Contenu du sommaire : Musique et politique
Revue | Raisons Politiques |
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Numéro | no 14, mai 2004 |
Titre du numéro | Musique et politique |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Éditorial
- Musique et politique : le langage musical entre expressivité et vérité - Jean-Marie Donegani p. 5-19
Dossier
- Au nom de la Loi : Schoenberg et les critiques - Esteban Buch p. 21-40 Tout au long de sa carrière, Arnold Schoenberg fut l'objet de nombreuses attaques de la part de la critique musicale. Au-delà des aspects techniques, ce vocabulaire hostile puisait dans le registre du politique et dans celui de la déviance corporelle et psychique. Ce passage discursif entre musique et société, particulièrement fréquent à l'époque des premières oeuvres atonales, tirait sa vraisemblance de concepts qui avaient une signification établie, métaphorique ou littérale, dans les deux domaines concernés. C'est le cas, surtout, de la notion de loi (Gesetz), car l'idée scientifique de loi naturelle inspirait la plupart des critiques qui assimilaient l'abandon de la tonalité à une faute politique ou morale. C'est au concept de loi musicale qu'est consacré le présent article, où sont interrogées à la fois l'efficacité rhétorique et la pertinence logique de l'analogie entre le système tonal décrit dans les traités d'harmonie, et un « système légal » tel que défini par la science juridique.
- « On ne fait pas un pâté de lièvre en faisant rôtir un chat » Pensées sur l'Opéra politique - Mitchell Cohen p. 41-59 L'auteur de cet article consacré à l'opéra politique et à l'esthétique politique se demande comment les idées politiques et la musique s'équilibrent, s'animent et s'informent mutuellement, dans une perspective dramatique. Si l'exploration d'une forme d'art ne peut être épuisée par des questions politiques, les significations non-esthétiques sont intrinsèques aux opéras. L'auteur propose des questions régulatrices pour juger une oeuvre d'art politique telle que l'opéra : l'esthétique qui l'anime, la beauté ou la discorde créées favorisent-t-elles une perception plus aiguë des questions posées par l'oeuvre ? Les considérations politiques supportent-elles un examen non-musical ? Monteverdi, Wagner et Verdi sont mobilisés pour élucider ces questions.
- Portrait politique en musique - Gil Delannoi p. 61-75 Pour saisir l'un des rapports possibles entre musique et politique, l'article examine une situation (l'oppression) et l'une des réponses qu'elle suscite (le portrait). L'ironie, façon d'adresser un signe discret ou de chuchoter un sous-entendu, est ici l'instrument privilégié. On en distingue deux types : d'une part, le conformisme ironique de l'emphase (mécanique chez le perroquet, lourde chez le mauvais comédien) et, d'autre part, l'ironie conforme du reflet (sur le modèle du miroir). Les exemples sont pris dans les oeuvres de Haydn, Mozart et Chostakovitch.
- Notes sur la signification musicale - Philippe de Lara p. 77-89 Cet article vise à clarifier la notion de signification musicale. Il montre que les deux dimensions apparemment opposées de l'expression musicale, la dimension transitive (expression de quelque chose), analogue à l'expression linguistique, et la dimension intransitive (au sens d'une interprétation ou d'une oeuvre « expressive ») sont en réalité compatibles. La démonstration s'appuie sur l'analyse de la compréhension de la signification chez Wittgenstein. Quelques conséquences de cette analyse sont ensuite dégagées pour le jugement esthétique et pour une approche politique de la musique, comme pratique de l'articulation entre l'expérience intime et les représentations collectives.
- Concepts musicaux en pensée politique : l'analogie est-elle féconde ? - Mélanie Heard p. 91-105 Les analogies musicales en philosophie politique ne sont pas nécessairement intuitives pour le profane car elles s'inscrivent dans des problématiques de théorie musicale dont la richesse est souvent méconnue. L'article se propose d'explorer l'idée d'une contribution des dissonances à l'harmonie, que Montesquieu applique par analogie au champ politique. Pour être éclairante en pensée politique, cette analogie implique une compréhension riche de l'usage harmonieux des dissonances en musique, où la théorisation leibnizienne de l'usage baroque des dissonances apparaît fondamentale. La prise en compte de cet apport leibnizien permet d'identifier un enjeu essentiel de l'analogie selon Montesquieu : l'identification, dans les dissonances, d'un exercice énergique et heureux de la liberté et de l'harmonie politiques.
- Musique, politique et sécularisation - Bruno Moysan p. 107-123 Penser la relation entre musique, politique et sécularisation conduit à questionner au préalable la nature même de la musique. Dans quelle mesure cet art du sonore, peut-il prendre en charge une signification politique et religieuse, se socialiser et s'historiciser ? Pour tenter de répondre à cette question, l'article interroge d'abord la nature de la musique en proposant une brève théorie du signe musical et de la signification en musique, pour se concentrer ensuite sur deux moments : la naissance de l'opéra au début du 17e siècle et la révolution romantique de 1830. L'étude des trois versions du Lamento d'Ariane de Monteverdi et de deux pièces pour piano de Liszt (Lyon et Sposalizio) montre que la musique, pleinement acteur des débats d'idée qui l'entourent, est susceptible de produire un langage sonore agissant où le politique ne se sépare pas du poétique.
- Italie 1945-2003 : une histoire de la musique, mais pas seulement - Luigi Pestalozza p. 125-141 Cet article porte sur le rapport entre la politique et la musique dans l'Italie de l'après-guerre et sur la refondation de la vie musicale et culturelle après la chute du fascisme. Issue de l'antifascisme et comme lui mouvement d'alternative sociale et culturelle, la nouvelle musique italienne a proposé de nouveaux modes de communication. Rompant avec le passé, elle est allée à la rencontre de la musique populaire, a participé à des mouvements politiques et sociaux de réorganisation démocratique des rapports culturels et d'opposition aux régimes italiens de Guerre Froide. Dans ce contexte et dans les années 1960-70, marquées par une restauration néo-libérale, l'article présente un compte-rendu varié et documenté de la composition contemporaine, de Maderna à Nono et aux compositeurs actuels. L'auteur souligne également le rôle de la musique électro-acoustique dans le changement musical, du fait notamment d'une écoute renouvelée, marquant au 20e siècle, un processus d'émancipation du son de la note.
- Quand le citoyen était musicien... Flûte, aulos et participation publique dans la Cité grecque - Frédéric Ramel p. 143-156 Une constante de la pensée politique consiste à définir la Cité antique démocratique comme une société holiste qui impose la participation politique. L'article montre, avec une méthode empruntée à la sociologie musicale, que si certaines pratiques musicales (la flûte et l'aulos) reflètent bien l'implication du citoyen dans les affaires publiques, à partir du 5e siècle, une rupture apparaît. Elle se caractérise par le recours croissant à des techniciens de la musique dans la tragédie, une forme de désengagement des citoyens quant à la pratique de l'instrument, l'apparition d'une frontière entre professionnalisation et amateurisme, et l'utilisation de l'aulos pour des commandes particulières et non seulement publiques. A partir du lien ténu entre citoyenneté et pratique musicale, on montre alors l'émergence d'une individuation partielle, qui sans aboutir à la constitution d'un Moi moderne favorise l'expression d'une certaine individualité.
- La musique « dégénérée » sous l'Allemagne nazie - Laure Schnapper p. 157-177 La politique musicale nazie reflète une opposition manichéenne, typique des totalitarismes, entre oeuvres jugées conformes à l'idéologie du régime et celles qui ne l'étaient pas : d'un côté la musique « allemande », de l'autre la musique « dégénérée », dont l'absence de définition précise permettait d'interdire tout ce qui semblait suspect. Une oeuvre était acceptée à condition que son auteur ne fût ni juif ni opposant au régime, la musique étant, en l'absence de paroles, peu dangereuse en soi. Le langage musical devait aussi répondre à un idéal de clarté et de sensibilité, et l'opéra mettre en scène les symboles archétypaux de l'idéologie nazie (puissance, courage et supériorité raciale). Si le public resta peu convaincu par ce répertoire néo-wagnérien, cette politique suscita un appauvrissement artistique durable en Europe longtemps après la guerre, de nombreux artistes ayant été anéantis physiquement ou artistiquement.
- Variations sur le Jazz et la politique - David Smadja p. 179-193 Partant des études de LeRoi Jones et de Theodor Adorno, cet article a pour objet de mettre en évidence le lien ' à première vue, contre-intuitif ', entre le jazz et la modernité politique. Il explore pour ce faire une méthode d'investigation dite « analogique », qui permet d'établir une correspondance heuristique entre jazz, musique et donc culture et société. Défini comme le fruit d'une rencontre entre la culture africaine et la culture occidentale, le jazz fait apparaître une articulation dialectique entre particularisme et universalisme, holisme et individualisme. La musique africaine, pour partie à l'origine du jazz, présente des traits holistiques qui seront remodelés et incorporés aux valeurs structurantes du libéralisme politique (individualisme et universalisme) pour prendre la forme de la « musique de l'esclave citoyen » (LeRoi Jones). Selon Adorno par contre, l'héritage noir n'est plus qu'un voile extérieur masquant la réalité consumériste des sociétés industrielles bourgeoises.
- Au nom de la Loi : Schoenberg et les critiques - Esteban Buch p. 21-40
Lectures critiques
- Lectures critiques - p. 195-205