Contenu du sommaire : Authentique ?
Revue | Terrain |
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Numéro | no 33, septembre 1999 |
Titre du numéro | Authentique ? |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Revue de presse du numéro 33
Authentique ?
- Art contemporain et fabrication de l'inauthentique - Nathalie Heinich p. 5-16 La question de l'authenticité est déterminante en art : la singularité, constitutive de la valeur artistique à l'époque moderne, ne peut se soutenir sans une épreuve d'authenticité. Mais cette épreuve ne porte pas seulement sur les objets, par le contrôle de leur origine : elle porte aussi sur les personnes des artistes, à travers l'interprétation de leurs propriétés et de leurs intentions. Cette remontée de l'épreuve, de l'œuvre à la personne, est d'autant plus probable qu'il y a crise des valeurs artistiques, comme dans l'art moderne et, surtout, contemporain. Il s'agit ici d'observer comment nombre d'œuvres d'art contemporain mettent à l'épreuve les exigences d'authenticité de sens commun, en les révélant par la négative ; et d'analyser la façon dont les experts, dans le monde savant, tentent pratiquement de résoudre la contradiction entre les critères d'authenticité, de sens commun et les critères propres au monde de l'art contemporain, construits à travers les transgressions de ce qui fonde le consensus sur l'authenticité en art.Contemporary art and the making of the inauthenticThe question of authenticity is decisive in art: the singular nature of an artwork, a quality determining its artistic value in modern times, cannot be proven without testing its authenticity. But not just the objects are tested by controlling their origins, but also the artists as persons by interpreting their characteristics and intentions. This shift from the work to the person is all the more likely to occur given the crisis in artistic values in modern and especially contemporary art. How do works of contemporary art challenge the commonsense requirements of authenticity by revealing them " in the negative " ? How do experts try to resolve the contradictions between, on the one hand, the criteria of authenticity and commonsense and, on the other, those specific to the world of contemporary art, which are constructed by transgressing the very grounds underlying the consensus about authenticity in art.
- La fiabilité de l'œil - Nélia Dias p. 17-30 La question qui s'est posée en anthropologie au xixe siècle était de savoir comment les sens peuvent conférer l'authenticité, quand eux-mêmes sont traversés par la dimension physiologique, donc subjective. Cet article examine les procédés d'uniformisation de la couleur des yeux mis en place en France dans les années 1860, notamment l'échelle chromatique de Broca. Conçue comme un procédé de transcription de la « réalité des faits observés », l'échelle chromatique sert d'étalon à l'observation. La mise en place de protocoles de méthode (le nombre exact de couleurs des yeux, les conditions d'observation et les moyens de représentation) s'inscrit dans un processus d'uniformisation des données fournies par l'œil. Indice d'identification, la couleur des yeux ne peut qu'être consignée par le témoignage oculaire, ce qui constitue l'un des paradoxes du régime d'authenticité.The reliable eye?In 19th-century anthropology, the question was asked: how could the senses confer authenticity since they involved the physiological and, thus, subjective dimension. The standardization of eye-colors in the 1860s in France and Broca's chromatic scale are examined. Designed as a means for transcribing the «reality of the observed facts», thisscale served as the standard for making observations. Methodological procedures (the exact number of eye-colors, the conditions for observation and the means for description) were adopted for uniformizing data coming from the eyes. As an index of identification, eye-colors could not be let up to mere observation with the eyes: this is but one paradox in this system of authenticity.
- Faux et authenticité en préhistoire - Claudine Cohen p. 31-40 La réflexion sur la question de l'authenticité des preuves en paléontologie humaine et en préhistoire peut être éclairée par l'étude de la question de la fraude, particulièrement présente, dès leur origine – au milieu du xixe siècle –, et aujourd'hui encore, dans ces disciplines. De la « mâchoire de Moulin-Quignon », déterrée en 1863, à la supercherie de Piltdown, qui à partir de 1912 trompa, plus de quarante ans durant, une partie de la communauté scientifique, l'étude de l'acceptation de ces faux, des débats et des procès auxquels ils ont donné lieu, et de leur dénonciation comme tels, éclaire la question des conditions historiques de l'administration de la preuve dans ces disciplines. Mais la fabrication des faux peut être aussi – en tant que pratique heuristique visant à retrouver les gestes et les procédures cognitives qui président à leur fabrication – une voie d'accès à la connaissance du passé préhistorique de l'homme et de ses cultures.The fake and the authentic in prehistoryThe debate about the authenticity of evidence in human paleontology and prehistory can advance by learning from fakes, a problem persisting since these disciplines originated in the mid-19th century. From the Moulin-Quignon jaw, unearthed in 1863, to the Piltdown hoax, which for 40 years after 1912 tricked many an academic, the study of the process running from the acceptance of fakes as authentic through controversies and even court trials up until they were proven to be fake sheds light on the historical conditions for mustering evidence as proof in these disciplines. But the making of fake objects can also, as a heuristic practice for rediscovering the gestures and cognitive means originally used to make them, broaden our understanding of humankind's prehistory and cultures.
- Des faux authentiques - David Brown p. 41-56 Quelle est vraiment l'attraction pour les touristes et pour ceux qui la présentent : les objets, généralement des « faux authentiques » ? Ou la relation entre les visiteurs et les guides, relation dont l'objet n'est que le médiateur ? Plus largement, quelles formes peut prendre la quête de l'authenticité ? Cet article propose d'examiner quelques-unes des réponses fournies par les anthropologues et d'en suggérer d'autres. Reprenant la distinction faite par Cohen entre les touristes et les pèlerins, il tire des conclusions différentes : les vrais touristes sont de faux pèlerins et vice versa. Et leurs rôles sont interchangeables. Loin d'être placés sur un même continuum, ils sont en opposition dialectique : tourisme et pèlerinage sont deux aspects opposés d'une même recherche de l'authentique.Genuine fakes: Tourism versus pilgrimageWhat is the real nature of the attraction that «authentic fakes» exercise on tourists and those who present them? or of the relation between visitors and guides, a relation wherein the fake is but a mediating object? More broadly, what forms can the quest for authenticity take ? Some of the answers to these questions given by anthropologists are examined; and other responses, suggested. Cohen's distinction between tourists and pilgrims is used to draw quite different conclusions: real tourists are fake pilgrims, and vice versa. Furthermore, their roles are interchangeable. Far from lying on the same continuum, pilgrims and tourists are dialectical opposite aspects of a single quest for authenticity.
- La « boîte aux ancêtres » - Giordana Charuty p. 57-80 Contemporaine de l'extension commerciale du portrait et de ses premiers usages judiciaires, une nouvelle figure de magicien, le médium photographique, voit le jour au début des années 1870. Codifiée par une formation religieuse – le spiritisme – qui se définit comme science de l'invisible, cette fonction rituelle est chargée d'administrer la preuve d'une vie post mortem. Le procès pour escroquerie dont sont victimes praticiens et doctrinaires a pour véritable enjeu politique le mode d'institution de la valeur indicielle du signe photographique. Celle-ci ne dépend pas de la technique photographique mais de pratiques sociales ou rituelles qui entrent en conflit pour garantir la ressemblance.The «ancestor box»: Photography and the science of the invisibleContemporaneous with the commercialization of portraits and their use for the first time in the courts, a new sort of magician – the «photograph medium» – came into being in the early 1870s. Codified by spiritualism, a religious practice claiming to be the «science of the invisible», this ritual function intended to give proof of life after death. In the trial of practitioners and believers for fraud, the stakes were high : how valuable was photography as evidence? This value depended not on the techniques of photography but on the social or ritual practices that came into conflict in the effort to prove resemblances.
- Un produit agricole « affiné » en objet culturel - Muriel Faure p. 81-92 Dans quelle mesure la fabrication de l'authenticité encourage-t-elle la patrimonialisation d'un produit alimentaire comme le fromage beaufort ? Cet article montre que les différentes conceptions de l'authenticité par les acteurs impliqués sont porteuses d'idéologie et productrices de valeur, notamment de valeur patrimoniale. Dans cette perspective, il apparaît que la valeur culturelle ainsi dégagée contribue à légitimer le prix du beaufort, permettant d'articuler valeur patrimoniale et valeur marchande. La publicisation des éléments constituants de l'authenticité conduirait à repenser la patrimonialisation à la fois comme produit de cette mise en valeur et moteur de l'emblématisation d'objets et d'actes significatifs.A «refined» agricultural product as a cultural object : Beaufort cheese in the northern alpsTo what extent does the making of authenticity help turn a farm product, namely Beaufort cheese, into a heritage? The different conceptions of authenticity held by various parties convey an ideology and values, in particular, the value placed on the notion of a heritage. The thus produced cultural value serves to justify the price of this cheese, thus linking the value of this heritage to its market value. By publicizing the " components" of authenticity, we would be led to reconsider the making of a heritage and to see the process as both a product in creating values and as an active force for " emblemizing " objects and meaningful actions.
- La chasse à l'authentique - Pierre Lemonnier p. 93-110 Ni à l'âge de pierre ni colonisés, les Ankave-Anga de Papouasie-Nouvelle-Guinée sont suffisamment isolés pour que des journalistes aient pu voir en eux « une tribu perdue », alors même que leur « contact » avec le monde extérieur date des années 1950. Leur société n'a pas pour autant été bouleversée par des décennies d'interaction avec l'Etat, l'Eglise et le marché. En même temps qu'ils réfutent les rêves d'authentique des journalistes, les récits « du temps d'avant les Blancs » et l'étude des archives australiennes délimitent paradoxalement une époque et des lieux dont l'histoire a peine à rendre compte. Si une approche inspirée de l'anthropologie historique de l'Océanie permettrait à coup sûr d'analyser les adaptations et la créativité des Ankave confrontés aux agents de la modernité, c'est bien l'anthropologie « conventionnelle » qui paraît la mieux armée pour parler des Ankave d'aujourd'hui et de leurs pratiques les plus banales – celles qui occupent la majorité d'entre eux pendant la majorité du temps.The quest for the authentic: Stone-age history out of contextLiving neither as cavemen nor as colonized subjects, the Ankave-Anga (Papua-New Guinea) are sufficiently isolated for journalists to have seen them as a «lost tribe», even though their «contact» with the outside world dated from the 1950s. Nonetheless, decades of interactions with the state, church and marketplace have not deeply altered their society. Australian archives and accounts of life «before the white man came», even though they refute journalistic dreams of authenticity, paradoxically portray places and times that history can hardly explain. Although an approach based on the historical anthropology of Oceania would surely help us analyze the Ankave's adaptation and creativity in dealing with the agents of modernity, «conventional» anthropology seems to be the best prepared to talk about the Ankave of our times and about their most ordinary practices, the practices to which most of them devote most of their time.
- Art contemporain et fabrication de l'inauthentique - Nathalie Heinich p. 5-16
Repères
- Les langages de la politesse - Peter Burke p. 111-126 Cet article veut démontrer que, même si les principales stratégies de politesse sont universelles, les différences d'emphase et de style sont telles qu'on peut parler de différents « régimes » de politesse, plus ou moins formels ou hiérarchisés. Cette hypothèse s'appuie sur l'étude de trois « anciens régimes » : italien, français et anglais aux xvie, xviie et xviiie siècles. L'étude comparative des attitudes de politesse, que ce soit par écrit ou dans la conversation, dans les classes moyennes et supérieures de ces trois pays, suggère une montée de la formalité à la fin du xvie siècle, sans doute reliée à la « reféodalisation » et à l'importance accrue du clientélisme. Le renversement de ce courant au xviiie siècle est un des aspects de la montée de la société de commerce.The languages of politenessAlthough major strategies of courtesy are universal, differences in emphasis and style are such that it is useful to talk about different «systems» of politeness, some more or less formal and hierarchical than others. This hypothesis is backed up by examining three «systems» from the 16th to the 18th century : the Italian, French and English ones. The comparative study of middle- and upper-class attitudes about courtesy in writing and in conversation suggests increasing formality in the late 16th century, a trend probably linked to both «refeudalization» and the growth of patronage. This trend was countered in the 18th century as mercantile society emerged.
- Un désert matrimonial - Hervé Flanquart p. 127-144 Les jeunes femmes d'origine maghrébine vivant en France restent plus souvent et plus longtemps célibataires que les autres Françaises ; cet article se propose d'expliquer les raisons de ce phénomène. L'union endogamique – qu'elle soit le fruit des normes religieuses, de la pression des voisins ou du souci de préserver la communauté de la disparition – reste une contrainte forte pour les filles. Ce qui entraîne un rétrécissement de l'éventail des choix possibles. Par ailleurs, le mariage arrangé, qui constituait la norme pour la génération des parents, est en voie de disparition dans la communauté d'origine maghrébine installée en France. Le célibat important des filles est principalement le résultat de ces deux causes conjuguées. Pour les filles les plus instruites – celles qui ont constitué l'objet de l'enquête –, on peut ajouter deux explications complémentaires : la moindre nécessité de se marier et la peur importante d'être en décalage avec un mari qui a toutes les chances d'avoir été éduqué en enfant-roi, et d'éprouver, de ce fait, des difficultés à être pleinement autonome et responsable.A matrimonial desert : Signle women of North African origin in FranceWhy do young women of North African origine living in France remain single more often and for a longer time than other French women? Endogamy, whether it results from religious norms, pressure from neighbours or the intention to preserve a community, still weighs heavily on these women. It reduces the choice of possible mates. Moreover, arranged marriages - the norm for the parent's generation - are disappearing in the North African communities settled in France. The tendency of these women to stay single mainly comes from the combination of these two factors. For the better educated among them, the subjects of this survey, two additional explanations have bearing: there is less of a need to marry and a greater fear lest, not getting along with a husband who, it is more than likely, was brought up as a " spoiled son " , they have trouble remaining fully autonomous and responsible.
- Naissance de la Normandie (1750-1850) - François Guillet p. 145-156 L'image de la Normandie se construit, entre 1750 et 1850, en fonction de la position de la province dans l'espace français, à partir de trois centres d'impulsion: Paris, l'Angleterre et la Normandie même, où les élites provinciales se révèlent particulièrement actives. Des travaux du médecin rouennais Lépecq de la Cloture, jusqu'au Tableau de la France de Jules Michelet, la géographie de la province est réédifiée sur de nouvelles bases; en même temps, le vieux stéréotype du Normand processif s'efface grâce aux travaux des premiers ethnologues et à l'intérêt des romanciers. Erudits provinciaux, mauristes et antiquaires anglais se penchent au XVIIIe siècle sur un passé que la Révolution érige bientôt en fondement principal de l'identité provinciale; sources littéraires, monuments et légendes sont recensés et font de la Normandie une véritable école du Moyen Age. Avec le développement précoce, dans la province, du tourisme, particulièrement du tourisme balnéaire, avec la fortune que connaît le genre du pittoresque, avec l'épanouissement de la littérature, de la peinture et de l'illustration romantiques, un paysage normand se trouve peu à peu défini.The flowering of Normandy's image (1750-1850)Between 1750 and 1850, an image of Normandy arose based on the province's position in France. This image was worked out in three centers: Paris, England and Normandy itself where local elites were especially active. From the writings of Lépecq de la Cloture to Jules Michelet's Tableau de la France, new grounds were laid for the province's geography; and the old stereotype of the litigating Norman gave way before the first ethnological accounts and the interest shown by writers. In the 18th century, the better educated in the province and in England took interest in a past that the French Revolution would soon take to be the major basis for the province's identity. Literary sources, monuments and legends were identified, thus turning Normandy into a school for the Middle Age. As tourism developed quite early in the province (of the seaside in particular), as the picturesque genre arose, and as romantic literature, paintings and illustrations were produced, the Norman landscape gradually formed an image.
- Les langages de la politesse - Peter Burke p. 111-126