Contenu du sommaire : Politiques impérialistes

Revue Actes de la recherche en sciences sociales Mir@bel
Numéro no 171-172, mars 2008
Titre du numéro Politiques impérialistes
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Dossier : Politiques impérialistes

    • Empire et domination mondiale - Steinmetz George p. 4-19 accès libre
    • Impérialisme économique et impérialisme militaire américains. Un renforcement mutuel ? - Mann Michael p. 20-39 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article propose une typologie des différentes formes d'empire de l'ère moderne et cherche à y situer l'impérialisme américain. Il analyse ensuite deux phases récentes d'intensification de cet impérialisme : l'offensive néolibérale de détachement du dollar par rapport à l'étalon-or menée par les États-Unis dans les années 1970, et l'impérialisme militaire qui a connu un regain au cours des années 1990 et 2000. Ces deux phases sont-elles liées, comme l'avancent les théories du système-monde ? L'article répond par la négative, et suggère qu'elles ont été portées par différents groupes d'intérêt, mus par des motivations différentes, avec des conséquences différentes. Tandis que la phase d'intensification économique de l'impérialisme américain était soigneusement calibrée autour d'intérêts nationaux et parvint à préserver la domination globale exercée par les États-Unis, l'intensification militaire, beaucoup plus idéologique et émotionnelle, se révéla être un échec qui fragilisa dans une certaine mesure cette même domination.
      This paper defines the various types of empire seen in recent centuries and attempts to categorize American imperialism in these terms. It then discusses two recent intensifications of American imperialism: the US-headed neo-liberal/ floating dollar offensive that began in the 1970s, and the military imperialism intensifying during the 1990s and 2000s. It asks whether the two were closely connected as, for example, world systems theorists argue. It concludes they were not. They were pushed by different interest groups with different motivations and with very different consequences. Whereas the economic intensification was carefully calibrated to American interests and succeeded in preserving American global dominance, military intensification was much more ideological and emotional and has failed, to a degree undermining American dominance.
    • L'impérialisme moral. Les juristes et l'impérialisme américain (Philippines, Indonésie) - Dezalay Yves, Garth Bryant p. 40-55 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article vise à montrer les continuités entre la politique d'impérialisme moral, expérimentée à l'occasion de la colonisation des Philippines par les États-Unis au début du XXe siècle, et les stratégies de domination symbolique qui leur ont permis de s'imposer comme puissance hégémonique à la faveur de la guerre froide. En effet, les lawyers de Wall Street, qui furent les architectes de cette stratégie de légitimation de la colonisation, sont aussi les pères fondateurs du Foreign Policy Establishment, dont les réseaux ont conçu les stratégies et géré les institutions de la guerre froide. Dans les deux cas, cet impérialisme revendique son idéalisme, tout en s'appuyant sur une politique clientéliste : tant localement au sein des institutions d'État, que mondialement par la mise en place de réseaux éducatifs et philanthropiques qui assurent la sélection et la formation d'élites professionnelles modernistes et respectueuses des normes démocratiques. Cette politique hégémonique, qui se développe en complément aux interventions militaires, se trouve ainsi relayée et amplifiée par l'influence de ces élites périphériques, reconverties en « amis de l'Amérique». Afin de montrer la genèse de ces effets d'homologie, l'article analyse ensuite les trajectoires d'héritiers des juristes coloniaux, exclus du pouvoir par Soekarno, puis réinventés avec l'appui de la Fondation Ford autour de la figure hybride de défenseur des idéaux de justice et d'entrepreneur du droit des affaires, conformément au modèle imposé par l'élite juridique américaine.
      This article stresses the continuities between the US policy of moral imperialism, implemented during the colonization of the Philippines in the early 20th century, and the strategies of symbolic domination that buttressed US hegemony during the Cold War. The Wall Street lawyers who sought to make colonialism legitimate also happen to be the founding father of the foreign policy establishment, which later mobilized its networks to oversee the strategies and the institutions of the Cold War. In both cases, imperialism blended idealism and clientelistic policies locally, within state institutions, but also internationally, through the establishment of educational and philanthropic networks that ensured the selection and the training of modernist professional elites upholding democratic norms. This hegemonic policy that unfolds in parallel to military interventions is relayed and amplified by the influence of these elites in the periphery, often reconverted into “friends of the United States”. The article then proceeds to analyze these homologies by tracing the trajectories of the heirs of colonial jurists, first expelled from power by Sukarno and later reinventing themselves, with the assistance of the Ford Foundation, as both defenders of a law-based ideal of justice and corporate law entrepreneurs, following a model imposed by the US legal elite.
    • Genèse de l'État colonial. Politiques colonisatrices et résistance indigène (Malaisie britannique, Philippines américaines) - P. S. Goh Daniel p. 56-73 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article dépasse le clivage entre les explications socioculturelles et néo-weberiennes de la formation des États coloniaux en se concentrant sur la figure des gouverneurs coloniaux comme principaux agents dans le processus de construction de l'État qui se joue entre la métropole et la colonie. Il montre que la résistance de la part des populations locales était un élément central de la formation de l'État qui « interférait » avec les rationalités politico-économiques et ethnographiques du gouvernement colonial telles que les conçoivent ces deux approches. Les gouverneurs interprétaient les actes de résistance à travers le prisme d'intérêts économiques et de représentations ethnographiques : ces rationalités contradictoires, qui opposaient notamment les conservateurs et les technocrates, définissent le champ de la contestation politique du gouvernement colonial. En Malaisie et aux Philippines, ces rationalités contradictoires ont produit des trajectoires étatiques contrastées, allant de la domination indirecte, par le biais du protectorat, à la domination directe, bureaucratique et centralisée dans le premier cas et dans le sens inverse pour le second. Les deux trajectoires ont vu des politiques conservatrices et technocratiques se succéder pour aboutir à des crises politiques et générer le déclin du colonialisme, au moment où la résistance prend finalement la forme des mouvements nationalistes anti-coloniaux.
      This paper bridges the neo-Weberian and sociocultural approaches to explaining colonial state formation by focusing on colonial governors as principals in the state building process stretching between metropole and colony. I argue that native resistance was central to state formation by “interfering” in the political-economic and ethnographic rationalities of colonial governing emphasized by the two approaches respectively. Resistance was interpreted by governors in the frames of both political-economic interests and ethnographic representations, therefore creating contradictory rationalities that define the field of political contestation over colonial policy, particularly between conservatives and technocrats. In Malaya and the Philippines, these contradictory rationalities produced trajectories of contrastive state formation from protectorate indirect rule to centralized bureaucratic rule in the former and vice-versa in the latter. Both trajectories saw conservative and technocratic policies succeeding each other, culminating in political crisis and causing colonial decay, where resistance emerges finally as anti-colonial nationalist movements.
    • Les origines africaines de la guerre - Du Bois W. E. B. p. 74-89 accès libre
    • Entre monopole, marché et religion. L'émergence de l'État colonial en Inde, années 1760-1810 - Lardinois Roland p. 90-103 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La phase d'émergence d'un pouvoir politique de type colonial en Inde, entre les années 1760 et 1810, peut être comprise comme la dépossession progressive, au profit de la couronne britannique, des prérogatives commerciales, juridiques et politiques concédées par le parlement de Londres à l'East India Company, une puissante compagnie privée de marchands. Cette évolution résulte à la fois de la crise interne de la compagnie provoquée par sa politique en Inde, de la montée des groupes d'intérêts économiques porteurs des valeurs du libre- échange et de l'émergence des mouvements missionnaires protestants, tous réclamant la libre circulation des capitaux, des hommes et des biens culturels religieux entre l'Angleterre et l'Inde. À terme émerge un univers social spécifique, le champ du pouvoir colonial, divisé entre la métropole et sa colonie sur laquelle s'exerce un pouvoir de domination dont les principes de légitimité se réfèrent aux seuls intérêts et valeurs des élites britanniques.
      The emergence of a colonial form of political power in India between 1760 and 1810 can be considered as a gradual dispossession, in favor of the British Crown, of the commercial, legal and political privileges granted by the London Parliament to a powerful private merchant company, the East India Company. This process was the outcome of several developments: the internal crisis triggered by the Company's Indian policy, the rise of economic interest groups promoting the values of free trade, and the emergence of protestant missionary movements. All these actors demanded the free circulation of capital, men as well as cultural and religious goods between England and India. They contributed to the emergence of a specific social universe, the field of colonial power, divided between the metropole and its colony, subjected to a form of domination made legitimate by principles reflecting exclusively the interests and the values of the British elites.
    • Des gens inconvenants. Javanais et Néerlandais à l'aube de la rencontre impériale - Bertrand Romain p. 104-121 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans les premières décennies du XVIIe siècle, la Compagnie unie des Indes néerlandaises orientales (VOC) cherche à s'implanter sur les côtes de l'île de Java afin de s'assurer d'un accès direct et pérenne aux épices du monde insulindien. Or, Java n'est pas une terre politique vierge : la VOC s'installe aux marches du sultanat de Banten, avec lequel elle entend commercer, et doit faire face en 1628-1629 aux assauts des armées du souverain de Mataram. Expliciter les relations conflictuelles entre les représentants de la VOC et ces pouvoirs politiques javanais en termes de « différences culturelles » n'est pas d'un grand secours : mieux vaut les rapporter aux caractéristiques sociales objectives et aux visions morales explicites des protagonistes de cette « situation de contact ». Ce n'est pas « la Hollande » qui a rencontré « Java », mais des marchands de Hoorn et d'Amsterdam qui ont été amenés à négocier, dans des circonstances particulières, avec des membres de la haute aristocratie javanaise. Or, la VOC n'est pas l'expression d'un projet monarchique, ni d'une conscience « nationale » consensuellement définie : les registres d'allégeance sont pluriels et le Prince d'Orange doit négocier en permanence avec le Grand Pensionnaire d'Amsterdam et avec les États-Généraux, où s'affrontent les potentats municipaux et où prédominent les représentants des milieux marchands. La Compagnie revendique haut et fort son autonomie à l'égard des États-Généraux et de la Maison d'Orange. Son personnel est d'ailleurs d'emblée plurinational et issu majoritairement des milieux négociants et du monde des docks. La VOC vit ainsi au rythme moral du petit et du grand négoce urbain, qui forme la base des Régents des cités de la façade maritime, farouchement opposés à la vieille noblesse terrienne. Inversement, à la même époque, les élites nobiliaires javanaises ne cessent, au nom d'un idéal de vie ascétique, de tourner en ridicule le personnage du marchand mû par l'appât du gain. Les Hollandais sont dès lors perçus au prisme des « guerres morales » que se livrent les élites javanaises. Ils deviennent in fine, les personnages d'une histoire proprement javanaise.
      During the first decades of the 17th century, the Dutch East India Company (VOC) sought to establish itself on the coasts of Java in order to enjoy a direct and lasting access to the spices of the Insulindian world. But Java was not a politically virgin land: the VOC established its outpost on the outskirts of the Banten Sultanate, with which it intended to have commercial relations, and in 1628-1629 it had to sustain the assaults led by the armies of the lord of Mataram. Explaining the conflict-ridden relations between the representatives of the VOC and these Javanese political powers in terms of “cultural differences” is not very useful: it is better to analyze them in the light of the objective social attributes and explicit moral visions specific to the various protagonists of this “contact situation”. This was not an encounter between “the Netherlands” and “Java”, but between merchants from Hoorn and Amsterdam who had to negotiate, under very particular circumstances, with the highest members of the Javanese aristocracy. The VOC was neither at the service of a monarchical project, nor the expression of a consensually defined “national” consciousness: it was travailed by multiple allegiances, as the Prince of Orange had to constantly negotiate with the Grand Pensionary of Amsterdam and with the States-General, dominated by the rivalries between municipal potentates and by the representatives of the merchants. The Company asserted in no uncertain terms its autonomy vis-à-vis the States-General and the House of Orange. From its inception, its personnel was multi-national and came primarily from the merchants circles and from the world of the docks. The VOC was thus attuned to the various forms of urban commerce, which provided the social foundations of the power of the Regents of the seafront cities adamantly opposed to the old landed nobility. Conversely, at the same time, the Javanese nobiliary elites consistently ridicule the character of the merchant motivated by financial gain, in the name of an ideal of ascetic life. As a result, they also perceived the Dutch through the lens of the “moral wars” that the Javanese elites waged between themselves. The Dutch thus became, in the last instance, the characters of a specifically Javanese history.
    • Le champ de l'État colonial. Le cas des colonies allemandes (Afrique du Sud-Ouest, Qingdao, Samoa) - Steinmetz George p. 122-143 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La plupart des États contemporains sont les descendants institutionnels directs d'États coloniaux, ce qui n'empêche pas que les connaissances au sujet de ces prédécesseurs coloniaux restent maigres. Les chercheurs en sciences sociales ont eu tendance à réduire l'État colonial à l'expression de pratiques et de structures économiques. Cet article suggère que l'État colonial moderne était relativement autonome tant vis-à-vis de la société coloniale environnante que du gouvernement de la métropole, ce qui lui a permis de développer certaines des caractéristiques qui définissent un « champ » au sens que Pierre Bourdieu a donné à ce terme. Différents groupes sociaux européens entraient ainsi en compétition pour l'accumulation d'une forme spécifique de capital symbolique propre à l'État colonial, et ces conflits contribuaient à leur tour à donner forme aux politiques de l'État colonial. Cette approche permet d'expliquer pourquoi certaines colonies allemandes d'avant 1914 se lancèrent dans des génocides économiquement irrationnels (Afrique du Sud-Ouest), tandis que d'autres poursuivirent des programmes de re-traditionnalisation culturelle (Polynésie allemande), et que d'autres encore abandonnèrent la ségrégation raciale initiale pour engager des échanges civilisationnels respectueux avec les membres de la société colonisée (Qingdao, Kiaochow sous la colonisation allemande).
      Most of the states that exist nowadays are the direct institutional descendents of colonial states, yet very little is understood about these colonial predecessors. Social scientists have tended to reduce the colonial state to an expression of economic practices and structures. This article argues that the modern colonial state was relatively autonomous from the environing colonial society and from metropolitan government, and that it took on some of the characteristics of a “field” as described by Bourdieu. Different European social groups competed for a specific form of symbolic capital within the ambit of the colonial state, and these conflicts shaped the colonial state's policies. These effects are most evident when we examine colonial native policy. This theoretical approach can help to explain why some pre-1914 German colonies engaged in economically-irrational genocide (Southwest Africa), some pursued programs of cultural re-traditionalization (German Polynesia), and others moved from racialized segregation to respectful civilizational exchange with members of the colonized society (German Qingdao/Kiaochow).
  • Lectures critiques