Contenu du sommaire : Langues déliées
Revue | Cahiers d'études africaines |
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Numéro | no 163-164, 2001 |
Titre du numéro | Langues déliées |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Pour une nouvelle approche des pratiques langagières - Cécile Canut p. 391-398
Dans l'entrelacs des langues, les cheminements
- Exploration dans l'hétérogène : miroirs croisés - Robert NICOLAÏ p. 399-422 Il s'agit ici de réfléchir à quelques avancées nées de la considération de situations de contacts linguistiques et culturels, plus particulièrement en Afrique, et de leurs effets en langue. Le questionnement se placera tout d'abord au niveau cognitif en approfondissant l'arrière-plan de la notion de sémantaxe dans son rapport à celle d'habitus et de ritualisation. Dans un deuxième temps, en se fondant sur deux exemples très éloignés l'un de l'autre : celui de l'élaboration endogène du français en Afrique et celui du « français des marges », on s'intéressera à la question des « fonctions marginales » des langues et l'on enchaînera sur certaines notions classiques et moins classiques telles celles de « répertoire » et de « feuilletage ». Finalement, on concluera en discutant cet appariement hétérogène entre la sémantaxe référée à la formation des traditions cognitives et le feuilletage fondé sur le développement de constructions fonctionnalisées dans les opérations catégorisantes et classificatoires prenant la langue pour objet.
- Le non-standard entre norme endogène et fantasme d'unicité : L'épopée abidjanaise et sa polémique intrinsèque - Katja PLOOG p. 423-442 La constellation plurilingue ivoirienne se distingue de celle rencontrée dans d'autres anciennes colonies françaises. Dans un contexte de brassage ethnique, d'illettrisme et d'urbanisation intenses, le français n'est pas resté le « supervéhiculaire » qu'il est ailleurs : après avoir été plébiscité comme véhiculaire urbain, tout en subissant des adaptations structurales majeures, il est investi désormais de fonctions vernaculaires. Les locuteurs semblent avoir une perception à géométrie variable de ce qu'ils pratiquent ; les descriptions linguistiques de cette entité, elles, sont très variées. Tous conviennent cependant du fait qu'il s'agit de français, appréciation déconcertante pour le francophone non local, pour qui grand nombre d'échanges locaux restent opaques. Il apparaît que la volonté de délimitation d'une variété ou de toute autre sous-catégorisation des formes est vouée à l'échec : en effet, elle réduit l'appropriation à un changement de la langue en négligeant les effets produits sur une communauté vivant dans une langue mouvante. Par ailleurs, cette hétérogénéité intrinsèque de l'objet semble mettre en cause le travail même du linguiste.
- À la frontière des langues : Figures de la démarcation - Cécile Canut p. 443-464 À partir du phénomène de nomination des langues et en fonction des différents types de discours épilinguistiques (locuteurs, institutions, idéologie, etc.), cet article tente de montrer combien la notion de « langue », en linguistique, est une construction calquée, de par l'histoire occidentale de cette discipline, sur un modèle homogénéisant dominant. À la lumière de la polynomie constante présente chez les locuteurs maliens, on observe combien le besoin de nommer s'inscrit dans un processus sans cesse en tension dans les discours entre hétérogénéisation et homogénéisation, entre ouverture à la pluralité et repli sur l'origine perçue comme unité. Le nom vient circonscrire des frontières, imaginaires ou construites à partir d'autres champs : frontières sociales, politiques, idéologiques, religieuses, etc.
- En lizje kokê patat ên lizje vej gardjê ? La linguistique peut-elle passer « entre les langues » ? : Exemples de contacts français/créoles à la Réunion - Didier de Robillard p. 465-496 Cet article se fonde sur des données lexicographiques décrivant, dans la situation de la Réunion (Département français d'Outre-mer, dans l'Océan indien), le français (éventuellement régional) et/ou le créole (acrolectal/basilectal). Le discours lexicographique de ces travaux est analysé du point de vue de l'affichage (ou non) de l'appartenance linguistique des unités décrites. Face à des ouvrages classiques fondés sur la notion de langue, on trouve un ouvrage, « lexicographiquement incorrect », certes, mais qui pose des questions intéressantes grâce à son projet global. L'auteur part de l'analyse de ces ouvrages pour se poser des questions plus générales sur le contact de langues, et tout particulièrement sur la pertinence de la notion de langue en tant qu'instrument descriptif dans ces situations.
- Exploration dans l'hétérogène : miroirs croisés - Robert NICOLAÏ p. 399-422
Entre les langues : identités, politiques et «ethnies»
- À la découverte des amhariques : Langues et histoires éthiopiennes en regard - Éloi Ficquet p. 497-516 En Éthiopie, l'amharique peut être qualifié de « langue des langues » tant son expansion fut liée au destin de l'ancien empire chrétien et tant son usage reste prépondérant dans l'État fédéral contemporain. Cette langue présente une forte apparence d'uniformité qui a été peu mise en question. Un déni d'hétérogénéité dialectale semble en effet soutenir ce pilier de l'identité nationale éthiopienne. Les idéologies providentialistes et unitaristes qui ont imprégné l'histoire politique ont aussi déteint sur les travaux de la linguistique comparée chamito-sémitique. Pour échapper à ce cercle de représentations, l'examen de la langue argobba, parlée aujourd'hui par de rares communautés musulmanes, offre des ouvertures intéressantes. La reconnaissance de cette langue comme dialecte d'un état ancien de l'amharique permet en effet de concevoir une pluralité ancienne des réseaux d'identités et de pouvoirs auxquels participent les locuteurs d'amharique et donne un éclairage alternatif à la vision sacralisée et unifiante de la langue nationale éthiopienne.
- Language Between Powers, Power Between Languages : Further Discussion of Education and Policy in Togoland under the French Mandate, 1919-1945 - Benjamin Nicholas LAWRANCE p. 517-540 La langue entre des pouvoirs, le pouvoir entre les langues : une conversation continuée à propos de l'éducation et de la politique éducatrice au Togo sous le mandat français (1919-1945). Faisant suite à son article sur le colonialisme linguistique allemand paru récemment dans un numéro des Cahiers d'Études africaines, l'auteur analyse l'évolution linguistique et scolaire pendant l'époque mandataire française. Cette ère, ayant été marquée par l'absence d'une politique scolaire gouvernementale définitive ou concrète, présente une problématique plus complexe et plus ambiguë. Trois thèmes guident le récit : le développement de la scolarisation sous le mandat ; l'anglophilie de la population sud-togolaise ; et la marginalisation de la langue indigène principale, l'éwé. Aussi, la première section offre un compte rendu de l'ouvrage récent de Marie-France Lange. L'argument central de notre sujet s'appuie sur le désir de provoquer une discussion sur le rôle du langage dans la politique coloniale de l'éducation. Il évoque l'idée de l'engagement des indigènes dans leur formation sociale, économique et politique afin de faire avancer l'autonomie indigène dans l'histoire africaine.
- Le marquage des identités ethniques dans le choix des prénoms en Casamance (Sénégal) - Marie-Louise Moreau p. 541-556 On a analysé, pour quatre périodes échelonnées dans le temps, les déclarations de naissance archivées par l'état civil d'Oussouye (Sénégal), en portant l'attention sur les prénoms donnés aux enfants et sur l'ethnie des parents. On voit d'abord que la majorité des unions sont endogamiques et que la situation n'a guère évolué depuis 1969. Ensuite, que chaque groupe ethnique privilégie massivement la catégorie des prénoms religieux, musulmans pour certains ; chrétiens pour les autres. Les choix ne reflètent pas nécessairement une adhésion à une religion, ils sont surtout symptomatiques de la perception que les communautés ont d'elles-mêmes et des autres groupes. On constate un intérêt croissant, chez les Joola, pour la catégorie des prénoms ethniques, qui gagnent en légitimité par le biais surtout du deuxième prénom.
- Les noms sociaux en fulfulde : Essai de description de la construction des noms sociaux chez les Peuls - Salamatou SOW p. 557-564 Les constructions des identités sociales chez les Peuls reposent sur plusieurs paramètres dont l'activité économique primordiale basée sur la vache et le pastoralisme qui crée une identification sociale plus spécifique autour des clans et des lignages dans la brousse, et l'activité politico-religieuse à travers l'islam et les conquêtes territoriales qui créent une fraternité islamique dans les cités et les régions conquises, en inventant une identification plus large basée sur les territoires. Avec l'histoire coloniale et la création des États-nations, l'identité devient nationale, la citoyenneté prend le pas sur les identités particulières et les noms sociaux manifestent cette dynamique d'une construction identitaire multiple chez les Peuls.
- Le paradis, le mariage et la terre : des langues de l'écrit en milieu fuutanke (arabe, français et pulaar) - Marie-Eve HUMERY-DIENG p. 565-594 Dans la Vallée du fleuve Sénégal (Sénégal et Mauritanie), le pulaar (ou peul) a connu un phénomène socioculturel important depuis deux décennies. Cette langue s'est en effet scripturalisée grâce à des activités d'alphabétisation qui se sont développées spontanément ou en lien avec des ONG, dans tous les villages haalpulaar'en. À travers l'étude sociologique de deux villages, on s'intéresse ici non seulement à l'écriture de cette langue, mais aussi à celle de l'arabe coranique et du français. Les filières de formation ou d'éducation dans chacune de ces langues (cours d'alphabétisation, « école » coranique et école publique) seront considérées comme des révélateurs des liens et interactions entre ces trois langues de l'écrit. L'histoire de ces langues écrites et les valeurs qui s'y rattachent permettront de cerner les enjeux liés au mode écrit et à l'éducation dans une zone très enclavée où les moyens de communication modernes sont inexistants (routes, téléphone, etc.).
- À la découverte des amhariques : Langues et histoires éthiopiennes en regard - Éloi Ficquet p. 497-516
Entre les langues, les imaginaires
- Contact des langues dans le contexte sociolinguistique mozambicain - César CUMBE, Afonso MUCHANGA p. 595-618 Cet article s'inscrit dans notre projet de recherche sociolinguistique autour de la problématique des représentations des langues et des positionnements épilinguistiques des sujets, dans le cas spécifique du Mozambique. Si les études, allant dans ce sens, ne sont pas nombreuses en général, elles sont quasi inexistantes au Mozambique. Notre article s'articule en trois parties. Premièrement, nous proposons un témoignage relatif à l'étude des langues mozambicaines, où le linguiste est confronté à la difficulté de la tâche descriptive. Deuxièmement, nous présentons la situation linguistique du Mozambique et la manière dont elle se reflète dans la dynamique d'usages. Troisièmement, nous entendons illustrer la relation entre les pratiques linguistiques et leurs représentations, par l'analyse d'une « micro-situation » de langues en contact, celle d'une bourgade mi-urbaine et mi-rurale, à 30 km de la capitale. L'objectif est de déceler les attitudes des sujets, à travers leurs discours, sur les langues, sur eux-mêmes et sur leur rapport à ces langues. De cette approche de terrain, une question de fond émerge : l'environnement plurilingue, entraîne-t-il forcément une guerre des langues dans l'imaginaire linguistique des usagers ?
- De l'expérience plurilingue à l'expérience diglossique : Migrants maliens en France - Cécile Van den Avenne p. 619-636 La gestion d'un répertoire plurilingue peut être régie par des codes valables pour toute une société donnée. On peut alors parler de socialisation langagière plurilingue. L'enfant apprend à utiliser les différentes langues de son répertoire linguistique dans des situations de communication différentes. Le plurilinguisme n'entraîne aucune rupture dans la vie de l'individu, pas plus qu'il n'est la marque d'une rupture. Il s'agit alors d'une sociabilisation langagière homogène. Il en va autrement pour les migrants, et notamment les migrants originaires de pays du sud plurilingues (dans le cas étudié, il s'agit de migrants maliens), vers des pays du nord « monolingues » dont le modèle social dominant est le monolinguisme (un pays est rarement monolingue dans sa totalité). De par cette socialisation langagière « hétérogène », ils portent en eux plusieurs schémas culturels qu'ils activent, certains dans telles situations et certains dans d'autres.
- Dynamique épilinguistique au Maroc : Le cas des discours des Chleuhs - Saïd Bennis p. 637-648 L'objectif de ce travail est de proposer une analyse des discours épilinguistiques de locuteurs chleuhs du Maroc concernant les langues chelha, arabe et française. Le domaine d'investigation est la plaine du Tadla (centre du Maroc) ; l'intérêt pour cette région émane du fait qu'elle présente une situation où parlers arabes et parlers chleuhs sont en contact. L'hypothèse soutenue est la suivante : les discours épilinguistiques des locuteurs de langues maternelles à statut de vernaculaire sont sous-tendus par deux tendances contradictoires que sont la tendance à l'homogénéisation et la tendance à l'hétérogénéisation. pour répondre à la question « Comment s'effectuent les positionnements épilinguistiques relativement aux deux mouvements d'homogénéisation et d'hétérogénéisation ? », j'ai essayé d'analyser les discours épilinguistiques de sujets chleuhs du Maroc central en postulant que les positionnements épilinguistiques constituent une dynamique dont le foyer est une tension générée par un tiraillement contradictoire entre homogénéisation et hétérogénéisation.
- Les francophones face à leur langue : Le cas des Nigériens - Pascal SINGY, Fabrice ROUILLER p. 649-666 Cette contribution tente de porter au jour certains aspects, au plan des représentations, du paysage linguistique de la République du Niger qui connaît une situation de diglossie véhiculaire opposant le français, variété « haute », au hausa et zarma, variétés « basses ». D'une enquête fondée sur un échantillon de plus de 3 800 répondants appartenant à l'une des cinq communautés linguistiques dominantes, des indicateurs ont été dégagés afin de cerner l'image que les Nigériens se font du français, unique langue officielle à côté d'une série de langues locales au poids très variable. Pays officiellement francophone, peu visité par les spécialistes, le Niger trouve ici l'un des premiers comptes rendus à portée générale concernant sa réalité sociolinguistique.
- Contact des langues dans le contexte sociolinguistique mozambicain - César CUMBE, Afonso MUCHANGA p. 595-618
Multiplicités linguistiques en zone urbaine
- Le jeu de l'alternance dans la vie quotidienne des jeunes scolarisés à Dakar et à Ziguinchor (Sénégal) : Variation dans l'usage du français et du wolof - Martine Dreyfus, Caroline Juillard p. 667-696 L'article développe le point de vue selon lequel l'alternance linguistique correspond à une option du répertoire plurilingue des jeunes urbains scolarisés, au Sénégal. L'analyse d'interactions relevées tant à Dakar qu'à Ziguinchor, met en évidence des modalités différentes du discours mixte, selon les lieux (la capitale, au centre, la ville régionale, à la périphérie) et selon les genres discursifs (discussions de groupes, discours explicatif à deux, parties de jeux à plusieurs). On a constaté que l'alternance linguistique renforce la valeur perlocutoire des échanges argumentatifs insérés dans les discussions. On assiste à Dakar à l'émergence d'une variété mixte wolof-français ; à Ziguinchor, le mélange de langues témoigne à la fois de l'identification plurielle des usagers et du maintien de l'identité ethnique : le discours mixte se caractérise par la présence d'alternances (extra-phrastiques principalement) et d'emprunts au sein d'une langue de base, qui peut elle-même alterner : langue du groupe d'appartenance ou wolof.
- Les comportements langagiers dans les groupes de jeunes en milieu urbain : Le cas de la ville de Ouagadougou - Abou NAPON p. 697-710 Nous nous intéressons ici à la question de la gestion des langues dans les groupes de jeunes en milieu urbain et principalement dans la ville de Ouagadougou. il tente de montrer comment les jeunes, tiraillés entre la tradition (véhiculée par les langues nationales) et la modernité (véhiculée par le français), s'organisent pour satisfaire leurs différents besoins de communication. Ainsi, il apparaît que les comportements langagiers des jeunes sont les mêmes d'un groupe à un autre : utilisation prépondérante du français dans les interactions et recours à l'alternance des codes français/langues nationales quand ils ont envie de s'amuser ou d'attirer l'attention d'un interlocuteur dans un contexte donné.
- Identités africaines : le rap comme lieu d'expression - Michelle Auzanneau p. 711-734 L'étude de la chanson rap, parole urbaine, relève d'une problématique linguistique plus générale de la ville pluriculturelle, plurilingue et pluriethnique. Cet article présente les premiers résultats d'une étude en cours sur la chanson rap gabonaise et sénégalaise conçue comme le lieu d'expression et de gestation de représentations et comportements urbains ainsi que de processus identitaires. S'appuyant sur la description des choix langagiers dans le texte, il rend compte de leurs significations possibles et en particulier du jeu des négociations identitaires.
- Du baba (papa) à la mère, des emplois parallèles en arabe marocain et dans les parlures jeunes en France - Dominique CAUBET p. 735-748 Il s'agit, dans cet article, de faire un rapprochement entre des emplois constatés en arabe marocain, d'un substitut à valeur euphémistique, baba, « papa », pour atténuer les invectives et les menaces, et d'emplois récents dans les parlures jeunes de « sa mère ». Ce terme se retrouve également comme support, construit syntaxiquement comme un complément d'objet d'un verbe employé intransitivement, servant ainsi à marquer le haut degré. J'essaie de rapprocher cet emploi d'exemples tirés des parlers jeunes, où l'adjonction d'un complément d'objet à des verbes intransitifs produit également cette valeur intensive.
- Le jeu de l'alternance dans la vie quotidienne des jeunes scolarisés à Dakar et à Ziguinchor (Sénégal) : Variation dans l'usage du français et du wolof - Martine Dreyfus, Caroline Juillard p. 667-696
Plurilinguisme et création
- Vers une troisième génération d'écrivains togolais francographes ou comment la « littérature de l'intranquillité » produit de l'identité - Sénamin Amédégnato p. 749-770 Si l'expression littéraire est cet acte par lequel un écrivain construit son identité individuellement et collectivement, cet acte devient paradoxal en situation diglossique de contact de langues et de cultures ; surtout lorsque cette littérature, ressortissant aux contextes historique de la colonisation et anthropologique du multiculturalisme, ambitionne de déconstruire un modèle dominant. La diglossie littéraire s'est textualisée de manières différentes voire contradictoires, entre folklorisation et minoration ; deux paradigmes qui apparaissent comme les premiers moments d'un cheminement dialectique, dont l'occultation est l'aboutissement, mais aussi le symptôme d'émergence d'une troisième génération d'Africains francographes.
- Le « français populaire » dans le champ artistique francophone : Les paradoxes d'une existence - Amadou Bissiri p. 771-782 En Côte-d'Ivoire et au Burkina Faso notamment, la présence au plan culturel du français populaire est fort comparable à celle du pidgin anglais au Nigeria ou au Ghana. Cependant, si dans la zone anglophone le pidgin est une langue littéraire reconnue, dans la zone francophone cela n'est pas le cas. La problématique de mon texte repose sur ce paradoxe. Les explications se situent, entre autres, aux niveaux historiques et de la représentation du français par les acteurs littéraires tant de la métropole que des ex-pays colonisés. Doit-on continuer à ignorer cette langue, désormais élément incontournable du tissu culturel africain francophone moderne ? Il semble important et urgent de donner au français populaire son statut littéraire si l'on veut une littérature qui réponde à la définition africaine de l'art, qui soit démocratique et en harmonie avec son milieu, c'est-à-dire authentique. Ce choix constituerait, en outre, une ouverture certaine vers une littérature en langues africaines.
- La question du métissage dans l'écriture du roman burkinabè contemporain - Alain Joseph SISSAO p. 783-794 Pour le lecteur non averti, la littérature écrite burkinabè contemporaine semble uniquement tournée vers une direction nationale. Certes, de par sa créativité, cette littérature puise dans la culture et la langue du milieu. Mais elle se conçoit en français et subit des influences textuelles et culturelles multiples. Ce métissage dans l'écriture donne à cette littérature une certaine valeur universelle. Finalement l'écrivain burkinabè n'est pas différent des Kafka, Celan, Beckett, qui se trouvent dans une situation plurilingue. L'écrivain burkinabè est irrémédiablement, à travers la pratique du métissage textuel, à la recherche d'une identité en construction. Il s'inscrit aussi dans la civilisation de l'universel qui veut que les problèmes d'identité soient souvent multiples et s'enracinent dans une multitude de faisceaux culturels et linguistiques. L'écrivain burkinabè devient dans cette perspective un écrivain tout court qui crée. Il peut s'agir dans certains cas d'interférences linguistiques ou bien d'insertions et de collages. En se penchant sur un corpus de romans burkinabè, on observe ce procédé d'écriture. L'article tente de jeter un regard sur cet aspect de la littérature burkinabè en pleine expansion.
- La mise en scène du plurilinguisme dans l'oeuvre de Jean-Hubert Bazié : Une représentation de la situation sociolinguistique du Burkina Faso - Gisèle Prignitz p. 795-814 L'écrivain africain est un témoin privilégié de la coexistence des langues dans la communauté sociolinguistique où il vit. N'ayant pas le choix du code, il peut cependant choisir l'échelle de variation interne qui va du français académique, cultivé à l'école, au français populaire. C'est cette notion qui est problématique. Car cette variété est interprétable comme issue du milieu où évolue l'individu. Un roman populaire qui reflète un sociolecte français n'a rien à voir avec un roman burkinabè - qui mérite cette étiquette parce qu'il s'inscrit dans la réalité politique et sociale de ce pays - qui tente en français de rendre compte du répertoire en jeu dans l'échange des sujets, essentiellement urbains, car c'est là que « ça se passe ». Cette situation transparaît par de multiples indices qu'il s'agit de mettre au jour, mais elle est également l'objet d'une mise en scène recourant à des effets voyants, qui devient par moments le centre de l'écriture elle-même, dans un but que l'on ne peut identifier que comme « pédagogique », c'est-à-dire pragmatique. En effet l'écrivain burkinabè, comme nombre de professionnels africains et francophones, manifeste une « surconscience » linguistique qui le rend apte à créer une langue qui est à la fois symbole de la rencontre des cultures dans la communauté qu'il représente, et trace d'une situation d'énonciation réelle que les locuteurs peuvent appréhender comme endogène.
- Vers une troisième génération d'écrivains togolais francographes ou comment la « littérature de l'intranquillité » produit de l'identité - Sénamin Amédégnato p. 749-770
Chronique bibliographique
- Acheminement vers la parole unique : Autour du débat sur les langues en danger - Paolo ISRAEL p. 815-832 Le phénomène de la mort des langues est en train de transformer le paysage linguistique de la planète. Toutefois, les grandes fresques qui prévoient l'homologation linguistique et culturelle à l'échelle mondiale sont le produit d'une idéologie linguistique qui n'est pas neutre. Cette idéologie s'articule sur la grammatisation au sens de S. Auroux, sur le relativisme linguistique, notamment dans sa version würmienne ; sur une métaphore écologiste entre langues et espèces vivantes en danger d'extinction et sur le modèle arborescent de l'évolution linguistique. Sans sous-évaluer les problèmes des transformations linguistiques, on essaie dans cet article d'analyser et de critiquer les présupposés théoriques des généralisations apocalyptiques.
- Analyses et comptes rendus - p. 833-858
- Acheminement vers la parole unique : Autour du débat sur les langues en danger - Paolo ISRAEL p. 815-832