Contenu du sommaire : Travailler à l'usine
Revue | Terrain |
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Numéro | no 39, septembre 2002 |
Titre du numéro | Travailler à l'usine |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Revue de presse du numéro 39
Travailler à l'usine
- Le charme discret des entreprises - Nicolas Flamant, Monique Jeudy-Ballini p. 5-16 En guise d'introduction, les auteurs proposent un repérage des enjeux et des perspectives qui structurent ce dossier. Tout d'abord, ils retracent la diversité des recherches ethnologiques développées en entreprise au cours des vingt dernières années. Ils exposent ensuite les questions méthodologiques et épistémologiques que soulève la démarche ethnologique dans le secteur industriel et présentent les thèmes dominants qui animent le dossier : les représentations du travail, les formes du pouvoir, les modes de perception et d'évaluation des savoirs et des savoir-faire, enfin le jeu des relations entre les espaces du travail, du non-travail et du hors-travail.The sober charm of firms: Ethnology in an industrial environmentThis introduction presents the issues and perspectives around which this thematic issue has taken shape. The variety of ethnological studies of firms during the past twenty years is described; and the methodological and epistemological questions are pointed out that an ethnological approach to industry has raised. The major themes treated in this issue are: conceptions of work; forms of power; ways of perceiving and evaluating knowledge and know-how; and the interplay of relations between the “spaces” of work, nonwork and outside-work.
- « Et il paraît qu'ils ne sont pas tous sourds ? » - Monique Jeudy-Ballini p. 17-32 Quelles représentations ont de leur travail les salariés des usines d'une entreprise de maroquinerie qui fabrique des articles de luxe et cultive une image de marque opposant implicitement qualité artisanale et production industrielle ? L'auteur examine cette question en montrant l'interprétation ou l'utilisation que les ouvriers font de cette image pour exprimer leur conception du métier. Son analyse porte sur la façon dont cette conception se manifeste au quotidien à travers des exploits et des comportements de résistance susceptibles de se lire comme autant de modes d'affirmation de soi.“Might they not all be deaf?”: Work as an exploit and act of resistance day after dayWhat ideas do wage-earners have about work in the factories of a manufacturer of luxury leather goods that cultivates an image implicitly contrasting the quality of craftwork with that industrial production? This question is examined by showing how workers interpret or use this company image to express their conception of their craft. This conception shows up, day in, day out, through their exploits and acts of resistance, which can be seen as forms of self-assertion.
- La pause casse-croûte - Nicolas Hatzfeld p. 33-48 Les jeux qui s'effectuent à la marge de la production renvoient au cœur de celle-ci. La participation aux moments de casse-croûte et de repos sur les chaînes de montage d'une usine automobile, au cours de périodes de travail ouvrier, fait apparaître des tensions inattendues. Loin d'être de simples temps de relâchement, ces instants sont pour les ouvriers des moments de reprise d'eux-mêmes, de mise à distance de l'organisation. Mais l'encadrement ne l'entend pas ainsi. L'examen précis des espaces et de leur usage montre les dispositifs mis en place pour intégrer toujours plus étroitement et toujours plus manifestement le repos dans le fonctionnement de la production. D'où une palette de comportements d'évitement et de résistance parmi les ouvriers. Cette tension correspond aux mutations du travail lui-même : au-delà du pouvoir, l'intégration renvoie aux modalités nouvelles de la production.Snack breaks: When the assembly line stops at Peugeot-SochauxWhat occurs along the margins of production refers back to what occurs during production. Snack or rest breaks on the assembly line in a French automobile factory bring to light unexpected tensions. Far from serving merely for rest, they are times when workers stand back from their involvement in the organization. But management does not see things that way. By closely examining spaces and their uses, we discover the arrangements developed in order to more tightly and fully include breaks in production — whence a range of avoidance behaviors and acts of resistance among workers. This tension corresponds to changes in work itself, to the new ways of organizing production.
- « Un rayon de soleil dans l'atelier… » - Pascale Trompette p. 49-68 Associée à la filière du nucléaire, l'usine SFC forme un vaste complexe industriel, campé à proximité d'une petite ville de province traditionnellement vouée à la production de la chaussure. Avec des conditions d'emploi privilégiées, l'usine a stabilisé une population ouvrière destinée à une production standardisée, soumise à de rigoureux impératifs de fiabilité. Dans les ateliers, la rationalisation du travail et l'encadrement sont extrêmes. Déjouant le quotidien, les ouvriers font l'« usine buissonnière » : ils négocient continuellement avec la discipline industrielle et bricolent avec les ficelles du métier des espaces d'autonomie. Finalement, l'ordre industriel doit composer avec ces « passants-travailleurs » qui ne cessent de rêver d'ailleurs…“A ray of sunshine in the shop”: Everyday worklife in a nuclear plantPart of the nuclear industry, the SFC factory forms a vast, industrial complex near a French town with its economy traditionally based on making shoes. Given its favorable employment conditions, SFC has stabilized its work force in a standardized production process following stringent procedures. In shops, staffing and the rationalization of work have been carried to extremes. To foil everyday conditions, workers play “hooky” inside the factory. They continually skirt around the industry's tight discipline and maneuver for room for autonomy. The “industrial order” has to take into account these “passing workers” who keep on dreaming of being somewhere else.
- « Tout ce qui ferait fuir un âne… » - Philippe Erikson p. 69-78 A partir d'une enquête de terrain menée en région parisienne et en Lorraine, l'auteur s'interroge sur les représentations du travail chez les électriciens du bâtiment. Il en ressort que l'activité professionnelle marque fortement les membres de ce corps d'état, y compris en dehors de leurs heures de travail. Cependant, la satisfaction que procure (ou non) le travail dépend moins de la nature des gestes accomplis que de considérations liées à la construction des identités collectives (sentiment d'appartenance à un corps d'état prestigieux, élite du BTP) et au sentiment de disposer ou non de la maîtrise de son temps.“Anything an ass will turn his back to”: Electricians'devotion to their craftOn the basis of a field survey in the Parisian area and Lorraine, questions are asked about how electricians in the building trades conceive of work. Their occupational activity has left deep marks on this craft's members and on their lives outside work. The satisfaction that work might bring them depends less on the sort of gestures performed than on considerations having to do with the construction of group identities (a sense of belonging to the building trade's elite) and on the feeling of exercising control over time.
- 24 heures sur 24 à la mine. Porion et ingénieur : le travail comme art de vivre - Catherine Roth p. 79-92 Les chantiers des mines de charbon ont posé de manière particulière l'articulation des savoirs pratiques et des sciences de l'ingénieur. Pour constituer et entretenir ces deux registres de connaissance, les houillères lorraines ont imaginé un double système de recrutement, de formation, de promotion, d'avantages, inscrivant les agents de maîtrise et les cadres supérieurs dans deux modèles d'existence spécifiques. Le face-à-face de ces deux catégories de personnel est explosif, mais les tensions se dénouent partiellement par la constitution d'un tandem hiérarchique, le chef porion et l'ingénieur d'exécution, capable de partager les différents savoirs nécessaires au fonctionnement de l'exploitation minière. Cette économie politique complexe emporte les hommes dans des existences de travail lourdes d'exigences et empreintes de rigidité.24 hours out of 24 in the mine: Foremen and engineers, or work as the art of livingIn coal mines, the linkage between practical knowledge and engineering is especially crucial. To constitute and maintain these two types of knowledge, coal companies in Lorraine (France) have imagined a twofold system for recruitment, training, promotion and social benefits, a system placing foremen and top white-collars in two specific categories. Although face-to-face dealings between these two personnel categories are explosive, tensions are defused, in part, through a hierarchical twosome: the head foreman and the operating engineer who are capable of sharing the different sorts of knowledge necessary for running a mine. This complex “political economy” sweeps these men up in on-the-job existences with heavy, rigid requirements.
- Ceux du « chaud », ceux du « froid ». Fabriquer des outils à Sheffield - Mao Mollona p. 93-108 L'auteur montre comment, au moyen de différents narratifs du travail, les deux catégories d'ouvriers d'une fabrique d'outils négocient l'organisation de celui-ci. Il analyse notamment les diverses manières dont les ouvriers contrôlent le processus de production en traduisant le système technique en formes de connaissance inégalement distribuées dans l'atelier. Il fait l'hypothèse que ces narratifs conflictuels ont une fonction de reproduction des bénéfices du propriétaire de l'usine.The technology of production in SheffieldHow do the two categories of workers in a tool plant in Sheffield (Great Britain) negotiate the way work is organized on the shop-floor by using different narratives of labor? Emphasis is laid on the various ways these workers control the production process by translating its technical system into forms of knowledge unevenly distributed throughout the shop. Workers'conflicting labor narratives are functional to the production of the owner's profits.
- « On ne sait plus qui est le chef » - Nicolas Flamant p. 109-120 L'organisation matricielle substitue au modèle hiérarchique traditionnel le principe d'une coopération horizontale entre différentes autorités (techniques, administratives, organisationnelles…). Interdépendantes, celles-ci sont contraintes de négocier en permanence leurs objectifs respectifs pour aboutir à un résultat (une décision, un produit…) jugé acceptable. En observant le déroulement de réunions de coordination ou de direction, on comprend comment, selon ce modèle, le conflit peut être envisagé comme principe de fonctionnement pour atteindre les objectifs de production. Cet article s'intéresse à la façon dont les acteurs se comportent dans de telles situations et interroge quel sens peut avoir pour eux cette forme de mise au travail.“We no longer know who's the boss”: Working and managing in the space industryA matrix organization replaces the traditional hierarchical model with the principle of horizontal cooperation among various interdependent — technical, administrative, organizational — authorities. The later are forced to permanently negotiate their objectives in order to obtain a result (a decision, product…) deemed acceptable. By observing what happens during coordination/management meetings, we can understand how, in line with this principle, conflict can be seen as a means for reaching production goals. How do actors behave in such situations? What meaning can this form of work have for them?
- Du bagne des champs aux riantes usines - Jonathan P. Parry p. 121-140 A un niveau ethnographique, cet article est centré sur le travail et les ouvriers d'une immense usine sidérurgique indienne du secteur public. Il présente également une rapide comparaison avec le travail agricole et le secteur industriel privé. Au niveau théorique, l'auteur propose une critique de la thèse d'E.P. Thompson, selon laquelle la production industrielle moderne exige et développe un nouveau concept du temps ainsi qu'une discipline différente de travail, soutenant que non seulement cette thèse idéalise le travail agricole à la tâche mais gomme également la nature extrêmement variée de la production industrielle. L'auteur avance aussi que, tout du moins dans le secteur public, l'emploi joue un rôle de « melting pot », créant entre les ouvriers d'importantes solidarités qui transcendent les barrières de caste, de religion et d'ethnicité régionale, tandis que les procédures de recrutement et la composition des groupes de travail dans le secteur privé tendent à reproduire de telles fidélités « primordiales ».Satanic fields, pleasant mills: work in an indian steel plantThis ethnographic study focuses on work and workgroups in a big, public-sector steel plant in central India. A brief comparison is made with work in peasant agriculture and private industry. E.P.Thompson's thesis that modern machine production requires and promotes a new concept of time and a new kind of work discipline is criticized for romanticizing “taskoriented” peasant agriculture and overlooking the extreme diversity of industrial production. In the Indian public sector, employment serves as a “meltingpot” where important solidarities transcending the barriers of caste, religion and regional ethnicity are formed between workmates. In contrast, recruitment procedures and the composition of “workgroups” in the private sector tend to reproduce these “primordial” loyalties.
- Le charme discret des entreprises - Nicolas Flamant, Monique Jeudy-Ballini p. 5-16
Repères
- L'anthropologie en France - Susan Carol Rogers p. 141-162 En France comme ailleurs, l'anthropologie s'est d'abord développée en tant que discipline autonome vouée à l'étude des sociétés lointaines, primitives ou « exotiques », mais, au cours des dernières décennies, son horizon s'est élargi jusqu'à inclure les sociétés plus proches de la nôtre, dans le temps et l'espace. A considérer l'abondante littérature produite durant les trente dernières années par les anthropologues français travaillant sur la France, on comprend que les façons de percevoir et d'affronter ces changements dépendent largement des spécificités des traditions nationales de la discipline. On montrera comment la position actuelle de l'anthropologie au sein du cadre institutionnel de la vie scientifique et universitaire française tout autant que les traditions intellectuelles qui ont pesé sur l'approche ethnologique de la France (en particulier les héritages de pensée sociale durkheimienne et du folklore) ont modelé la production des connaissances anthropologiques de la France – et en France – en même temps que les débats sur leur pertinence pour l'avenir de la discipline.Anthropology in FranceIn France as elsewhere, anthropology developed as an autonomous discipline for studying faraway, primitive or “exotic”, societies. Over the past decades, it has shifted its purview to include societies closer to home in both time and space. The substantial literature produced over the past thirty years by French anthropologists doing research in France is used to illustrate how national traditions affect the way this discipline is perceiving and meeting this new challenge. Anthropology's position within the institutional framework of contemporary French academic and scholarly life, as well as the intellectual traditions brought to bear on the ethnological study of France (especially the legacies of Durkheimian social thought and folklore studies) have helped shape the production of anthropological knowledge of — and in — France. They have set the terms of debates about the pertinence of this knowledge to the discipline's future.
- L'anthropologie en France - Susan Carol Rogers p. 141-162