Contenu du sommaire : Dossier : Besoins d'histoire
Revue | L'année du Maghreb |
---|---|
Numéro | No 10, 2014 |
Titre du numéro | Dossier : Besoins d'histoire |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Éditorial
- Éditorial : Communautés, réseaux et médiations - Frédéric Abécassis p. 3-6
Dossier : Besoins d'histoire
- Histoire en révolution : besoins, revendications, narrations - Isabelle Grangaud, Alain Messaoudi, M'hamed Oualdi p. 9-16
I. Ce que les Révolutions font à l'Histoire et aux Historiens
- Archéologies révolutionnaires. Regards croisés sur la Tunisie et l'Égypte (2011-2013) - Guillaume Mazeau, Giedre Sabaseviciute p. 19-39 Depuis la fin de l'année 2010, la Tunisie et l'Égypte se sont engagées dans des processus révolutionnaires à la fois simultanés et différenciés. Vécus dans des atmosphères d'urgence puis d'attente, d'enthousiasme puis de déceptions et de doutes, ces événements ont fortement transformé le rythme du temps quotidien, mais ils ont aussi changé la perception du sens de l'histoire. En marge des phénomènes politiques et sociaux, les révolutions tunisiennes et égyptiennes se sont donc traduites par d'intenses relectures et réécritures des passés nationaux, se présentant par conséquent en véritables archéologies collectives. Dans cet article, il s'agira d'analyser les mécanismes politiques, sociaux et culturels par lesquels le passé est devenu un enjeu majeur du devenir de ces révolutions.Since the end of 2010, Tunisia and Egypt have pursued different but simultaneous revolutionary processes. Constantly alternating between urgency and expectation, enthusiasm and deception, certainty and doubt, these events have deeply impacted the rhythms of life and perceptions of history. On the margin of political and social transformations, the Tunisian and Egyptian revolutions have led to an intense rewriting and rereading of their respective national histories. The present article examines political, social and cultural mechanisms by which the past has become a major source of contention for the revolutions.
- L'accès aux fonds contemporains des archives nationales de Tunisie : un état des lieux - Houda Ben Hamouda p. 41-48 Depuis l'effondrement du régime autoritaire de Ben Ali, les références à l'histoire nationale, et particulièrement à la période contemporaine, sont très présentes dans le débat public en Tunisie et appellent à des relectures du passé. Cet intérêt pour l'histoire et ce besoin de la repenser posent la question de l'accès aux sources. L'ouverture récente des archives publiques contemporaines ne semble guère susciter de curiosité dans la période de transition actuelle, si l'on excepte les archives policières et judiciaires et les documents susceptibles de permettre de disqualifier les adversaires politiques. Le rapide état des lieux des archives nationales contemporaines tunisiennes que nous proposons voudrait favoriser le nécessaire renouvellement de l'historiographie de la Tunisie contemporaine.Since the collapse of the authoritarian regime of Ben Ali, references to national history, particularly in the contemporary period are very present in the public debate in Tunisia and calling for re-readings of the past. This interest in history and the need to rethink it raises the question of access to sources. The recent opening of contemporary public records does not seem to arouse curiosity in the current transition period, except the police and court records and documents that may help to disqualify political opponents. The quick inventory of contemporary Tunisian national archives that we offer would promote the necessary renewal of the historiography of modern Tunisia.
- Entrer dans l'histoire de la Révolution tunisienne ? - Kmar Bendana p. 49-58 Penser la Révolution tunisienne du point de vue de l'histoire revient à questionner les règles de la discipline comme les contours de l'histoire contemporaine de la Tunisie. Assumant la subjectivité de son point de vue, l'auteur donne un aperçu de la production récente en soulignant les frémissements d'une histoire du temps présent, une catégorie encore pauvre dans l'historiographie tunisienne. L'article suggère quelques directions de recherche susceptibles de bénéficier de cet engouement pour l'histoire immédiate. Les études historiques sur la Tunisie ont besoin d'approfondir des problématiques, de confronter les mémoires et de multiplier les voies et méthodes d'enquête.How do we enter the Tunisian Revolution from the point of view of history? This problem enjoins us to question the rules of the discipline and the contours of contemporary history. Assuming her subjectivity, the author provides an overview of recent historical events and highlights the timid awakening of current history, a category which has, up to now, been poor in Tunisian historiography. The article suggests new directions for research to benefit from this taste for immediate history while deepening one's perspective on the issues, cross-examining memories and multiplying ways and means of contemporary investigation.
- En attendant Bouteflika. Le président et la crise de sens en Algérie - Thomas Serres p. 59-75 Cet article analyse les trois premiers mandats d'Abdelaziz Bouteflika au prisme de la crise des fondements du pouvoir politique qui touche l'Algérie, et qui repose notamment sur l'idée d'un gaspillage historique et de la perte de sens qui en résulte. L'étude des temporalités politiques liées à la figure du Président algérien permet de mieux comprendre la portée et les limites du pouvoir d'imposition symbolique étatique. L'article commence donc par étudier les origines de la crise des fondements du pouvoir, depuis l'indépendance jusqu'à la guerre civile. Par la suite, l'arrivée au pouvoir de Bouteflika a correspondu à une phase de restauration de l'ordre, qui reposait notamment sur la mise en scène du retour de la continuité avec un passé glorieux et sur le dépassement de la décennie noire. Cette restauration de l'ordre a également enclenché une phase de glaciation politique, dont les ressorts sont à la fois institutionnels et accidentels car liés à la maladie du chef de l'État. Finalement, si ce dernier a permis pour un temps la permanence de la coalition dirigeante, il n'a pas été en mesure de pallier durablement la crise épistémologique. Ainsi, plutôt que le retour d'une autorité politique crédible et d'un sens politique, il en est venu à incarner le détournement de la légitimité historique et la survivance d'un ordre ubuesque.This article analyzes the first three mandates of Abdelaziz Bouteflika through the prism of the epistemological crisis that has affected Algeria, which is to say the squandering of an historical opportunity and the resulting failure of sense. A review of the political temporalities that surround the figure of the Algerian president allows us a better apprehension of the scope and limits of symbolic state power. The article begins with a review of the origins of the epistemological crisis, from the war of independence to the civil war. It then looks at Bouteflika's rise to power and the restoration of order, a staged return to the glorious past and the vanquishing of the black decade. This restoration of order was also linked to political paralysis, the dynamics of which would have been both institutional and fortuitous in so far as they linked to the head of state's illness. Finally, if the President helped the ruling coalition to remain in place for an extended period, he did not resolve the epistemological issues: rather than restore credible political authority and political meaning, he has come to incarnate the misappropriation of historical legitimacy and the survival of a demented and grotesque order.
- Archéologies révolutionnaires. Regards croisés sur la Tunisie et l'Égypte (2011-2013) - Guillaume Mazeau, Giedre Sabaseviciute p. 19-39
II. Écritures et réécritures de l'histoire
- Écrire aujourd'hui à Rabat et à Casablanca : Témoigner et « laisser trace » - Anouk Cohen p. 79-98 La fondation en 1999 d'une nouvelle maison d'édition marocaine, Tarik, témoigne d'un développement significatif des témoignages et des récits de vie. Avant elle, les éditions Le Fennec, Ediff, Marsam, Afrique Orient et d'autres avaient vu le jour entre le milieu des années 1980 et la fin des années 1990. L'apparition d'une quarantaine de structures d'édition est allée de pair avec une augmentation de la production littéraire. Cette effervescence littéraire pose plusieurs questions : quels en sont les déterminants ? À quelles pratiques d'écriture renvoie-t-elle ? Qui sont ceux qu'on appelle communément « auteurs », une terminologie à interroger ? À partir de quelles ressources écrivent-ils, en suivant quelles motivations et pour dire quoi ? Cet article vise à étudier l'émergence de ces nouvelles pratiques d'écriture qui concernent des hommes et des femmes, pour la plupart résidant à Rabat et à Casablanca, et leurs implications afin de saisir dans quelle mesure elles s'accompagnent d'une redéfinition du rapport de la société urbaine à son histoire passée et contemporaine ainsi qu'à la manière de la raconter et de l'écrire.In 1999, the publishing house Tarik was founded in the specific context when men and women between 18 and 65 years of age, mostly living in Rabat and Casablanca, started to write their life stories. Tarik house was not an exception. Before Tarik, between the mid-eighties and late nineties, a number of publishing houses were founded, including, among others, Le Fennec and Ediff Marsam. Some forty publishing operations were founded over a period which coincided with a remarkable flowering of literary production. This literary effervescence raises several questions: how can one explain this phenomenon? To which writing practices does it refer? Who are those so called «authors»? Was the terminology properly applied? Through which resources were they writing? And what were they writing about? This article analyses the meaning of these practices and their implication for understanding the extent to which these imply a redefinition of the relationship, on the one hand, between society and its recent past, and on the other hand, between society and its popular narrative.
- La révolution au pluriel. Pour une historiographie de la question messaliste - Nedjib Sidi Moussa p. 99-114 Cet article propose d'établir un bilan de la production relative à Messali Hadj et ses partisans qui ont été confrontés à l'occultation, la stigmatisation et la réhabilitation. Le texte traite plus particulièrement du congrès d'Hornu pour montrer le caractère déterministe des premiers récits avant d'analyser la progressive réappropriation historienne qui accompagne le mouvement contre l'autoritarisme en Algérie ainsi que la tendance récente de vulgarisation littéraire à travers l'exemple du dernier roman de Mohammed Benchicou.This article provides an assessment of the revolutionary production of Messali Hadj and his partisans who were confronted with eclipse, stigmatization and rehabilitation. The text deals more particularly with the congress of Hornu to show the determinist character of the first narratives before turning toward a growing Messalist reappropriation which has accompanied the movement against authoritarianism in Algeria as well as the recent trend of literary popularization through the example of Mohammed Benchicou's last novel.
- Mémoires et patrimonialisation d'un passé antéislamique : Mubârak al-Mîlî et l'ethnogenèse du peuple algérien - Aomar Hannouz p. 115-141 Dès les débuts de l'indépendance de l'Algérie, les nationalistes ont insisté sur son identité arabo-musulmane. L'islamisation de l‘Afrique du Nord était au fondement de la nation algérienne. Le passé antique de la région en devenait quasiment exclu de l'histoire temporelle et écrite. Grâce aux travaux de James MacDougall, on connaît bien l'importance de l'œuvre de Tawfîq al-Madanî (m. 1983) dans la construction d'une identité nationale algérienne. Or, celle d'un autre historien proche de l'Association des oulémas musulmans algériens, Mubârak al-Mîlî (m. 1945), n'était pas moindre. Son Histoire de l'Algérie dans les temps anciens et modernes, rédigée à la fin des années 1920, aborde l'histoire ancienne du Maghreb avec un point de vue original. Contrairement à l'historiographie nationaliste qui s'impose après l'indépendance, elle témoigne de la formalisation de mémoires concurrentes en matière d'ethnogenèse et d'histoire culturelle, conséquences de compétitions sociales et politiques. Son discours sur l'histoire antique de l'Algérie ne renverse pas seulement les valeurs du discours colonial, mais assimile les catégories ethniques et les théories scientifiques élaborées au XIXe siècle par les sociétés savantes françaises. Les ethnogenèses des peuples européens servent de modèle pour la construction d'une mémoire collective du peuple algérien. Notre contribution entend analyser cette ingénierie de l'ethnicité, et les modes de réactivation ou de réinvention d'une ethnie dans le contexte de renaissance culturelle d'une « communauté imaginée » socialement et politiquement dominée.From the very beginnings of Algerian independence, Algerian nationalists emphasized the country's Arab-Moslem identity. The islamization of North Africa was the very foundation upon which the Algerian nation was to be built. The region's ancient past was almost entirely excluded from oral memory and written history. Thanks to James McDougall's work, History and Culture of Nationalism in Algeria, the foundational work on national construction by Tawfiq al-Madanî (d. 1983) is well documented. Yet the writings of another historian close to the Association of Algerian Ulemas, Mubârak al-Milî (d. 1945) were no less important. His Histoire de l'Algérie dans les temps anciens et modernes, written at the end of the 1920s, deals with the Maghreb's classic and pre-Islamic history, exposing a peculiar and original viewpoint. Contrary to nationalist historiography, imposed following independence, al-Milî's work bears witness to the crystallisation of parallel and competing narratives for the ethnogenesis and cultural history, this very process being the consequence of social and political rivalry. His ideas and discourse on the ancient history of Algeria not only overturns the values and arguments advanced in the colonialist discourse, but assimilates the ethnic categories and scientific theories advanced by French scholarly societies of the 19th century. The European narrative of ethnogenesis provided a model for conceptualization of the Algerian people's collective memory. Our contribution is an attempt to analyse this ethnic engineering, and so to examine the modes by which this ethnic group was reactivated to culturally express an ethnic group and “imagined community”, which was itself dominated socially and politically.
- L'identité amazighe aux Canaries : l'historiographie des origines - Josué Ramos-Martín p. 143-162 Les habitants des îles Canaries, non loin des côtes africaines, ont toujours eu une place, plus ou moins importante selon les époques, au sein des discours sur l'histoire et l'identité berbère. Peu de recherches ont cependant approfondi les raisons et les modalités de ce lien. Cet article tente d'analyser comment l'historiographie des époques les plus reculées du passé canarien a inclus les Berbères (ou Amazighs) dans ce récit sur les origines. Nous décrirons dans un premier temps la genèse de ce processus historiographique et son développement chronologique. Nous analyserons ensuite plus en détail l'articulation des différents discours (avec leurs propres catégories et théories) afin de comprendre comment ils ont donné un sens à cette appartenance et quels ont été leurs effets sur la construction de l'identité canarienne.The inhabitants of the Canary Islands, located off the African coast, have been mentioned in many narratives about Berber history and identity. These however, are not often studied with a view of uncovering the causes of this link or how it came about. This proposes an analysis of how historiography has included Berber/Amazigh components in a story of origins. In this paper the author describes the genealogical and chronological development of this historiographical process, emphasizing how the implementation of different discourses made sense for community ownership. Finally, we assess the consequences of this process on Canary Islanders identity.
- Archéologies maghrébines et relectures de l'histoire. Autour de la patrimonialisation de Paul-Albert Février - Clémentine Gutron p. 163-180 Cet article interroge les rapports entre archéologie, politique et historiographie dans le Maghreb contemporain à partir du cas Paul-Albert Février. En confrontant le parcours et l'œuvre savante de cet archéologue-historien de l'Antiquité tardive et les réappropriations politiques comme académiques dont il fait aujourd'hui l'objet, ce texte analyse la question du rapport au passé, à ses usages, et au « besoin d'histoire » sur le Maghreb et au Maghreb. Il pointe le défaut d'une historiographie réflexive dans le domaine des sciences de l'antiquité de l'Afrique du Nord, et met à jour les difficultés que rencontrent aujourd'hui comme hier les sciences de l'homme pour répondre aux projets portés par ceux qui, au sein d'une génération marquée par les indépendances politiques au Maghreb, ont assumé le choix d'une histoire qui se nie pas les réalités du présent en s'enfermant dans une érudition morte.This article examines the relationship between archeology, politics and historiography in the contemporary Maghreb from the standpoint of Paul-Albert Février. By analysing the professional path and work of the learned archaeologist and historian of late antiquity with the numerous political and academic reappropriations of his work by contemporary authors, this paper analyzes the question of history, its relationship to the past, its uses and the «need for history» in the Maghreb. The author points to the absence of a reflexive historiography in the study of North African antiquity, and sheds light on the difficulties encountered by the human sciences, today as yesterday, in addressing issues raised by those who, in a generation marked by the independence movements of the Maghreb, assumed the choice of a story that does not deny the reality of the present by enclosing themselves in a dead scholarship.
- Écrire aujourd'hui à Rabat et à Casablanca : Témoigner et « laisser trace » - Anouk Cohen p. 79-98
III. Temps et histoires du Maghreb : Reconcevoir les cadres d'interprétation
- Fille d'Octobre. Générations, engagement et histoire - Malika Rahal p. 183-187 Cet article a d'abord été publié comme un post sur le carnet de recherches Textures du temps. Il prend donc d'une réaction à chaud, et propose une réflexion d'ego-histoire. Affirmant son appartenance à la génération d'Octobre 1988 (date des émeutes de la jeunesse en Algérie), l'auteur réfléchit également sur le rapport des différentes générations d'Algériens aux grands événements de l'histoire contemporaine mais aussi à la possibilité d'appartenir à des générations algériennes dans le contexte de l'émigration.This article first appeared as an online research blog, Textures of Time. It assumes the form of an ego-history. Herself one of the «children of October» (October 1988 and the heavily repressed Algerian youth riots), the author reflects upon the possibility of being both Algerian and French on one side and the other of the Mediterranean in the context of emigration, and on the necessity for all historians working on Algeria to be self-critical about their generational, national (or transnational) and social engagements. * Ego-histories are commissioned biographical essays in which the author is invited to explore his or her vocational choices. The essay form was invented by French Academician, Historian and Editor, Pierre Nora for a collection published in 1987 as Ego-histories.
- L'histoire et « l'avenir possible » : Laroui, Djaït et la modernité du Maghreb dans les années 1970 - Idriss Jebari p. 189-206 Les deux historiens, Abdallah Laroui et Hichem Djaït, ont contribué respectivement aux débats sur les projets tunisien et marocain dans le cadre de deux essais politiques publiés en 1974. Au moment où ces pays faisaient face à une « crise de la modernité » et une consolidation de l'autoritarisme politique, l'intervention de l'intellectuel critique dans le débat public été vue comme une pratique innovante à l'époque. Dans cet article, le discours et la pratique de ces deux figures seront étudiés afin de retracer la mise en place d'une configuration particulière entre les intellectuels, le pouvoir et le public qui persiste jusqu'à aujourd'hui. D'une part, ces essais se sont inscrits dans un parcours marqué par la désillusion et l'aliénation ressentie après leurs premiers retours dans les années 1960. D'autre part, en privilégiant l'histoire comme outil d'analyse, ils ont voulu démontrer que la « crise » était le produit de limitations intellectuelles des élites politiques. Ces deux thèmes nous permettent de replacer la demande sociale pour l'histoire dans une perspective plus longue, et de situer la mise en place des éléments constitutifs de ce régime d'historicité au Maghreb dès les années 1970.In 1974, Abdallah Laroui and Hichem Djaït, two emerging Maghrebi historians and intellectuals wrote political essays affirming the necessity of re-historicizing the national projects of Tunisia and Morocco. These two countries faced what was framed then as a “crisis of modernity”, at a time when these countries were consolidating national authority. These intellectuals' participation in the public space was seen as innovative and daring. In this article, we look at their ideas and practices in relation to each other. The article allows us to establish the specific mechanisms of consultation that were put into place between intellectuals, authorities and the public with lasting implications. On the one hand, these essays took on special meaning for these intellectuals whose lives would be marked by disillusionment and alienation resulting from the confrontation of their idealist convictions upon completing their studies in France and the stark realities of the Maghreb of the early sixties. On the other hand, these authors placed history and the historical principle of change at the center of their analysis, thus avoiding any claim that the “crisis” was the product of the intellectual limitations of national political elites. These two axes of study will allow us to frame the issue of the social demand for history in a wider perspective, while arguing that the constituent elements of the historicity regimes in the Maghreb were put in place as early as the seventies.
- Ruptures, renaissances et continuités. Modes de construction de l'histoire de l'art maghrébin - Annabelle Boissier, Fanny Gillet p. 207-232 Cet article propose une étude comparative de l'histoire des arts visuels en Algérie et en Tunisie des années 1960 à 1980. En prenant appui sur les textes produits après les indépendances (catalogues d'expositions publiés dans le pays ou à l'étranger, monographies et essais sur l'histoire de l'art), l'objectif est d'analyser la construction et l'évolution des discours sur l'art dans deux pays culturellement proches. Si un premier constat amène à identifier des problématiques communes, une étude plus fine des sources permet de faire émerger des divergences liées à des histoires spécifiques. Cette étude interroge par ailleurs l'homogénéité des textes de référence produits à partir des années 1980 et la façon dont s'est constituée et transmise une histoire des arts visuels dans chacun des deux pays. En effet, les auteurs fixent des périodisations et renvoient à un nombre d'acteurs si limité qu'il semble peu probable qu'ils soient les seuls instigateurs de l'émergence et de l'institutionnalisation des mondes de l'art moderne et contemporain. Nous sommes parties du postulat que l'analyse des écrits et de leur évolution donnerait des clés pour comprendre le processus par lequel l'histoire glorieuse des mouvements artistiques algériens et tunisiens s'est constituée. Nous proposons donc de repenser la mise en place de cette histoire dominante à travers l'étude des processus d'écriture de l'histoire de l'art.This article proposes a comparative study of the history of visual arts in Algeria and Tunisia from the 1960s to the 1980s. By drawing on texts produced in the wake of Algerian and Tunisian independence (e.g. exhibition catalogues published in-country or abroad, monographs and essays on art history) we aim at analysing the shaping and evolution of discourses regarding art within two culturally close countries. If an initial assessment leads to an identification of common issues in each case, a more detailed study of sources allows us to reveal differences relating to their particular histories. This study also questions the homogeneity of reference works produced since the 1980s and how a history of the visual arts in each of these two countries has been formed and transmitted. Indeed, the authors of such works have established the timeline and refer to such a limited number of historical actors that it seems unlikely that these would be the only ones responsible for the emergence and institutionalization of the modern and contemporary art worlds. We support the assumption that an analysis of the literature and its evolution will offer a key to understanding the process by which the "glorious history" of the Algerian and Tunisian artistic movements was formed. We therefore propose to rethink the implementation of this dominant history by studying the process of writing art history.
- Tout est-il colonial dans le Maghreb ? Ce que les travaux des historiens modernistes peuvent apporter - Isabelle Grangaud, M'hamed Oualdi p. 233-254 L'histoire coloniale, par sa violence et par les transformations majeures qu'elle a impulsées dans les sociétés du Maghreb tend à constituer un horizon du passé qui opacifie des dynamiques historiques bien plus anciennes. Cet article n'entend pas seulement mettre en perspective la réalité de cette ancienneté. Il suggère que la considération de la longue durée peut transformer l'intelligibilité et les cadres d'analyse de l'histoire maghrébine en général et du moment colonial en particulier. Une première partie analyse les lignes de forces du champ des études coloniales ; elle souligne cependant les apories liées la rigidité des cadres temporels et spatiaux considérés. Dans une deuxième partie, l'article met en perspective les désenclavements que permettrait la prise en compte des temps modernes et avec eux des legs médiévaux en considérant trois directions : le temps, nos conceptions des territoires maghrébins et nos lectures des archives.The colonial history of North Africa, because of its violence and because of the huge transformations it caused within North African societies, shaped a vision of the past that obscured other historical processes far more deeply rooted than colonial processes. This paper not only aims at emphasizing the impact of these other, deeper historical processes, it also suggests that by taking into account this "longue durée", we should reconsider the analytical frameworks and our broad understanding of Maghreb history in general and its colonial history in particular. The first section of the paper analyzes the outlines of the colonial history; it examines the limitations of the spatial framework and the timeline markers used within this field of research. The second section examines the new vistas of research opened through serious consideration of the legacy and persistent effects of early modern history in North Africa. It explores these new perspectives in terms of time and space and our interpretations of North African primary sources.
- Le Maroc à l'heure du monde (xve- xviie siècle). Bilan clinique d'une historiographie (dé)connectée - Yassir Benhima p. 255-266 Cette étude analyse les conditions historiographiques qui expliquent l'intérêt très limité que suscitent aujourd'hui les thématiques du rapport du Maroc avec son contexte international (xve-xviie siècles). Elle expose ensuite les enjeux et les possibilités de recherches impliquant le Maroc et s'inspirant des acquis des tendances récentes d'histoire globale et d'histoire connectée.This text studies historiographical conditions of the limited interest that represent nowadays, relationships between Morocco and its international connections during XVth-XVIIth century period. The study suggests also some elements and topics concerning Morocco inspired from new tendencies in global and connected history.
- Fille d'Octobre. Générations, engagement et histoire - Malika Rahal p. 183-187
Varia
- Le patrimoine architectural colonial dans la région du Hodna, un héritage en voie de disparition. Cas de la ville de M'sila en Algérie - Hynda Boutabba, Abdallah Farhi, Mohamed Mili p. 269-295 En choisissant de conserver certains éléments de leurs passés, les sociétés attestent de leurs valeurs symboliques (Poulot, 2006, p. 15). Or pour les sociétés qui ont fait l'objet d'une colonisation, la mémoire collective a du mal à reconnaître le legs du colonisateur. Ce denier représente un épisode douloureux de son existence, rappelant généralement l'hostilité et le bras de fer politico-économico-socio-culturel. Ayant vécu avec le colonialisme français un affrontement entre sa propre civilisation et celle de l'occident, l'Algérie rapproche la notion de patrimoine à celle de l'authenticitéet va même à la considérer comme un système de protection à l'égard de l'autre (Mechta, 1991, p. 43 ; Gharbi, 2001) et de ce fait, l'ex-ville coloniale trouve du mal à se placer parmi les objets reconnus comme patrimoine culturel de la ville actuelle. À l'instar des villes des pays émergents, et sous l'effet d'une urbanisation accéléré e et incontrôlée, les anciennes villes coloniales ou les centres historiques des villes moyennes algériennes actuelles offrent des images urbaines hétérogènes, difficiles à lire et à maîtriser dans lesquelles s'oppose au style architectural colonial, un renouvellement tendanciel qui s'est opéré par substitution sans renvoi aux spécificités de cette architecture et de cet urbanisme coloniaux. Le présent papier se basera sur l'étude du centre-ville colonial de M'sila : le quartier Edhahra. Il présentera ses spécificités urbaines et architecturales, tentera d'expliquer la problématique du renouvellement urbain actuel et essayera d'identifier les causes de l'effacement conceptuel et stylistique de l'architecture et l'urbanisme coloniaux.By choosing to conserve some elements of the past, societies attest to their symbolic value. But for societies that have been colonized, collective memory has trouble to recognizing the colonizer's legacy. This latter represents a painful episode for community life, generally recalling hostility and political, economical and cultural submissionn. Having lived under French colonial administration, and experienced the clash of civilizations with the West, Algerians assimilate heritage with authenticity going so far as to consider the one as a system of protection against the other (Mechta, 1991; Gharbi, 2001). In this way the former colonial city of M'sila struggles to position itself among objects recognised as part of the cultural heritage of the present city. Like many cities driven by accelerated and uncontrolled urban development, former colonial cities and historic urban centres in Algeria offer heterogeneous urban profiles that are difficult to read and often contradictory. In such cities, the trend is toward repetition of urban architecture and styles as a form of substitution without reference to the specifics of colonial town planning. The present paper offers a study of the colonial centre of M'sila: The Edhahra neighborhood. The neighbourhood is presented in its urban and architectural specificities and evaluated in terms of the urban renewal underway, indentifying the causes of conceptual and stylistic deletions of urban colonial legacy.
- La révision constitutionnelle du 20 mars 2012 en Mauritanie - Ahmed Salem Ould Bouboutt La Constitution mauritanienne du 20 juillet 1991 s'efforce de réaliser un compromis entre Islam et démocratie et met en place un régime présidentialiste fortement marqué par l'hégémonie de l'institution présidentielle. Elle est adoptée dans le cadre de la « démocratisation » du régime militaire en 1991, et connaitra deux périodes de suspension, à la suite des coups d'État du 3 août 2005 et du 6 août 2008. Après une première révision en 2006 visant à limiter la durée du mandat présidentiel, elle a connu une importante révision aux termes de la loi constitutionnelle du 20 mars 2012. Cette révision constitutionnelle intervient après l'Accord de Dakar pour la sortie de crise née du coup d'État de 2008, et traduit, au plan juridique, les termes de l'« Accord Politique » signé le 19 octobre 2011 entre la majorité présidentielle et certains partis d'opposition. Elle s'inscrit dans le sillage du vent de changement porté par le « printemps arabe ». Compte tenu du moment de sa programmation et de sa procédure d'adoption, elle met en cause la durée du mandat et, partant, les pouvoirs et la légitimité du Parlement élu lors des scrutins des 19 novembre et 3 décembre 2006, ce qui, du coup, pose le problème de sa régularité. La présente étude analyse le contexte de la révision de 2012, prend parti sur sa validité, et s'attache à en évaluer la portée. Au plan normatif, cette réforme affirme les valeurs fondamentales de la coexistence au sein de la société politique mauritanienne, en termes de diversité culturelle, d'interdiction de l'esclavage et de prohibition des coups d'État ; au plan institutionnel, elle apporte de timides mais utiles réaménagements.The Mauritanian Constitution of July 20th, 1991, offers a compromise between Islam and secular democracy, defining a “Presidential system” strongly marked by the power of the Executive. It is adopted within the framework of the «democratization» of the military regime in 1991 and experienced two periods of suspension: following coups d'état of August 3rd, 2005 and August 6th, 2008. After a first revision in 2006 limiting the duration of the presidential term of office, it was amended again, according to constitutional law of March 20, 2012, pursuant to the Agreement of Dakar putting an end to the constitutional crisis raised by the 2008 coup d'État. The 2012 amendment legally codified the terms of the “Political Agreement” signed on October 19th, 2011, between the presidential majority and certain opposition parties, following on the winds of change announced by the Arab Spring. Considering the timing of the event and the prolonged adoption process, the 2012 law confirms the president's term in office and as well as the powers and legitimacy of the Parliament elected in the balloting of November 19 and December 3, 2006. The present study analyzes the context of the revision of 2012, and offers a comparative approach in evaluating the validity and contribution of the law to consolidating the fundamental values and stability of Mauritanian political society. By institutionalizing cultural diversity, banning slavery and prohibiting “coups d'état” the 2012 amendment makes a number of minor but useful adjustments.
- Devenir électeur en Tunisie. Sociologie du vote bourgeois dans un quartier résidentiel (élections à l'Assemblée nationale constituante du 23 octobre 2011) - Jérôme Heurtaux p. 315-350 Cet article présente les résultats d'une enquête sortie d'urnes réalisée lors des élections à l'Assemblée nationale constituante tunisienne du 23 octobre 2011 auprès des électeurs d'un bureau de vote de l'Ariana. Dans ce quartier bourgeois et résidentiel de la périphérie de Tunis, doit-on s'attendre à y rencontrer des électeurs soudainement politisés, montés aux urnes pour célébrer la démocratisation en actes et motivés – élections pour une assemblée constituante obligent – par le seul enjeu constitutionnel ? A travers trois angles d'analyse, notre enquête permet de nuancer voire de contredire cette analyse en terme de tabula rasa. Celui des logiques et des formes de la politisation, d'une part. L'idée selon laquelle, après une longue période d'apathie, ils se seraient massivement et entièrement intéressés à la politique, ne résiste pas à l'enquête empirique : tout montre au contraire un enracinement plus ancien de l'intérêt pour la politique, qui s'est trouvé réactualisé et amplifié dans le contexte révolutionnaire. Celui du sens donné aux élections par les électeurs, d'autre part. Là encore, il n'est pas certain que tous aient adhéré et avec le même enthousiasme à l'effervescence démocratique rapportée par la presse : les motivations de la participation sont plurielles et les enjeux de l'élection ne se réduisent pas à la volonté de construire la démocratie à travers l'élection d'une Assemblée constituante. Celui, enfin, de l'homogénéité politique de cette population et des motivations du vote : une part non négligeable choisit le parti islamiste et de nettes divisions structurent le vote « moderniste ».This article presents the results of an exit poll conducted in the Ariana neighborhood of Tunis in October 2011 during National Constituent Assembly elections. The neighborhood is an upscale, suburban residential neighborhood where one might expect recently politicized voters to be engaged in celebrating their emancipation and focused on constitutional reform. Employing three angles of approach, our investigation discussed the analysis in terms of a tabula rasa approach, evaluating the logic and forms of political engagement and the assumption that after a long period of apathy voters would become be massively interested in politics. This hypothesis was not confirmed by the data. Rather, the data show political interest was motivated by something much older, even if it was updated and amplified in the revolutionary context. Not all voters embraced renewed enfranchisement with the same enthusiasm, or with the democratic effervescence reported in the press. Voter motivation was diverse and should not be reduced only to an altruistic desire of build democracy through a renewed Constituent Assembly. Finally, and with respect to the population's presumed political homogeneity and motivation for participation, a significant proportion of voters chose candidates from the Islamist party while demonstrating substantial dispersal of choice among «modernist» parties and candidates.
- Le patrimoine architectural colonial dans la région du Hodna, un héritage en voie de disparition. Cas de la ville de M'sila en Algérie - Hynda Boutabba, Abdallah Farhi, Mohamed Mili p. 269-295