Contenu du sommaire : Imitation et Anthropologie
Revue | Terrain |
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Numéro | no 44, mars 2005 |
Titre du numéro | Imitation et Anthropologie |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Revue de presse du numéro 44
Imitation et Anthropologie
- Imitation et Anthropologie - Nélia Dias p. 5-18 Quel rôle joue l'imitation dans la culture et quelle est son importance pour le savoir anthropologique ? Ce texte souligne quelques voies d'approche possibles. L'imitation peut être envisagée comme une stratégie parodique, une compétence cognitive, un moyen de transmission culturelle, un principe de l'apprentissage social ou un mécanisme d'adaptation. Les processus d'imitation impliquent des compétences cognitives spécifiques et s'inscrivent dans des contextes sociaux et culturels déterminés. Parce qu'ils se situent à la charnière des sphères du biologique et du culturel, ces processus font partie du projet anthropologique qui cherche à comprendre à la fois l'unité cognitive de l'homme et la diversité de ses réalisations culturelles.Imitation and anthropologyWhat is the role played by imitation in culture and what, therefore, is its importance for anthropology ? This paper examines a number of possible approaches. Imitation could be envisaged as an ironic strategy, as a form of cognitive competence, as a means of cultural transmission, as an aspect of social learning or as an adaptive mechanism. The processes of imitation require specific cognitive capacities but are embedded in social and cultural contexts. Located at the interface of the biological and the cultural, the study of imitation is inscribed within the wider anthropological project of understanding at the same time the cognitive unity of humankind and the diversity of cultural phenomena.
- Entre « assimilation » et « décivilisation » : l'imitation et le projet colonial républicain - Emmanuelle Saada p. 19-38 La notion d'imitation a été au cœur du projet colonial de la iiie République. Loin de plaquer les significations du terme en sociologie ou en anthropologie, les acteurs coloniaux ont mis en œuvre des usages spécifiques du concept, qui empruntent à des savoirs pratiques, développés en marge des discours savants et inspirés par la synthèse néo-lamarckienne entre « milieu », « hérédité » et « imitation ». Ces usages sont inséparables des débats doctrinaires sur la « politique indigène » : dans les dernières années du xixe siècle, l'imitation est convoquée dans la polémique entre « assimilation » et « association » ; dans les années 1920 et 1930, elle est au centre de la « sociologie coloniale » de René Maunier. L'imitation est enfin et surtout objet de préoccupations de la part de l'administration coloniale. Dans la mesure où celle-ci se donne pour tâche de reproduire le grand partage entre « indigènes » et « citoyens », elle doit faire face à une double contrainte posée par l'existence de phénomènes mimétiques : si l'imitation est l'instrument privilégié de la « mission civilisatrice », elle remet en cause la dichotomie colonisateur/colonisé au fondement de la domination coloniale produisant des « décivilisés » européens et des « évolués » indigènes.Between “assimilation” and “décivilisation”: imitation and the French Republican colonial projectThe notion of imitation was at the center of the Third Republic's colonial project. Far from making direct use of the anthropological or sociological meanings of the term, colonial actors developed their own significations, borrowing from practical forms of knowledge. These had developed in the margins of academic science and were inspired by the neo-lamarckian synthesis between “heredity”, “milieu” and “imitation”. The colonial uses of the notion of “imitation” were strongly linked to the debates on “indigenous politics”: in the last years of the nineteenth-century, “imitation” was an important concept in the polemic between “assimilation” and “association”; in the 1920s and 1930s, it was at the center of René Maunier's “colonial sociology”; most importantly, imitation figured prominently in the colonial administration's preoccupations. Since one of the administration's main tasks was to reproduce the distinction between “indigenous subjects” and “citizens”, it had to face a “double bind of imitation”: if imitation was the most efficient tool of the “civilizing mission”, it produced both “décivilisés” (Europeans going natives) and “évolués” (acculturated indigenous people) and thus blurred the distinction between “colonizer” and “colonized” on which colonial domination was predicated.
- Paradis à vendre : tourisme et imitation en Polynésie-Française (1958-1971) - Daniel J. Sherman p. 39-56 Les projets de développement du tourisme de masse en Polynésie-Française au début des années 1960 exploitèrent pleinement les qualités légendaires de Tahiti, la plus célèbre et peuplée des îles du territoire. Les autorités coloniales et l'élite métisse promirent aux touristes une expérience collant à l'image floue mais attrayante d'un paradis terrestre, et comprenant l'accès à un artisanat et à des spectacles locaux censément « traditionnels ». Après plus d'un siècle de contact européen et d'administration française, une telle offre exigeait des habitants du cru qu'ils s'engagent dans une sorte d'auto-imitation en transformant leurs traditions en show touristique. En même temps, toutefois, la Polynésie comme foyer d'un vigoureux mouvement autonomiste était le théâtre d'un autre genre d'imitation, celle-ci politique, qui plaçait les Français face aux contradictions d'un régime de « modernisation » incluant non seulement le tourisme mais, sous la forme d'essais nucléaires, un changement technologique rapide. Le choc de ces deux formes d'imitation illustre de manière éclairante les contradictions et ambiguïtés non seulement du tourisme culturel mais également du colonialisme finissant.Paradise for sell: tourism and imitation in French Polynesia (1958-1971)Plans for the development of mass tourism in French Polynesia in the early 1960s took full advantage of the legendary qualities of Tahiti, the most celebrated and populous island in the territory. Colonial authorities and the métisse élite promised tourists an experience befitting the nebulous but seductive image of an earthly paradise, including access to supposedly “traditional” local crafts and performances. Such an offer required local inhabitants, after more than a century of European contact and French administration, to engage in a kind of auto-imitation, transforming their traditions into tourist spectacle. At the same time, however, Polynesia, home to a thrivingautonomist movement, was the scene of another kind of imitation, a political mimicry that confronted the French with the contradictions of a policy of “modernization” including not only tourism but, in the form of nuclear testing, rapid technological change. The clash between these two forms of imitation provides an illuminating case of the contradictions and equivocations not only of cultural tourism but also of late colonialism.
- Le hip-hop. Une autre révolution - Felicia McCarren p. 57-70 Dans une culture globalisée, on imagine la danse hip-hop comme doublement mimétique, comme un code gestuel ; pourtant, au sein de la culture hip-hop, il demeure des poches importantes de différences locales. En réponse aux débats français et américains, il est démontré ici que le hip-hop n'est pas seulement imitatif dans un sens négatif et que le hip-hop français, en tant que danse civique, est plus qu'une simple imitation d'un « original américain ». Les hip-hop français et américain articulent diversement la différence ; si l'un provient d'un héritage de ségrégation, l'autre redéfinit son legs postcolonial d'universalisme. Est explorée, à partir d'une recherche de terrain dans un cours de danse à Montreuil, la manière dont des danseurs professionnels et des élèves se réfèrent à une forme américaine tout en en inventant une nouvelle, en utilisant le miroir et en passant au-delà.The hip hop. An other revolutionIn a globalized culture we imagine hip hop dance as a doubly mimetic form, a universal gestural code; yet within hip hop culture there remain deep pockets of local difference. In response to debates in the U.S. and France, this article considers hip hop as mimetic in more than a negative sense, and French hip hop as a civic dance form more than simply imitating an “American original.” In these excerpts from our fieldwork, we focus on the mirror in French urban dance pedagogy: its signal role in turning a street dance into a concert form via the studio, and within the studio, into both a standardized form and an individual form permitting a range of choreographic expression.
- Imitation et développement humain : les premiers temps de la vie - Andrew N. Meltzoff, M. Keith Moore p. 71-90 L'imitation est un fondement biologique de la culture qui assure la préservation et la transmission intergénérationnelle des modèles acquis de comportements. C'est aussi un mode fondamental de compréhension interpersonnelle permettant aux nourrissons de reconnaître que les autres sont des êtres sensibles dotés d'une vie mentale et semblables à eux. Cette reconnaissance d'une équivalence sans confusion entre le moi et l'autre s'avère essentielle au développement de la cognition sociale humaine. Dans cet article, nous passons en revue les données empiriques concernant différents aspects de l'imitation infantile : faciale, différée et mutuelle. Nous montrons qu'à travers elle les bébés humains apprennent qu'ils ne sont pas seuls mais existent comme membres d'une communauté de semblables. Nous mettons ainsi en évidence l'importance des fonctions et du rôle psychologiques de l'imitation, sans laquelle la culture ne pourrait survivre ni l'esprit humain atteindre le niveau qui est le sien.Why infant imitation is important for theories of human developmentHuman infants are the most imitative creatures in the animal kingdom. Imitation is the foundation for culture – a biological basis for assuring that customs, rituals, and learned behavior patterns are preserved across generations. Imitation is also Nature's way of solving the classic philosophical puzzle called the “Problem of Other Minds”. In imitating, infants recognize that other people are “like me” in their actions, and this is a precursor for developing the idea that other people are “like me” in internal mental states. In short, imitative experience leads young children to the idea that other people are sentient beings with a “theory of mind” and (later in development) moral rights, just like their own. The recognition of an interpersonal equivalence, without a confusion between self and other, is essential for the development of human social cognition. In this article we review empirical evidence concerning infant imitation, including: facial imitation, imitation from memory (deferred imitation), mutual imitation, and we examine the important psychological roles and functions imitation plays in human development. Without infant imitation, culture could not survive and the adult mind would not reach the level it achieves. Through imitation, human infants learn that they are not alone but rather exist as a member of a community of others who are like themselves. Human imitation is based an innate kernal, but also provides a mechanism for learning about other people. We conclude that imitation is both a basic measure of self-other understanding and a prime engine in its growthand elaboration.
- L'imitation dans le monde animal - Etienne Danchin, Luc-Alain Giraldeau, Thomas J. Valone, Richard H. Wagner p. 91-108 Les psychologues, les économistes et les publicitaires savent depuis longtemps que les décisions humaines sont fortement influencées par le comportement des autres. Des arguments s'accumulent actuellement suggérant qu'il en est de même chez les animaux. Les individus peuvent utiliser l'information produite par inadvertance par le comportement d'autres individus ayant les mêmes besoins écologiques. En particulier, l'» information publique », c'est-à-dire l'information qui peut être extraite de la performance des autres, est une source riche d'informations fiables sur la qualité des divers choix auxquels sont confrontés les animaux tout au long de leur vie. L'utilisation de l'information publique est aujourd'hui clairement démontrée chez un grand nombre de groupes taxonomiques et peut améliorer l'aptitude phénotypique, c'est-à-dire la capacité à avoir des descendants. Ainsi, l'utilisation de l'information publique est un phénomène très répandu. Elle a été démontrée dans les divers types de décisions influençant l'aptitude phénotypique, et dans les divers groupes taxonomiques, allant des plantes à tous les vertébrés. L'utilisation de l'information publique implique que les animaux se copient entre eux et peut donc conduire à l'évolution culturelle qu'il est possible de considérer comme une conséquence directe de l'apprentissage à partir des congénères, et en particulier des anciens. L'omniprésence de l'utilisation de l'information publique conduit donc à penser que la transmission culturelle est un processus beaucoup plus ancien et répandu qu'on ne le pensait auparavant. En particulier, elle ne se limite pas aux seuls humains. Il sera nécessaire d'en analyser les conséquences en termes de processus évolutif.Public information: from Nosy Neighbors to Cultural EvolutionPsychologists, economists, and advertising moguls have long known that human decision-making is strongly influenced by the behavior of others. A rapidly accumulating body of evidence suggests that the same is true in animals. Individuals can use information arising from cues inadvertently produced by the behavior of other individuals with similar requirements. Many of these cues provide public information about the quality of alternatives. The use of public information is taxonomically widespread and can enhance fitness. Public information can lead to cultural evolution, which we suggest may then affect biological evolution.
- Imitation et Anthropologie - Nélia Dias p. 5-18
Repères
- Langue des esprits et esprit de São Vicente (îles du Cap-Vert) - João Vasconcelos p. 109-124 A São Vicente, île de l'archipel du Cap-Vert, les gens parlent habituellement le créole. Les esprits, en revanche, parlent le plus souvent en portugais, langue de l'ancienne métropole coloniale et langue officielle du pays depuis 1975. Il est naturel qu'ils parlent cette langue quand ils se manifestent dans les centres du Rationalisme chrétien, puisque les séances de ce mouvement spirite très populaire se déroulent toujours en portugais. Il est toutefois plus surprenant qu'ils l'emploient également lors d'épisodes imprévus de « possession ». Cet article propose quelques hypothèses d'interprétation du fait en soi de la lusophonie des esprits. Il examine ensuite certaines conjectures autour non seulement de ce fait mais aussi d'autres s'y rapportant, qui circulent dans les milieux spirites, en argumentant que ces conjectures reprennent des thèmes récurrents depuis longtemps dans les discours sur l'identité cap-verdienne.Spirit language and the spirits of São Vicente (Cape Verde Islands)On São Vicente island in the Cape Verde archipelago, Creole is the vernacular, but the spirits usually speak in Portuguese, the former colonial power's language and the country's official language since 1975. It is natural for them to use this language when they appear during the seances of Christian Rationalism, since this very popular form of Spiritualism always holds its meetings in Portuguese. It is more surprising, however, that the spirits use this language during unexpected bouts of possession. A few hypotheses are proposed to explain why the spirits use Portuguese. Conjectures circulating in Spiritualist groups also come under examination. They adopt, it is pointed out, longstanding themes that recur in talk about a Cape Verde identity.
- Des friches : le désordre social de la nature - Lucie Dupré p. 125-136 En France, la déprise agricole des années 1960 a entraîné l'apparition de friches dans un territoire rural aujourd'hui en pleine recomposition. Dans les Vosges du Nord, cette déprise agricole est accentuée par le déclin de l'industrie locale employant un grand nombre d'ouvriers-paysans, contraints de quitter la vallée. L'implantation de nouvelles catégories de résidents, l'aménagement touristique de la vallée et la valorisation et la gestion écologique des friches constituent aujourd'hui les nouvelles donnes avec lesquelles élus et villageois doivent désormais composer dans leur manière d'envisager et de traiter les espaces abandonnés. Cet article analyse la réception locale des friches dans la vallée de la Zinsel du Nord (Moselle et Bas-Rhin), et montre comment celles-ci, et de façon plus générale les espaces faiblement investis ou maîtrisés par l'homme, alimentent la crainte du retour d'une nature sauvage apparentée à une forme d'anachronisme favorisant des pratiques socialement ou juridiquement réprouvées. En effet, il apparaît clairement que ce désordre naturel renvoie à l'hétérogénéité sociale et culturelle de la communauté villageoise dont la cohésion s'est largement effritée.Abandoned land: Nature's social disorderAs a result of the decline of farming during the 1960s in France, land was left untilled in rural areas, which are now undergoing change. In the northern Vosges Mountains, this phenomenon was furthered by the decline oflocal industry, which employed a large number of farmers forced to leave the valley. The arrival of new categories of residents, the growth of tourism in the valley and the ecological development and management of vacant land are now facts thatvillagers and elected officials have to take into account when imagining how to manage such land. This analysis of local reactions in the northern Zinsel valley (Moselle and Bas-Rhin departments) shows how abandoned land and, in general, land that is barely occupied or controlled by people fuel fear of a return to a wilderness, which is related to a sort of anachronism favoring socially or legally disapproved practices. Quite clearly, this natural disorder refers to the social and cultural heterogeneity of the village community, as its cohesion erodes.
- Observer, analyser, restituer - Nicolas Flamant p. 137-152 La perspective de restitution des résultats de la recherche préside dès le début de l'enquête à la construction des sources et des informations. De ce point de vue, il n'y a plus lieu de faire de différence entre une ethnologie du proche ou du lointain : les opérations de contrôle de l'enquête peuvent être aussi fortes chez les aborigènes australiens que chez les directeurs d'une entreprise occidentale. Cet article analyse les conditions d'une enquête anthropologique dans les comités de direction d'une grande entreprise française. La restitution, parce qu'inéluctable, est intégrée dans le processus même de la recherche. De ce fait, elle doit être observée et analysée à part entière pour permettre, certes, une analyse réflexive critique du travail d'enquête, mais surtout pour mettre au jour les logiques politiques qui animent les relations entre acteurs, logiques dans lesquelles l'ethnologue est lui-même pris.Observe, analyze, report: conditions and contradictions in ethnological surveys conducted in firmsReporting the findings is an activity that governs a survey from the very start, when sources of information are defined. In this sense, there is no need to distinguish between an ethnology of “near” or “distant” places, since top executives in a Western company might exercise control over a survey as tightly as Aborigines in Australia. The conditions for carrying out an anthropological study of a big French firm's management committees are analyzed. Reporting the findings, as inevitable as it is, is a full part of the research process. For this reason, it must be fully observed and analyzed in order to make a reflexive critique of the survey's work,especially so as to bring to light the political rationales that motivate relations between actors and in which ethnologists are caught up.
- La vierge en action - Élisabeth Claverie, Giordana Charuty p. 153-160
- Langue des esprits et esprit de São Vicente (îles du Cap-Vert) - João Vasconcelos p. 109-124