections of working youngsters, demoralised, disappointed and placed in a precarious predicament, both as a resuit of the worsening economic recession and the transformations in the System of schooling which accentuate further still the rift between the aspirations of the individual and the opportunities really offered him by the economic System.
  • Jeunes à tout faire et petit patronat en déclin - Gabrielle Balazs, Jean-Pierre Faguer p. 49-55 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Jeunes à tout faire et petit patronat en déclin. Jusqu'à la création de l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE), institution chargée de placer et d'assister l'ensemble des chômeurs, il existait à Paris et dans la région parisienne des services de placement réservés aux jeunes de moins de dix-huit ans. Ceux-ci n'avaient, pour la plupart, aucune formation scolaire au-delà du CEP; ils étaient recrutés principalement par le petit patronat parisien qui trouvait là la main-d'œuvre bon marché dont il avait besoin. Cet article s'appuie sur l'observation d'un de ces services au cours de ses dernières années de fonctionnement ainsi que sur l'analyse d'offres d'emploi et d'une cinquantaine d'interviews d'employeurs, réalisées en 1971. Les employeurs se plaignent alors d'une crise de l'apprentissage et de la difficulté à recruter et surtout à conserver des jeunes non qualifiés du fait de la prolongation de la scolarité jusqu'à seize ans et, plus généralement, du fait de la poursuite des études, après l'école primaire, d'une grande partie des enfants des classes populaires. L'analyse des raisons qui conduisent les employeurs à s'adresser à des jeunes plutôt qu'à d'autres catégories de main-d'œuvre fait apparaître que les emplois qu'ils leur proposent sont définis plus par les caractéristiques sociales des personnes conduites à les occuper que par les caractéristiques techniques des postes. Qu'il s'agisse d'emplois de coursier, de manutentionnaire, de vendeuse ou d'aide de bureau, les employeurs recherchent sans doute la force physique, mais ils recherchent surtout l'adaptabilité des jeunes aux tâches les plus diverses (nettoyage, courses, vente, production), qualité autant technique que morale. C'est pourquoi la nationalité, la couleur de la peau, le sexe, l'apparence physique, enfin la manière d'être sont pour ces petits patrons autant d'indicateurs des aptitudes à occuper les postes proposés. Quelques grandes entreprises, banques, assurances, entreprises industrielles, s'adressent également à ce bureau de placement mais pour les postes les plus instables ou considérés comme les moins qualifiés. Assimilés parfois aux handicapés et aux cas sociaux, les jeunes sont mis en concurrence avec les retraités, les étudiants, les femmes ou les travailleurs étrangers, pour des postes à taux de rotation élevée.
    Youth-of-all-Work and the Decline of the Small Employer. Up until the creation of the Agence Nationale pour l'Emploi (the ANPE; National Employment Agency) responsible for assisting and finding jobs for ail unemployed persons, there already existed in Paris and the Paris area placing services intended for the under-eighteens alone. The majority of these youngsters had no school training beyond CEP level. (Certificat d'études primaires: Primary Education Certificate, the earliest nationally-recognized qualification for French schoolchildren, obtained around the age of fourteen). They were recruited principally by lesser Parisian employers who found in them the cheap work force they needed. This article is based on the observation of one of these services in the course of the last years of its operation as well as on the analysis of job offers and around fifty interviews with employers, carried out in 1971. At that time employers complained about a shortage of apprentices and the difficulty in recruiting and above all in keeping on unskilled youngsters as a result of the extension of the school-leaving age to sixteen and, more broadly, as a result of further study, following primary school, by a large proportion of working-class children. The analysis of the reasons which bring employers to apply to youngsters rather than to other categories of the work force shows that the type of job they offer them are defined more by the social characteristics of the persons for whom the jobs are intended than by the technical characteristics of the jobs themselves. Whether it be a job as messenger, packer, shop-assistant or office-help, the employers are doubtless looking for physical toughness, but they are looking above all for the adaptability of the youngsters to a wide range of tasks (cleaning, running errands, selling, manufacturing), a technical as well as a moral quality. This is why nationality, skin-colour, sex, physical appearance, in short the sort of person one is, are for these lesser employers so many tell-tale signs of one's suitability for the jobs offered. Certain major concerns, such as banks, insurance firms, industrial companies, also apply to this agency but only for those posts which are insecure or deemed to require minimal skill. Occasionally lumped together with the handicap ped or society outcasts, youngsters are placed in competition with pensioners, students, women or foreign workers, when it cornes to looking for jobs with a high turnover rate.
  • L'invention du "troisième âge" - Remi Lenoir p. 57-82 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    L'invention du troisième âge. Le découpage des âges et les définitions des pratiques légitimes qui leur sont associées tiennent à l'apparition d'agents spécialisés dans la prise en charge des générations. L'invention d'une nouvelle étape du cycle de vie venant s'intercaler entre la maturité et la vieillesse —«le troisième âge» — résulte pour une large part de la généralisation des systèmes de retraite et des modes de traitement collectif de la vieillesse qui lui sont liés. Alors qu'elle n'était réservée qu'à une certaine catégorie d'individus, non spécifiés sous le rapport de l'âge, les indigents, la gestion collective des «vieillards» tend à devenir la formule normale de l'entretien des personnes dorénavant qualifiées «d'âgées». L'institutionnalisation de l'entretien de la vieillesse s'est accompagnée de l'emploi de techniques bureaucratiques de gestion administrative et financière, de la formation d'agents permanents et spécialisés et simultanément de la production de taxinomies visant à désigner et à distinguer l'activité de ces organismes. La différenciation progressive des agents manipulant la vieillesse tient à la généralisation des systèmes de retraites à l'ensemble des catégories sociales. Les caisses de retraite ont été confrontées à des demandes de formes nouvelles de prise en charge et ont trouvé dans l'augmentation des fonds affectés, par leur intermédiaire, à l'entretien de la vieillesse, les moyens financiers d'y répondre. Ces fonds, qui se sont considérablement accrus avec l'apparition des caisses de retraite complémentaires, constituent l'un des enjeux qui sont au principe de la formation d'un champ relativement autonome d'agents en concurrence pour leur contrôle et leur gestion. La production de nouveaux services en faveur des «personnes âgées» et la représentation de la vieillesse qui lui est liée (la «vieillesse, une nouvelle jeunesse») résultent pour l'essentiel de cette lutte. La formation de ce champ et, corrélativement, la constitution de la vieillesse comme classe d'âge autonome dont les propriétés tiennent fondamentalement à l'avance en âge —«les personnes âgées»— ont pour conséquence d'occulter le fait que la définition de la vieillesse est l'objet de conflits entre les classes sociales, ce que rappelle l'histoire de la mise en place des modes de traitement collectif de la vieillesse réservés à l'origine aux classes populaires. L'apparition du «troisième âge» ne saurait cependant être réduite à une sorte de manipulation des besoins à laquelle concourraient l'ensemble des agents intéressés par l'entretien de la vieillesse; le développement et la précocité de la prise en charge des personnes âgées par des institutions spécialisées résultent de la transformation des rapports entre générations. Ces transformations ont, semble-t-il, affecté plus particulièrement les classes moyennes qui trouvent dans le «troisième âge» une sorte d'identité sociale et un débouché à leur besoin d'activités.
    The Invention of the «Senior Citizen» The distribution into age-groups and the definitions of the legitimate practices associated with them follows the emergence of instruments specialized in the welfare of the different age-groups. The invention of a new stage in the life-cycle bridging maturity and old age «the third age»* - is to a large extent the resuit of the widespread development of Systems of retirement and the modes of collective treatment of old age which are linked to these. Whereas it was formerly only reserved for a certain category of individuals, indeterminate with respect to age —the destitute-the collective management of «old people» is tending to become the current formula for the maintenance of persons henceforth labelled «the elderly». The institutionalisation of the maintenance of old people was accompanied by the implementation of bureaucratic techniques of administrative and financial management, by the training of full-time specialized officers and at the same time by the production of classifications intended to designate and distinguish the area of activity of these different agencies. The progressive differenciation of the agencies handling the needs of old people is directly linked to the spread of retirement Systems to encompass ail social categories. Pension aid funds have had to face demands for new forms of welfare, and have been able, by increasing the funds held by them and allotted to the care of old people, to meet these demands financially. These funds, which have increased considerably with the emergence of supplementary pension funds, constitute one of the elements at stake which are at the root of the formation of a relatively autonomous field of agencies competing for their control and management. The production of new facilities catering for «the elderly» and the representation of old age which is associated with this («old age is a new lease of life») are essentially offshoots of this struggle. The formation of this field and, associated with this, the constitution of old age as an autonomous age-class whose properties are basically a function of advancing years i.e., «the elderly» — all these phenomena necessarily obscure the fact that the definition of old age is the object of conflicts between the social classes, a fact we are reminded of by the history of the setting up of modes of collective treatment of old people which initially catered for the working classes. The emergence «the third age» may not however be solely accounted for in terms of a manipulation of those needs competed for by the entire body of agencies concerned by the care of old people. The evolution of the maintenance of the elderly by specialized institutions, and the increasing earliness at which it takes place result from deep changes in the relations between generations. It would seem that these transformations affected more particularly the middle classes who find in the concept and functions of the «third age» a sort of social identity and an outlet for their need to fulfill certain activities. *«Troisieme âge» here translatee neutrally as «third age», corresponds to the earlier years of retirement, whether supported or not by a pension-assured income. The French formula corresponds to the Anglo-saxon formula «senior citizen».
  • Jeunes agriculteurs et vieux paysans - Patrick Champagne p. 83-107 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Jeunes agriculteurs et vieux paysans. Le développement des clubs du 3ème âge en milieu rural n'est que le symptôme secondaire de transformations plus générales de l'économie des échanges entre générations, à l'intérieur de familles paysannes notamment. Une enquête monographique effectuée dans un village du Bas-Maine montre que l'implantation de ces clubs est liée à l'accroissement du nombre de paysans retraités et «désoccupés» qui ont dû céder, de façon précoce, l'exploitation à leurs enfants. Mais la crise de la succession qui affecte nombre de familles paysannes et qui trahit l'affaiblissement de la position de la famille comme telle dans les mécanismes de reproduction sociale n'aurait peut-être pas suffi à assurer le succès des clubs du 3ème âge si, dans le même temps, ne s'était produite une déstructuration du groupe villageois. L'isolement des paysans âgés ne pouvait, en effet, que croître avec l'individualisation des travaux agricoles (liée à la mécanisation) et le repliement sur la famille nucléaire. Les clubs du 3ème âge, en cherchant à regrouper les paysans isolés pour mettre fin à leur isolement, constituent sans doute une sorte «d'autogestion de la prise en charge morale» de la vieillesse; mais on peut se demander si leur fonction sociale essentielle ne réside pas dans le travail d'euphémisation et dans la légitimation du déclassement social qu'ils opèrent implicitement. La mise à l'écart, par les enfants, des parents âgés n'est pas sans poser des problèmes moraux et affectifs, comme on le voit dans le cas-limite que représente le placement en maison de retraite. L'analyse de la médicalisation de la vieillesse permet de saisir comment la mauvaise conscience individuelle parvient à se transmuer en bonne foi collective.
    Young Farmers and Old Peasants The growth of senior citizens' clubs in a rural environment is merely a minor symptom of wider transformations in kinship interchange between different generations, notably within peasant families. A monographic survey carried out in a village in the Bas-Maine reveals that the setting up of these clubs is linked to the growth in the number of peasants who are either retired or not in gainful employmenf, who have had to hand over prematurely the running of the farm to their children. But the shortage of effective heirs to the estate which affects a good many peasant families and which betrays the weakening of the position of the family as such within the machinery of social reproduction would not alone have sufficed to ensure the success of the senior citizens' clubs had there not taken place a simultaneous dismemberment of the village group. The isolation of the old peasants was effectively bound to increase given the individualisation of farm labour (linked to mechanization) and the withdrawal into the nuclear family that accompanies this. The senior citizens' clubs, by seeking to rally isolated peasants in order to put a stop their isolation, doubtless constitute a sort of 'self-management of welfare' of old people; but we may ask ourselves whether their essential social function is not more concerned with cushioning and legitimizing a loss of social status, a function which they implicitly fulfil. The discarding of aged parents by their children necessarily creates moral and affective problems, as illustrated by the borderline case of parents being sent to Old Peoples Homes. To analyse the socio-medical care of old people is to grasp the ways in which the bad conscience of the individual insidiously becomes the good intentions of society at large.
  • Conflit de générations et changement culturel. Réflexions sur le cas de Vienne - Carl E. Schorske p. 109-116 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Conflit de générations et changement culturel : le cas de Vienne. La théorie freudienne du conflit œdipien n'est pas sans rapport avec le développement, en Autriche, des luttes entre générations qui, à la fin du 19ème siècle, se sont exacerbées dans la fraction intellectuelle de la bourgeoisie. L'ensemble de la production idéologique de cette époque est marqué, en effet, par ce conflit, comme en témoigne le recours à l'expression Jungen pour désigner les mouvements politiques, littéraires et artistiques qui ont alors bouleversé le milieu culturel viennois. Le mouvement littéraire qui vit le jour dans les années 1880 sous le nom de Jung-Wien regroupa la jeune intelligentzia bourgeoise, déçue par le nationalisme allemand et l'antisémitisme qui lui était hé; l'identité du groupe dont les œuvres étaient très hétérogènes sur le plan stylistique reposait essentiellement sur une définition commune de la «modernité», comme mode d'existence et forme de sensibilité détachés de l'histoire et sur une vision du monde pessimiste et égocentriste. Pas plus que la Jung-Wien, le mouvement artistique La Sécession qui lui a succédé ne s'est unifié à partir de principes esthétiques; il n'a fait que reprendre des éléments propres aux deux mouvements qui l'ont précédé, aux Jungen populistes, la théorie de la génération culturelle et de la révolte contre la corruption et à la Jung-Wien le modernisme anti-historique et le cosmopolitisme esthétique. L'exploration psychologique des rapports entre générations qui caractérise ce mouvement et qui trouvera sa forme la plus achevée dans les écrits de Freud, résulte du traumatisme qu'a subi cette génération devant la dissolution du libéralisme sous tous ses aspects. Mais à la différence de ceux qui voyaient, dans cette crise, l'effondrement de la culture rationaliste, Freud interprète l'expérience unique de cette génération dans les termes de la relation universelle entre père et fils.
    Generational Tension and Cultural Change : Reflections on the Case of Vienna. The Freudian theory of Œdipal conflict is not unrelated to the development, in Austria, of the struggles between the generations which, at the close of the 19th century, worsened in the intellectual section of the bourgeoisie. The entirety of the intellectual output of that period effectively bears the stamp of this conflict, as witness the recourse to the term Jungen to designate the political, literary and artistic movements which shook the Viennese cultural milieu at that time. The literary movement which emerged in the 1880's under the name of Jung-Wien rallied together the young middle-class intelligentsia, disappointed by German nationalism and the antisemitism which was linked to it; the identity of the group whose works were highly heterogeneous on the stylistic level rested essentially on a common definition of «modernity», as a mode of existence and a form of sensitivity detached from history, and also on a pessimistic and egocentric world-view. No more than had been the case with the Jung-Wien, the unifying basis of the artistic movement Secession which succeeded it was not aesthetic principles; it merely took up the principles peculiar to the two movements which preceded it; from the populist Jungen, the theory of cultural generation and the revolt against corruption; from the Jung-Wien, anti-historical modernism and aesthetic cosmopolitanism. The psychological exploration of the relations between the generations which characterizes this movement and which will find consummate expression in the writings of Freud, springs from the trauma suffered by a generation confronted by the dissolution of liberalism in ail its aspects. But unlike those who saw in that crisis the collapse of rationalist culture, Freud interprets the unique experience of that generation in terms of the universal relationship between father and son.
  • Les enfants illégitimes - Abdelmalek Sayad p. 117-132 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Les enfants illégitimes. Le long récit par lequel Zahoua retrace l'histoire de l'émigration de sa famille et décrit les relations à l'intérieur de sa famille et hors de sa famille (et, par-delà cette expérience immédiate, avec les sociétés française et algérienne) est, pour une bonne part, le produit de la position particulière qu'elle occupe à l'intérieur de sa famille. Cette position qui lui permet d'adopter à la fois le point de vue de l'observateur et celui de l'observé la conduit à une véritable analyse de sa condition d'émigrée et de fille d'émigrés. Cependant, l'auto-analyse atteint vite, ici, à la socio-analyse. Sans doute, à travers le travail d'objectivation qu'elle entreprend, Zahoua vise-t-elle, d'abord, à se donner la maîtrise d'une situation conflictuelle et à réaliser un équilibre entre les sollicitations contradictoires auxquelles elle est soumise; mais plus fondamentalement, elle atteint à la vérité objective de la condition d'émigré dont elle dévoile les dissimulations et les illusions. En opérant de la sorte, elle découvre toutes les contradictions dont est porteuse l'émigration et tous les conflits qu'elle suscite. Ces conflits qui, le plus souvent, sont décrits en termes psychologiques sont formulés ici dans leur véritable dimension sociologique car en même temps qu'ils sont énoncés, sont données les conditions sociales de leur genèse. Ainsi, il est fréquent, comme le montre l'exemple même de Zahoua, que les situations respectives des parents et des enfants correspondent à deux séries de drames distincts mais inséparables les uns des autres. Séparés par le hiatus engendré par l'émigration, les enfants apparaissent aux yeux de leurs parents qui ne se reconnaissent plus en eux, comme des «bâtards, des enfants sur lesquels on s'interroge, bref des enfants illégitimes». Et par delà le rapport malheureux à ses parents, c'est tout ce qui fait en propre la condition malheureuse des émigrés que Zahoua découvre.
    Illegitimate Children. Zahoua's long account tracing the story of the emigration of her family and describing the relationships both within her family and outside it (and, beyond that immediate experience, the relationships with French and Algerian society) is, to a large degree, the product of the peculiar position she occupies within her family. This position, enabling her to adopt both the point of view of the observer and that of the observed leads her to a genuine analysis of her condition —that of an émigré and that of an expatriate family's daughter. However, self-analysis in her case quickly turns into social analysis. Through her attempts to objectify her own predicament she is doubtless aiming, initially, to master a situation frought with conflict and achieve a balance between the contradictory pulls to which she is subjected. At a deeper level, however, she touches on the hard facts of the emigre's predicament and exposes its illusions and dishonesties. By proceeding in this way, she lays bare ail the contradictions inherent to emigration and all the conflicts it provokes. These conflicts, invariably described in psychological terms, are here formulated in their true sociological dimension insofar as the author both sets them out and describes the social conditions which gave rise to them. It is therefore frequently the case —witness the very example of Zahoua that the respective situations of the parents and of the children correspond to two sets of personal dramas which are both distinct yet inseparable. Severed by the gulf created by emigration, the children appear to the eyes of their parents, who no longer recognize themselves in them, as «bastards, endless sources of perplexity, in short, illegitimate children». Over and above the unhappy relationship with her parents, Zahoua lays bare the intrinsicality of the unhappy condition of the émigré.
  • Résumés - p. 133-142 accès libre