Contenu du sommaire : Madagascar, les urnes et la rue
Revue | Politique africaine |
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Numéro | no 86, juin 2002 |
Titre du numéro | Madagascar, les urnes et la rue |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Le Dossier : Madagascar, les urnes et la rue
- Ravalomanana et la troisième indépendance ? - Françoise Raison-Jourde et Jean-Pierre Raison p. 5
- Le scrutin présidentiel du 16 décembre 2001. Les enjeux d'une élection contestée - Mireille Razafindrakoto et François Roubaud p. 18 La crise politique consécutive au scrutin du 16 décembre 2001 marque un sévère coup d'arrêt au processus de démocratisation à Madagascar. Pourtant, cet article montre que si la démocratie malgache est malade, ce n'est pas de ses électeurs, qui font preuve d'une étonnante maturité, mais de son État et de ses élites politiques, les fraudes et surtout l'exclusion des listes de 20 % du corps électoral mettant en lumière les dysfonctionnements massifs d'une démocratie tronquée. Mais il démontre aussi que l'hypothèse du vote ethnique, souvent invoquée pour expliquer les conflits en Afrique, ne tient pas. L'attachement aux valeurs démocratiques est manifeste, comme en témoigne le recul de l'abstention.The Presidential Elections of 16 December 2001The political crisis that followed the ballot of 16 December 2001 dealt a severe blow to the democratization process in Madagascar. Nonetheless, this article shows that if Malagasy democracy is ill, it is not because of its electorate – which has demonstrated a remarkable maturity – but of its State and political élites. Electoral fraud, and especially the exclusion of some 20% of the electorate from voting lists, sheds light on the massive malfunctioning of an incomplete democracy. But it also demonstrates that the hypothesis of ethnic voting patterns, which is often invoked to explain conflicts in Africa, does not hold. The attachment to democratic values is obvious, as manifested by the decrease in abstentions during these elections.
- Le pouvoir en double - Françoise Raison-Jourde p. 46 Les élections présidentielles de décembre 2001, au résultat contesté, ont été suivies d'énormes manifestations dans la capitale. Non violentes et fortement ritualisées, appuyées par les représentants des Églises, elles étaient l'affirmation, contre D. Ratsiraka, du lien de souveraineté entre M. Ravalomanana et le « peuple de Dieu ». Elles ont été suivies de l'investiture d'un « président-bis » et de la constitution d'un pouvoir en double. Cette mobilisation dans l'ordre du symbolique a remarquablement joué des ressources de la ville, vitrine historique du pouvoir monarchique puis colonial, et de la place du 13 Mai, lieu de mémoire de trois mouvements populaires.Power in Duplicate
The presidential elections of December 2001, of which the results were contested, were followed by massive demonstrations in the Malagasy capital city. These demonstrations against D.Ratsiraka were non-violent, markedly ritualised, and were supported by religious leaders, thus highlighting the notion that there was a link between the sovereignty of M. Ravalomanana and « God's people ». The demonstrations were followed by the investiture of a « second President » and by the constitution of a duplicate power structure. This mobilisation on a symbolic register played in remarkable ways on the resources of the city – which historically was the showcase for the monarchys power, and later colonial power – and of the « Place du 13 Mai », a square that memorializes three popular movements from the past. - Les Kung-Fu - F. R.-J. p. 68
- De la guérison des corps à la guérison de la nation. Réveil et mouvements évangéliques à l'assaut de l'espace public - Lucile Jacquier Dubourdieu p. 70 Cet article interroge le sens de la promotion des mouvements du Réveil dans l'espace public, à l'occasion des deux cérémonies d'investiture de Marc Ravalomanana. L'hypothèse est qu'à défaut du libre jeu institutionnel, la légitimation du processus électoral nécessite, parallèlement au soutien des Églises historiques, l'appui de formes populaires du christianisme spécialisées dans la lutte contre la sorcellerie et les forces démoniaques, censées constituer le fondement du pouvoir du précédent régime. L'antagonisme entre les Églises historiques et le président Ratsiraka est traité sur le mode exorciste de la lutte de l'ange et du démon. Cette vision nourrit un imaginaire du politique qui fait ainsi l'économie d'une réflexion sur les fondements structurels de la corruption.From Healing Bodies to Healing the Nation
This article questions the meaning of promoting « Born Again » Christianity in public spaces during the ceremonial investiture of Marc Ravalomanana. The hypothesis is that in the absence of free and transparent institutions, the legitimation of the electoral process requires the support of popular forms of Christianity that specialise in the struggle against witchcraft and satanic forces – which are thought to be what the previous regime's power was founded on – in addition to the support of mainstream Churches. The antagonism between mainstream Churches and president Ratsiraka is perceived on the register of exorcism, as an opposition between angel and demon. This vision nourishes a political imagination which undermines chances of a proper reflection on the structural causes of corruption. - Les forces armées et les crises politiques (1972-2002) - Jaona Rabenirainy p. 86 L'armée malgache, qui n'est riche qu'en généraux, s'est trouvée profondément affaiblie par les différentes manipulations qui ont été effectuées par D. Ratsiraka depuis son arrivée au pouvoir en 1975. L'essai de dépolitisation opéré entre 1992 et 1997 a été fortement remis en cause par le retour au pouvoir de « l'amiral ». Cet article analyse les divers courants, « loyaliste », « légaliste » et « légitimiste », entre lesquels s'est partagé le commandement pendant les premiers mois du conflit politique. Les forces armées apparaissent éclatées, à l'instar de la nation malgache.The Armed Forces and Political Crises (1972-2002)The Malagasy army, which is rich only in generals, has been seriously weakened by D. Ratsiraka's various manipulations since he gained power in 1975. The effort to depoliticize the army between 1992 and 1997 was challenged by the « admiral's » return to power. This article analyzes the various currents, « loyalist », « legalist » and « legitimist », which shared the army's command during the early months of the political conflict. The armed forces appear to have splintered, in a manner similar to the Malagasy nation as a whole.
- Tamatave et le tribalisme - A. p. 103 Le province et la ville de Tamatave sont souvent présentées comme le fief de D. Ratsiraka et, partant, comme un haut lieu du « tribalisme ». Cela est infondé pour la province, hétérogène, mais également pour le « pays betsimisaraka » où les attitudes électorales varient régionalement. Seul le Sud betsimisaraka, sans doute à la suite de la manipulation des inscriptions, a voté massivement pour le président sortant. Quant à la ville, de population hétérogène, les votes y ont été quasiment partagés. L'ethnicisme y est fort, mais il a débouché non sur un tribalisme de masse, mais sur une opposition entre originaires et immigrés.Tamatave and Tribalism
The province and city of Tamatave are often presented as a fief of D. Ratsiraka and hence as a site of heightened « tribalism ». This perception is unfounded with respect to the province, which is heterogeneous in its ethnic composition, but also for « Betsimiraka country » where electoral preferences vary regionally. Only the Betsimiraka south voted massively in favor of the outgoing president – and even there with the support of electoral list tampering. As for the city of Tamatave, its population is also heterogeneous, and votes were almost evenly split between the two presidential candidates. If ethnic loyalty is indeed strong, it did not lead to a mass tribalist response, but rather to an opposition between autochtonous and immigrant populations. - Économie politique et géopolitique des barrages routiers (Madagascar, février-mai 2002) - Jean-Pierre Raison p. 120 Les barrages « économiques » sont une des nouveautés de la crise. En coupant le trafic entre les côtes et la capitale, les partisans de Ratsiraka ont voulu étrangler l'Imerina, sans façade maritime, en la privant de produits d'importation. Cette stratégie n'a pas réussi. Elle ruine l'activité économique et perturbe les échanges, importants entre côtes et hautes terres. « Poreux », les barrages ont permis la floraison d'un marché noir, qui a ravitaillé la région centrale. Présentés comme les instruments d'une géopolitique, les barrages sont plutôt la forme nouvelle d'une « économie politique » ancrée dans l'histoire : la recherche du profit maximal par la raréfaction artificielle des denrées.Political Economy and Geopolitics of Roadblocks« Economic » roadblocks are an innovation of the present crisis in Madagascar. By interrupting road traffic between the coasts and the capital city, Ratsiraka's supporters want to place a stranglehold on Imerina– now deprived of access to the coast and hence to imported goods. This strategy did not work. It damages economic activities and interrupts important exchanges between coasts and highlands, but the porous nature of the blockages have produced a flourishing black market which has kept supplies flowing to the central region. Presented as instruments of geopolitics, the roadblocks are rather a new form of political economy anchored in history – one that searches to maximize profits through the production of artificial commodity scarcity.
- Stratégies territoriales de la crise malgache - Christiane Rafidinarivo Rakotolahy p. 138 La crise barragiste a rompu de part en part la continuité territoriale. L'idée d'État-nation, d'enjeu électoral, devient bataille territoriale. L'âpre lutte pour les enjeux de maîtrise des infrastructures stratégiques, des ressources financières et celle des institutions révèlent l'émergence de nouveaux espaces stratégiques. De l'État et de la nation, lequel s'avère en fait plus fragile dans les reconfigurations de la crise malgache ? Qu'advient-il alors de la conquête du pouvoir et quels seraient les nouveaux enjeux du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ?Territorial Strategies in the Malagasy Crisis
The roadblock-prone crisis has broken territorial continuity, at least in part. The idea of the nation-state and electoral stakes become a territorial battle. The bitter struggle over what is at stake in controlling strategic infrastructures, as well as financial and institutional resources reveal the emergence of new strategic spaces. State or nation, which reveals itself effectively weaker in the reconfigurations taking place during the Malagasy crisis? What happens then to the conquest of power and what might be the new rights of people to dispose of themselves at stake in the present? - Les imaginaires de l'étranger dans la crise malgache - Faranirina V. Rajaonah p. 152 La reconnaissance internationale de Marc Ravalomanana étant l'une des préoccupations majeures de ses partisans, ceux-ci ont accordé beaucoup d'attention aux prises de position des bailleurs de fonds. Mais ils en sont venus à plus de réalisme géopolitique, en acceptant la médiation de l'OUA dans le règlement de la crise, ce qui conduit à des changements notables dans leurs représentations de l'Afrique. L'intervention de la France, avec laquelle ils entretiennent des relations ambiguës, pose la question de l'influence, réelle ou supposée, des puissances étrangères. Cet article analyse les discours qu'une certaine catégorie de Malgaches tient sur le rôle des étrangers dans un contexte où l'imagination se nourrit de la rumeur.Imagining the Stranger in the Madagascar's Crisis
Marc Ravalomanana's international recognition is one of the major concerns of his supporters, which accounts for the fact that the latter paid considerable attention to the positions taken by northern international donors. But they have since attained greater geopolitical realism and have accepted the mediation of the OAU in efforts to resolve the crisis, thus leading to changes in Malagasy representations of Africa. The intervention of France, a country with which Madagascar has ambiguous relations, raises the question of the real or supposed influence of foreign powers in the country's affairs. This article analyzes the discourse about the other of a particular category of Malagasy, in a context where the imagination is fed by rumor.
Conjoncture
- Présidentielles maliennes : l'enracinement démocratique ? - Pierre Boilley p. 171 Le 12 mai 2002, le général Amadou Toumani Touré, « tombeur » en 1991 du général-dictateur Moussa Traoré, a été élu président de la République du Mali, après une décennie au pouvoir de l'Adema et d'Alpha Oumar Konaré. Ces élections présidentielles, qui inaugurent la première alternance malienne, marquent-elles une nouvelle étape de l'enracinement démocratique malien ? Les rumeurs persistantes d'arrangements occultes et les nombreuses irrégularités qui ont entaché le scrutin en révèlent-elles au contraire le dévoiement ?Malian Presidential Elections: Democracy Taking Root?
On 12 May 2002, general Amadou Toumani Touré – who in 1991 overthrew the dictator general Moussa Traoré – was elected president of the Republic of Mali after a decade in which Adema and Alpha Oumar Konaré held power. Do these presidential elections, which inaugurate the first changeover of political power in Mali, mark a new stage in the rooting of Malian democratic processes? Or, by contrast, do the persistent rumors of occult arrangements and of numerous irregularities that purportedly have compromised the ballot reveal their thwarting? - Fin de la guerre, enfin, en Angola. Vers quelle paix ? - Christine Messiant p. 183 Après 27 ans de guerre civile en Angola, un accord a été signé le 4 avril 2002, mettant fin aux hostilités, cette fois, on peut l'espérer, durablement. Ouvrant aux Angolais un avenir bouché depuis l'indépendance, il porte cependant les marques des voies par lesquelles il est advenu : non le choix de la négociation politique mais celui d'une « solution militaire » menée jusqu'à la mort du chef de l'Unita Jonas Savimbi ; le choix d'un accord qui se concentre sur la démilitarisation nécessaire de la rébellion sans mettre en œuvre les conditions d'une réconciliation et d'une démocratisation essentielle au maintien de la paix civile.Finally, the End of War in Angola. Towards Which Peace?
After 27 years of civil war in Angola, on 4 April 2002 an agreement was signed that put an end to hostilities, this time permanently – one hopes. The accord opens to Angolans a future on hold [since independence, but bears the signs of the paths taken to reach it: a « military solution » carried out until the death of Unita leader Jonas Savimbi instead of the choice of political negotiations; and an agreement that focuses on the necessary demobilization of rebels, but without putting in place the conditions for reconciliation and democratization processes which are essential to a permanent civil peace.
- Présidentielles maliennes : l'enracinement démocratique ? - Pierre Boilley p. 171