Contenu du sommaire : En islam sibérien
Revue | Cahiers du monde russe |
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Numéro | volume 41, no 2-3, avril-septembre 2000 |
Titre du numéro | En islam sibérien |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Avant-propos - Stéphane A. Dudoignon p. 207-220
- Ethnic processes within the Turkic population of the West Siberian plain (sixteenth-twentieth centuries) - Nikolaj A. Tomilov p. 221-232 Processus ethniques au sein de la population türke de la plaine de Sibérie occidentale (XVIe-XXe siècles). – Entre les XVIe et XXe siècles, les Tatars de Sibérie se sont regroupés en une communauté ethnique unique qui, dès les XVIIe et XVIIIe siècles, a acquis sa forme historique. La singularité des processus mis en œuvre tient au fait qu'en l'absence des conditions nécessaires à la transformation des Tatars de Sibérie en un organisme ethno-social, la principale étant l'habitat dispersé, il se forma plutôt une ethnie qui existait en vertu de l'ethnicité de ses membres. Bien qu'inabouti, ce processus amena les Tatars à se considérer, entre la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle, comme une communauté méta-ethnique (interethnique) proche d'une ethnie. Les interactions ethniques avec les Tatars de la Volga et de l'Oural à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle donnèrent naissance à une communauté méta-ethnique comprenant les Tatars de la région Volga-Oural et de la Sibérie mais n'aboutirent pas à une nation tatare unifiée. Les contacts ethniques des Tatars de Sibérie avec leurs voisins eurent pour résultat une assimilation partielle avec les Russes, l'assimilation d'une partie des Tatars de la Tura avec les Mansis, la fusion d'une partie des Tatars de Tomsk (Eushta) avec les Türks de la Chulym, et l'assimilation d'une partie des Tatars de Tobolsk avec les Khantes de l'Irtysh.From the sixteenth through to the twentieth century the Siberian Tatars developed into a single ethnic community, and already in the seventeenth and eighteenth centuries they began to crystallize into a single historical and ethnic community. A peculiarity of the ethnic processes taking place among them was that as a result of the absence of conditions for transforming the Siberian Tatars into an ethno-social organism, chief of which was their scattered settlement, what happened instead was their consolidation into an ethnos qua ethnikos. This process did not come to fruition, but it did result in the Siberian Tatars conceiving of themselves from the late eighteenth to the early twentieth centuries as a meta-ethnic (interethnic) community, close to an ethnos. As a result of their ethnic interactions with the Volga-Ural Tatars at the end of the nineteenth and the beginning of the twentieth centuries, a general meta-ethnic community came into being comprising the Tatars of the Volga-Ural region and Siberia, but a unified Tatar nation was not formed at that time. The Siberian Tatars' ethnic contacts with their neighbors resulted in partial assimilation with Russians, the assimilation of part of the Tura Tatars with the Mansi, the merging of some Eushtas with the Chulym Turks, and the assimilation of part of the Tobol'sk Tatars with the Irtysh Khanty.
- Composition ethnique et relations intercommunautaires des Tatars du Moyen-Irtysh (fin XVIIIe-fin XXe siècles) - Svetlana N. Korusenko p. 233-244 À partir de généalogies modernes et des révisions (revizii) et recensements de la population de l'Empire russe à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, l'auteur se penche sur les stratégies matrimoniales mises au point dans les communautés de « Tatars de Sibérie » du Moyen-Irtysh au tournant du siècle. Elle en conclut à un net clivage entre Tatars « autochtones » et « migrants » (venus de la Volga avec les grandes migrations liées à la réforme de la paysannerie).Ethnic makeup and intercommunity relationships among mid-Irtysh Tatars (late eighteenth-late twentieth centuries). A study of some demographic and genealogical reports. – This study of matrimonial strategies in use in the “Siberian Tatar” communities of the mid-Irtysh region at the turn of the century is based on present-day genealogies and late nineteenth- and early twentieth-century revisions (revizii) and population censuses of the Russian Empire. The author notes a clearcut cleavage between “native” and “migrant” Tatars (the latter having come from the Volga with the great migratory movements in the wake of serf emancipation).
- Varieties of Islamization in Inner Asia - Allen J. Frank p. 245-262 Les différents types d'islamisation en Asie médiane. Le cas des Tatars de Baraba, 1740-1917. – L'islamisation des Tatars de Baraba, commencée pendant la première moitié du xviiie siècle après la soumission de ce peuple à la Russie, nous informe sur la complexité de ce processus et les ambiguïtés qui lui sont inhérentes tant au niveau social que communautaire aussi bien en Russie impériale qu'en Asie médiane. Les récits qui nous sont parvenus sur l'islamisation des Barabas proviennent de trois différents types de sources. D'abord, les récits russes décrivant l'acceptation officielle par les Tatars de Baraba du statut islamique, en d'autres termes la reconnaissance officielle par la Russie du statut des Barabas en tant que musulmans. L'islamisation concerne ici le statut juridique. Le second ensemble de sources est constitué par les récits légendaires des Barabas eux-mêmes dans lesquels ils déclarent que leurs ancêtres sont venus en Sibérie depuis Boukhara, et se prétendent musulmans depuis toujours. L'islamisme est vu ici comme une réalité immuable de l'affiliation communautaire. Le troisième ensemble de sources est constitué par les récits des Tatars musulmans qui ont colonisé la steppe de Baraba et de leurs descendants ; ceux-ci déclarent qu'ils ont, comme leurs ancêtres, converti les Barabas au cours du xixe siècle en leur apprenant à pratiquer l'islam selon les normes. L'islamisation est vue ici comme l'adoption d'un ensemble de valeurs et d'un comportement moral. Ces trois points de vue sont d'une importance cruciale pour comprendre l'interaction entre le statut de musulman et la conversion à l'islam dans la Russie impériale et en Asie médiane.The Islamization of the Baraba Tatars, which began in the first half of the eighteenth century after that community had become Russian subjects, is an informative example for the social and communal complexities and ambiguities surrounding Islamization, both in imperial Russia and in Inner Asia as a whole. The surviving accounts of the Islamization of the Barabas have come down to us in three different groups of sources. The first are Russian accounts describing the formal acceptance by the Baraba Tatars of Islamic status; that is, a formal status by which the Russian state formally recognized the status of the Barabas as Muslims. Here Islamization involves legal status. The second body of sources are the Barabas' own legends, where they claim their ancestors to have come to Siberia from Bukhara, and to have always been Muslims. Here Muslim status is seen as an immutable fact of communal affiliation. The third body of sources are the accounts of Muslim Tatar colonists in the Baraba steppe and their descendants, who claim that over the course of the nineteenth century they (or their ancestors) Islamized the Barabas by teaching them proper and normative Islamic practices. Here Islamization is seen as the adoption of a set of standards and behavior. All three aspects are crucial to understanding the interplay of Islamic status and Islamization in imperial Russia and Inner Asia as a whole.
- Die sibirischen Bucharioten - Christian Noack p. 263-278 Les Boukhares de Sibérie. – Avant la conquête et la colonisation de la Sibérie par la Russie, la plaine de Sibérie occidentale faisait partie de l'Empire de la Horde d'Or. Le khanat de Sibir, l'une des formations politiques héritières de la Horde d'Or, était une principauté contrôlée par les khans uzbeks pendant les XVe et XVIe siècles. Les pratiques commerciales des Boukhares de Sibérie, un groupe restreint mais fortuné originaire d'Asie Centrale, instaurèrent des liens économiques et culturels étroits entre la Sibérie occidentale et le monde islamique qui était aussi sous domination russe. Dans cet article nous examinons l'histoire des Boukhares de Sibérie, une « diaspora réduite et très mobile » (J. Armstrong) pendant la période de la domination russe ainsi que l'extension et l'importance de leur commerce avec l'Orient entre les XVIe et XIXe siècles. Devant les difficultés pour la Russie de développer la Sibérie, les autorités reconnurent la nécessité des activités économiques de la petite élite musulmane et lui accordèrent une série de privilèges substantiels. Les Boukhares purent ainsi préserver leur potentiel économique et leurs traits culturels particuliers jusqu'au début du XIXe siècle. Sous la domination russe, ils se posèrent en couche supérieure de la société musulmane locale.The Siberian Bukhariots. – Prior to Russian conquest and settlement the western Siberian plains formed part of the Empire of the Golden Horde. One of the Horde's successor states was the khanate of Sibir, a principality controlled by Uzbek khans throughout the fifteenth and sixteenth centuries. Trade operations of the Siberian Bukhariots, a small but wealthy group of Central Asian origin, secured close economic and cultural bonds between western Siberia and the Islamic world, also under Russian rule. This article traces the history of the Bukhariots as a small and highly “mobile diaspora” (J. Armstrong) under Russian rule and examines the range and importance of their Oriental trade from the sixteenth to the nineteenth centuries. Given the limited Russian potential for the development of Siberia, state authorities recognized the indispensability of the small Muslim elite's economic activities and furnished them with substantial privileges. The Bukhariots could thus preserve their economic potential and their particular cultural features until the early nineteenth century. Under Russian rule, they firmly established themselves as the upper strata within the local Muslim society.
- Les confréries soufies en Sibérie (XIXe siècle et début du XXe siècle) - Thierry Zarcone p. 279-296 La pénétration du soufisme, et plus précisément des confréries soufies, en Sibérie méridionale, s'est faite relativement tôt, au cours des premières campagnes d'islamisation des régions du cours moyen de l'Irtysh, à la fin du XVIe siècle, ainsi que nous l'enseignent des documents qui mêlent le mythe et l'histoire. Ce soufisme serait d'obédience naqshbandî et originaire de Boukhara mais on manque encore de données précises pour décrire dans le détail son fonctionnement. En revanche, l'histoire nous apporte des renseignements plus précis sur les soufis qui se sont installés en Sibérie méridionale et au nord du Qazaqstan, au XIXe et au début du XXe siècle. On sait que ces derniers, liés à des branches variées de la Naqshbandiyya que l'on peut facilement identifier, arrivaient des villes frontières de la région Volga-Oural (Troïtsk en particulier) et des cités-oasis de Transoxiane (Boukhara, Kokand). Leurs maîtres spirituels étaient des personnages connus et vénérés : les Sâhib-zâda en Transoxiane et Zayn Allâh à Troïtsk. Outre l'enseignement de la mystique musulmane, ces soufis s'étaient donné pour objectif de convertir, voire de ramener à l'islam, les populations de la steppe, généralement des Qazaqs, qui restaient liées au chamanisme ou qui s'étaient éloignées de la religion du Prophète. Dans cette intention, ils furent à l'origine de la construction de madrasa et de mosquées pour consolider l'islam et former des docteurs de la religion. Enfin, sur le plan doctrinal, le soufisme sibérien ne présente pas d'originalité particulière ; il n'est qu'un reflet du soufisme tatar et transoxianais.Siberian Sufi brotherhoods (nineteenth and early twentieth centuries). – According to documents in which history and myth are interwoven, the penetration of Sufism and, more strictly speaking, of Sufi brotherhoods into southern Siberia, took place relatively early, at the end of the sixteenth century, during the first Islamization campaigns in the mid-Irtysh regions. It was apparently naqshbandî Sufism, originating from Bukhara, but we still lack precise data making the detailed description of how it functioned possible. However, history provides us with more precise information on those Sufis who settled in southern Siberia and northern Qazaqstan in the nineteenth and early twentieth centuries. We know that they were connected to various easily identifiable branches of the Naqshbandiyya and came from border towns of the Volga-Ural region (mostly from Troitsk) and oasis cities of Transoxiana (Bukhara, Kokand). Their spiritual masters were famous and venerated men: Sâhib-zâda in Transoxiana and Zayn Allâh in Troitsk. The Sufis' objective was, besides teaching Muslim mysticism, to convert, even to bring the populations of the steppe, generally Qazaqs who still practiced shamanism or had strayed away from the Prophet's religion, back to Islam. With this intention in mind they had medressehs and mosques erected in order to reinforce Islam and form theologians. As far as doctrine is concerned, Siberian Sufism is not particularly original, being a mere reflection of Tatar and Transoxian Sufism.
- Un islam périphérique ? - Stéphane A. Dudoignon p. 297-340 À partir de l'étude de deux journaux de la communauté musulmane türkophone de Sibérie (Sîbîriyâ, publié à Tomsk en 1912-1914, et Tûrmus, édité à Oufa de 1914 à 1918), l'auteur met au jour un certain nombre de paradoxes nés de la situation extrêmement périphérique de l'islam sibérien, tels qu'ils se manifestent dans la communauté musulmane citadine de Tomsk entre les conflits balkaniques et le déclenchement de la Première Guerre mondiale. Parmi ces traits paradoxaux : une fascination pour la Turquie, entretenue par la distance, mais aussi par le monopole du télégraphe sur les nouvelles de l'extérieur ; la faiblesse du sentiment pan-turc, fortement limité en Sibérie par l'hostilité séculaire entre agriculteurs tatars et pasteurs qazaqs ; enfin une puissante influence culturelle des déportés et exilés russes, en particulier de la mouvance régionaliste particulièrement active au tournant des XIXe et XXe siècles.Is there a peripheral Islam? Reflections on the Siberian Muslim press on the eve of the First World War. – The author of this article analyzes two newspapers of Siberia's Turkic-speaking community (Sîbîriyâ, published in Tomsk between 1912 and 1914 and Tûrmus, published in Ufa between 1914 and 1918) in order to bring to light a certain number of paradoxes due to the extremely peripheral situation of Siberian Islam which emerged in the Tomsk Muslim urban community between the Balkanic unrest and the outbreak of the First World War. Among these paradoxes are a fascination for Turkey fostered by distance and the telegraph's monopoly on foreign news; the weakness of the pan-Turkic feeling which in Siberia is prevented from spreading by the secular hostility between Tatar farmers and Qazaq shepherds; lastly, the powerful cultural influence exerted by Russian deportees and exiles, especially that of the regionalist movement which was particularly active at the turn of the century.
- Le syncrétisme islam-paganisme chez les peuples türks de Sibérie occidentale - Aleksandr G. Seleznev p. 341-356 Selon une approche ethnographique qui reste caractéristique de l'école russe, l'auteur de cette étude rattache le phénomène de la conversion à l'islam des populations türkophones de Sibérie occidentale, entre le xive et le xviiie siècle, à différents processus de construction de communautés dotées d'une identité politique. Il se penche ensuite sur la permanence d'éléments spécifiques du chamanisme dans les pratiques cultuelles des populations musulmanes türkophones de Sibérie occidentale, avec une attention particulière pour la terminologie.The Islam/paganism syncretism among West Siberia's Turkic peoples. – In this ethnographic study which is very much in keeping with the Russian school, the author establishes a connection between the conversion to Islam of West Siberia's Turkic-speaking populations between the fourteenth and eighteenth centuries and various processes involved in the formation of communities with a political identity. He then moves on to the study of severalspecific permanent features of shamanism which can be found in these populations' cultural practices, paying particular attention to terminology.
- L'islam dans la culture des Qazaqs de Sibérie occidentale - Shulpan K. Ahmetova p. 357-368 En insistant beaucoup, en accord avec la tradition ethnographique russe, sur le caractère tardif et superficiel de l'islamisation des Qazaqs, l'auteur s'attache à isoler les éléments identifiés à une culture qazaque anté-islamique dans diverses pratiques rituelles des populations qazaques de Sibérie occidentale (notamment dans l'alimentation rituelle et les sacrifices propitiatoires).The place of Islam in Western Siberia's Qazaq culture. – Using an approach typical of the Russian ethnographic school, the author of this article insists on the superficial character of Islamization and on the fact that it took place late among Qazaqs, and applies herself to isolating elements pertaining to a pre-islamic Qazaq culture in various ritual practices (food-related rituals and propitiatory sacrifices, for instance) of Siberian Qazaq populations.
- Entre steppes et stèles - Xavier Le Torrivellec p. 369-400 La remise en cause actuelle, par le Kremlin, du compromis fédéral de 1994 inquiète les gouvernements nationaux des républiques de la Fédération de Russie. Au Bachkortostan, dans l'Oural occidental, la classe politique a adopté un discours orienté vers la continuité d'une identité collective axée sur la notion d'un territoire transhistorique. Confrontés à un statut minoritaire dans leur république éponyme, face aux communautés tatare et russe, les théoriciens du nationalisme bachkir ont usé de cette rhétorique, depuis les années 30, pour justifier la création puis le maintien d'une république nationale. Aujourd'hui, c'est l'arrivée au pouvoir d'une oligarchie pétrolière originaire du sud-ouest, une région plus faiblement marquée par la présence tatare et russe, qui relance ces spéculations sur l'identité d'un territoire bachkir. Le présent article tente de recadrer dans diverses durées l'évolution de ce discours, en insistant sur le rôle déterminant qu'ont joué, dans la territorialisation des identités au Bachkortostan, le régime soviétique et sa politique de développement économique régionalisé.Between steppes and stelas. Territories and cultural identities in Bashkortostan. – The Kremlin's present calling into question of the 1994 federal compromise is a source of concern for the national governments of the Russian Federation's republics. In Bashkortostan, in the Western Ural Mountains, the political class's attitude is to base the continuity of the collective identity on the notion of a transhistorical territory. Theoreticians of Bashkir nationalism have been using this approach since the 1930's in order to justify the creation and subsequent preservation of a national republic in which Bashkirs were a minority as against Tatar and Russian communities. Recently the debate over the identity of the Bashkir territory has been revived by the coming to power of an oil industry oligarchy coming from the South West, a region which is less marked by Russian and Tatar presence. In this article we try to trace the evolution of this thinking and to highlight the decisive role played by the Soviet regime and its region-by-region economic development policy in the coming about of territorially based national identities in Bashkorstostan.
- Le mouvement de conservation d'une ethnie en voie d'extinction, les Youkaguirs - Marine Le Berre-Semenov p. 401-430 Cet article analyse le mouvement de conservation d'une ethnie sibérienne en voie d'extinction, les Youkaguirs. Les problèmes auxquels se trouvent confrontés ces autochtones de la Kolyma sont très similaires à ceux des autres peuples du Nord-Est sibérien, Tchouktches, Evènes, Evenkes, et autres. Cependant, victimes au cours de la période tsariste d'une véritable hécatombe démographique, les Youkaguirs ont été plus atteints, dans leur identité, par la soviétisation. Réduits à quelques centaines d'individus, les Youkaguirs sont désormais proches de l'assimilation complète au sein des groupes voisins, Russes, Sakhas et même Evènes. Depuis la perestroïka, les élites youkaguires concentrent tous leurs efforts pour sauvegarder le patrimoine culturel de leur peuple dont ils ne peuvent admettre la disparition. Ces élites, essentiellement les frères Kurilov (écrivains, poètes et scientifiques), sont les auteurs de discours sur l'ethnicité youkaguire formant une base, assez peu en prise avec la réalité, pour la reconstruction d'une identité et d'une culture youkaguires néotraditionnelles. Sur cette base, des stratégies de reconstruction identitaire ont été élaborées, fondées sur une transmission des connaissances des anciens, derniers porteurs de la culture youkaguire, aux jeunes générations très métissées et européanisées, par le biais de l'école (à Nelemnoe), et par l'organisation d'un mode d'autonomie ethnoterritoriale (les Suktuul). Ce mouvement se heurte à de nombreux problèmes d'ordre financier, administratif, juridique, mais aussi à la passivité des populations concernées, très démoralisées et, de plus, confrontées à une grande précarité socio-économique. Si les réformes introduites par les élites présentent des aspects positifs, éducatifs et psychologiques, elles interviennent vraisemblablement trop tard pour rendre possible et réelle la renaissance d'une identité évanouie depuis déjà deux générations.The defense movement in favor of a nearly extinct ethnic group, the Yukagirs. – In this article we analyze the defense movement in favor of a nearly extinct Siberian ethnic group, the Yukagirs. The predicament of these natives of the Kolyma is very similar to that of the other peoples of northeastern Siberia, Chukchi, Evens, Evenks, etc., with the exception that the Yukagirs, who underwent a genuine demographic hecatomb under the tsarist regime, were the most deeply hurt by sovietization as far as their sense of identity is concerned. With a population reduced to only a few hundred, the Yukagirs are by this time almost completely assimilated with neighboring groups, Russians, Sakhas and Evens. Since perestroika the Yukagir intellectual elite have endeavored to preserve a cultural heritage whose extinction they refuse to admit. Their members, particularly the Kurilov brothers (writers, poets and scientists) have authored statements on Yukagir ethnicity which lay a foundation, albeit rather removed from reality, for the reconstruction of neotraditional Yukagir culture and identity: identity reconstruction strategies have been developed, based on transmission of knowledge by the elders, the last depositaries of the Yukagir culture, to the younger generations, the europeanized offsprings of intercultural marriages, on education (at Nelemnoe), and on setting up a type of ethnoterritorial autonomy (the Suktuul). This movement must cope with countless problems of a financial, administrative and juridical nature. It also has to contend with the passive attitude of a population in low spirits and subjected to socio-economic precariousness. Even though the reforms introduced by the intellectual elite present positive aspects educationally and psychologically, they may come in too late to make the rebirth of an identity which vanished two generations ago possible and real.