Contenu du sommaire : L'Union soviétique et la Seconde Guerre mondiale
Revue | Cahiers du monde russe |
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Numéro | volume 52, no 2-3, avril-septembre 2011 |
Titre du numéro | L'Union soviétique et la Seconde Guerre mondiale |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Preface - Alain Blum, Catherine Gousseff, ANDREA GRAZIOSI p. 199-203
- L'Union soviétique et la Seconde Guerre mondiale - Oleg Khlevniuk p. 205-219 L'article examine les résultats des recherches récentes sur les hautes sphères du pouvoir en URSS pendant la Grande Guerre patriotique et s'attache principalement à l'état de la base documentaire. Il décrit les massifs archivistiques du GKO (Comité d'État à la Défense), du Politburo, du Conseil des commissaires du peuple, du fonds personnel de Stalin, etc. L'auteur estime la valeur potentielle des parties fermées des fonds d'archives et la complétude des sources accessibles. Ces documents nous permettent d'étudier les réorganisations structurelles formelles et l'évolution générale de la nature de la dictature stalinienne pendant la guerre : les paramètres qualitatifs de l'activité du cabinet militaire de Stalin, y compris les mécanismes de prise de décision, l'évolution du degré de centralisation, l'efficacité du système de commandement militaire et le rôle de Stalin comme chef militaire restent encore peu étudiés.Stalin at war
The article considers the results of the latest research on the upper reaches of Soviet government during the Great Patriotic War, and focuses on the state of the documentary basis. The article describes the archive collections of the State Defense Committee, the Politburo, the Council of People's Commissars, Stalin's personal archive, etc. The author estimates the potential value of the archival funds' closed parts, as well as the completeness of available sources. The documents allow us to study the formal structural reorganization and the global evolution of the nature of the Stalinist dictatorship during the war. The qualitative parameters of the activity of Stalin's War Cabinet, including decision-making processes, changes in the level of centralization, the efficiency of military command, and Stalin's role as war leader have been hardly investigated so far. The Soviet Union and the international context between 1939 and 1945
- How to wage warfare without going to war? : Stalin's 1939 war in the light of other contemporary aggressions - Sabine Dullin, Susan Pickford p. 221-243 Pourquoi l'URSS n'a-t-elle pas été impliquée dans la Seconde Guerre mondiale dès l'automne 1939 tout en menant ses propres guerres ? Pourquoi la France et la Grande-Bretagne ne lui ont-elles pas déclaré la guerre quand l'Armée rouge a franchi la frontière polonaise ? Répondre à ces questions impose de décloisonner l'histoire diplomatique et militaire de l'URSS, d'insérer les discours et les pratiques staliniennes de l'automne 1939 dans le contexte contemporain des politiques extérieures d'intervention et d'agressivité européennes. Certes l'ambiguïté de la situation générée par le pacte et la vision morcelée des conflits, caractéristique de l'entre-deux guerres, peuvent expliquer ce manque de réaction à l'agression et aux exigences soviétiques vis-à-vis des États baltes. Par ailleurs ceux qui envisageaient la guerre en 1939 sous l'angle d'une nécessaire résistance aux deux totalitarismes étaient peu nombreux. À Moscou, théoriciens comme praticiens des questions internationales et du droit possédaient bien des ressources de lectures et des expériences en commun avec leurs homologues européens en matière d'observation des modalités d'agression et de résolution des conflits. Les luttes d'idéologie à l'échelle européenne n'empêchaient pas la formation d'un répertoire transnational compris et utilisé à différents moments en URSS. En revanche, Moscou conservait des politiques spécifiques marquées par les convictions révolutionnaires et lorsque celles-ci s'affichaient publiquement comme source de légitimation d'une guerre, elles provoquaient l'hostilité comme on a pu le voir lors de la guerre d'Hiver.Why did the USSR not become involved in the Second World War from autumn 1939, while waging its own wars? Why did France and Britain not declare war on the Soviets when the Red Army crossed the Polish border? The answers lie in breaking down the barriers between diplomatic and military histories of the USSR and reading Stalin's discourse and practices in autumn 1939 in the wider European context of external policies of intervention and aggression. A compelling argument can be made that the lack of reaction to the Soviet aggression of Poland and its demands on the Baltic states in autumn 1939 arose from the ambiguous situation created by the pact and from the splintered vision of conflict that was characteristic of the interwar period. Those who saw the war in terms of the need to resist two forms of totalitarianism in 1939 were few and far between. In Moscow, theoreticians and practitioners of international relations and law shared much in the way of reading and experience with their European counterparts when it came to observing modes of aggression and conflict resolution. Political differences and ideological struggles across Europe did not hinder the formation of a transnational repertoire of types of discourse and practices understood and called on by the USSR. On the other hand, Moscow did maintain specific policies marked by revolutionary convictions: only when these were publicly held up to legitimise warfare did they meet with overtly hostile reactions, as shown by the Winter War.
- Soviet policy toward Japan during World War II - Tsuyoshi Hasegawa p. 245-271 La politique soviétique menée en Europe pendant la Seconde Guerre mondiale a toujours été en étroite corrélation avec celle pratiquée envers l'Extrême-Orient. C'est ce que l'article tend à démontrer. À la Conférence de Yalta, Stalin accepta d'entrer en guerre contre le Japon trois mois après la capitulation de l'Allemagne en échange des trophées de guerre promis par Franklin Roosevelt. En avril 1945, le gouvernement soviétique informa son homologue japonais qu'il n'avait pas l'intention de renouveler le Pacte de neutralité mais l'assura que le pacte resterait en vigueur jusqu'à son terme, soit en avril 1946. Se drapant dans le manteau de la neutralité, l'Union soviétique fit déplacer en Extrême-Orient des troupes et des équipements afin de préparer la guerre contre le Japon. En juillet, le gouvernement japonais rechercha la médiation de Moscou pour mettre un terme à la guerre. Stalin tira avantage de la requête des Japonais pour atermoyer. Cependant, contrairement à ses attentes, Stalin fut exclu de la Déclaration de Potsdam à la Conférence du même nom. La course s'engagea alors entre Harry Truman, qui menaçait le Japon de la bombe atomique s'il ne capitulait pas, et Stalin, qui souhaitait entrer en guerre avant que le Japon ne capitule.This paper argues that Soviet policy during World War II in Europe was from the very beginning integrally connected with its policy toward the Far East. At the Yalta Conference, Stalin agreed to join the war three months after Germany surrendered in return for the war trophies promised by Franklin D. Roosevelt. In April, the Soviet government notified the Japanese government that it had no intention to renew the Neutrality Pact, but assured the Japanese that the pact would be in force until it expired in April 1946. Hiding behind the cloak of neutrality, the Soviet Union transported troops and equipment to the Far East in preparation for the war against Japan. In July, the Japanese government sought Moscow's mediation to terminate the war. Stalin took advantage of the Japanese request to prolong the war. Despite his expectations, however, Stalin was excluded from the Potsdam Declaration at the Potsdam Conference. The race began between Harry S. Truman, who wanted to force Japan to surrender with the atomic bomb, and Stalin, who intended to enter the war before Japan's surrender.
- Stalin's postwar border-making tactics : East and West - David Wolff p. 273-291 À partir des archives russes déclassifiées depuis 1991, cet article analyse quatre exemples qui illustrent la manière dont Stalin a tenté de modifier les frontières de l'URSS, pas seulement dans le dessein de s'agrandir mais aussi pour en tirer d'autres profits propres aux dynamiques frontalières. Ces exemples datent de la période 1944-1946 quand les tanks soviétiques semblaient invincibles. Deux cas sont situés du côté européen et concernent la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Hongrie, l'Ukraine, et la Roumanie. Les deux autres, du côté asiatique, couvrent davantage de territoire. Le premier porte sur le Caucase, et met en cause l'Arménie, l'Azerbaïdjan, la Géorgie, l'Iran et la Turquie ; tandis que le second, beaucoup plus à l'est, concerne la formation du tracé des frontières soviétiques avec l'Altaï, la Mongolie, la Chine et le Japon.L'analyse comparative de ces cas laisse penser que Stalin a personnellement supervisé toutes ces opérations relatives à la modification des frontières toujours dans des fins sécuritaires, géographiques et historiques au sens le plus large. Pour Stalin, il ne s'agissait pas seulement d'une question de territoire en tant que tel mais plutôt de répondre à des besoins spécifiques allant de l'obtention d'un débouché sur la Méditerranée à la transformation de la mer d'Ohotsk en lac soviétique ; de réunir les peuples d'Azerbaïdjan tout en s'assurant de nouvelles réserves de pétrole ; ou encore de conserver des lignes de communication pour soutenir les avant-postes à Vienne, Berlin et Port-Arthur.Stalin comprenait aussi le rôle psychologique du territoire, sa capacité à tourner les têtes des politiques, à les empêcher de voir les effets négatifs du nationalisme primaire. En soulevant la colère de Mikołajczyk, il a contrarié toutes les bonnes intentions de Churchill. En encourageant Choybalsan, il a forcé Tchang Kaï-chek à rester vigilant. En confortant les désaccords dans les aspirations nationalistes slovaques, hongroises et polonaises, Stalin a fait en sorte que les Alliés se forgent une mauvaise impression de la nouvelle Europe centrale. De même, en rendant impossible toute forme de collaboration entre ces pays, il s'est posé en arbitre ultime de leurs dissensions territoriales et plus encore. En fin de compte, toutes ces man œuvres visant à modifier le tracé des frontières ont généré nombre de problèmes, de peurs et de mouvements revanchistes, empêchant à jamais les voisins de l'Union soviétique de devenir ses amis.Making use of Russian archives declassified since 1991, this article analyzes four cases in which Stalin tried to shift the borders of the USSR, not only to expand, but also to gain other benefits inherent to the frontier's dynamics. All the cases date from the period 1944-1946, when Soviet tanks seemed invincible. Two European cases concern Poland, Czechoslovakia, Hungary, Ukraine, Romania and Belarus. Two Asian cases cover much territory, with one in the Caucasus involving Armenia, Azerbaijan, Georgia, Iran and Turkey, and one further east concerning the formation of the Soviet borders with the Altai, Mongolia, Xinjiang, China and Japan. The article's comparative analysis suggests that Stalin personally supervised all these border operations, aiming at goals involving security, geography and history, in the broadest sense. For Stalin, it was not just a matter of territory per se, but of achieving specific (desirable) goals that ranged from gaining an outlet to the Mediterranean or making the Sea of Okhotsk a Soviet lake; uniting the populations of Azerbaijan while securing additional oil reserves; or preserving lines of communication to forward positions in Vienna, Berlin and Port Arthur. Stalin also understood the psychological side of territory, its ability to turn politicians' heads, preventing them from seeing the negative effects of knee-jerk nationalism. By incensing Mikołajczyk, he thwarted Churchill's good intentions. By encouraging Choibalsan, he kept Chiang Kaishek on the alert. By supporting Slovak, Hungarian and Polish nationalistic aspirations at cross-purposes, Stalin left the Western Allies with a poor impression of the new Central Europe. He also made it hard for these countries to work together toward any goal, and became the ultimate arbiter of their territorial dissension and much more. But ultimately, Stalin's border-making activities generated concerns, fears and revanchist movements, preventing Soviet neighbors from ever becoming Soviet friends.
- How to wage warfare without going to war? : Stalin's 1939 war in the light of other contemporary aggressions - Sabine Dullin, Susan Pickford p. 221-243
Changes in Governance patterns
- The call of blood : Government propaganda and public response to the Soviet entry into World War II - Serhii Plokhy p. 293-319 Cet essai examine comment le thème des minorités ethniques a été développé dans les négociations germano-soviétiques au cours des semaines qui ont abouti à l'entrée en guerre de l'Union soviétique et à la signature, le 28 septembre 1939, du traité germano-soviétique de délimitation et d'amitié. Il discute aussi de l'utilisation de la carte d'identité nationale par la propagande soviétique intérieure et, enfin, il étudie de près l'impact de la question de la nationalité sur l'opinion publique soviétique. Ceci amène à poser deux questions de plus large portée. La première a trait au lien qui unit la politique intérieure et la politique étrangère de l'Union soviétique. La seconde est relative à la variété des réponses que le public soviétique pouvait opposer à la politique gouvernementale à l'époque du stalinisme. L'essai témoigne ainsi de la surprise de Stalin et de ses conseillers par la proposition allemande du 23 août 1939 de diviser la Pologne en zones d'influence ou d'occupation ; il relève aussi que la perception du monde par les autorités soviétiques – celles-ci voyaient, certes, un ensemble d'États mais aussi un conglomérat de nationalités –, a défini l'étendue de l'expansion territoriale soviétique en septembre 1939. Par ailleurs, il note que dans les premières semaines de la guerre, les changements opérés dans la politique étrangère soviétique induisirent une modification de la rhétorique gouvernementale sur la question des nationalités. Cette modification aida le régime à coopter un secteur de l'opinion publique auparavant hostile à sa politique, tant intérieure qu'étrangère, et amena quelques segments de la population à réagir à cette politique d'une façon qui ne peut être classée dans les catégories habituelles de résistance ou de soumission aux règles.This essay examines how the theme of ethnic minorities developed in Soviet-German negotiations in the weeks leading up to Soviet entry into the war and the signing of the Soviet-German Boundary and Friendship Treaty of September 28, 1939; discusses the use of the nationality card in Soviet domestic propaganda; and, finally, takes a close look at the impact of the nationality theme on Soviet public opinion. It engages two questions of broader significance. The first deals with the relationship between Soviet foreign and domestic policy. The second concerns the variety of responses to government policy available to the Soviet public under Stalinism. It argues that 1) Stalin and his advisers were surprised by the German offer of August 23, 1939 to divide Poland into spheres of influence/occupation; 2) the Soviet authorities' view of the world not only as a community of states but also as a conglomerate of nationalities defined the extent of Soviet territorial expansion in September 1939; 3) in the first weeks of the war, changes in Soviet foreign policy led to a change in government rhetoric on the nationality question; 4) the change of nationality rhetoric helped the regime co-opt a sector of public opinion previously hostile to its policies both at home and abroad and prompted some segments of the Soviet public to formulate their relation to government policy in a way that does not fit the categories of resistance and compliance.
- Governing the interior : Extraordinary forms of rule and the regional party apparatus in the Second World War - Yoram GORLIZKI p. 321-339 Depuis vingt ans, il est de bon ton d'étudier les périphéries occidentales de l'Union soviétique pendant la Seconde Guerre mondiale. Ces études sont certes très précieuses, mais les dynamiques du pouvoir politique dans les périphéries occidentales étaient souvent bien différentes de celles en pratique dans le cœur du pays. Cet essai se concentre sur les activités des comités régionaux du parti de l'intérieur du pays pendant la guerre. Dans la première partie, il observe la relation entre ces comités et le « système extraordinaire d'administration » qui fut mis en place au cours des premiers mois du conflit. Il suggère qu'en dépit de leurs puissants mandats, les agents de l'extraordinaire administration ne pouvaient souvent pas concurrencer les premiers secrétaires régionaux, qui avaient de nombreux partisans locaux et de larges réseaux de soutien. Dans la seconde partie, l'essai suggère que, néanmoins, les comités régionaux du parti étaient souvent incapables de remplir le mandat, qui leur avait été confié en 1941 par le XVIIIe Congrès du parti, de diriger l'industrie. Manquant de compétences, de savoir-faire et d'autorité pour coordonner les entreprises au niveau régional, les obkom étaient en fait souvent « pris en otage » par les intérêts ministériels. Ce fut compte tenu de cela que les comités régionaux du parti furent réorientés vers une gouvernance « idéologique » alors que la guerre tirait à sa fin.There has been a vogue over the last twenty years to study the Western peripheries of the Soviet Union during the Second World War. While these studies are valuable, the dynamics of political rule in the Western peripheries were often quite different from those of the Soviet heartland. This essay shifts the focus towards the activities of the regional party committees of the interior during the war. In the first part it looks at the relationship between these committees and the “extraordinary system of administration” that was introduced in the first months of the conflict. It suggests that, despite their powerful mandates, agents of the extraordinary system were often no match for regional first secretaries, who enjoyed strong local followings and extensive support systems. In the second part, the essay suggests that regional party committees were nonetheless often unable to fulfil the mandate placed on them by the 18th Party Conference of 1941 to direct the industrial economy. Lacking the expertise, skills or authority, to coordinate regional-level enterprises, the obkoms were often in effect “captured” by ministerial interests. It was in recognition of this that regional party committees were rechanneled towards “ideological” leadership as the war neared its end.
- Caught between war repressions and party purge : The loyalty of Kalinin Party members put to the test of the Second World War - Vanessa Voisin p. 341-371 L'article tâche d'apprécier le rôle de la Seconde Guerre mondiale dans l'évolution des critères définissant le bon membre du parti, dans le prolongement d'un glissement, initié durant les années 1930, de critères généalogiques (origine sociale, passé politique...) vers des critères centrés sur le « soi » intime de l'individu. Tout d'abord, le texte étudie le lancement et le fonctionnement de la purge, de 1942 à l'immédiat après-guerre, tant à l'échelle soviétique qu'à celle d'une région dont la libération débuta précocement. Pour Moscou, l'épuration constituait une priorité essentielle, en dépit de la pénurie de militants dans les zones libérées. On observe cependant une certaine confusion entre les différents niveaux d'autorité quant aux critères de sanction, d'expulsion ou de maintien. La seconde partie de l'article se penche sur les critères eux-mêmes et leur signification dans l'histoire des purges du parti bolchevik. Certains communistes furent punis pour des raisons similaires à celles qui suscitaient au même moment des poursuites judiciaires, tandis que d'autres furent lourdement sanctionnés malgré l'absence de crime (au sens pénal) dans leurs agissements. Le sens profond de la purge repose dans ce second ensemble de motifs de sanction : pour les membres du parti, le second conflit mondial fut bien « l'Armageddon de la Révolution » (A. Weiner). Il ranima les valeurs originelles du bon bolchevik (esprit combatif et sens du sacrifice personnel au nom du projet collectif) tout en enracinant le recours à la nouvelle méthode d'évaluation des membres du parti : l'examen de leur conscience intime, supposée se révéler dans leurs actes. En même temps, la guerre ne testa pas uniquement la pugnacité des militants : plus généralement, elle mit à l'épreuve leur dévouement et leur sincérité à l'égard du parti. Cet angle de vue plus large permit à certains communistes restés en territoire occupé de ne pas être épurés. Néanmoins, la purge ébranla profondément les structures partisanes alors même que celles-ci étaient essentielles au rétablissement du contrôle du parti sur la société.The article tries to seize the role of the Second World War in the evolution of the criteria that defined the good communist. This evolution completed a shift initiated in the 1930s from genealogical criteria (social origin, political past...) to criteria focused on the communist's inner “self.” First, the author examines the launching and mechanisms of the purge from 1942 to the immediate postwar years, at the national level as well as that of a region whose liberation started early in the war. For Moscow, the purge was a top priority despite the lack of activists in liberated territory. However, there was some misunderstanding between the various levels of authority about the criteria of censure, expulsion or reinstatement. The second part of the article examines these criteria and their meaning in the history of Soviet Party purges. Some communists were punished for the same motives that triggered judicial prosecution, whereas others were heavily censured although their acts were not considered as crimes in the penal system. The deep meaning of the purge lies in this second set of criteria: for Party members, the Second World War was indeed the “Armageddon of Revolution” (A. Weiner). It revived the original values of the good Bolshevik (fighting spirit and sense of sacrifice for the collective project) while confirming the new method of appraising Party members by scrutinizing their intimate conscience, supposedly revealed by their acts. At the same time, the ordeal did not only test communist pugnacity: more broadly, it questioned sincerity and devotion to the Party. This broader viewpoint preserved some members despite their sojourn in occupied territory. However, it deeply shook Party structures just when the latter were central to the restoration of control over society.
- "Counter-revolutionary agitation" in the Soviet Union during the Great Patriotic War : The politics of legal prosecution - Sofiya Grachova p. 373-386 Cet article examine la politique des poursuites judiciaires engagées en 1941-1942 dans le but de sanctionner les propos politiquement subversifs qualifiés de « propagande et d'agitation contre-révolutionnaire » par l'article 58.10 du code pénal soviétique. Ces années ont vu une augmentation significative du nombre des procès relevant de cet article, ce qui témoigne d'une opinion populaire négative sur les premières pertes de guerre soviétiques. La sévérité accrue des peines était dictée par la peur d'un soulèvement populaire. Parallèlement, les organes judiciaires suprêmes étaient conscients que l'application excessive de peines à l'encontre des civils pouvait saper le moral des soldats de l'Armée rouge dont la plupart avaient leur famille à l'arrière. Dès lors, les cours de justice soviétiques durent man œuvrer délicatement afin d'assurer la sécurité de l'État tout en conservant la loyauté de la population. Pour ce faire, la Cour suprême fournit des instructions détaillées aux cours basses, les exhortant à juger les crimes, moins en fonction de la nature de l'offense qu'en fonction de leur danger social, déterminé par la « personnalité » de l'accusé. Cependant, l'auteur précise que cet accent mis sur la personnalité ne saurait être interprété comme une tentative de refonte radicale de la société. De fait, l'objectif principal de la répression judiciaire de l'« agitation contre-révolutionnaire » était de maintenir le statu quo dans les relations entre la population soviétique et le régime stalinien. Il fut recommandé aux cours de prendre en considération la personnalité de l'inculpé en termes d'âge, de genre et de classe pour assurer le maintien des hiérarchies sociales traditionnelles. Le système judiciaire n'avait pas pour priorité de transformer la conscience du peuple, il n'y a contribué que de façon indirecte en impliquant davantage de monde dans les procès en qualité de témoins et de public.This article examines the politics of legal prosecution of politically subversive speech qualified as “counterrevolutionary propaganda and agitation” according to Article 58.10 of the Soviet Criminal Code in 1941-1942. These years saw a marked rise in the number of trials under this article, which reflected negative popular opinion about the initial Soviet war losses. The increased severity of punishment was dictated by fears of a popular uprising. At the same time, the supreme judicial organs were aware that the excessive punishment of civilians might undermine the morale of Red Army soldiers, most of whom had families on the home front. Soviet courts, therefore, had to strike an uneasy balance between ensuring state security and preserving the loyalty of the population. To do so, the Supreme Court provided detailed instructions that admonished lower courts to assess the crime in view of its social danger, determined by the “personality” of the accused rather than the nature of the offense. However, the article argues, this emphasis on “personality” should not be interpreted as an attempt to reshape society in a radical way. In fact, the main objective of the legal repression of “counterrevolutionary agitation” was to preserve the status quo in the relationship between the Soviet population and Stalin's regime. The courts were advised to consider the culprit's personality in terms of age, gender, and class, which affirmed traditional social hierarchies. Transforming the population's consciousness was not a priority for the judicial system, and it contributed to this transformation only indirectly, by involving broader population in trials as witnesses and audience.
- Islamically informed Soviet patriotism in postwar Kyrgyzstan - Eren Murat Tasar p. 387-404 Parmi toutes les analyses s'attachant aux répercussions, au sens le plus large, de la Seconde Guerre mondiale sur la société soviétique, très peu se sont intéressées à l'islam ou à l'Asie centrale. Cependant le conflit a marqué un tournant critique dans la rencontre entre les musulmans de cette région et l'État soviétique. Cet article examine les tentatives des musulmans d'Asie centrale de placer l'islam au centre de leur identification avec l'Union soviétique. Il démontre que la guerre a offert un nouveau champ de possibilités pour la population de la région d'insérer la religion complètement dans le récit soviétique plus large du sacrifice, avec des ramifications substantielles à la vie politique et sociale.Few analyses of the broader impact of World War II upon Soviet society have turned to Islam or Central Asia. Yet the conflict marked a critical turning point in the encounter between the region's Muslims and the Soviet state. This paper examines attempts by Central Asian Muslims to position Islam at the center of their identification with the Soviet Union. It argues that the war created a new field of possibilities for the region's population to place religion squarely within the broader Soviet narrative of sacrifice, with significant ramifications for political and social life.
- The call of blood : Government propaganda and public response to the Soviet entry into World War II - Serhii Plokhy p. 293-319
The upheaval and cruelty of war: Approaches to war violence
- Muzhchiny i zhenshchiny v Krasnoi Armii, 1941-1945 - Oleg Budnitskii p. 405-422 L'article analyse les changements qui se sont opérés dans les comportements sexuels des Soviétiques pendant la Seconde Guerre mondiale, et ce plus particulièrement au sein de l'Armée rouge. Il est essentiellement basé sur des sources personnelles : journaux intimes, mémoires, lettres, entretiens, folklore des années de guerre.Près de trente-quatre millions d'hommes ont été mobilisés tout au cours de ces années-là. Le rapport numérique homme femme était diamétralement opposé selon que l'on se trouvait au front ou à l'arrière : au front, on manquait de femmes et à l'arrière, c'étaient les hommes qui faisaient défaut. Les près de cinq cent mille femmes qui servaient alors dans l'armée étaient représentatives des différentes couches de la société. Leurs motivations étaient diverses : elles s'engageaient tant par conviction patriotique que pour échapper à la faim ou se trouver un fiancé. Soumises à une « exploitation sexuelle », notamment de la part des officiers, elles n'étaient cependant pas que les victimes passives de la passion de leurs supérieurs. L'armée offrait à nombre d'entre elles, particulièrement à celles d'origines les plus modestes, la chance de se caser et, en quelque sorte, jouait le rôle d'ascenseur social.Pendant la guerre, les relations entre les hommes et les femmes furent soumises à des changements comparables à la révolution sexuelle des années 1960 en Occident. Cependant, cette analogie n'est qu'apparente. Les changements qui avaient frappé la morale courante faisaient suite à différents facteurs, notamment à cette catastrophe qu'est la guerre, et qui avaient mené à la destruction du mode de vie traditionnel et des normes comportementales généralement admises.Men and women in the Red Army (1941-1945)The article analyzes the changes that took place in the Soviet people's sexual behavior during the Second World War, particularly in the Red Army. It mainly draws on personal documents – diaries, memoirs, correspondence, interviews, wartime folklore. Nearly 34 million men were drafted before and during the war. The male/female ratio on the front was inversely proportional to that of the rear: women were lacking on the front, and men were lacking in the rear. Nearly 500,000 women from various social layers were serving in the army, with motivations as diverse as patriotic conviction, hunger, or the need to find a fiancé. Even though they were subjected to sexual exploitation, mainly by officers, they were not always mere passive victims of their superiors' passions. Several of them, particularly those belonging to the lowest social layers of society, found the opportunity to settle down and improve their conditions. The war brought about changes in the relationships between the sexes comparable to those of the sexual revolution of the 1960s in the West, but only on the surface. The changes that affected morality were due to various factors, mainly the upheaval of the war, which led to the destruction of the traditional way of life and generally admitted rules of conduct.
- A postwar sexual liberation? : The gendered experience of the Soviet Union's Great Patriotic War - Mie Nakachi p. 423-440 En Union soviétique, pendant la guerre, la mobilisation et l'évacuation ont été à l'origine de changements démographiques sans précédents, séparant les familles et brisant les mariages. Cet article analyse l'évolution des rapports de genre pendant cette période, la répercussion de cette évolution sur la vie familiale d'après-guerre, avec notamment la formation de nouveaux couples, et les interventions du gouvernement soviétique. Dans l'après-guerre, en Angleterre et aux États-Unis, les dirigeants politiques et religieux ont condamné les pratiques sexuelles qui s'étaient développées pendant la guerre. Ils ont appelé à un retour à l'union traditionnelle, au sein de laquelle l'homme est le soutien de famille et pourvoit aux besoins de son épouse et de ses enfants. En Union soviétique, le gouvernement n'a pas imposé ce retour aux traditions. Préoccupé par le problème primordial de la natalité, il a encouragé les pratiques développées pendant la guerre, ouvrant ainsi une voie au mouvement de libération des femmes soviétiques différente de celle empruntée par les Occidentales.The Soviet Union's wartime mobilization and evacuation brought about unprecedented demographic changes, tearing prewar families and marriages apart. This article analyzes how romantic or sexual relationships between women and men evolved during the war, how they affected the formation of postwar marriages and family, and how the Soviet government attempted to influence this process. In postwar England and the United States, political and religious leadership often condemned the sexual practices that developed during the war and called for a return to traditional marriages where the husband, the breadwinner of the family, would support a housewife and children. This paper argues that far from reimposing traditional sexual values, the Soviet government actually promoted the continuation of wartime sexual practice in the postwar period due to its overriding pronatalist concerns. This postwar experience produced a different path to the women's liberation movement for Soviet women than for women in the West.
- Defining war crimes against humanity in the Soviet Union : Nazi arson of Soviet villages and the Soviet narrative on Jewish and non-Jewish Soviet war victims, 1941-1947 - Nathalie Moine, John Angell p. 441-473 La destruction par le feu de milliers de villages en territoire soviétique occupé, ainsi que le sort atroce de leurs habitants, exécutés, voire brûlés vifs, ou déportés a durablement marqué les consciences à l'Est, alors que le génocide des juifs dans ces mêmes régions reste dans l'ombre depuis des décennies. Ce contraste entre la mémoire des victimes juives et non-juives en Union soviétique apparaît particulièrement frappant à partir des années 1960, lorsque le nouveau mémorial de Khatyn près de Minsk, consacré à la mémoire des villages brûlés biélorusses, devient un véritable lieu de pèlerinage pour l'ensemble des Soviétiques, tandis que le site du plus grand massacre de juifs soviétiques, le ravin de Babi Yar à Kiev, malgré de houleuses controverses, voit la construction, tardive, d'un mémorial qui universalise les victimes des massacres. L'objectif de cet article est de montrer comment, dès le début de la guerre, le thème des villages brûlés est omniprésent dans le récit officiel et entre en compétition avec le compte rendu du massacre généralisé des juifs soviétiques, alors même que la fin de la guerre et la coopération judiciaire des Soviétiques avec leurs alliés occidentaux pour juger les criminels de guerre donnent lieu, pendant plusieurs mois, à un discours beaucoup plus explicite, sur la scène internationale comme en territoire soviétique, concernant le sort spécifique des juifs soviétiques. Les récits d'atrocités nazies, publiés dès les premières semaines après l'invasion, développent abondamment ce motif, à la fois ancestral et inédit par son ampleur, de violence de guerre commise contre les civils, avant même que l'occupant ne passe effectivement à une politique massive de création de « zones mortes », ce dont les commissions d'enquête soviétiques rendent compte à travers les témoignages de rescapés et les listes nominatives de victimes. Les procès de l'immédiat après-guerre, à Nuremberg comme en Union soviétique, sont l'occasion pour la direction stalinienne d'appliquer le nouveau concept judiciaire de crime contre l'humanité aux différentes catégories de victimes soviétiques de l'occupation.The mass arson of villages on occupied Soviet territory and the terrible plight of their inhabitants – who were executed, burnt alive or deported – has left a lasting impression on the minds of East Europeans, whereas the genocide of Jews in these same regions has been disregarded for decades. The contrast between the remembrance of Soviet Jewish and non-Jewish victims became particularly striking in the 1960s when the new Khatyn memorial monument near Minsk devoted to the memory of Bielorussian torched villages became a real pilgrimage site for most of the Soviet population, while the Babi Yar ravine near Kiev, which had seen the greatest massacre of Soviet Jews, was selected amid stormy controversy for the tardy construction of a monument broadly commemorating victims of Nazi massacres in Kiev. This article aims to show how the theme of burnt down villages pervaded official discourse from very early on in the war and competed with the narrative of the mass killing of Soviet Jews, even though the end of the war and the Soviets' judicial cooperation with their Western allies in the prosecution of war criminals prompted, both at home and abroad and over the course of several months, a more explicit discourse about the specific plight of Soviet Jews. The accounts of Nazi atrocities, published during the first weeks following the invasion, develop at length the theme of war violence committed against civilians, a theme both ancestral and unheard of by its magnitude. That was before the occupant moved on to the massive “dead zone” policy reported by Soviet commissions of enquiry through survivors' accounts and lists with the names of victims. The trials that immediately followed the war, in Nuremberg as well as the Soviet Union, gave the Stalinist leadership the opportunity to apply the new judicial concept of crime against humanity to the various categories of Soviet victims of the occupation.
- Local memory on war, German occupation and postwar years : An oral history project in the Donbass - Tanja Penter, Dmitrii Titarenko p. 475-497 Cet article présente les résultats d'un projet d'histoire orale mené entre 2001 et 2010 dans la région du Donbass, principal bassin minier de l'ex-URSS jusque dans les années 1960. Construits sur une approche biographique narrative, les entretiens relatent aussi bien les expériences de vie quotidienne pendant les vingt-deux mois d'occupation allemande que celles qui ont précédé la guerre ou lui ont fait suite. Une attention particulière est portée à la manière dont les interviewés ont affronté le régime nazi par rapport au régime stalinien d'avant et d'après-guerre, ainsi qu'à leur description des Allemands en général. Alors que pendant des décennies, la propagande soviétique et l'historiographie ont diffusé une image plutôt déshumanisée de l'ennemi, les mémoires individuelles font état de relations humaines diverses entre les occupants et les occupés, allant de la haine à l'amitié et parfois même l'amour. Dans quelques entretiens, l'apparition d'une certaine refiguration de la mémoire aboutissant à une évaluation plus positive de la période de l'occupation contraste fortement avec l'étendue des crimes allemands et des pertes humaines subies dans le Donbass.The article presents the findings of an oral history project carried out between 2001 and 2010 in the Donbass region, the main coal basin of the former Soviet Union until the 1960s. Following a narrative biographical approach, the respondents' accounts combine their everyday life experiences during the 22 months of German occupation during World War II with their pre- and postwar experiences. Special attention is given to how the respondents dealt with Nazi rule in relation to pre- and postwar Stalinist rule, how they dealt with the crimes of both regimes and how they depicted the Germans in general. It is shown that while Soviet propaganda and historiography had for decades propagated a rather dehumanized picture of the enemy, individual narratives mention the existence of various human feelings between the occupiers and the occupied population including hatred, friendship, and sometimes even love. In some interviews, it appears that a certain refiguration of memory and a more positive evaluation of the period of occupation has taken place and stands in sharp contrast with the magnitude of German crimes and human losses in the Donbass.
- Muzhchiny i zhenshchiny v Krasnoi Armii, 1941-1945 - Oleg Budnitskii p. 405-422
Témoignage/Testimony
- Allocution d'ouverture - Marc Ferro p. 499-504