Contenu du sommaire : Littérature et politique

Revue Actes de la recherche en sciences sociales Mir@bel
Numéro no 111-112 mars 1996
Titre du numéro Littérature et politique
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Littérature et politique

    • La raison littéraire. Le champ littéraire français sous l'occupation (1940-1944) - Gisèle Sapiro. accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La raison littéraire Sous l'Occupation allemande, le champ littéraire français se voit privé des conditions qui lui assuraient une relative autonomie. Outre les mesures répressives, la surpolitisation confère une signification politique aux attitudes les plus apolitiques. En se pliant à la demande externe, les instances de diffusion et de consécration (l'Académie française, les jurys littéraires) contribuent, dans un premier temps, à la perte d'autonomie. Cependant, les mécanismes de résistance que le champ littéraire oppose à ces contraintes externes témoigne de la survivance d'une forme d'autonomie même en période de crise. Malgré la dispersion géographique, les écrivains continuent à dialoguer et à polémiquer entre eux. Les luttes qui les opposent sont fondées sur des divisions préexistantes. Les attaques proférées par les écrivains proches de Vichy et/ou de la Collaboration contre la littérature consacrée de l'entre-deux-guerres - attaques qui, dans la conjoncture de crise, sont autant de « meurtres symboliques » - ont pour effet de rassembler, dans un même camp, les défenseurs de « l'art pour l'art » et ceux qui, dans la semi-légalité ou dans la clandestinité, engagent leurs plumes au service de la patrie. C'est avec des moyens proprement littéraires que ceux-ci luttent contre l'inféodation des instances du champ à des logiques hétéronomes. La création d'un sous-champ littéraire clandestin est le produit d'une alliance entre des écrivains dépossédés de leurs moyens d'expression et le PCF qui leur offre ses structures organisationnelles en vue de la formation d'un Front national des écrivains (futur Comité national des écrivains). Cette alliance n'est toutefois possible qu'à la faveur des affinités proprement littéraires qui lient communistes et non communistes. Ainsi, le réseau Gallimard-NRF joue un rôle central dans le recrutement initial du FNE. La médiation du champ littéraire dans le rapport des écrivains à la politique est encore visible dans la corrélation entre positions dans le champ et prises de position politiques, établie par une analyse de correspondances portant sur les trajectoires de 185 écrivains en activité entre 1940 et 1944. La structure du champ (les oppositions entre un pôle de production restreinte et un pôle de grande production, entre vieux et jeunes, et les principes de hiérarchisation propres à cet espace) est donc bien la matrice des attitudes politiques.
      For reasons of literature Under the German Occupation, the French literary field was deprived of the conditions that ensured its relative autonomy. In addition to the repressive measures, the extreme degree of politicization imbued even the most apolitical attitudes with a political meaning. By bowing to outside demands, the agencies of diffusion and consecration (the French Academy, the literary juries) initially contributed to this loss of autonomy. Nevertheless, the mechanisms of resistance that the literary field brought to bear on these external constraints bear witness to the survival of a form of autonomy, even in times of crisis. Despite their geographical dispersal, writers carried on with their dialogues and polemics. Their conflicts were basecl on preexisting divisions. Attacks by writers close to the Vichy government and/or the Collaboration on the recognized literature from between the two wars - attacks which, in this conjuncture of crisis, were so many "symbolic murders" — had the effect of gathering into a single camp defenders of "art for art's sake" and those who, semi-legally or clandestinely, wielded their pens in the service of the homeland. It was by purely literary means that they fought against the subjugation of the authorities of the field to heteronymous logics. The creation of a clandestine literary sub-field was the product of an alliance between writers dispossessed of their means of expression and the French Communist Party, which provided organizational structures with a view to forming a National Writers Front (FNE : the future National Writers Committee). This alliance was only made possible, however, by the literary affinities between the communists and the non-communists of the group. Here, the Gallimard-Nouvelle Revue Francaise network played a crucial role in recruiting the early members. The mediation of the literary field in the writers' relations with politics can still be seen in the correlation between positions in the literary field and political stands which has been established by an analysis of correspondence covering the itineraries of 185 writers active between 1940 and 1944. The field structure (opposition between a pole of limited production and one of major production, between old and young, and the ranking principles characteristic of this space) is indeed the matrix of political attitudes.
    • Salut littéraire et littérature du salut. Deux trajectoires de romanciers catholiques : François Mauriac et Henry Bordeaux. - Gisèle Sapiro. accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Salut littéraire et littérature du salut Alors que tout semble les rapprocher dans l'espace social, François Mauriac et Henry Bordeaux, romanciers catholiques de l'Académie, se retrouvent, à partir de 1935, dans des camps politiques opposés. Défenseur de l'Italie mussolinienne et du franquisme, Henry Bordeaux se rangera résolument dans le camp pétainiste. C'est après son élection à l'Académie française, en 1933, que François Mauriac amorcera sa rupture avec la « droite académique » pour prendre le parti de l'Ethiopie agressée et du peuple basque avant de s'engager dans la résistance intellectuelle : il est le seul académicien à être entré dans la clandestinité. La comparaison de leurs deux trajectoires révèle ce que le clivage politique doit à une opposition entre deux logiques antagonistes du champ littéraire : la logique « mondaine » et la logique « ascétique». Si les deux romanciers catholiques, d'origine bourgeoise, connaissent une socialisation similaire dans les milieux mondains du champ littéraire, Bordeaux se confine dans une littérature à thèse qui recueille un large succès, tandis que Mauriac poursuit la recherche du seul véritable salut littéraire à ses yeux - la reconnaissance de la NRF. La perception différente qu'ils ont du champ littéraire est fondée sur la relation entre dispositions éthiques et esthétiques qui distingue leurs habitus respectifs : au pôle d'hétéronomie qu'incarne Bordeaux, le rapport à l'institution catholique n'apparaît jamais comme contradictoire avec la logique littéraire ; en revanche, la conciliation des exigences éthiques et esthétiques est objet de préoccupation permanente au pôle d'autonomie que représente Mauriac. C'est le rapport conflictuel qu'entretient Mauriac avec le pharisaïsme bourgeois constitutif de son habitus qui dicte son appréhension pratique du champ littéraire. Le salut littéraire coïncide avec sa conversion religieuse qui prépare la conversion politique. Par un double processus de désignation (positif et négatif), il se verra assigner une position de prophète national sous l'Occupation, avant d'être renvoyé à sa place d'intellectuel catholique à la Libération.
      Salvation through literature and literature of salvation Whereas everything would seem to place them in the same social space, from 1935 Francois Mauriac and Henry Bordeaux, both Catholic novelists from the French Academy, found themselves in opposite political camps. A defender of Mussolini's and Franco's policies, Henry Bordeaux would resolutely choose Petain's side. After his election to the French Academy, in 1933, Francois Mauriac announced his break with the "Academic right" and took up the defense of Ethiopia as the aggressed party and of the Basque people before going on to join the intellectual resistance : he is the only member of the French Academy to have gone into hiding. Comparison of the two trajectories shows what this political cleavage owes to an opposition between two antagonistic logics in the literary held : a "worldly logic" and an "ascetic logic". While both of these Catholic novelists were born to the bourgeoisie and underwent a similar socialization in the worldly milieus of the literary held, Bordeaux consistently wrote "thesis novels" which met with large success, while Mauriac sought what he saw as the only genuine literary salvation : recognition by the Nouvelle Revue francaise. Their different perceptions of the literary held stems from the relationship between the ethic and esthetic positions that characterize their respective habitus : at the heteronomous pole embodied by Bordeaux, the relationship to the Catholic institution is never presented as contraiy to literary logic ; on the other hand, reconciling ethical and esthetic demands is a constant preoccupation at the autonomous pole represented by Mauriac. It is Mauriac's conflictual relationship the bourgeois pharisaism that constitutes his habitus which dictates his practical grasp of the literary field. Literary salvation coincided with his religious conversion, which prepared his political conversion. By a twofold process of (positive and negative) designation, he would be assigned a position as national prophet under the Occupation, before being set back in his niche as a Catholic intellectual at the Liberation.
    • La littérature saisie par l'histoire. Nouveau roman et guerre d'Algérie aux éditions de Minuit. - Anne Simonin. accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La littérature saisie par l'histoire Cet article n'est pas une étude sur le Nouveau Roman mais une réflexion sur les conditions nécessaires au succès d'une rupture esthétique dans la France de la fin des années 50. Les perspectives ouvertes par l'histoire de l'édition et une approche sociologique s'intéressant à la production des biens symboliques autorisent à penser différemment l'intervention de l'entreprise éditoriale qui a assuré la promotion de ce mouvement littéraire. Le Nouveau Roman est devenu indissociable des Éditions de Minuit. Or, cela n'allait pas de soi : les Éditions du Seuil, éditrices de Jean Cayrol, le premier théoricien d'un «romanesque lazaréen», auraient logiquement dû assurer la promotion de cette avant-garde littéraire. Dans un premier temps, ne souhaitant pas assumer les coûts d'une stratégie éditoriale d'avant-garde, Le Seuil, par l'intermédiaire de Roland Barthes, contribue à la promotion d'une nouvelle esthétique romanesque aux Éditions de Minuit : Alain Robbe-Grillet devient l'héritier naturel de Jean Cayrol. Cette succession aberrante, et ce à cause d'un passé proche, la guerre (Cayrol est un ancien résistant et déporté, Robbe-Grillet, maréchaliste, est parti faire son STO en Allemagne) est rendue possible grâce aux Éditions de Minuit. Comment imaginer que l'un des auteurs les plus en vue, le directeur littéraire sinon en titre du moins en fait, de la maison d'édition née dans la Résistance, puisse être « de l'autre bord » ? Dans cette optique, ce n'est pas tant au niveau de ses thèmes qu'il convient de penser le rapport décisif que le Nouveau Roman entretient à la guerre mais au niveau de son écriture et de son lieu éditorial. Deuxième incidence capitale du rôle des Éditions de Minuit dans l'installation du Nouveau Roman à l'avant-garde littéraire : leur engagement dans la dénonciation de la guerre d'Algérie. Pour faire exister la rupture esthétique incarnée par le Nouveau Roman, il fallait entrer en lutte avec le maître de l'heure, Jean-Paul Sartre, et le courant littéraire alors dominant : la « littérature engagée». Publiant des textes subversifs concernant la guerre d'Algérie en même temps qu'une «littérature pure», le Nouveau Roman, les Éditions de Minuit dissocient littérature et politique. Leur engagement de type « dreyfusard » associé à leur déqualification de la « littérature engagée » contribue à renforcer l'autonomie des intellectuels par rapport au Parti communiste mais porte aussi en germe une autre transformation radicale : depuis Emile Zola, l'intellectuel était indissociable de l'homme de lettres ; l'écrivain détrôné, qui incarnera désormais la figure de l'intellectuel?
      Literature in the grip of history The present article is not a study of the "Nouveau Roman", but rather a reflection on the conditions necessary for the break in French esthetics in the late 1950s. The new avenues opened up by the history of publishing and a sociological approach concerned with the production of symbolic goods authorize a rethinking of publishers' choices, which ensured the promotion of this literary movement. The Nouveau Roman has become inseparable from the Editions de Minuit. But this was not a forgone conclusion : the Editions du Seuil, who published Jean Cayrol, the first theoretician of the "Lazarist novel" (i.e. literature of redemption through suffering), should have been the logical ones to promote this avant-garde movement. Initially, unwilling to shoulder the costs of an avant-garde editorial strategy, Le Seuil, via Roland Barthes, helped the Editions de Minuit launch a new esthetic of the novel : Alain Robbe-Grillet became Jean Cayrol's natural successor. This aberrant succession - due to the recent past, the war (Cayrol had fought in the Resistance and been deported ; Robbe-Grillet, a follower of Marshal Petain, had done his stint at volunteer labor in Germany) -was made possible by the Editions de Minuit. How is it imaginable that one of the most public authors, the de facto if not official literary director of the publishing house born of the Resistance, could be "on the other side". From this standpoint it is not so much at the thematic level that one needs to think the all-important relationship between the Nouveau Roman and the War but at the level of its writing and its place of publication. The second crucial repercussion the Editions de Minuit had on the Nouveau Roman's accession to avant-garde status was their stand against the war in Algeria. For the break with current esthetics embodied by the Nouveau Roman to appear, Minuit had to come into conflict with the master of the hour, Jean-Paul Sartre and the dominant literary trend of the moment : "litterature engagée". By publishing subversive texts on the Algerian war at the same time as it was bringing out "pure literature", the Nouveau Roman, the Editions de Minuit managed to dissociate literature and politics. Their political commitment reminiscent of the "Dreyfus Affair" together with their disqualification of "engaged literature" helped bolster intellectuals' break with the Communist Party, but it also bore the seeds of another radical change : since Emile Zola, the intellectual had been inseparable from the man of letters ; with the writer dethroned, who was now going to embody the figure of the intellectual?
    • Le sens du jeu. Aragon entre littérature et politique (1958-1968). - Philippe Olivera. accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le sens du jeu À la différence des années 50 où la guerre froide conduisait les écrivains communistes à multiplier les signes de rupture avec le champ littéraire, le contexte de la déstalinisation dans les années 60 desserre la contrainte politique et autorise le «retour» dans le champ. Cet article s'attache au cas de Louis Aragon, le plus doté des écrivains communistes, celui dont le parcours et l'oeuvre légitiment les plus hautes ambitions au sein du champ littéraire, comme le montre le succès de son roman La Semaine sainte en 1958. Refusant l'approche qui postule l'aberration de l'engagement communiste des écrivains, il s'agit de montrer à la fois les difficultés et la possibilité d'une double appartenance au champ littéraire et au monde communiste. Par le repli sur les Lettres françaises qu'il dirige et dont la position intermédiaire recoupe très exactement la sienne, comme par l'usage à la fois politique et littéraire de la théorie du «réalisme», Aragon négocie une délicate opération : il parvient à occuper une position centrale dans le champ tout en conservant ses responsabilités au sein du Parti. Après 1965, il semble obtenir la consécration tout en niant les systèmes d'oppositions construits par l'histoire du champ : poète et romancier, romancier grand public et romancier d'avant-garde, poète national et poète surréaliste... Le retour brutal de l'actualité politique, lié aux événements de 1968, à Paris et à Prague, vient remettre en cause le fragile équilibre qu'il a construit entre littérature et politique. Le cas Aragon dans les années 60 montre la force de la contrainte imposée par la double appartenance. Il révèle aussi la forme de liberté d'écriture induite par ce qui est aussi une double extériorité.
      A sense of game Contrary to the 1950s, when the Cold War led communist writers to multiply the signs of their break with the literary field, the 1960s destalinization eased the political pressure and authorized a "return" to the field. This article focuses on Louis Aragon, the most gifted of the communist writers, whose itinerary and work legitimize the highest ambitions in the literary field, as shown by the success of his 1958 novel La Semaine sainte. Rejecting an approach that postulates the aberration for a writer of a communist engagement, the author of this article attempts to show the difficulties and the possibility of belonging to both the literary and the communist worlds. By withdrawing into the Lettres francaises, which he edited and whose intermediary position accurately reflects his own, and by the both political and literary use of the theory of "realism", Aragon negotiated a slippery path and succeeded in occupying a central position in the field while conserving his responsibilities in the Party. After 1965, he seems to have won recognition while rejecting the systems of opposition constructed by the history of the field : poet and novelist, popular and avant-garde novelist, national and surrealist poet... The sudden renewed relevance of politics, linked with the 1968 events in Paris and Prague, threatened the fragile balance he had constructed between literature and politics. The case of Aragon in the 1960s shows just how confining this double affiliation was, while revealing the way in which he was freed to write by what was also a twofold exteriority.
    • Déplacements et transpositions. Introduction à une lecture globale de divagations. - Shigeru Okayama. accès libre
    • Le droit de "mal écrire". Trois cas helvétiques (XVIIIe-XXe siècle). - Jérôme Meizoz. accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le droit de mal écrire À travers les cas de Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), de Rodolphe Töpffer (1799-1846) et de Charles-Ferdinand Ramuz (1878-1947), tous trois formés dans l'espace linguistique de la Suisse romande, cet article étudie la réception parisienne des écarts d'écriture, revendiqués ou non, par lesquels se signalent les différences nationales. Atténués ou accentués selon la conjoncture historique, ces écarts peuvent faire l'objet de violentes remises à l'ordre. Mais, au prix d'un travail de légitimation accompli par la critique (ainsi Sainte-Beuve commentant Töpffer, Claudel défendant Ramuz), ils peuvent aussi être perçus comme des effets de style. Les enjeux de ceux-ci dépassent la simple dimension esthétique. Le style si particulier de Ramuz, par exemple, apparaît à la fois comme une production individuelle et une réponse polémique aux règles tacites du champ littéraire français. Déplorant le fossé entre les français régionaux parlés et la norme standard de l'écrit, de nombreux écrivains des régions francophones périphériques refusent d'aligner entièrement leur écriture sur le français « de Paris ». Un enjeu littéraire peut ainsi naître d'un décalage géohistorique des champs : de nombreux cas suisses romands, québécois, belges ou les mouvements antillais d'aujourd'hui présentent des similitudes frappantes dans leur ardeur à débaucher le français « de Paris » afin de construire leur identité.
      The right to write badly Using Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), Rodolphe Töpffer (1799-1846) and Charles-Ferdinand Ramuz (1878-1947), all three shaped in the French linguistic space of Switzerland, this article looks at the welcome Paris reserves for deviations from standard written practice, a point of pride or shame that announces national differences. Attenuated or accentuated, depending on the historical moment, these deviations may be the object of a violent bringing into line. But at the cost of a labor of legitimation undertaken by the critics (e.g. Sainte-Beuve's remarks on Töpffer, Claudel's defense of Ramuz) ; they can also be perceived as effects of style. More is at stake than simply esthetics, however. Ramuz' highly personal style, for instance, appears both as an individual production and a polemical response to the unspoken rules of the French literary field. Deploring the chasm between regional variants of spoken French and the standard written version, many authors around the French-speaking periphery refuse to align their style on the French "of Paris". A literary issue may thus emerge from a geohistorical gap between fields : many cases in French-speaking Switzerland, Quebec, Belgium or the West Indies present striking similarities in their enthusiastic debauching of the French "of Paris" the better to construct their own identity.
    • La presse littéraire parisienne et les "amis belges" (1944-1960). - Paul Dirkx. accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La presse littéraire parisienne et les «amis belges» (1944-1960) Les articles du Figaro littéraire et des Lettres françaises sur la production littéraire belge francophone contiennent de nombreux symptômes de la méconnaissance dont cette production est l'objet dans le champ parisien. Les deux hebdomadaires, antagonistes à plusieurs égards, s'accordent autour de la valeur centrale de la défense de la « littérature française », c'est-à-dire d'une littérature hexagonale dont les diverses productions littéraires francophones à l'étranger seraient autant d'illustrations accessoires. Leur position respective, dans un champ en pleine restructuration, entraîne toutefois des divergences dans leur discours sur la production littéraire belge. Dans Le Figaro littéraire, celle-ci ne semble exister que par ses secteurs consacrés représentatifs de la « littérature nationale » belge, ce qui correspond à la ligne de continuité observée par le journal conservateur. Mais cette préférence, notamment pour la poésie symboliste, crée des décalages par rapport à l'actualité qui finissent par déréaliser une littérature pourtant vivante. Nées de la résistance intellectuelle et devenues l'un des instruments du PCF dans l'élaboration d'une « littérature française » assainie et accessible au peuple (suivant les préceptes du réalisme socialiste). Les Lettres françaises valorisent paradoxalement la notion de « littérature nationale » en Belgique, mais à partir d'une relecture sélective de l'histoire littéraire ou en propulsant au-devant de la scène des auteurs marqués à gauche et peu reconnus dans leur pays. Ce faisant, elles participent à leur manière à la déconstruction de la « littérature nationale » belge, qui apparaît ainsi une deuxième fois comme un objet au service d'une stratégie proprement française. Les prises de position de collaborateurs belges dans les pages des deux périodiques révèlent, la plupart du temps de manière discrète, un décalage d'autant plus grand qu'en Belgique cette « littérature nationale » fait l'objet d'une délégitimation croissante.
      The Parisian literary press and the "Belgian friends" (1944-1960) The articles in the Figaro litteraire and the Lettres francaises on French-language literary production in Belgium contain numerous symptoms of Paris' misreading of this production. In many respects antagonistic, these two weeklies nevertheless agree on one central value, the defense of "French literature", i.e. of a national literature whose various French-language productions outside France are considered as merely secondary illustrations. However, their respective positions, in a field in the throes of restructuring, lead to divergences in their discourse on the literary production of Belgium. For the Figaro litteraire, this production seems to exist only by virtue of the sectors recognized as representing Belgian "national literature", which fits this conservative paper's usual line. But this preference, notably for symbolist poetiy, creates a reality gap which ultimately deprives what is a living literature of its reality. A product of the intellectual resistance and later one of the instruments wielded by the French Communist Party in elaborating a healthier "French literature" accessible to the people (in line with the precepts of socialist realism), the Lettres francaises paradoxically plays up the notion of a "national literature" in Belgium, but this is done on the basis of a selective re-reading of literary history or by featuring left-leaning authors quite unfamiliar to their fellow countrymen. In so doing, this paper makes its own contribution to the deconstruction of Belgian "national literature", which, for a second time, appears as an object serving a purely French strategy. The stands taken by Belgian contributors to the pages of the two weeklies reveal, usually discretely, a discre-pancy that is all the greater as this "national literature" is a victim of growing delegitimization in Belgium.
    • (Re)poser le problème noir américain. - Loïc Wacquant. accès libre
    • Critiques de la raison : une anthologie philosophique de l'Aufklärung allemande. - Isabelle Kaliniwski. accès libre