Contenu du sommaire : Sociétés du spectacle

Revue Actes de la recherche en sciences sociales Mir@bel
Numéro no 186-187, mars 2011
Titre du numéro Sociétés du spectacle
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Sociétés du spectacle - Christophe Charle p. 4-11 accès libre
  • Le « mélodrame » du Risorgimento : Théâtralité et émotions dans la communication des patriotes italiens - Carlotta Sorba p. 12-29 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Déconstruisant le mythe politique qui fait de Verdi le « père de la patrie italienne », ce texte propose une relecture de la représentation habituelle des rapports entre l'opéra et le Risorgimento italien. Il ne s'agit pas de nier la part prise par l'opéra dans le processus de construction du discours nationaliste, mais de mettre en évidence et d'analyser les dispositifs spécifiques et parfois contradictoires de cette implication. L'article entreprend de comprendre comment les salles de théâtre ont été des lieux-clés de la diffusion du discours patriotique, et surtout d'analyser l'échange complexe et à double sens qui s'est produit, en particulier entre 1846 et 1849, entre le mélodrame en musique et le mouvement nationaliste italien : les thèmes patriotiques entrent dans les intrigues des livres d'opéra et enflamment les parterres bien au delà des intentions des compositeurs, tandis que les dispositifs de la narration mélodramatique influencent le langage, les gestes et la narration politique du moment. Le texte montre comment, dans l'Italie du Risorgimento, le discours national a été marqué par l'« imagination mélodramatique » dont Peter Brooks a magistralement parlé.
    The Risorgimento “Melodrama”: Theatricality and Emotion in the Communication of Italian Patriots
    Deconstructing a political myth that recognizes Verdi as “the father of the Italian homeland”, this text proposes a re-reading of the usual representation of relationships between Italian opera and the Risorgimento. Far from denying the function of opera in constructing a nationalist discourse, the text emphasizes and analyzes the specific (and sometimes contradictory) mechanisms of this function. This article investigates how opera houses served as key locations for the dissemination of a patriotic discourse, and examines the complex, two-way exchange between musical melodrama and the Italian nationalist movement between 1846 and 1849: patriotic themes penetrated the intrigues of librettos and inflamed audiences well beyond composers' intentions, while melodramatic narration influenced language, gestures and political narratives of the period. This text demonstrates how, in Risorgimento Italy, national discourse was marked by the “melodramatic imagination” masterfully discussed by Peter Brooks.
  • Théâtre et révolution à la veille de 1848 : Le Chevalier de Maison-Rouge - Vincent Robert p. 30-41 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    On a souvent dit que le triomphe de la pièce de Dumas Le Chevalier de Maison-Rouge. Un épisode du temps des Girondins était un signe avant-coureur de la révolution de 1848. Or, l'année précédente, les critiques avaient été d'un tout autre avis ; les conservateurs enthousiastes, tandis que les républicains cachaient mal leurs réserves pour une pièce qui, d'après eux, ridiculisait la révolution et les sans-culottes parisiens. L'énorme succès de la pièce pose donc une question : avaient-ils vu le même spectacle ? À quoi les censeurs et la critique ont-ils été aveugles ? A contrario, qu'est-ce qui a pu séduire le public du Paris populaire ?
    Theater and Revolution on the Eve of 1848: Le Chevalier de Maison-Rouge
    It is often said that the triumph of Dumas' Le chevalier de Maison-Rouge. Un épisode du temps des Girondins was a precursory sign to the 1848 revolution. Yet, in the year prior, critics showed entirely different opinions; conservatives were enthusiastic, whereas republicans hid poorly their reservations towards a play that, according to them, ridiculed the revolution and the Parisian sans-culottes. The enormous success of this play therefore forces the question: had they seen the same play? What had the censors and critics missed? And on the other hand, what was it that seduced the lower-class Parisian public?
  • Entre tréteaux et barricades : Théâtre et mobilisation ouvrière à Barcelone, 1868-1909 - Jeanne Moisand p. 42-57 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    À la fin du XIXe siècle, alors que le théâtre devient cher et élitiste en Europe, son accès s'ouvre à l'inverse à Barcelone aux spectateurs ouvriers. Souvent analphabètes, ces derniers fréquentent assidûment les théâtres « publics » et les salles associatives, et incarnent eux-mêmes la plupart des pièces à succès dans leurs sociétés d'amateurs. Adeptes du théâtre « sérieux » (en trois actes et plus), en musique ou non, ces milieux apprécient aussi de plus en plus les pièces brèves et commerciales produites à Madrid. Ces goûts diversifiés leur permettent d'investir un espace culturel bilingue et socialement partagé. La « récréation » théâtrale des milieux populaires, d'abord promue par divers réformateurs sociaux, se politise progressivement. Dans le contexte conflictuel de la Barcelone fin-de-siècle, les nouveaux publics ouvriers se mobilisent au théâtre, pour exiger l'accès à une réelle représentation politique et à une culture « libre ».
    Between Stage and Barricade: Theater and Worker Mobilization in Barcelona, 1868-1909 Toward the end of the 19th century, theatergoing became expensive and elitist in Europe, but quite the opposite was the case in Barcelona, where theater access opened to audiences of laborers. Often illiterate, these laborers assiduously frequented “public” theaters and community halls, even reproducing most of the popular plays among themselves in amateur societies. Adepts of “serious” theater (in three or more acts), musically accompanied or not, members of these milieus also appreciated more and more short and commercial plays produced in Madrid. Such diverse tastes permitted them to become part of a culturally bilingual and socially shared space. Theatrical “recreation” in popular circles had first been promoted by various social reformers, but became progressively political. In the conflictual context of turn-of-the-century Barcelona, the new worker public mobilized through theater to demand access to real political representation and to a “free” culture.
  • Le carnaval du temps présent : Les revues d'actualités à Paris et à Bruxelles, 1852-1912 - Christophe Charle p. 58-79 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    La vie théâtrale de la seconde moitié du XIXe siècle est marquée par la multiplication des genres hybrides et parodiques. Dans une période où la lutte pour la liberté d'expression est en voie de gagner la partie, ils servent de commentaires à l'actualité multiforme des grandes villes et, en particulier, des capitales, lieux centraux de ces combats politiques. Bien que fondées sur des stéréotypes et des conventions scéniques répétitives, les revues d'actualité occupent une place constante et parfois grandissante dans la programmation saisonnière des théâtres mais aussi des nouveaux spectacles concurrents. À travers l'analyse d'une série de revues présentées à Paris dans la seconde moitié du XIXe siècle et d'un échantillon plus restreint proposé à Bruxelles, l'article montre comment ces spectacles empruntent à tous les registres, du plus futile au plus sérieux, abordent assez librement presque tous les thèmes sans enfreindre certaines autolimitations et mettent au jour les ressorts centraux de la culture moyenne, à un moment où celle-ci est bousculée par le changement du paysage social et du paysage urbain. Libéré des conventions du réalisme et des rôles fixes des genres traditionnels, ce type de pièce se diffuse dans un large spectre de public et est d'autant plus apprécié ou corrosif que les autres genres s'affadissent. Inversement, quand les mécanismes de la censure disparaissent, il perd sa fonction de dérision au profit du spectaculaire ou du voyeurisme. Le décalage d'évolution entre Paris, ville plus tôt libérée des conformismes, et Bruxelles, espace public sous contrainte, met en valeur combien ce genre parodique dépend du contexte politique, moral et religieux global pour garder son efficacité critique.
    The Carnival of the Present: revues d'actualités in Paris and Brussels, 1852-1912Theater life in the second half of the 19th century was marked by a proliferation of hybrid and parodic genres. During a period when the struggle for freedom of expression was gaining ground, such genres constituted commentary on multiform contemporary urban affairs, and in particular, on those of capital cities, centers of political combat. Although founded in stereotypes and repetitive theatrical conventions, the revues d'actualités occupied a constant and sometimes growing place in seasonal theater programs, as well as in new rival shows. Analyzing a series of revues presented in Paris in the second half of the 19th century and a more restrained sampling in Brussels, this article demonstrates how such shows borrowed from registers both trivial and serious, freely approached most themes without infringing on certain self-limitations, and exposed the central forces and motors of mainstream culture at a time when it was being shaken by changes in the social and urban landscapes. Liberated from conventions of realism and fixed roles in traditional genres, this type of theatrical representation spread to a broad public and was that much more appreciated and caustically effective in comparison to the fading other genres. Inversely, when censorship relaxed, the revue ceded its derisive function to spectacle or voyeurism. The delayed evolution between Paris, a city liberated earlier from conformism, and the more constrained public space of Brussels, emphasizes how much this parodic genre depends on political, moral and religious context in order to maintain its critical efficacy.
  • Des contradictions du théâtre critique new-yorkais - Bleuwenn Lechaux p. 80-93 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Ce texte présente une réflexion sur les formes d'intrication entre théâtre et politique, en se centrant sur un panel de pièces off-off Broadway et d'actions théâtrales des années 2000 à New York –ayant pour point commun de proposer un « commentaire social » plus ou moins explicite de la politique menée par George W. Bush, notamment en Irak. Ces répertoires s'inscrivent dans un entre-deux imbriquant codes esthétiques et politiques, obéissant à des logiques partiellement différentes, partiellement similaires, à la fois autoréférentielles et parfois transgressées, débordées par des enjeux tiers. Ce texte porte le regard sur ce que les contradictions de ces pratiques interstitielles doivent à ces absorptions réciproques et partielles entre théâtre et politique. Le théâtre politique est en effet confronté à un double risque : celui d'une délégitimation artistique lorsque la dimension politique est prédominante ; et celui d'une dépolitisation des œuvres lorsqu'elles s'institutionnalisent. Nous examinons d'abord comment théâtre et politique se croisent à la fois dans l'histoire du théâtre politique aux États-Unis depuis la seconde guerre mondiale, et dans les histoires des professionnels du théâtre rencontrés, à travers leurs socialisations. Nous nous demandons ensuite dans quelle mesure le théâtre militant permet une sensibilisation de publics hétérogènes à des questions politiques contemporaines mais court le risque d'une dépréciation esthétique. Enfin, et a contrario, le théâtre politique, en s'inscrivant dans la tradition théâtrale, est pris dans une contradiction entre, apparaître comme un sous-genre spécifique, et satisfaire aux nécessités économiques et au projet politique d'élargissement de son public, en ne prêchant pas uniquement des convertis.
    Theater and/or Politics?? The Contradictions of Critical Theater in New York
    This text reflects on the ways in which theater and politics are interwoven, centering on a panel of off-off Broadway plays and on the theatrical action in post-2000 New York, both of which produced “social commentary” on the politics of the Bush administration, and particularly on the war in Iraq. These repertoires are inscribed in a middle ground that embroils aesthetic and political codes, and is obedient to logics both different and similar, auto-referential and sometimes transgressed, overwhelmed by tertiary concerns. The text considers the debt that such interstitial practices owe to the reciprocal and partial absorptions between theater and politics. Political theater effectively confronts a double risk: that of the loss of artistic legitimacy when its political dimension becomes predominant; and that of the depoliticization of institutionally artistic works. We will first examine how theatre and politics intertwine in the history of American political theatre after WWII, and also in the personal histories of theatre professionals, across their socialization. We must then ask: to what degree does militant theatre enable artists to bring contemporary political questions to a heterogeneous public, while running the risk of aesthetic depreciation? Ultimately, and paradoxically, political theatre, by inscribing itself in theatrical tradition, is caught in a contradiction between appearing as a specific sub-genre, and satisfying the economic necessity and political project of enlarging its public without preaching to the choir.
  • Les causes du peuple : La gestion du cens social dans les émissions-forums - Éric Darras p. 94-111 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Les conclusions classiques sur l'exclusion et l'indifférence politiques des citoyens des démocraties occidentales sont notamment remises en cause par la généralisation de nouveaux lieux de parole politique plus populaires et plus libres, dont les talk shows avec participation du public à la télévision. Une analyse comparative de ces émissions-forums relativise le « démocratisme » des travaux dominants tout en prenant acte du potentiel émancipateur de certains dispositifs mieux articulés avec les dispositions et les « savoirs populaires » des plus démunis, particulièrement les femmes de milieu populaire. D'abord, si ces dispositifs offrent une tribune inédite aux citoyens les plus apparemment éloignés de la politique officielle, il convient pourtant de mieux tenir compte des modalités concrètes de la pré-sélection. Ensuite, ces émissions-forums élargissent certes le débat avec des « questions jamais entendues », mais encore faut-il dépasser la question du thème de discussion (issue) pour en considérer le cadrage ou le traitement journalistique (frame). Enfin, elles valorisent des façons de parler politiques plus collectives et plus en phase avec la réalité vécue des citoyens, mais il faut à nouveau comprendre les effets réels et supposés de ces prises de paroles politiques profanes sur les plateaux de télévision. Par ailleurs, les spécificités des champs politiques et journalistiques français et états-unien rendent compte de l'essentiel des différences de gestion du cens social dans les émissions-forums.
    The People's Causes. Managing the Social Staging of Popular Political Speech in Talk Shows
    Die Verbreitung neuer, freierer und volkstümlicher Orte der politischen Artikulation, insbesondere von Fernseh-Talkshows mit Publikumsbeteiligung, stellt die gängige Ansicht vom Ausschluss und der Gleichgültigkeit der Bürger in den westlichen Demokratien in Frage. Eine vergleichende Untersuchung dieser Fernsehdiskussionsforen unter Berücksichtigung des emanzipatorischen Potentials bestimmter besser artikulierter Dispositive im Vergleich zu den „Volksweisheiten“ der eher Benachteiligten, vor allem von Frauen aus den unteren Schichten, relativiert den „Demokratismus“ der beherrschenden Studien. Obgleich diese Dispositive Bürgern eine neue Plattform abseits der offiziellen Politik zur Verfügung stellen, müssen zunächst auch die Mechanismen der Vor-Auswahl berücksichtigt werden. Desweiteren erweitern diese Fernsehforen zwar die Debatte hin zu „nie gestellten Fragen“, doch gilt es, über das Thema der Diskussion (issue) selbst hinauszugehen, und ihre Rahmung (frame) oder journalistische Präsentation zu berücksichtigen. Letztlich valorisieren diese Sendungen die gelebte Realität der Bürger, doch auch hier gilt es zwischen den wirklichen und den vermeintlichen Realitätseffekten politischer Äußerungen zu differenzieren. Nicht zuletzt bedingen die unterschiedlichen Ausprägungen des französischen und amerikanischen journalistischen und politischen Feldes eine unterschiedliche Behandlung des sozialen Zensus in den Fernsehdiskussionsforen.
  • Hors thème

    • Les souvenirs d'un Européen : entre Le Brésil, terre d'avenir et Le Monde d'hier : Les derniers écrits de Stefan Zweig - Afrânio Garcia Jr. p. 112-131 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'article s'interroge sur les modalités et les enjeux de la publication de Brésil, terre d'avenir, l'un des derniers essais de Stefan Zweig, en le replaçant à la fois dans le parcours de Stefan Zweig et dans le contexte brésilien des années de la Seconde Guerre mondiale. Il cherche à comprendre comment cet écrivain cosmopolite, apôtre de l'individualisme et pourfendeur des nationalismes à l'origine des guerres meurtrières en Europe, a pu produire un livre perçu à sa parution comme l'éloge du nationalisme culturel promu par Vargas dans la phase la plus autoritaire de son régime. Si le qualificatif d'ouvrage de complaisance, voire à la solde de Vargas, a disqualifié le texte, c'est moins à cause de ces propos que du lien que Zweig et son éditeur entretenaient avec les thuriféraires du régime et leur distance des avant-gardes modernistes locales. Ce livre a redoublé le douloureux isolement verbalisé à l'occasion du suicide de Zweig et de sa femme. La mobilisation des outils de la sociologie du champ littéraire ouvre la voie à la compréhension des malentendus et à la spécification des motifs des différents acteurs à les entretenir.
      The Memories of a European: from Brazil, Land of the Future to The World of Yesterday. The last writings of Stefan ZweigThis article questions the forms and issues of the publication of one of Stefan Zweig's last essays, Brazil, Land of the Future, by re-situating the work in Zweig's personal trajectory, as well as in the context of Brazil during the second World War. It seeks to understand how Zweig, a cosmopolitan writer, apostle of individualism and fierce critic of the nationalisms at the origin of devastating European wars, could produce a book that has been read since its publication as a paean to the cultural nationalism promoted by Vargas during the most authoritarian period of his regime. If the text has been disqualified by its characterization as ingratiatory towards Vargas, and even in Vargas' pay, this perception is less due to the work's content than to the link that Zweig and his editor fostered with the regime's sycophants and to their distance from local avant-garde modernists. The book would intensify a painful isolation, which was explicitly articulated by the suicides of Zweig and his wife. The mobilization of methodological tools from literary sociology permits us to grasp misunderstandings about Zweig and his work, and to shed light upon the particular motives at work among different actors.
    • Lectures critiques - p. 132-135 accès libre