Contenu du sommaire : Télévision : industrie et programmes

Prenant appui sur les articles composant le dossier Télévision : industries et programmes, ce texte de présentation revient plus généralement sur les principales évolutions socio-économiques traversant la filière depuis le début du XXIe siècle. Sont ainsi passées en revue la logique de groupe accompagnant la multiplication des chaînes avec la télévision numérique terrestre (TNT) ; les stratégies attenantes de programmation de type narrowcasting puisant dans les formats transnationaux de séries et de télé-réalité ; le renforcement de la tendance à l'externalisation de la production, variant toutefois selon les types de programmes ; la polyvalence des tâches incombant aux personnels journalistiques comme artistiques et devant composer avec une emprise de la technique s'étendant jusqu'aux publics. Le tout dessine un double mouvement de fragmentation et de recomposition pour la filière de la télévision, bousculée de façon plus globale par l'environnement numérique.

Confrontés à la multiplication des chaînes de télévision, les acteurs dits historiques (TF1, France Télévisions, Canal + et M6) ont développé des stratégies de marque à l'échelle non plus des chaînes mais des groupes. Cet article analyse ces stratégies en étudiant d'une part le design d'antenne et l'autopromotion de ces groupes (autopromotion croisée des chaînes sur leurs antennes et sur leurs médias délinéarisés MyTF1, France.tv, MyCanal, 6Play) et, d'autre part, en appréhendant les positionnements des directions de la marque des groupes télévisuels (entretiens avec des directeurs de la marque et artistiques desdits groupes, prises de position dans les médias lors d'événements promotionnels). Ce faisant, il apparaît que la programmation reste au cœur du média télévisuel, mais une programmation labellisée par la marque télévisuelle et étendue doublement : à l'échelle des groupes télévisuels, ainsi qu'en direction des médias délinéarisés en ligne édités ceux-ci. La communication de marque est désormais une tâche essentielle pour les groupes de télévision, visant à rendre identifiable le média télévisuel, tout comme à labelliser ses programmes en vue de leur valorisation, en linéaire et en ligne.

Les television studies ont identifié l'avènement du Quality Drama en 1982, à savoir une série américaine ambitieuse, réaliste et tenant un discours critique sur la réalité du téléspectateur. Sur un plan socio-économique, cette innovation créative marque surtout la percée d'une ligne éditoriale, celle de la chaîne NBC, qui parvient alors à capter une audience trentenaire, urbaine, blanche et au fort pouvoir d'achat. Mais après deux décennies de leadership, cette firme s'effondre dans les audiences, au profit de son concurrent ABC. Cet article propose de mettre en lumière les modalités de ce basculement créativo-industriel, en menant une analyse croisée des trois nouveautés les plus suivies de la saison 2004-2005, toutes diffusées par ABC : Lost, Desperate Housewives et Grey's Anatomy. En tenant compte de leur contexte de production et de programmation, nous mettons en évidence une neutralisation de la portée sociale et critique du drama sérialisé : tout d'abord grâce à une matrice esthétique et narrative façonnée par le soap, puis via un discours politique d'apparence progressiste concernant le multiculturalisme de la société américaine.

L'étude du fonctionnement des agences de presse audiovisuelle et des sociétés de production qui travaillent comme sous-traitants des magazines de reportages de la télévision française offre une perspective inédite pour saisir les transformations induites par l'emprise croissante des logiques économiques sur l'espace journalistique. Basée sur un corpus de reportages, une quarantaine d'entretiens avec des professionnels et trois ethnographies en agences, cette recherche replace d'abord le développement de ces émissions et de l'externalisation des productions dans l'évolution des rapports de concurrence liée à la libéralisation du secteur de l'audiovisuel. Elle précise ensuite comment la dépendance aux diffuseurs et l'impératif de rentabilité des sous-traitants se réfractent dans l'organisation du travail et l'ajustement des dispositions professionnelles. Enfin, l'analyse pointe les effets paradoxaux sur les représentations et les conditions de travail de la diversification de ces agences dans la production de programmes longs et de documentaires, y compris pour les plateformes SVOD.

En sciences sociales, l'étude de la connaissance porte de façon privilégiée sur le domaine scientifique et sa production. La médiatisation du sport ne bénéficie ordinairement pas du même prestige et est rarement perçue comme un domaine de la vie sociale où s'expriment la recherche de l'objectivité et de la correspondance aux faits. Mettant de côté ces présupposés, cet article propose d'examiner les pratiques d'objectivation d'un phénomène par sa représentation visuelle à travers la production d'un objet en apparence trivial : le révélateur de hors-jeu à la télévision.À partir de données vidéo collectées en régie lors de la réalisation de matches de football diffusés en direct, le propos s'appuie l'analyse des interactions entre techniciens en régie. Inspirée de l'analyse conversationnelle et de l'ethnométhodologie, la démarche s'attache notamment à mettre en lumière le lien mutuellement configurant et dynamique entre les modes d'apparition du hors-jeu en tant que phénomène, sa perception in situ par les participants et les descriptions verbales et visuelles qui en sont faites.

Les commentaires numériques générés par les émissions de télévision sur Twitter font l'objet de plusieurs études depuis 2006 (Segado et al., 2015). Miss France est l'un des programmes les plus commentés de la télévision française sur ce réseau social numérique. TF1 et la société de production Banijay développent autour de ce programme une communication très rodée. Grâce aux archives web mises à la disposition des chercheurs par l'Institut National de l'Audiovisuel, nous proposons dans cet article une analyse diachronique et sémio-pragmatique de ce phénomène, en nous appuyant sur un corpus d'émissions diffusées entre 2015 et 2019, ainsi que les tweets qui y sont relatifs. Notre analyse de ces contenus confirme que les pratiques qui se nouent autour de la télévision sociale s'institutionnalisent (Jeanne-Perrier, 2010) et que les différents « cercles » de commentateurs et leurs discours se cristallisent autour de postures récurrentes et rituelles.

Cet article s'intéresse aux postures et aux relations parentales face aux usages des écrans dans la famille. À partir des résultats d'une enquête croisant systématiquement les discours et les perceptions des enfants comme des parents, vis-à-vis des usages de chaque membre des 15 familles rencontrées, nous montrons comment les pratiques numériques et leurs perceptions sont au cœur d'enjeux de distinction pour les parents. Alors que les usages juvéniles des écrans et leur régulation parentale sont beaucoup étudiés, nous proposons un double déplacement : 1. Mettre à jour l'inscription de la médiation parentale numérique dans les normes contemporaines de la « bonne parentalité », ce qui implique de l'étudier sous l'angle des appartenances sociales de la classe et du genre, et 2. Mettre à jour les usages des adultes et leurs perceptions, c'est-à-dire les agacements, crispations et conflits qu'ils alimentent au sein des couples et entre ex-conjoints. C'est donc sur l'axe horizontal de la socialisation parentale et conjugale que l'argument est construit, afin de montrer comment les discours sur la place des écrans dans les familles sont des marqueurs d'appartenances identitaire et sociale. Parler des usages, c'est opérer un travail de légitimation (de soi) ou au contraire de dénigrement (des autres), en fonction de sa position dans un système social stratifié et genré.

Le téléphone mobile est devenu un objet du quotidien par lequel de nombreuses informations transitent via l'intermédiaire des réseaux des opérateurs. Les activités réalisées avec le téléphone, notamment celles qui requièrent la géolocalisation, sont sources de données riches (zones de présences, volume) pour analyser les mobilités et les lieux de fréquentation des individus. Néanmoins, la prudence quant à l'utilisation de telles données persiste. La captation est soumise aux conditions d'utilisation, à l'environnement, et également à de nombreux dispositifs techniques. À travers une étude de cas, Roland-Garros, il s'agit d'évaluer la fiabilité des données issues de la téléphonie mobile en proposant une analyse de la fréquentation du stade et des mobilités des spectateurs. Pour cela, nous proposons de comparer cette méthode ainsi que les résultats obtenus au regard de deux autres dispositifs d'enquête mis en œuvre : la billetterie et le questionnaire.