Contenu du sommaire : Penser avec le droit
Revue | Tracés |
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Numéro | no 27, 2014/2 |
Titre du numéro | Penser avec le droit |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Éditorial
- Droit et sciences sociales : les espaces d'un rapprochement - Guillaume Calafat, Arnaud Fossier, Pierre Thévenin p. 7-19
Articles
- Comment la sociologie peut déplier le droit - Arnaud Esquerre p. 23-38 L'article défend la thèse selon laquelle, si la sociologie étudie le droit, elle doit étudier à la fois ses conditions de production, le texte juridique lui-même, et les pratiques, à la différence de théories qui défendent une autonomie du droit ou qui se limitent à l'organisation des professionnels. Une telle position engage le sociologue à être critique et à réaliser des enquêtes sur des problèmes dont le droit n'est jamais qu'un aspect. La démonstration est faite à partir de plusieurs cas : la lutte contre les « sectes » en France, le rapport aux corps morts, et la propriété intellectuelle.If sociology studies the law, it should focus on its production patterns, on the legal text itself, and on practices – contrary to theories which defend the autonomy of the law, or which study the field of legal professionals. Such a position compels the sociologist to be critical, and to conduct research on issues of which law is only one aspect. Demonstration will be based on three cases : fight against “cults” in France, treatment of dead bodies, and intellectual property.
- Le droit comme gestion de l'incertitude. L'infraction de « défaut de sécurisation » dans Hadopi - Francesca Musiani, Pierre Gueydier p. 39-56 La création et la mise en œuvre de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) permettent d'observer la performativité du système du droit d'auteur. Le législateur français, afin de contrer la montée en puissance du téléchargement de contenus numériques protégés par le droit d'auteur, cherche à combler par une opération du droit la brèche ouverte par le basculement numérique dans le droit général de la contrefaçon. L'article suit les manières dont de nombreuses dynamiques en conflit – fragilités métrologiques, difficultés de définition, diversités de délits – cherchent à être conciliées. Au final, une nouvelle infraction, aux éléments légaux, matériels et moraux inédits, va permettre d'assurer un point d'appui capable de restaurer – même maladroitement – l'empire du droit sur des objets insaisissables et indéfinissables, en instaurant l'infraction de « défaut de sécurisation » à Internet.The creation and implementation of the Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (High Authority for the diffusion of works and the protection of rights on the Internet, or Hadopi) is an occasion to observe the extent to which copyright is a performative system. The French legislator, to cope with the steady rise of downloads of copyright-protected digital content, attempts to fill “by law” the gap opened by the digital (r)evolution in the general anti-counterfeiting regime. This article follows the attempts to reconcile several conflicting dynamics – metrological frailties, difficulties of definition, diversity of infractions. Ultimately, a newly-created infraction, defined by unprecedented legal, material and moral components, provides a reference point allowing to restore – albeit tentatively – the authority of law on undefinable, unseizable objects, by defining as infringement the “failure to secure” one's Internet connection.
- Peut-on dépasser le droit civil ? Les controverses juridiques autour de la réparation des dommages de guerre (1914-1919) - Guillaume Richard p. 57-72 La loi du 17 avril 1919, la « Charte du sinistré », fixe le cadre juridique permettant la reconstruction ou la réparation des biens détruits pendant la Première Guerre mondiale. Or, l'élaboration de cette loi a suscité des désaccords intenses sur les modalités du droit à réparation parmi les professeurs de droit. La controverse met en jeu chaque fois la définition de ce qu'est ou doit être le droit : se ramène-t-il toujours à un modèle unique, fourni par le droit civil et doté d'une très forte stabilité, ou admet-il l'innovation et la création de nouvelles règles ? L'étude de cas permet de montrer les conceptions différentes de la règle juridique auxquelles se rattachent les professeurs de droit et les controverses suscitées par le souci de ne pas se lier exclusivement au modèle incarné par le droit civil. Elle permet aussi d'interroger la portée sociale que les juristes entendent donner à leur expertise technique.The Charte du sinistré, enacted on 17 April 1919, was the legal framework for the reconstruction of properties and goods damaged in France during World War I. Its elaboration led to heated controversies among French legal scholars on the modalities of providing war reparation, which addressed the definition of what law is or ought to be. Does it constitute a unique and stable model shaped by the Civil Code, or does it allow for some innovation and creation of new rules ? This study shows the different conceptions of law defended by legal scholars and the controversies arising due to the desire to transcend the Civil Code. It also discusses the social effects of the technical expertise promoted by the jurists.
- Le code en tant qu'accomplissement pratique. Respécification ethnométhodologique et cas d'étude égyptien - Baudouin Dupret p. 73-92 L'étude du droit est conceptuelle au sens où elle porte sur la grammaire du concept de droit dans tout l'éventail de ses usages et de ses pratiques. L'article est une illustration de cette affirmation à partir de la question du code. Il insiste sur la nécessité de ne pas manquer le phénomène fondamental qui doit être traité quand on s'intéresse aux droits codifiés, à savoir la pratique de codifier et de faire référence au code. Cela signifie qu'il faut observer et décrire les orientations pratiques des gens vers ce qu'ils identifient comme un code, la façon qu'ils ont de s'y référer, de l'utiliser, de le suivre, de le manipuler, de le substantialiser ou de l'invoquer. Cela ne peut être mené à bien qu'à travers l'examen attentif et la description précise des circonstances situées dans lesquelles les participants à un processus juridique ou judiciaire rendent le code pertinent pour leurs propres fins pratiques.The study of law is conceptual : it deals with the grammar of the concept of law in the whole range of its usages and practices. This paper illustrates this point from the perspective of the code. It insists on the necessity not to lose the fundamental phenomenon which has to be treated when addressing codified laws, that is, the practice of codifying and of referring to the code. It means to observe and describe the people's practical orientations to what they identify as a code, their way of making reference to, use, follow, manipulate, substantiate, or invoke it. This cannot be achieved but through the detailed examination and description of the situated circumstances within which the participants to a legal or judicial process make the code relevant for their own practical purposes.
- Comment la sociologie peut déplier le droit - Arnaud Esquerre p. 23-38
Notes
- L'invention du droit en Occident. Une lecture d'Aldo Schiavone - Thibaud Lanfranchi p. 95-105 Cette note de lecture est consacrée à l'ouvrage d'Aldo Schiavone : Ius. L'invenzione del diritto in occidente. Elle revient dans un premier temps sur la traduction française du livre et sur les problèmes soulevés par la notion de disciplinamento, centrale dans la pensée de l'auteur, et dont la traduction rend mal compte. Dans un second temps, la note de lecture présente l'évolution du droit à Rome telle que la conçoit Schiavone. Le ius serait une réponse stabilisatrice permettant de discipliner une société pour l'aider à subsister dans un environnement hostile. L'histoire du ius se présente alors comme l'isolement progressif d'une fonction juridique autonome dans la société romaine, en particulier à travers le basculement vers l'abstraction qui se produisit à la charnière de la République et de l'Empire. Ce basculement dans un formalisme juridique acheva d'isoler le ius dans une sphère juridique indépendante qui constitue un des plus importants legs de Rome à l'Occident.This book review focuses on Aldo Schiavone's Ius. L'invenzione del diritto in Occidente. It considers, at first, the French translation of the book and the problems raised by the notion of disciplinamento, which is essential in the author's view, and which is badly translated. In a second time, the review presents the evolution of the law in Rome, as conceived by Schiavone. According to him, ius is a stabilizing answer, which allowed to discipline a society and to help it to endure in a hostile environment. The history of the ius then appears as the progressive isolation of an autonomous legal function in the Roman society, in particular through the shift towards the abstraction that occurred at the turning point between Republic and Empire. That shift in a legal formalism definitely isolated the ius in an independent legal sphere, which constitutes Rome's most important legacy to the West.
- Le droit au service de l'égalité ? Comparaison des sociologies du droit de la non-discrimination française et états-unienne - Vincent-Arnaud Chappe p. 107-122 Cet article compare les tonalités critiques d'analyses sociologiques états-uniennes et françaises concernant la capacité du droit de la non-discrimination à produire l'égalité. Cette comparaison se décline sur trois plans : l'effectivité juridique formelle du droit à qualifier des situations de discrimination ; sa faculté à réparer les blessures des victimes ; son pouvoir de rétablissement de l'égalité à un niveau collectif et politique. Si les recherches sont globalement sceptiques quant au pouvoir du droit, la littérature états-unienne se distingue néanmoins par un ton moins radical et plus pragmatique, qui s'explique par les traditions juridiques et l'expérience historique, sans que cette différence d'approche puisse être considérée comme définitive.This article is a comparison between French and American sociology of non-discrimination law and their assessments about its capacity to make equality. Three aspects are analyzed : the capacity of law to qualify discrimination facts, to heal victims of discrimination and to modify power balance between minorities and majority. In France and in the USA, researches are globally skeptical about the power of law. But American researches are less radical and more ambivalent and pragmatic. The historical experiences and the legal traditions can explain this difference.
- Gender and judging, ou le droit à l'épreuve des études de genre - Arthur Vuattoux p. 123-133 Cet article propose une synthèse générale d'un domaine de recherche émergent au sein des sciences sociales et juridiques. Regroupés sous le label « gender and judging », les travaux se revendiquant de cette approche renvoient à plusieurs problèmes de recherche tels que la féminisation de la magistrature, les différences fondées sur le genre dans les décisions de justice, ou la reproduction des normes de genre dans le système judiciaire.This essay provides an overview of an emerging field of research in law and social sciences. Under the heading “gender and judging”, this new approach raises several issues such as the feminization of the judiciary, gender-based differences in sentencing, and the reproduction of gender norms in justice system.
- Les droits de l'homme : un cas limite pour le positivisme juridique - Anna Zielinska p. 135-149 La tradition du positivisme juridique s'est longtemps montrée méfiante à l'encontre de la notion abstraite, et non juridique, de « droit ». Mais les choses ont commencé à changer après la Seconde Guerre mondiale et, plus encore, à partir des années 1960, quand les « droits de l'homme » se sont imposés dans toute une série de discours très variés. Pour répondre à ce nouvel état de fait, Joseph Raz, théoricien et philosophe du droit contemporain, a proposé une lecture originale des droits de l'homme comme étant « sans fondements ». Le présent article retrace les positions de Raz, d'abord sur « les droits » tout court, puis sur « les droits de l'homme ». Ces deux étapes nous conduisent à une évaluation critique de l'approche de Raz. En effet, la théorie générale du droit de Raz ainsi que sa réflexion plus spécifique sur les droits sont censées aller au-delà des divisions classiques entre positivisme juridique et jusnaturalisme. Mais nous tâchons de montrer que la pertinence de cette distinction mérite d'être défendue, en particulier dans la perspective d'un recadrage de la pensée sur les droits de l'homme.The tradition of legal positivism was rather reluctant towards the important taken by the abstract and pre-legal notion of “right” in political and social discourse. But the situation started to change after the Second World War, and, even more, in the 1960s, when “human rights” imposed themselves within a variety of discourses. In order to respond to this new state of affairs, Joseph Raz proposed an original reading of human rights, understood as being “without foundations”. This article presents Raz's positions, on rights, and, subsequently, on human rights. These two stages of the presentation lead to a critical evaluation of the proposed theory. Indeed, the general theory of law advanced by Raz, as well as his more specific work on human rights, present themselves as going beyond the classical division between iusnaturalism and legal positivism. This article argues that, even if this position is intellectually stimulating, the distinction remains relevant and deserves to be defended, in particular in thinking about the human rights.
- Du droit comme discours et comme dispositif - Sonia Desmoulin-Canselier p. 151-162 Cette note critique présente l'ouvrage de Rémy Libchaber intitulé L'ordre juridique et le discours du droit. Essai sur les limites de la connaissance du droit (Paris, LGDJ, 2013). Il s'agit d'exposer, par une lecture nécessairement personnelle, les éléments clés d'une définition originale du droit. L'essai constitue une tentative internaliste de dépassement des théories positivistes et naturalistes et de réconciliation entre la théorie et les pratiques. Il développe notamment l'idée du droit comme discours et de l'ordre juridique comme dispositif permettant la production de ce discours. S'y ajoute une conception culturelle du droit qui ouvre d'intéressantes pistes de réflexion. Après une présentation des lignes de force du propos, la note critique s'interroge sur ce que révèle une telle publication de l'esprit du temps au sein de la « communauté » des juristes et des chercheurs en droit. La proposition constitue-t-elle un projet fédérateur ou une thèse marginale ? Malgré sa séduction, quelques indices conduisent à douter sérieusement de la vocation paradigmatique du nouveau cadre de pensée suggéré.This paper gives a commentary on a book entitled L'ordre juridique et le discours du droit. Essai sur les limites de la connaissance du droit (The legal order and the legal discourse. Essay on the limits of law understanding) written by a French Professor in Law, Rémy Libchaber (Paris, LGDJ, 2013). It exposes, with inevitably personal viewpoint, some key elements of an original definition of the Law. Trying to propose something different from positivist or naturalist theories and to reconciliate theory and practice, Rémy Libchaber develops the idea of the Law as a discourse and the Legal order as device allowing the production of this discourse. He adds a cultural conception of the Law which opens interesting avenues worth exploring. This presentation leads to critical interrogations. What reveals such a publication about what is going on in French universities of Law ? Does the definition proposed constitute a federative project or a marginal thesis ? Despite of its seduction, some indications lead to seriously doubt the paradigmatic vocation of the new suggested frame for thought.
- John Dewey et l'expérience du droit. La philosophie juridique à l'épreuve du pragmatisme - Liora Israël, Jean Grosdidier p. 163-180 En 1941, le philosophe John Dewey participa à une conférence à l'Université Northwestern qui lui donna l'occasion d'expliciter sa « philosophie du droit ». Le commentaire du court texte qu'il prononça nous donne l'opportunité de développer plusieurs axes de réflexion, en sociologie comme en philosophie du droit, propices à l'ouverture de pistes de recherche inspirées par le pragmatisme et portant sur le droit et la justice. Ouvrant à des programmes de recherches empiriques comme à la remise en cause d'approches trop internes et normatives du droit, Dewey invite en effet à appréhender le droit comme un processus de part en part social, à rebours des approches traditionnelles des juristes.In 1941, John Dewey attended a conference at Northwestern University where he presented his “philosophy of law”. The commentary of this short text allows us to develop several lines of thought, in sociology as well as in philosophy of law, exploring new and promising areas for research on law and justice inspired by pragmatist philosophy. By opening up empirical research programs and by questioning internal and normative approaches to law, Dewey invites us to consider “law” fully as a social process, against legal scholars' traditional views.
- L'invention du droit en Occident. Une lecture d'Aldo Schiavone - Thibaud Lanfranchi p. 95-105
Traductions
- Gouvernement-manageur et citoyens-consommateurs. Le cas du Criminal Justice Act 1991 - Nicola Lacey p. 183-210
- Indisponibilité, service public, usage. Trois concepts fondamentaux pour le « commun » et les « biens communs » - Paolo Napoli p. 211-233
Entretien
- Le droit en situation : Entretien avec Pierre Lascoumes - Guillaume Calafat, Arnaud Fossier p. 237-252