Contenu du sommaire : Pouvoir d'un seul et bien commun (VIe-XVIe siècles)
Revue | Revue française d'histoire des idées politiques |
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Numéro | no 32, 2e semestre 2010 |
Titre du numéro | Pouvoir d'un seul et bien commun (VIe-XVIe siècles) |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Présentation - Franck Collard p. 227
- Ecrire pour le bien de tous : définition et éloge du bien commun dans les correspondances de l'époque mérovingienne - Bruno Dumézil p. 231 Si les Mérovingiens ne disposent pas de littérature politique comparable à celle des siècles postérieurs, ils connaissent toutefois la notion de « bien commun ». En effet, les lettres adressées au roi, pour le flatter ou pour le conseiller, insistent toutes sur l'idée que l'institution monarchique a pour vocation d'offrir le bonheur à tous les hommes. Dans la tradition de l'Antiquité tardive, cette rhétorique s'avère toutefois extrêmement plastique : selon les époques, le « bien commun » permet de justifier l'impérialisme militaire, la christianisation de la fonction royale ou la montée en puissance des aristocraties.Although the Merovingians have no political literature that can be compared to that of later centuries, they know the notion of « common good ». Indeed, letters addressed to the king, to flatter or to advise him, all insist on the idea that monarchy should act for the happiness of all men. But, following the tradition of late Antiquity, this rhetoric turns out to be very flexible : depending on the epoch, « common good » can underwrite military imperialism, conversion of the royal function to Christianity, or the growing power of aristocracy.
- Bien commun et utilitas communis au XIIe siècle : un nouvel essor ? - Yves Sassier p. 245 Très présente aux temps carolingiens dans les œuvres des lettrés comme dans les documents officiels, moins utilisée au début des temps « féodaux » (xe-xie siècle), la notion d'utilité commune revient en force dès les premières années du xiie siècle. Deux auteurs, Pierre Abélard autour des années 1120-1130, Jean de Salisbury vers 1158, témoignent de l'essor d'une réflexion approfondie autour de ce syntagme, même si ce renouveau n'implique pas encore la mutation conceptuelle des siècles suivants : celle qui verra la notion de bien commun s'éloigner d'une vision essentiellement spirituelle du « commun salut ».Often used during the Carolingian period, the notion of utilitas publica/communis knew an eclipse during two centuries. It strongly came back from the first years of the twelfth century. Two Authors, Peter Abelard around the years 1120-1130, John of Salisbury thirty years later, testify the growth of a thorough reflection about this notion, even if this revival does not imply yet the conceptual mutation of the following centuries which will see the « commun good » moving away from the mainly spiritual notion of salus communis.
- L'utilitas publica des canonistes, un outil de régulation de l'ordre juridique - Corine Leveleux-Teixeira p. 259 Si le bien commun est un topos de la pensée politique des xive-xve siècles, il s'en faut de beaucoup pour que sa version canonique « d'utilité publique » occupe une place centrale dans les écrits contemporains des juristes de l'Église. Sur le plan rhétorique, le syntagme « utilité publique » n'est guère élucidé, mais sert d'argument pour produire du consensus social. Sur le plan du droit, le recours à l'utilité publique est utilisé pour arbitrer entre plusieurs intérêts en conflit. Immanente au champ juridique, la vocation première de l'utilitas publica n'est donc pas politique : elle ne tend ni à organiser le pouvoir ni à fonder sa légitimité. Elle constitue, avant tout un outil d'évaluation pragmatique destiné aux experts en droit, magistrats et consultants dans leur activité professionnelle.If the common good is a topos of the political thought of the xiv-xv centuries, it cannot be said that its canonical version of « public interest » occupies a central room in the contemporary writings of jurists of the Church. On the rhetorical level, the meaning of « public interest » is not clearly elucidated, but the expression is used by the jurists as a speech argument to produce social consensus. As far as law is concerned, the reference to public interest tends to arbitrate between conflicting purposes. The main vertue of public interest is not political : it tends not to hold the power either to establish its legitimacy. It is above all a pragmatic assessment tool for experts in law, judges, and consultants, according to the needs of their business.
- Aristote et le bien commun au Moyen Age : une histoire, une historiographie - Bénédicte Sère p. 277 Au Moyen Âge, le bien commun est un lieu commun, en particulier le thème du bien commun dans la pensée aristotélicienne. Quand des penseurs médiévaux utilisent l'expression liée à l'auctoritas d'Aristote, qu'est-ce qui se cache derrière ? Nous traiterons en deux temps du problème : son histoire (1) ; son historiographie (2) pour en arriver à la conclusion paradoxale que le « bien commun aristotélicien du Moyen Âge » n'a d'autre réalité que celle des sources et des auteurs qui s'en servent à leur profit sur un arrière-plan et dans un contexte politique spécifiques.The Common Good in Middle Ages is a common place et especially the thema of common good in Aristotle's thought. What is hidden behind the phrase « Common Good » linked to the Aristotelian auctoritas when medieval thinkers use the locution ? We will deal with this question in two moments : its history (I) ; its historiography (II) to come to the paradoxal conclusion that « Aristotle's Commun Good in Middle Ages » has no other reality than those of the sources and of the authors who instrumentalize it for themselves, in definite backgrounds and in special political contexts.
- Le bien commun, argument pro et contra de la fiscalité royale dans la France de la fin du Moyen Age - Lydwine Scordia p. 293 Dans les années 1280-1300, les théologiens de l'Université de Paris répondent à des questions portant sur les conditions nécessaires à la mise en place des fiscalités urbaine et royale. La « causa finalis » de l'impôt n'est pas pour les maîtres le « bonum commune » mais l'« utilitas communis ». L'un des enjeux de ces questions consiste dans la définition des populations imposables. Au terme des débats, les « magistri » considérent que les clercs font partie de la communauté et qu'ils doivent par conséquent acquitter l'impôt. La justification royale de l'impôt est ouvertement émotionnelle et cantonne l'impôt dans l'ordre de la conjoncture.In the years 1280-1300, the theologians of the University of Paris responded to questions concerning the necessary conditions for putting into place an urban royal taxation system. The « causa finalis » of the tax is not for the masters of the « bonum commune » but the « utilitas communis ». One of the stakes in these questions resides in the definition of taxable populations. At the end of the debates, the « magistri » consider the clerics as part of the community who should thus pay tax. Royal justification of the tax is openly emotional and confines the tax to the order of conjecture.
- Le bien commun à l'épreuve de la pratique : discours monarchique et réinterprétation consulaire en Languedoc à la fin du Moyen Age - Vincent Challet p. 311 Dans les actes de la pratique, et notamment dans les ordonnances royales, l'expression d'utilitas publica se substitue à la notion de « bien commun » et constitue, pour la monarchie française, l'un des fondements de sa légitimité à lever des impôts. Toutefois, dans le contexte troublé de la fin du XIVe siècle, l'emploi d'une expression aussi malléable peut aussi se retourner contre la royauté. Les textes montrent en effet la capacité des autorités consulaires languedociennes à doter l'utilitas publica d'un sens qui leur est propre et qui ne coïncide pas exactement avec l'utilitas regia, et à fonder leur opposition à la monarchie sur l'utilitas publica.In most medieval texts, especially in royal edicts, the expression of « Common Good » is replaced by the one of utilitas publica which is, for the French monarchy, one of the bases of its legitimacy to raise taxes. However, at the end of the xivth century, using such a malleable expression can reveal itself hazardous for the monarchy as, in Languedoc for instance, the urban authorities are able to reshape the notion of utilitas publica, giving it a different meaning from the one of utilitas regia, and can build their opposition to the monarchy on utilitas publica.
- D'une Cité à l'autre : bien commun et réforme de l'Etat à la fin du Moyen Age (France/Empire) - Gisela Naegle p. 325 En France comme en Allemagne, à la fin du Moyen Âge, la liaison étroite de la réforme du monde et de l'Église avec celle de l'État se reflète également dans la terminologie du bien commun. Employé par le prince, il sert à stabiliser le pouvoir monarchique, mais simultanément il peut se transformer en arme aux mains de ses adversaires et servir à la contestation de l'ordre établi. Le discours sur la réformation de l'État évolue en fonction de la conjoncture politique. Cependant, aussi bien en France qu'en Allemagne, le bien commun correspond souvent au désir ou plutôt au rêve d'une paix durable.In France and Germany, at the end of the Middle Ages is characterized by a great number of theoretical reflections on the reformation of Church and State. The close links between secular and religious reform debates are clearly recognizable in the terminology of the Common Good. Used by the prince for stabilization of monarchical power, it can also transform itself into a weapon in the hands of his adversaries and help to challenge the established order. Secular reformation discourse is subject to political conjuncture. But finally, in France as well as in Germany, the Common Good represents often the desire (or rather the dream) of a lasting peace.
- A la place du bonheur : Bâtir le bien commun et la prospérité de la res publica. La littérature de consilia de la couronne catalano-aragonaise - Paolo Evangelisti p. 339 Ont été croisés des textes produits à la cour parthénopéenne d'Alphonse, en particulier Des devoirs du prince par Diomede Carafa, avec des textes franciscains produits dans le cadre catalano-aragonais. L'utilitas publica n'est pas superposable ou interchangeable avec celle du souverain. Elle a une valeur communautaire, construction d'un bien-être général procuré notamment par la confiance. Les réflexions de Carafa ont plusieurs points en commun avec ce qu'écrivit frère Eiximenis à peu près un siècle auparavant.Texts produced at the Neapolitan alphonsine court, in particular Dei doveri del principe (The duties of prince) by Diomede Carafa, were crossed with franciscan textuality written in catalan-aragonese area. The utilitas publica, for these political reasons, is not superimposable or interchangeable with that of the sovereign. It has a communitarian function : the construction of a general wealth notably given by trust. Carafa's reflections about utility and role of merchants have strong coincidences with the observations and proposals written, about a century before, by a friar, Francesc Eiximenis.
- De la communauté du royaume au common weal : les requêtes anglaises et leurs stratégies au XIVe siècle - Christophe Fletcher p. 359 Comment se fait-il que, dans l'Angleterre du bas Moyen Âge, le bien commun soit devenu l'un des principes clef pour justifier une énorme variété d'actions politiques qu'il s'agisse des rebellions nobiliaires, de la politique du roi, des travaux municipaux ou des droits de pêche ? Cet article considère la transition entre deux époques dont les historiens ont examiné la terminologie du bien commun : la communitas ou la communauté du royaume du xiiie siècle, et le common weal du milieu du xve.This article examines how it was that, in late medieval England, the common good became a key concept used to justify an enormous variety of political actions whether that be the policies of the king, the rebellions of magnates, or very local debates over municipal works or fishing rights. It considers in particular the movement between two concepts well studied by historians : the thirteenth-century « communitas » or community of the realm, and the mid-fifteenth-century « common weal ». What changed between these two periods and why ?
- Le bien commun dans la littérature anglaise de la fin du Moyen Age - Aude Mairey p. 373 De nombreuses sources littéraires de l'Angleterre des XIVe et XVe siècles, en particulier celles que l'on pourrait ranger sous la bannière de la poésie politique, insistent sur la nécessité du bien commun, à tel point que l'expression semble relever du cliché éculé : tous ceux qui participent au gouvernement du royaume sont priés de faire passer le bien commun avant leurs intérêts particuliers. Cette expression apparaît toujours de manière très significative par rapport aux préoccupations des poètes, et toujours en relation avec le gouvernement du roi. L'utilisation d'une notion fréquemment reléguée au rang de stéréotype s'avère donc complexe et lourde de sens dans la tentative de construction d'un dialogue entre le roi et ses sujets.A lot of literary sources of 14th and 15th-century England, « political poetry » in particular, insist on the necessity of the common good, what seems almost to be an overused cliché. Everyone participating in the kingdom's government, must put the common good before their particular interest. This expression seldom always appears very significantly with regards to the poets' preoccupations, and always in relation with the king's governement. The use of a notion often considered as a stereotype is therefore complex and difficult, in the context of the construction of a dialogue between the king and his subjects.
- Le bien public et les moralités polémiques - Joël Blanchard p. 385 Les rapports entre droit et littérature sont au centre de bien des interrogations actuelles touchant le Moyen Âge finissant. Un exemple significatif est ici évoqué, celui de la Moralité du Bien Public (Musée Condé ms. 685). « Bien public » et expression littéraire, théâtrale plus précisément, s'y rencontrent. C'est là une formulation nouvelle d'un fait historique bien présent dans d'autres textes, mais qui trouve ici une médiatisation, un vecteur très nouveaux. Le bien public se fait allégorie et l'allégorie, devenue un personnage, prend chair et sang et apporte à la rigueur historique un rythme dramatique.A great part of current research on late Middle Ages is centered on the relationship between law and literature. A significant example is given here by the « Moralité du Bien Publique » (Musée Condé ms. 685). The historical event called « La Conjuration du Bien Public » (The « Bien Public » plot) is closely linked to literature (more specifically drama), eliciting a new way of evoking historical events which can be noted in other texts but finds here a new medium. The allegorical « Bien Public » is embodied in a flesh and blood character which confers a dramatic rythm to legal rigour.
- Pouvoir royal et bien commun chez Eustache Deschamps, nicolas de Herberay et Jean Bodin : une chaîne de pensée politique entre Moyen Age et Renaissance ? - Thierry Lassabatère p. 395 La relation dialectique du pouvoir royal et du bien commun a nourri au Moyen Âge une longue tradition littéraire et philosophique. Convoquant à la fois l'histoire des idées et celle des livres, notre contribution essaie de repérer les lignes de continuité et de rupture dans sa transmission entre fin du Moyen Âge et Renaissance, à travers l'exemple de la filiation littéraire, révélée par la possession de manuscrits de l'un par le suivant, qui unit Eustache Deschamps (V. 1346-1404/5), Nicolas de Herberay († 1552) et (peut-être) Jean Bodin (1529/30-1596).The dialectic relation between royal power and common good nourished a long philosophical and literary tradition during the Middle Ages. Hearing both from the history of ideas and that of books, our contribution tries to identify the lines of continuity and break in its transmission between the late Middle Ages and the Renaissance, following the example of the literary filiation, revealed by the possession of manuscripts of one by another, which links Eustache Deschamps (ca. 1346-1404/5), Nicolas de Herberay († 1552) and (maybe) Jean Bodin (1529/30-1596).
- Conclusions - Colette Beaune p. 411