Contenu du sommaire
Revue | Actes de la recherche en sciences sociales |
---|---|
Numéro | vol. 47, no. 1, 1983 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Éducation et philosophie
- Les programmes, les hommes et les œuvres - Jean-Louis Fabiani p. 3-20 Les programmes, les hommes et les œuvres. Entre 1870 et 1914, la philosophie devient pour l'essentiel une activité universitaire, la production philosophique dépendant de manière croissante de l'organisation académique du savoir. Sous l'effet des transformations qui affectent le champ intellectuel, les professeurs de philosophie tendent à affirmer de nouvelles représentations de l'activité philosophique, que l'on peut saisir d'abord dans un certain état de la philosophie objectivée (comme ensemble des thèmes et des problèmes constitués comme philosophiques). C'est en référence au «monde autonome» de la philosophie objectivée qu'on analyse ensuite les stratégies intellectuelles et sociales des philosophes universitaires.Programmes, men and works. Between 1870 and 1914 philosophy becomes largely a university activity : increasingly, philosophical production depends on the academic organization of knowledge. As a result of the transformations of the intellectual field, philosophy teachers tend to put forward new representations of philosophical activity, which can initially be grasped in a particular state of objectified philosophy (the set of themes and problems defined as philosophical). The article then analyses the intellectual and social strategies of the university philosophers by reference to the «autonomous world» of objectified philosophy.
- L'école des philosophes - Louis Pinto p. 21-36 L'école des philosophes. La dissertation philosophique officiellement définie comme condition et signe d'une pensée «libre» et «personnelle» doit nombre de ses traits aux contraintes pesant sur la discipline scolaire : contraintes internes d'auto-reproduction d'une part et contraintes externes d'ajustement à un public large de profanes d'autre part. Cet exercice scolaire est le moyen pour accéder de la façon la plus économique aux degrés supérieurs des hiérarchies culturelles : effet de sens et effet de dépassement en sont les marques principales.Philosophers at school. The philosophy dissertation is officially defined as the condition and sign of «free», «personal» thinking but it derives a number of its features from the constraints bearing on the scholastic discipline. On the one hand, there are internal constraints of self-reproduction, on the other, the external constraints of adjustement to a large audience of lay readers. This scholastic exercise is the most economical way of reaching the higher levels of the cultural hierarchies. Its main characteristics are a «meaning effect» and a «supersession effect».
- Contribution à une histoire des rapports entre la sociologie et la philosophie - Wolf Lepenies p. 37-44 Contribution à une histoire sociologie et la philosophie. Comme la vieille dame disparue d'Alfred Hitchcock, la philosophie peut reparaître là où on ne l'attendait pas. En comparant des moments historiques de l'espace des disciplines, en Allemagne et en France, on peut interroger le système de relations complexe entre la philosophie, la psychologie expérimentale et la sociologie et observer, dans les jeunes disciplines, une alternance de l'emprunt à la légitimité intellectuelle de la philosophie et de la revendication d'une identité spécifique.A contribution to a history of the relationship between sociology and philosophy. Like Hitchcock's vanishing lady, philosophy can pop up again where it is least expected. A comparison of historical moments in the space of the disciplines in Germany and France makes it possible to examine the complex System of relations between philosophy, experimental psychology and sociology, and to observe an alternation in the younger disciplines between borrowing from the intellectual legitimacy of philosophy and the claim to a specifie identity.
- Les sciences sociales et la philosophie - Pierre Bourdieu p. 45-52 Les sciences sociales et la philosophie. En prenant la philosophie et son histoire pour objet, la sociologie peut apporter une contribution à l'effort de cette discipline pour se libérer des contraintes qui la déterminent. La philosophie tend à résoudre l'antinomie de l'historicité et de la vérité en procédant, par le commentaire, à une actualisation des oeuvres passées, qui suppose une négation plus ou moins complète de l'historicité. Les trois manières de traiter explicitement cette antinomie, la révélation de la révélation originaire (Heidegger), la construction rétrospective des philosophies passées comme pos- sibles théoriques (Kant) et la dialectique qui dépasse et conserve (Hegel), ont en commun le refus de l'histoire. Une véritable histoire sociale qui replacerait la philosophie dans le champ de production culturelle et dans le champ social dans son ensemble permettrait de comprendre les philosophies et leur succession autrement que comme la «philosophie philosophante de l'histoire» en même temps qu'elle permettrait aux philosophes du présent de se libérer de l'impensé institué qui est inscrit dans leur héritage.The social sciences and philosophy. By taking philosophy and its history as its object, sociology can make a contribution to the efforts of philosophy to free itself from the constraints which determine it. Philosophy tends to resolve the antinomy of historicity and truth by updating past works through commentary. This presupposes a more or less total denial of historicity. This refusal is common to the three ways of explicitly dealing with this antinomy : revelation of the primal revelation (Heidegger), retrospective construction of past philosophies as theoretical possibles (Kant), and the dialectic which transcends and conserves (Hegel). A genuine social history which would relocate philosophy in the field of cultural production and in the social field as a whole would make it possible to understand philosophies and their succession as something other than the «philosophizing philosophy of history» and would at the same time enable present-day philosophers to break free of the established «un-thought» written into their heritage.
- Les programmes, les hommes et les œuvres - Jean-Louis Fabiani p. 3-20
- Une réforme impossible - Dominique Julia p. 53-76 Une réforme impossible. L'expulsion des jésuites et la réforme administrative des collèges qui l'a suivie ont été l'occasion d'une vaste consultation menée auprès des élites concernées : universités, Parlements, officiers de justice, échevins et consuls ont été invités à donner leur avis sur une réforme éventuelle des cursus éducatifs. Le rassemblement de ces réponses permet de mieux mesurer où se situent dans la France d'Ancien Régime les résistances à une transformation des programmes. Avec l'analyse de trois réalisations concrètes — la réforme des écoles militaires en 1776, celle des programmes de deux collèges provinciaux, Langres et Embrun — et des conflits violents qu'elles suscitent, on saisit les enjeux du débat sur l'éducation nationale, et les raisons qui ont interdit aux collèges d'adapter leur structure aux attentes nouvelles.An impossible reform. The expulsion of the Jesuits and the subsequent administrative reform of the schools (collèges) gave rise to a nation-wide consultation of the relevant elites. The universities, the provincial parliaments, the officers of justice and municipal magistrates were invited to give their views on a possible reform of the structure of schooling. When these responses are brought together, it becomes easier to assess where the resistance to curriculum change came from in Ancien Regime France. Analysis of three actual reorganizations — reform of the military academies in 1776, curriculum reform in two provincial colleges, Langres and Embrun — and of the violent conflicts they provoked, sheds light on what was at stake in the debate on the educational System and the factors which prevented the colleges from adapting their structure to new expectations.
- Le champ universitaire parisien à la fin du 19ème siècle - Christophe Charle p. 77-89 Le champ universitaire parisien à la fin du 19e siècle. La réforme universitaire de la fin du 19e siècle a eu des conséquences sociales et intellectuelles inverses : le recrutement des professeurs s'homogénéise au profit des catégories les plus proches de l'institution scolaire par l'héritage culturel ou la proximité géographique ; en contrepartie, les stratégies de carrière se diversifient du fait de la naissance de nouvelles spécialités et de la, croissance du nombre de postulants possibles pour les chaires parisiennes. L'opposition traditionnelle entre établissements (droit, lettres, sciences, médecine, établissements d'érudition) se transforme de plus en plus en une opposition entre classes de carrière selon la hiérarchie plus fine des disciplines (anciennes, nouvelles, rares, en voie de consécration, etc.). Cela contribue à redéfinir la conception du rôle social et politique des universitaires dont les débats de l'affaire Dreyfus sont le produit direct.The Paris university field in the late 19th century. The university reform which took place at the end of the 19th century had opposite social and intellectual consequences. The recruitment of teachers was homogenized to the advantage of the categories closest to the academic institution by virtue of cultural heritage or geography ; on the other hand, career strategies were diversified through the creation of new specialisms and the increased number of possible candidates for Paris chairs. The traditional opposition between establishments (law, arts, sciences, medicine, learned institutions) was increasingly transformed into an opposition between classes of careers according to the more subtle hierarchy of disciplines (old, new, rare, those still in the process of consecration, etc.). This helps to redefine the conception of the social and political role of academies of which the debates in the Dreyfus affair are the direct product.
- Les professeurs de la République - Victor Karady p. 90-112 Les professeurs de la République. Les réformes de l'enseignement secondaire et supérieur public, introduites au début de la Troisième République (depuis 1877), ont profondément modifié l'exercice de la profession d'enseignant. Si la principale raison des réformes était politique — lutter contre la concurrence catholique dans le système scolaire —, elles ont provoqué la translation vers le haut de la stratification universitaire (développement accéléré des facultés), l'amélioration des conditions d'accès au professorat pour les candidats extérieurs à l'Ecole normale supérieure, la réévaluation des titres et des diplômes (surtout du doctorat), l'accroissement de la capacité compétitive des diplômés jadis marginaux dans le marché de l'emploi (docteurs non agrégés, agrégés non normaliens) et une augmentation générale de l'espérance de carrière de tous les professeurs. L'article recourt à de nombreux résultats d'enquêtes empiriques pour présenter les principaux aspects de la mobilité collective des universitaires relevant des transformations de la morphologie du corps professoral et du marché scolaire.Les professeurs de la République. The reforms of state secondary and higher education, introduced at the beginning of the 3rd Republic (from 1877), radically changed the teaching profession. While the main reason for the reforms was political — to fight Catholic competition in the educational System — they resulted in an upward shift of university stratification (a faster development of the faculties), better chances of entering the teaching profession for candidates outside the Ecole normale supérieure, an upgrading of academic qualifications (especially the doctorate), increased competitive capacity for qualification-holders who had previously been marginal in the job market {docteurs who were not agreges, agreges who were not normaliens), and generally improved career expectations for all teachers. This article draws on the findings of numerous empirical surveys to present; the main aspects of the collective mobility of academies stemming from the changes in the morphology of the teaching corps and in the educational market.
- L'économie politique à la conquête d'une légitimité, 1896-1937 - Lucette Le Van-Lemesle p. 113-117 L'économie politique à la conquête d'une légitimité, 1896-1937. L'introduction de l'économie politique dans les facultés de droit avait suscité la méfiance et la réserve des juristes conservateurs. Malgré la création de filières spécifiques et d'une agrégation spécialisée, l'économie politique était restée une matière dominée et une discipline auxiliaire. A partir de la guerre de 14-18 et des troubles monétaires qui s'en suivent, on ressent le besoin d'approfondir ces questions pour trouver des solutions aux problèmes de l'heure. A travers l'approfondissement des méthodes statistiques et l'effort pour construire l'objet de leur recherche, les économistes, renonçant à rechercher l'assimilation, affirment leur droit à la différence. Devant le rejet des juristes, ils réclament à partir de 1937 la création de facultés autonomes.Political economy fights for legitimacy, 1896-1937. The introduction of political economy into the law faculties aroused suspicion and reservations among conservative-minded law teachers. Despite the establishment of specific courses and a specialized agregation, political economy remained a dominated subject and an ancillary discipline. After the 1914-18 war and the subsequent monetary crises, the need was felt to go more deeply into these questions so as to find solutions to the problems of the day. Through the development of statistical methods and the effort to construct the object of their study, and abandoning the quest for assimilation, the economists asserted their right to be different. Rejected by the lawyers, from 1937 they demanded the creation of autonomous faculties.
- De la dangerosité au risque - Robert Castel p. 119-127 De la dangerosité au risque. Les nouvelles stratégies préventives ne se sont pas développées dans le prolongement des pratiques curatives assistantialistes ou répressives antérieures. Leur avènement a été rendu possible par une transformation des cibles : la pensée du risque substitue au sujet concret de l'intervention une combinatoire abstraite de facteurs désignant des ensembles statistiques comme «populations à risques», selon une logique probabilitaire et non causale. Ce nouveau découpage du risque permet d'autonomiser la gestion administrative des populations par rapport aux interventions sur le terrain, de rendre l'expertise indépendante de la prise en charge et de faire prévaloir un souci de dépistage et de surveillance systématique sur le souci d'assistance et de protection.From «dangerousness» to «risk». The new preventive strategies were not developed by an extension of the previous assistance-oriented or repressive curative practices. They came about through a transformation of the targets : the notion of risk replaces the concrete subject of intervention with an abstract combination of factors designating statistical sets as «populations at risk», in accordance with the logic of probability rather than cause. This new approach to risk makes it possible to autonomize the administrative management of populations relative to interventions on the ground, to make expertise independent of care and to set the concern with screening and systematic surveillance before the concern for assistance and protection.
- Résumés - p. 128-133