Contenu du sommaire : Re-penser l'ordinaire
Revue | Sociétés |
---|---|
Numéro | no 126, 2014/4 |
Titre du numéro | Re-penser l'ordinaire |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier
- Introduction : Re-penser l'ordinaire - Bernard Troude, Frédéric Lebas p. 5-9
- La connaissance ordinaire. Précis de sociologie compréhensive. (Extraits) - Michel Maffesoli p. 11-12
- L'avenir du papier - Michel Sicard p. 13-23 Repenser signifie aussi réfléchir, à la fois articuler par des termes, concepts, notions, puis renvoyer à un miroir, informant ou déformant, mais encore relier, relire, soigner... Et qu'avons-nous besoin de penser ? Dans repenser, il semble que cela ait déjà été pensé une fois, comme un prescriptif (tu dois faire, ou être attentif à), au moins une fois, mais qu'il faille refondre cette pensée, non pas dans une « endurance », mais un virage, une révolution, ou peut-être même un retour. En ce sens, repenser n'est jamais un mouvement ordinaire, mais un acte de re-parcours et de remémoration. Qu'est-ce qui peut faire mémoire au sein du quotidien, qui ne serait pas de l'ordre de l'image mémorielle et mentale ? Il y a bien sûr le paysage, les monuments, la culture, les limites des territoires... Or ces domaines sont macroscopiques. Je voulais vous parler d'un sujet infime, infiniment petit et presque dérisoire, en tout cas très modeste : le papier.Rethinking also implies reflecting both articulate with words, concepts, ideas, then return to a mirror, distorting or informing, but connect, read, care... And what do we need to think? In rethink, it seems that this has already been thought once, as a prescriptive (you have to do or pay attention to), at least once, but we should restate that thought, not in an “endurance” but a bend, a revolution, or perhaps a return. In this sense rethink is never an ordinary movement, but an act of “re-parcours” and remembering. What can be memory in the daily, which is not the order of the memorial and mental image? There is of course the scenery, monuments, culture, on the boundaries of these areas... which are macroscopic. I wanted to talk about a tiny, infinitely small and almost insignificant in any case very small: paper...
- Entre confiture et photographie, notes sur la couleur subjonctive - Guy Lecerf p. 25-38 Que se passe-t-il entre les actes de la confiture et ceux de la photographie ? De quel jeu s'agit-il ? Il se fait que j'imagine, j'invente mon quotidien et, à l'occasion, je parle de couleur. Ainsi dans la série Oasis, Miroirs Myrtilles (2010), je peux passer – là au bord d'un chaudron de confitures en ébullition – de la catastrophe dans sa banalité à la photographie. Ce passage peut se comprendre en termes de dépiction ou de proposition : la dépiction (Stephen Kosselyn, 2006) s'intéresse aux variations de colorations, à l'ambiguïté de l'image, à sa picturalité. A contrario, l'identification de la couleur impose la proposition et, en particulier, la dénomination. L'analyse propositionnelle ouvre sur une « grammaire » fondée sur des modes ; d'où la notion de « couleur subjonctive » (Hilary Putnam, 1983) qui envisage la couleur comme une potentialité, le fait qu'elle puisse avoir un avenir dans l'esprit de celui qui la voit et qui en parle. Cette notion permet de mieux saisir ce qui, par la modalité subjonctive de la proposition de couleur, me relie au monde commun et, chaque jour, me fait inventer et imaginer des mondes possibles et imprévisibles dans une sorte de balancement sans fin entre confiture et déconfiture.What happens between the acts of jam and the acts of photography? What game is played? I imagine and invent my daily life and sometime, I speak about color. That is how, in the series Oasis, Miroirs Myrtilles (2010), I can go – at the edge of a boiling jam cauldron – from catastrophe in its banality to photography. This movement can be understood in terms of depiction or proposition: depiction (Stephen Kosselyn, 2006) is interested in the variations of colorations, the ambiguity of the picture, its picturality. On the contrary, the identification of the color requires the proposition and, in particular, the denomination. The propositional analysis opens on a “grammar” based on modes; hence the notion of “subjonctive color” (Hilary Putnam, 1983) which sees the color as a possibility, the fact that it can have a future in the mind of the person who sees it and speaks about it. This notion allows me to grab what, by the subjonctive mode of the proposition of the color, links me to the common world and, every day, makes me invent and imagine possible and unpredictable worlds.
- Trouver l'extraordinaire dans l'infra-ordinaire : pour une mystique profane - Philippe Filliot p. 39-46 Mon propos est de montrer que la mystique est une voie possible pour « re-penser l'ordinaire ». Contrairement aux représentations habituelles, la vie spirituelle laisse en effet une place importante au monde quotidien, dans ses aspects les plus infimes, et, en apparence, insignifiants. L'essentiel peut pourtant résider dans les petites choses. La banalité devient alors le lieu d'une expérience sacramentelle qui ne renvoie pas à un « au-delà » mais qui se vit concrètement dans le réel « tel qu'il est ». Transcendance dans l'immanence qui renvoie à certaines traditions spirituelles orientales et occidentales, mais aussi, en dehors des religions, à la littérature et aux arts qui laïcisent la dimension sacrée, depuis en particulier le romantisme jusqu'à notre postmodernité.My intention is to show that mysticism is a potential way to ‘re-think the ordinary'. Indeed, contrary to common thinking, spirituality allows an important place to everyday life in its most minute and apparently trivial aspects. And yet what is essential can be found in little things. Banality then becomes the place for a ritual experiment, which does not refer to the ‘beyond' but which permits one to actually live reality ‘as it is'. Transcendence in immanence, which refers to certain eastern as well as western spiritual traditions, and also, outside religions, to literature and arts which secularize the sacred, and this especially since Romanticism until our postmodern times.
- Cinq euros - p. 47-52 Pour re-penser l'ordinaire, le texte se développe autour et à travers un objet quotidien. Mais comment le choisir ? Quel peut être le plus ordinaire des objets ? Cette question a permis de faire émerger un champ lexical lié à la transparence et à la perte et que l'ordinaire induirait une forme d'invisibilité du quotidien. Ainsi, le fait de mettre en exergue ce quotidien fait-il basculer l'ordinaire vers un état extraordinaire ? Selon un principe d'associations libres, nous avons choisi un billet de cinq euros. L'objet présente de nombreux aspects, à la fois par sa forme (un morceau de papier, plié, froissé, usé), par sa valeur fiduciaire (ce que signifie ce morceau de papier pour la société dans laquelle il circule), par son image (une création reproduite à des millions d'exemplaires peut-elle être associée au pop-art ?). L'interrogation s'est produite individuellement et collectivement sur l'ordinaire de l'objet afin de le penser en plus. Nous avons rompu avec cet ordinaire en lui apposant un langage, une mise en exergue sans pour autant vouloir le renommer. Ce choix, malgré son apparente spontanéité, n'est pas anodin et de nos productions émergent des principes communs ; à partir du billet de cinq euros, objet quotidien, et à travers nos travaux plastiques, aura été tenté de re-penser l'ordinaire.Re-think the ordinary, the text develops around and through an everyday object. But how to choose? What may be the most ordinary objects? This question has made it possible to identify a lexical field related to transparency and the loss and the ordinary induce a form of invisibility of everyday life. Thus, the fact of the daily highlight is it to switch the ordinary extraordinary state? According to the principle of free association, we chose a five euros currency. The object has many aspects, both in its form (a piece of paper, folded, wrinkled, worn), in its fiduciary value (what it means for the society in which it circulates that piece of paper), its image (reproduced in creating millions of copies it may be associated with pop-art?) The interrogation occurred individually and collectively on common object to think more. We broke with this ordinary placing him in a language, highlighting without wanting to rename. This choice, despite its apparent spontaneity, is not trivial and our productions emerging common principles; from fiver euros, everyday objects, and through our plastic artistic work has been attempted to re-think the ordinary.
- Éléments pour une poétique critique du monde industriel - Dalie Giroux p. 53-69 Ce texte propose une réflexion critique sur les possibilités poétiques d'habitation dans les paysages postindustriels. À partir d'une relecture de la notion de déracinement chez Heidegger et de la nostalgie bachelardienne de la maison traditionnelle, il s'agit de visiter certains lieux d'habitation contemporains pour en explorer la signification poétique : la tour d'habitation, l'autoroute, le métro, les zones postindustrielles.This paper proposes a critical reflection on the possibilities for poetic dwelling in postindustrial landscapes. Starting with a reinterpretation of Heidegger's notion of up-rooting and Bachlard's nostalgia for the traditional house, it revisits contemporary sites of dewlling to explore their lived dimensions: high rise appartment buildings, highways, the subway, postindustrial zones.
- « Post catastropham omne animal triste est ». Pop-cultures du désastre et consommation ordinaire de l'extraordinaire événementiel - Bertrand Vidal p. 71-80 Cet article propose d'explorer la tectonique des images du désastre et l'imaginaire social des catastrophes, plus particulièrement notre relation médiologique à l'événement-catastrophe. Aujourd'hui, dans une société où la présence actuelle et la prolifération des images dans le monde de la vie quotidienne sont des aspects caractéristiques de l'ambiance sociale contemporaine, notre relation à l'événement-catastrophe semble se cristalliser autour d'une contradiction : attraction/répulsion pour les images du désastre.This article explores the tectonic of the images of disaster and the social imaginary disaster, especially our mediological relationship to the disasters events. Today, in a society where the current presence and proliferation of the image in the world of daily life is one of the characteristic aspects of the contemporary social environment, our relationship to the disasters events crystallizes around a contradiction: attraction/repulsion for the images of disasters.
- « Street Art » ou comment rêver l'ordinaire urbain - Sébastien Billereau p. 81-89 Notre propos, en ce qu'il traite de l'espace urbain au travers de ses plasticités, de ses représentations et des actes artistiques y évoluant, appelle une démarche qui nous fera évoluer d'un point de vue intérieur, sensitif, fictionnel de l'espace urbain quotidien, à l'étude des actions artistiques qui peuvent intégrer ce milieu propice aux visions, à savoir l'art urbain et ses variations plastiques. Chaque situation de l'ordinaire de la ville serait à ressentir comme un champ de psychogéographie, une épistémologie du temps et de l'espace quotidien. Elle apparaît en tant que milieu ambiant pour un jeu d'événement suivant une logique propre toute nourrie des réflexes et des systèmes de la communication visuelle. Alliance d'un fond et d'une forme, les contre-langages artistiques laissent à chaque fois une petite entaille dans l'immense spectacle de la vie sociale. Tel un point de condensation, le phénomène de l'art urbain aspire à pervertir positivement un espace ordinaire. Désormais généralisée à l'échelle de la ville, voire d'un continent, l'action graffiti devient de ce fait planifiée et transformée en une sorte de grille de jeu fictive de l'alter quotidien. Les gestes plastiques en commandent la topographie et deviennent l'échappatoire des espaces urbains. C'est en interrogeant eux-mêmes la ville qu'ils peuvent en concevoir de multiples parce que.Our purpose in that it deals with the urban space through its plasticity, its performances and artistic acts are evolving, called an approach that we will move from a domestic perspective, sensory, fictional of daily urban space, to the study of artistic actions that can integrate this environment conducive to visions, namely urban art and visual variations. Each of the ordinary situation of the city is to feel like a field of psychogeography, an epistemology of time and everyday space. It appears as environment for an event next game logic all its own fueled reflexes and visual communication systems. Combination of a bottom and a form-language arts against leave whenever a small notch in the vast spectacle of social life. Such a point of condensation, the phenomenon of urban art aspires to pervert positively ordinary space. Henceforth widespread across the city to see a continent, graffiti action becomes of this plan and turned into a sort of grid fictional game of alter quotidien done. Plastic gestures control the topography and become the loophole urban spaces. It is asking themselves the city they can design manifold because.
- Hyper-lectures quotidiennes sur Internet - Martine Xiberras p. 91-108 Comment Internet a-t-il transformé certaines de nos pratiques au quotidien, au point parfois de les réenchanter ? En explorant plus particulièrement la modification des pratiques de lecture, la réflexion nous entraîne à envisager les points communs et différences ou même les fractures entre la culture lettrée et la cyberculture. L'hypothèse d'une résurgence ou d'une perdurance des anciennes formes du savoir, voire même de l'expression symbolique, au cœur de l'environnement numérique, sont explorées, à travers notre nouveau rapport aux « I-cons », ou à l'existence de l'encyclopédie en ligne, ou la « nétiquette », la politesse en ligne. De nouvelles compétences cognitives apparaissent comme nécessaires pour développer une « hyper-lecture » propre à naviguer dans les pages d'un hypertexte. Les valeurs propres à la cyberculture et ses règles instituantes et instituées peuvent ainsi être esquissées.How Internet transformed certain practices of day life, to the point where they still enchant us today? In exploring the modification of lecture's practices, parallelisms and differences between Literacy and cyber-culture are made evident. The hypothesis of a resurgence or a continuation of ancestral knowledge, and also the symbolic expression, inside of the numeric environment are explored through the new relationship to “I-cons”, or to the online encyclopaedia, or the “netiquette”, online politeness. New cognitive competences are required to develop these new “hyper-reading” skills necessary to surf the “hyper-text” pages. Cyber culture's values of and its rules, establishing and established, are defined.
- Re-penser l'ordinaire en milieu hospitalier : quand la danse contemporaine entre à l'hôpital - Chloé Charliac p. 109-113 L'hôpital et la danse contemporaine appartiennent a priori à deux mondes que tout oppose. Cependant, dans ce lieu où règnent la science et la rationalité, nous observerons que l'art chorégraphique n'est pas dénué d'efficacité dans la prise en charge des souffrances du corps, en agissant auprès de différents publics et à différentes échelles. La danse à l'hôpital permet ainsi de repenser les relations soignants-soignés, le quotidien hospitalier, notre imaginaire collectif du corps et les circulations au sein du territoire urbain.Hospital care and contemporary dance seem at first glance to belong to two worlds are total opposites. Nevertheless, in this place where science and rationality prevail, we observe that choreographic art is not devoid of efficiency in the management of pain in the body, acting with different audiences and different scales. Dance at the hospital allows us to rethink the relationship between care givers and their patients, everyday life in the hospital, our collective image and perception of the body and circulation in urban life.
Marges
- Automobilités postmodernes : quand l'Autolib' fait sensation à Paris - Jean-Pierre Tremblay p. 115-124 Le présent article vise à mettre au jour les soubassements imaginaires d'un objet socio-technique urbain contemporain : l'Autolib'. Sur la base d'une enquête de terrain approfondie, elle-même couplée à une phénoménologie herméneutique consistante, nous montrons que la petite voiture de location d'apparence anodine, mise en place à Paris en 2011, se révèle être un indicateur privilégié d'une dynamique macro-sociale sous-jacente : soit le passage d'une épistémè « moderne » à une épistémè « postmoderne ». À travers l'examen de l'esthétique du véhicule (que l'on caractérise comme poly-identificatoire), comme de ses caractéristiques et fonctionnalités les plus saillantes (la voiture électrique connectée illustre le topos contemporain de « l'enracinement dynamique »), nous mettons au jour les diverses modalités socio-anthropologiques qui permettent d'envisager l'objet « Autolib' » comme le produit/producteur, parmi d'autres choses, d'un nouveau « bassin sémantique ».The purpose of this article is to reveal the imaginary foundations of the Autolib', a socio-technical entity evolving in our contemporary urbanity. Based on an extensive fieldwork combined with a robust hermeneutic phenomenology, the author shows that this apparently insignificant rental car, disseminated in Paris from 2011, turns out to be a privileged indicator of a macro-social dynamics underlying the transition of a “modern” episteme to “postmodern” episteme. Through the analysis of the vehicle aesthetics (which is characterized here as poly-identificatory) and its most salient functional features (for instance, the connected electric car illustrates the contemporary topos of “dynamic rootedness”), the article interprets the various socio-anthropological aspects of the “Autolib'” and finally emphasizes the fact that this small car is, among others things, the product/producer of a new “semantic basin”.
- La mode, cette religion - Françoise Piot-Tricoire p. 125-132 Alors que les imaginaires religieux et politique sont parmi les imaginaires sociétaux les plus puissants, les institutions religieuse et politique ont perdu leur force de conviction, leur capacité à proposer aux individus un horizon idéal, un projet commun fédérateur et mobilisateur. La question se pose du réinvestissement du mûthos, dont les fonctions sont essentielles dans le fonctionnement d'une société. La désintégration institutionnelle met à mal les institutions sociales dans leur ensemble, qui ne présentent plus de caractère sacré. L'homo religiosus est alors amené à réinvestir le religare dans d'autres sphères de la vie sociale et économique. La mode se présente comme une religion séculière : de l'expérience du sacré par les fidèles, à son administration par le clergé, liturgie, lieux et personnages sacrés, présence de récits mythologiques, mythe rationalisé en doctrine consumériste. La société postmoderne vit une sorte de sublimation économique en déplaçant le sacré dans le secteur de la consommation de biens et tente ainsi de réenchanter le monde.While religious and political imaginary are among the most powerful societal imaginary, the religious and political institutions have lost their strength of conviction, their ability to offer individuals an ideal horizon, a common unifying an mobilizing project. The question arises reinvestment of the mûthos which functions are essential in the functioning of the society. The institutional destruction worsens the social institutions which present no more sacred character. The homo religiosus is then brought to reinvest the religare in the other spheres of the social and economic life. The fashion appears as a secular religion: experience of the sacred by the faithful, its administration by the clergy, the liturgy, the places and the sacred characters, the presence of mythological narratives, rationalized in consumerist doctrine. The postmodern society lives a kind of economic sublimation by moving the sacred in the sector of consumption of goods and so tries to re-enchant the world.
- Automobilités postmodernes : quand l'Autolib' fait sensation à Paris - Jean-Pierre Tremblay p. 115-124
Activités sociologiques
- Activités sociologiques - p. 133-139