Contenu du sommaire : Soutien social et pair-aidance numériques

Nous mettons ici en perspective les enjeux du soutien social en ligne comme phénomène info-communicationnel avant d'introduire le dossier thématique de cette livraison de Questions de communication et, enfin, nous proposons les points saillants d'un programme de recherche en sciences de l'information et de la communication.

Les plateformes comme Reddit permettent aux jeunes adultes de se regrouper et de partager leurs expériences. Alors que la période allant du milieu de l'adolescence au début de l'âge adulte est généralement marquée par le passage vers une vie sexuelle active, certaines personnes traversent cette phase de manière différente, perçue comme atypique, car elle déroge aux normes sociosexuelles dominantes. Cette perception stigmatise les jeunes adultes inexpérimentés sexuellement. À partir d'un cadre théorique en études de la communication et de la sexologie développementale, cette étude examine la manière dont les jeunes adultes inexpérimentés sexuellement discutent de leur expérience sur Reddit. Les analyses montrent que les types de soutien social informationnel et émotionnel supplantent les autres et que la sous-catégorie du conseil est la plus saillante. Nous abordons ces résultats à l'aune des registres d'expertises, alors que celui découlant de l'expérience des personnes domine au sein des échanges. La logique énonciative du témoignage abonde et se déploie notamment afin de rendre visible l'expérience à partir de laquelle se fonde l'expertise. Nous constatons une négociation des normes dominantes de la sexualité obligatoire dans les échanges, alors que plusieurs personnes prônent explicitement le respect de soi et de la diversité des parcours sociosexuels.

L'article analyse les différentes formes de soutien social qui sont échangées à l'intérieur de groupes Facebook trans francophones. Il propose de penser autrement les dynamiques de soutien en ligne – en questionnant à la fois ce qu'elles produisent et ce qu'elles permettent – à travers la notion d'éthique du care trans. Fondée sur une perspective située, cette recherche, réalisée entre septembre 2017 et septembre 2020, s'appuie sur une ethnographie en ligne des principaux groupes Facebook trans francophones. Les résultats présentés se divisent en deux sections : la première se concentre sur l'échange de soutien informationnel à travers la création d'annuaires de soignant·es safe et la seconde examine la circulation du soutien émotionnel suite à des événements négatifs.

Cette recherche s'intéresse au déploiement du soutien social numérique dans le cadre d'une anomalie dermatologique rare, le naevus congénital (NC). La « guérison » ne faisant pas partie de l'horizon thérapeutique, l'enjeu principal est de favoriser l'émergence de conditions sociales et subjectives favorables à l'épanouissement des personnes porteuses, le soutien entre pairs jouant un rôle prépondérant dans l'émergence de ces conditions. Pour comprendre l'usage des dispositifs numériques dans le cadre de ce type de pair-aidance, nous avons mené une série d'entretiens semi-directifs avec treize patient·es membres de trois associations européennes (France, Espagne et Italie). Les résultats révèlent que les patient·es s'investissent dans l'usage différencié (organisationnel, individuel ou hybride) d'outils de soutien numérique pluriels tels que les services de messagerie instantanée ou les réseaux sociaux, dans le but de construire collectivement des techniques habilitantes répondant à une demande de reconnaissance d'autrui dont le fonctionnement est soumis aux attentes normatives produites par la société.

S'installant dans le paysage médical français, l'éducation thérapeutique du patient a pour objectif d'apporter une prise en charge complète, tant sur le versant de l'information diffusée que sur celui du soutien social entre pairs, afin d'améliorer la qualité de vie des patient·es souffrant d'obésité. Parallèlement aux autres pratiques hospitalières, l'éducation thérapeutique se numérise devenant ainsi éducation thérapeutique du patient numérique (e-ETP). Ces programmes renferment maintenant des forums de discussions entre patients, vus comme des espaces d'échanges expérientiels idéaux. En mobilisant les résultats obtenus lors d'enquêtes d'usage quantitative et netnographique, l'article interroge l'éfficacité du soutien social en ligne entre patients. On observe dès lors une différence notable entre les forums institutionnalisés dans la plateforme, et le groupe d'échange Facebook créé préalablement à la plateforme communautaire étudiée. On formule l'hypothèse que l'imbrication biomédicale des dispositifs sociotechniques de soutien social plateformisés ne favorise pas l'émergence de cette pair-aidance numérique.

Paroles Trans Reims a été créé par et pour des personnes trans vivant à Reims et en Champagne-Ardenne, à des fins d'entraide au cours du parcours de transition. Les échanges entre les membres apportent un soutien informationnel et émotionnel en lien avec les traitements hormonaux et chirurgicaux et l'étape de coming out qui cristallise beaucoup de craintes. Animé dans une logique d'autodétermination et soutenant l'idée que chacun est libre de réaliser sa transition comme il le souhaite, en militant ou non pour ses droits, le serveur se place à l'abri des discours pathologisants, transphobes et alarmistes circulant dans la société, mais aussi à l'abri des discours transmédicalistes et militants circulant dans la communauté trans. Sa dimension « régionale » permet d'actualiser « hors ligne » les liens tissés « en ligne » et favorise la construction d'une cartographie de l'offre médicale présente dans la région pour permettre aux personnes envisageant un parcours de soin dans le secteur privé d'identifier des médecins bienveillants et accessibles sur le plan géographique et financier.

Malgré les nombreuses spéculations sur les avantages et les inconvénients potentiels de la communication médiée par ordinateur (CMO) pour les processus de soutien social, peu de tentatives ont été faites pour résumer les résultats issus de l'exploitation de ce corpus d'études Le présent article présente un état des lieux de la recherche sur le soutien médié par ordinateur afin de déterminer si les promesses et les périls supposés de la CMO se sont concrétisés. Les études empiriques examinant l'utilisation de la CMO pour acquérir un soutien social et les conséquences du soutien acquis en ligne sont passées en revue et synthétisées. L'article se termine par un programme de recherche future identifiant des questions pressantes sur le soutien médié par ordinateur.

La forte publicisation de la santé publique lors de la pandémie de Covid-19 a permis d'observer que, pour les décideurs politiques et sanitaires, elle demeure gouvernée par des logiques régulatrices et fonctionnalistes, à rebours des valeurs démocratiques et dans l'ignorance des paradigmes et des savoirs produits par les sciences humaines et sociales. La catégorie d'« acceptabilité sociale » en est la manifestation et l'un des instruments de la communication institutionnelle. L'article développe la thèse selon laquelle ce phénomène est caractéristique des contingences et des contradictions de la santé publique, comme domaine de l'action publique mais aussi comme champ de production des savoirs.

Cette recherche vise à mieux comprendre la prise en compte des enjeux du genre par les professionnel·les de la communication. La littérature montre que le domaine de la communication est caractérisé par un certain « régime d'inégalités » (Acker, 2006) : à une division genrée entre emplois masculins prestigieux et métiers féminins moins valorisés, s'ajoute l'expérience du « plafond de verre » et de l'inégalité salariale. Des associations de professionnel·les ont commencé à mener des actions pour favoriser l'égalité femmes/hommes et promouvoir des pratiques plus attentives au genre. À partir d'une méthode mixte, nous cherchons à identifier un éventuel « terreau » organisationnel favorable à la prise en compte de ces enjeux dans les pratiques quotidiennes. L'analyse croisée des données quantitatives et qualitatives met en lumière le rôle de l'autonomie et de la perception d'un environnement de travail respectueux de la diversité. L'importance de la sensibilité individuelle à ces questions apparaît également dans les entretiens collectés.

La recommandation algorithmique fait débat depuis les premiers travaux qui ont popularisé le terme de « bulle de filtre ». L'hypothèse d'un enfermement de l'usager est largement associée aux biais liés à la personnalisation de plus en plus fine et de plus en plus poussée des résultats proposés, qu'il s'agisse des moteurs de recherche, des réseaux sociaux ou des services culturels. En matière d'information, la question soulevée est celle de l'accès au pluralisme des opinions dans une société démocratique. Pour l'offre proposée par les services culturels en ligne, la thèse des biais algorithmiques et de l'enfermement dans la même catégorie de contenus au détriment de la diversité culturelle, bien que récurrente, n'a jamais été totalement éprouvée dans des travaux empiriques. Établir des formes de régulation adaptées suppose pourtant des outils d'objectivation afin de confirmer ou d'atténuer les craintes exprimées par l'hypothèse de la bulle de filtre.

La communication politique se résume-t-elle exclusivement à la communication médiatique du « Pouvoir politique » ? Si l'on en croit la littérature académique, force est de constater qu'un large consensus existe depuis longtemps sur ce point. Comment l'expliquer ? Et comment ignorer qu'une telle évidence conduit à la fois à occulter des pans entiers de réalité et à promouvoir une vision quelque peu trompeuse ? Après avoir ressaisi la genèse de l'objet « communication politique », l'article engage trois hypothèses explicatives : le média-centrisme, l'emprise des croyances relatives au « Pouvoir politique », la division du travail scientifique et la structuration coercitive des espaces de production de la connaissance. À terme, la critique invite à reconsidérer l'objet, à modifier le regard que l'on porte sur celui-ci pour élargir le champ des recherches entreprises à bien d'autres phénomènes.

‪Cet article propose une cartographie des ressources de fact-checking et établit une typologie de celles-ci, décrivant la variété des outils disponibles. L'approche est ascendante : dans le cadre d'un projet européen sur le fact-checking collaboratif, des étudiants en journalisme et communication venant de France, de Grèce et de Pologne ont été invités à répertorier et classer tous les outils de fact-checking qu'ils utilisent ou qu'ils connaissent. Les résultats ont révélé un dénominateur commun, à savoir l'existence d'une variété d'acceptations de cette expression, que ce travail a cartographiée. Cependant, il a également mis en lumière les différences liées au rôle des contextes nationaux.‪

Sans rechercher le mimétisme avec les médias, Construire l'événement a la force d'impact d'un titre et a fait date comme analyse capitale sur le discours d'information et la construction de multiples réalités à travers un « événement ». Il s'agit en l'occurrence d'une étude de terrain sur un cas précis : l'accident nucléaire de Three Mile Island du 28 mars 1979 aux États-Unis. Une étude limpide dans sa construction, en trois temps, trois séquences chronologiques : au point d'y voir pour certains un « cas d'école » de l'analyse qualitative des médias. D'autres s'inquiètent au contraire de la surabondance de concepts relevant d'un métalangage théorique pas vraiment présenté ni commenté au fil des pages. Pour éviter une approche trop frontale de l'ouvrage, il est proposé de situer Construire l'événement par rapport aux fondations de la théorie socio-sémiotique d'Eliseo Véron ; puis de regarder de plus près la construction même de ce modèle d'étude sur le discours d'information ; discuter enfin le lien parfois trop direct entre Construire l'événement et le constructivisme, sans même mesurer la place de Charles S. Peirce et du ternaire dans la pensée si productive d'E. Véron, à l'égard de la construction sociale du sens.

L'enjeu de ce texte est de discuter le regard porté par deux économistes américains, Erik Brynjolfsson et Andrew McAfee, sur les transformations numériques qui traversent la société à partir du triptyque machines, plateformes et foules. Ces trois termes et la lecture combinatoire qu'en proposent les auteurs, teintée d'un déterminisme technologique dominant assorti de quelques nuances, interpellent les sciences humaines et sociales en général, et les sciences de l'information et de la communication en particulier, pour le regard critique bienvenu qu'elles apportent sur cette vision du monde présent et à venir.