Contenu du sommaire : Empire et domination territoriale
Revue | Astérion |
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Numéro | no 10, 2012 |
Titre du numéro | Empire et domination territoriale |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier
- L'idée d'empire à l'épreuve de la territorialité - Laurent Gerbier
- Pouvoirs symboliques des États : souveraineté, territoire, empire - Florence Alazard, Paul-Alexis Mellet L'étude de l'empire a connu récemment un regain d'intérêt, même si (et peut-être parce que) sa définition pose problème. Elle permet en effet d'étudier plusieurs aspects du pouvoir symbolique : les formes d'administration, les modes d'appropriation d'un territoire, les intensités de la souveraineté, les marquages spatiaux de la domination, etc. L'empire de Charles Quint représente de ce point de vue un modèle heuristique, dans la mesure où l'empereur s'est rapidement trouvé confronté au gouvernement de territoires éloignés, de statuts différents, mais rassemblés dans l'aspiration universelle de l'empire chrétien.Despite (or perhaps because of) growing recognition of empire's problematic definition, scholarly interest in the subject has recently revived. Newly opened perspectives notably take in the diverse symbolic powers underpinning state rule : forms of administration, modes of territorial appropriation, degrees of sovereignty, spatial markings of domination, etc. An heuristic model is provided by Charles V's empire, wherein the emperor rapidly found himself confronted with the challenge of governing distant territories, with different statuses, assembled under the banner of a universal Christian empire.
- Métamorphoses de l'idée d'empire à la Renaissance - Thierry Ménissier Époque de transition, la Renaissance connaît une série d'évolutions de l'idée politique d'empire (héritée du Moyen Âge) vers la réalité moderne d'un vaste marché coordonnant progressivement les économies nationales particulières et leurs réseaux d'influence. Ces évolutions permettent-elles d'évoquer la mise en place d'une « version économique de l'empire » ? Peut-on regarder ce qui se joue à la Renaissance, saisie à travers ses relations géopolitiques, comme la préfiguration de la globalisation ? L'article examine ces questions à partir de plusieurs hypothèses et défend la thèse que l'idée d'empire subit à cette époque des « métamorphoses », c'est-à-dire des évolutions qui en modifient le concept, notamment en ce qui concerne le rapport entre domination et territorialité.During the Renaissance, as an age of transition, the political idea of empire (a legacy of the Middle Ages) is subject to a series of evolutions leading to the modern reality of a large market, gradually coordinating national economies and their influence networks. Do these evolutions allow us to speak of an « economical version of the empire » ? Can we view this process, described through the geopolitical relationships of the Renaissance, as a prefiguration of modern globalization ? This paper deals with these questions from various points of view, in order to prove that the Renaissance idea of empire undergoes « metamorphosis », or evolutions, which modify its concept, regarding notably the relationship between domination and territoriality.
- Stato, imperio, dominio. Sur l'unité des notions d'État et d'empire au XVIe siècle - Romain Descendre Il n'est pas sûr que l'opposition dialectique État/empire soit un outil qui permette de comprendre finement le processus historique qu'elle entend éclairer. Plutôt que d'opposer ce que l'on doit aux empires à ce que l'on a cru être le produit exclusif des États, il convient de reconnaître l'articulation étroite et complexe entre les uns et les autres. Au même titre que l'idée moderne d'État façonnée sur la réalité des États-nations, cette opposition n'est-elle pas une invention récente ? Dans le « laboratoire » italien de la politique moderne, on était conscient de la grande variété des assises territoriales et des formes de domination, qui ne correspondaient pas à une division si tranchée. L'étude des concepts de la pensée politique et de l'historiographie italienne au XVIe siècle permet ainsi d'interroger cette dichotomie et la pertinence d'une interprétation de la modernité sur la base de l'opposition tranchée entre deux grands modèles territoriaux et administratifs.The dialectic opposition between state and empire may not be a useful tool to finely understand the historical process that it intends to explain. Instead of opposing what is actually owed to empires and not to what was thought to be owed to states, the close and complex relation between the former and the latter should be recognised. Just as the modern idea of state emerged after that of nation states, isn't this opposition a recent invention? In the Italian “laboratory” of modern politics, people were aware of the great variety of territorial conferences and forms of domination, which did not reflect such a clear-cut division. The study of concepts of political thinking and Italian historiography in the 16th century is necessary to investigate this dichotomy and the relevance of an interpretation of modernity on the basis of the clear-cut opposition between two great territorial and administrative models.
- L'inventio de la Nouvelle Espagne. Rhétorique et domination territoriale du Nouveau Monde - René Ceceña Alvarez Ce texte propose une analyse des mécanismes argumentatifs mis en œuvre dans les lettres que Hernán Cortés, conquistador du Mexique, a adressées à Charles V (Cartas de Relación) pour légitimer sa conquête du territoire qui deviendra la Nouvelle Espagne et, par ce biais, le Nouveau Monde. Il s'agit en particulier de montrer l'emploi du concept rhétorique d'inventio dans le passage d'une appropriation conceptuelle du « Nouveau Monde » (par l'élaboration de ce concept) à sa domination territoriale (la fondation de Veracruz et la création de la Nouvelle Espagne).This paper provides an analysis of the argumentative mechanisms put forward in the Letters from Mexico(Cartas de Relación) written by Hernán Cortés to Charles V in order to legitimize the territorial conquest of what would become the New Spain and, in doing so, of the New World. It seeks particularly to show the use of the rhetorical concept of inventio in the transition from a conceptual appropriation of the New World (through the elaboration of the very concept of “New World”) to its territorial control (with the foundation of Veracruz and the creation of the New Spain).
- Gattinara et la « monarchie impériale » de Charles Quint. Entre millénarisme, translatio imperii et droits du Saint-Empire - Juan Carlos d'Amico La diffusion du mythe de la monarchie universelle au début du XVIe siècle est strictement liée à l'ampleur des territoires possédés par Charles Quint. Pour le chancelier impérial Mercurino Gattinara, les idées universalistes et messianiques, qui accompagnaient la symbolique de l'Empire, devaient servir à légitimer une politique visant à donner une structure plus rationnelle aux territoires de Charles Quint et à garantir aux Habsbourg une influence prépondérante dans l'ensemble de l'Europe. Gattinara imaginait une sorte de monarchie supranationale organisée selon le modèle mythique de l'Empire romain, capable de garantir la paix sous l'égide du christianisme.Spreading the universal monarchy myth in the early 16th century was closely linked to the magnitude of the territories controlled by Charles V. For the imperial chancellor Mercurino Gattinara, universal and messianic ideas, which were integrated into the symbolism of the Empire, were to legitimate a policy that aimed at giving a more rational structure to Charles' territories and at securing a prominent influence for the Habsburg family in the whole of Europe. Gattinara imagined a kind of supranational monarchy, organised in accordance with the mythical model of the Roman Empire, which would be able to guarantee peace under the aegis of Christianity.
- Le jeu des échelles. Le pouvoir et son inscription spatiale dans les cartographies et les descriptions du Saint-Empire et de ses territoires au XVIe siècle - Axelle Chassagnette Au XVIe siècle, le Saint Empire romain de nation allemande constitue un ensemble politique complexe, caractérisé par un système à plusieurs niveaux de représentation politique et par l'existence de multiples États placés sous l'autorité impériale. L'étude des cartes et des descriptions géographiques de l'espace germanique produites à cette période met au jour la compréhension qu'avaient les contemporains des formes de souveraineté existant dans l'Empire et ses territoires. Elle montre notamment que le pouvoir impérial, à la différence des pouvoirs territoriaux, n'était pas conçu au premier chef comme une forme d'autorité s'exerçant sur un espace, mais comme une entité juridique et institutionnelle chargée d'assurer le fonctionnement politique et l'unité de l'Empire.In the 16th century, the Holy Roman Empire had a complex political structure. The main features of this structure were the several levels of the political representation and the multiplicity of States under the imperial authority. The study of the maps and of the geographical descriptions of the German era shows that different interpretations of the sovereignty coexisted in the Empire and its territories. Contrary to the territorial power, the imperial power was not represented as an authority situated on a definite space, but as a legal and institutional entity. Its main function was to assume the political order and the unity of the Empire.
- Les États pontificaux face à Philippe II, marge ou centre alternatif de la Monarchie catholique ? Retour sur les fondements juridiques, politiques et pragmatiques d'un empire conjoncturel - Boris Jeanne La Monarchie catholique est l'union dynastique éphémère (1580-1640) entre les royaumes d'Espagne et de Portugal. En revenant sur les fondements juridiques, politiques et pragmatiques de cet empire qui ne peut pas s'appeler Empire (car cette dénomination appartient au Saint Empire romain germanique des cousins de Vienne), l'article cherche à mieux saisir le fonctionnement interne de cet ensemble politique hétéroclite, en adoptant deux points de vue décentrés : celui de l'Amérique (comment la notion de Monarchie catholique s'incarne dans les reynos, loin de Madrid et Lisbonne) et celui de Rome (comment le Saint-Siège parvient – ou non – à exister au cœur de cet espace). Il en ressort que le pape et le Roi catholique sont des alliés naturels (autour du christianisme romain) mais pas objectifs (leurs buts ne concordent pas), et qu'autant Rome que Mexico se vivent comme des centres et non des marges de la Monarchie catholique.The Catholic Monarchy is the short-lived dynastic union (1580-1640) between the kingdoms of Spain and Portugal. By returning on the legal, political and pragmatic foundations of this empire which cannot be called Empire (because this name belongs to the Holy Roman Empire of the cousins of Vienna), the article tries to seize better the internal functioning of this heterogeneous political set, by adopting two points of view: that of America (how the notion of Catholic Monarchy is understood in the reynos, far from Madrid and Lisbon) and that of Rome (how Holy See reaches - or not - to exist in the heart of this space). It emerges from it that the pope and the Catholic King are natural allies (around the Roman Christianity) but not objectives (their purposes do not match), and that Rome and Mexico as well picture themselves not as margins of the Catholic Monarchy, but as real centers.
Varia
- Historicité, multitude et démocratie - Aris Stilianou Le propos de cet article est de montrer comment la conception de l'histoire chez Spinoza pourrait conduire à une nouvelle formulation de la théorie de la démocratie, dans le cadre de la philosophie politique spinozienne. Dans ce sens, il est question d'analyser les rapports existant entre l'historicité, d'une part, et les notions de multitude et de démocratie, de l'autre, au sein de la pensée politique de Spinoza. Dans l'horizon indépassable de l'historicité, l'intervention politique de la multitude (ou des masses) pourrait aboutir à la réalisation d'un régime démocratique durable.The purpose of this article is to show how Spinoza's conception of history could lead to a new formulation of the theory of democracy, in the context of Spinoza's political philosophy. In this perspective, the analysis deals with the relations between historicity, on the one hand, and the notions of multitude and democracy, on the other, in the topic of Spinoza's political thought. Into the horizon of historicity, the multitude's (or the masses') political activity could lead to the realisation of a sustainable democratic regime.
- Spinoza et le passé de la philosophie : un passé sans histoire ? - Philippe Danino Le rapport de Spinoza à l'histoire est ici envisagé comme rapport à l'histoire de la philosophie. Il s'agit non d'une recherche de sources ou d'influences de la doctrine, mais d'examiner le geste propre qu'aurait Spinoza-philosophe de rappeler le passé de la philosophie. Peut-on légitimement qualifier d'« historique » l'usage qu'il fait de ce passé ? L'évocation, la correction ou la réfutation font-elles apparaître, sous la plume de Spinoza, une forme d'historicité de la philosophie ? L'idée ici proposée est la suivante : la considération successive des philosophes, des mots et des motifs de rédaction des Principia ne révèle, en dépit des apparences, nulle histoire authentique, mais autant de stratégies discursives (tracer, narrer, constituer) propres à établir les éléments d'une « vraie » philosophie et, par là même, à se situer soi-même par démarcation et promotion d'une pensée propre.Spinoza's relation to history is considered here as relation to the history of philosophy. The matter is not to research sources or influences of the doctrine, but to analyse the singular way that Spinoza as a philosopher recalls philosophy's past. Can one legitimately call “historical” the use he makes of this past? Do evocation, correction or refutation reveal, in Spnoza's writing, a form of historicity of philosophy? The idea put forward here is the following: the successive examining of philosophers, words, and of the motivations at work behind the writing of the Principia reveals, despite the appearances, no genuine history, but a variety of discursive strategies (drawing lines, narrating, constituting) meant to establish the elements of a “true” philosophy, and thereby to situate oneself through distanciation and the promotion of a singular thought.
- L'éthique de l'historien spinoziste. Histoire et raison chez Spinoza - Thomas Hippler L'article part du constat paradoxal que Spinoza est présenté parfois comme le philosophe anhistorique par excellence, alors que son Traité théologico-politique est un authentique travail d'historien. Est alors développée l'hypothèse selon laquelle l'historiographie, telle que Spinoza la pratique, est une tâche d'éthique politique, analogue à celle que l'on trouve dans la première section de la cinquième partie de l'Éthique. Contrairement à ce que des commentateurs comme Vittorio Morfino ont soutenu à la suite d'Althusser, la connaissance historique ne relève pas du troisième genre de connaissance, mais du deuxième.The point of departure is the paradoxical finding that Spinoza is sometimes presented as the a-historical philosopher par excellence, while his Theological-Political Treatise is truly an historian's work. The paper develops the hypothesis that historiography, as Spinoza himself practices, is a task of political ethics, analogous to the one to be found in the first section of the fifth part of the Ethics. Against interpretations developed by Vittorio Morfino, drawing on Althusser, historical knowledge is not a knowledge of the third kind but of the second kind.
- Historicité, multitude et démocratie - Aris Stilianou