Contenu du sommaire : Un texte, un auteur : Andrew Abbott
Revue | Raisons Politiques |
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Numéro | no 60, décembre 2015 |
Titre du numéro | Un texte, un auteur : Andrew Abbott |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Un texte, un auteur
- Un texte, un auteur : Andrew Abbott - p. 5-7
- Actualité de la tradition sociologique de Chicago - Andrew Abbott, Mathieu Hauchecorne, Étienne Ollion p. 9-43 Ce texte est issu d'une conférence prononcée par Andrew Abbott en avril 1992 et publiée par la suite par la revue Social Forces, puis comme chapitre final du livre Department and Discipline. Né d'une interrogation sur l'avenir de la sociologie étatsunienne, il offre une réflexion sur la spécificité de la tradition de l'école Chicago, et sur son actualité. Il réfute en particulier l'idée que les sociologues de Chicago auraient été de purs empiristes auxquels aurait manqué une épistémologie propre. Il montre en outre en quoi certains outils formels récents des sciences sociales (analyse séquentielle et analyse de réseaux notamment) permettent aujourd'hui de se réapproprier les intuitions maîtresses qui guidaient les sociologues de Chicago, en rendant compte de la localisation spatiale et temporelle des faits sociaux.The Continuing Relevance of the Chicago School
This essay is a revised transcript of a conference delivered by Andrew Abbott in April 1992, and then published in the journal Social Forces and as the final chapter of the book Department and Discipline. A reflection on the future of American Sociology, the essay considers the specificities of the Chicago school and its current relevance. Abbott especially criticizes the representation of Chicago sociologists as mere empiricists lacking a proper epistemology. He also demonstrates that certain tools available to social scientists (sequence and network analysis among others) can help to account for the spatial and temporal location of social facts, and thus capture the main insights of the Chicago tradition. - « Le monde est un monde d'événements » : Entretien avec Andrew Abbott - Andrew Abbott, Sarah Martin p. 45-64 Dans cet entretien, Andrew Abbott revient sur sa trajectoire intellectuelle et personnelle. Parcourant plus de quatre décennies de recherche et d'enseignement, il aborde plusieurs thèmes qui ont été centraux dans son travail. Il évoque en particulier sa critique du positivisme, formulée dans les années 1980 et qui lui a permis d'interroger les méthodes des sciences sociales, les formes de savoir qu'elles autorisent, et l'inconscient épistémologique de la sociologie étatsunienne. L'entretien est surtout l'occasion pour lui d'évoquer en détail sa théorie processuelle du monde social en cours d'élaboration. Abbott en explicite les fondements et la positionne par rapport à différents auteurs contemporains ou passés.“The world is a world of events”. An interview with Andrew Abbott Spanning four decades of intellectual life, the interview delves into some of the most central themes of Andrew Abbott's work. It focuses on his critique of the sociological positivism first enunciated in the 1980s. From there, Abbott discusses the role of methods in social sciences, their impact on knowledge, and the implicit epistemology of the US sociology since the 1980s. The interview also offers Abbott a rare opportunity to evoke his theory of the social process, which is still in the making. He details its origins, its underpinnings, and usefully locates it with respect to past and contemporary social theories.
Varia
- L'idéal démocratique filtré par la théorie sociologique : Pour une philosophie politique sans surenchères - Stéphane Haber p. 65-78 Face à la question de la démocratie, la philosophie politique du siècle dernier a souvent été tentée par une certaine emphase maximaliste. Il s'agissait pour elle d'identifier (et de valoriser) le processus historique, la forme institutionnelle ou le genre d'événement qui, seuls, pouvaient se prétendre légitimement démocratiques. En réalité, les éléments démocratiques de la vie sociale, dont on ne peut pas dessiner la forme par avance, surgissent de façon spontanée et aléatoire dans la vie sociale, et ils le font toujours sous une forme imparfaite et non autosuffisante. Une telle conception radicalement pluraliste et anti-essentialiste de la démocratie peut rencontrer les intérêts d'une sociologie qui a appris à orchestrer les thèmes caractéristiques d'une vision non monolithique de la société, dans le sillage de la théorie des champs de Pierre Bourdieu on de l'analyse du système social chez Luhmann. L'interprétation de la nature du néocapitalisme joue alors un rôle décisif.The democratic ideal filtered by sociological theory. For a deflationist political philosophy
Faced with the question of democracy, the political philosophy of the last century has often been tempted by a certain emphatic maximalism. It intended to identify (and to valorize) the historical process, the institutional design or the type of event which alone could legitimately claim to be democratic. In reality, the democratic elements of social life, which one cannot draw the shape in advance, arise spontaneously and randomly in social life, and they always supervene in an imperfect and not self-sufficient mode. Such a radically pluralistic and anti-essentialist conception of democracy can meet the interests of a sociology that has learned to orchestrate the specific themes of a non-monolithic vision of society, in the wake of Pierre Bourdieu's fields theory or Niklas Luhmann's analysis of systems. The interpretation of neocapitalism's nature then plays a decisive role. - De la servitude volontaire aux impasses de la volonté : Politique et imagination chez La Boétie et Hannah Arendt - Carole Widmaier p. 79-103 Peut-on fonder le domaine politique sur une théorie de la volonté ? Pour affronter cette question, nous proposons de mettre le concept de servitude volontaire à l'épreuve d'un nouveau cadre, constitué par des expériences d'asservissement de la multitude inconnues de La Boétie, qui font partie des objets singuliers de l'approche phénoménologique de Hannah Arendt : la Terreur dans laquelle a plongé la Révolution Française et qui selon elle prend racine sur la définition du peuple comme peuple de volontés ; et, plus encore, le « cas Eichmann », celui de l'apparition du mal politique sur fond de « banalité », c'est-à-dire de défaut de jugement et d'absence de pensée. Si la servitude est un fait, c'est sur la volonté elle-même que devra porter le soupçon. Et si la servitude dite « volontaire » désignait en réalité le défaut de mémoire collective ?From Voluntary Servitude to the Impasses of the Will. Politics and Imagination in Étienne de La Boétie and Hannah ArendtIs it possible to found the domain of politics upon a theory of the will? To address thisquestion, we will put the concept of voluntary servitude to the test of a new framework, constituted by the experiences of mass enslavement which were unknown to La Boétie but which are among the singular objects of Hannah Arendt's phenomenological approach. These experiences include the Terror into which the French Revolution fell and whose roots are, she believes, to be found in the definition of the people as the people of the will; as well as the “Eichmann case,” or the appearance of political evil against the backdrop of “banality,” that is, the lack of judgment and the absence of thinking. While servitude is a fact, our suspicion should be turned toward the will itself. It is possible that in reality, so-called “voluntary” servitude designates the lack of collective memory.
- Défaire son action : Quatre figures possibles d'une réversibilité politique en démocratie - Antoine Chollet p. 105-128 Il s'agit ici de s'interroger sur les moyens permettant de corriger, amoindrir ou réparer les conséquences indésirables ou imprévisibles d'actions décidées dans le passé, tout en se maintenant dans un cadre démocratique. À partir des réflexions de Vladimir Jankélévitch, Hannah Arendt et Walter Benjamin, cet article analyse quatre figures de réversibilité politique démocratique, c'est-à-dire quatre manières possibles de défaire son action : le réexamen, l'oubli, le pardon et la remémoration. Chacune d'elle agit différemment sur un temps sinon linéaire et irréversible, le réexamen en se le figurant comme un « jardin aux sentiers qui bifurquent », l'oubli en construisant un temps troué, le pardon en inaugurant un temps autorisant les recommencements, et la remémoration en « court-circuitant » le cours normal du temps.To undo one's action. Four possible kinds of political reversibility in a democracy
We ask here how to correct, minimize or redress undesirable or unpredictable consequences of actions decided in the past, and doing it in a democratic framework. Drawing from the works of Vladimir Jankélévitch, Hannah Arendt, and Walter Benjamin, this article analyzes four different kinds of political and democratic reversibility, or four possible ways to undo one's action: reconsideration, forgetting, forgiving, and remembrance. Each one transforms an otherwise linear and irreversible time in a different way: reconsideration by seeing time as a “garden of forking paths,” forgetting by creating a time full of holes, forgiving by setting up a time that allows for new beginnings, and remembrance by “shortcircuiting” the usual time flow. - La délibération préalable à la décision majoritaire : justification substantielle ou procédurale ? - Didier Mineur p. 129-147 Les défenseurs d'une conception substantielle de la démocratie s'emploient à établir la vertu épistémique de la décision à la majorité, soit sa capacité à produire des décisions justes ou sages. Pour nombre d'entre eux, c'est le fait que le vote ait été précédé par une délibération qui donne à son résultat de bonnes chances d'être correct. Cet argument se heurte pourtant à une objection forte : il n'existe aucun critère indépendant de la rationalité permettant de vérifier la qualité substantielle de la délibération et de la décision majoritaire qui la conclut. L'ambition épistémique de la discussion ne saurait donc correspondre à la poursuite de la vérité, mais seulement à la recherche d'un accord. La règle de majorité, quant à elle, ne peut se justifier que comme procédure équitable de décision lorsque l'accord, précisément, ne se produit pas. Dès lors, si la délibération préalable accroît la légitimité de la décision à la majorité, ce n'est donc pas parce que la décision majoritaire obtenue à l'issue d'une discussion doit être considérée comme étant objectivement plus raisonnable que l'avis de la minorité, mais parce que, sur fond de désaccord, elle a donné à chacun la possibilité de convaincre les autres et de réaliser l'accord autour de son point de vue.Does deliberation increase the legitimacy of the majority rule? Procedural and substantial arguments
Upholders of a substantial conception of democracy strive to establish an epistemic virtue of the majoritarian decision, that is, its likeliness to bring about fair or wise decisions. A great many of them consider that it is the preliminary deliberation that endows the decision with likeliness to correctness. However, there is a serious objection to such an argument: there does not exist any free-standing rational criterion which would allow any assessment of the substantial quality both of the deliberation and of the decision that brings it to an end. Therefore the epistemic claim of the discussion is not to follow the path to truth, but rather to follow a path towards an agreement. The majority rule, accordingly, is not justified but as a fair decision procedure when persisting conflicts prevent any agreement to occur. So on, if deliberation is to be considered as enhancing the legitimacy of the subsequent majority decision, it is not because of the alleged reasonableness of a decision following a discussion, but rather because, as moral disagreement persists, it gives each and everyone the opportunity to speak her own voice and thereby to convince the others, and rally them to her point of view. - La durabilité ou l'escamotage du développement durable - Romain Felli p. 149-160 Plus d'un quart de siècle après la publication du rapport « Brundtland » établissant sur la scène mondiale le « développement durable », et plus de vingt ans après le Sommet de la Terre de Rio qui l'a inscrit dans l'ordre normatif international, cet article fait un bilan contrasté de l'évolution de cette idée politique. À l'unanimisme des années 1990 autour du développement durable, reflet de la sortie de la guerre froide, a succédé une multiplicité de projets politiques alternatifs qui se réfèrent plus ou moins explicitement à sa force normative. Leur point commun néanmoins est de substituer à l'idée de développement durable celle de durabilité. La différence peut sembler minime, mais elle est essentielle car la durabilité évacue la question de la justice sociale globale qui était centrale dans le rapport Brundtland. Ainsi à la vision social-démocrate du développement durable, s'est substitué une durabilité dépolitisée et néolibérale.Sustainability or the dodging of Sustainable Development
More than a quarter of a century after the publication of the “Brundtland” Report, which gave worldwide fame to the concept of “sustainable development”, and more than twenty years after the Earth Summit in Rio which embedded it in international norms, I offer an assessment of this political idea. Whereas, in the aftermath of the Cold War, sustainable development briefly enjoyed unanimous support, we are witnessing today a vast array of alternative political project that make some references to its normative content. Their common ground, however, is to replace sustainable development with sustainability. The difference may appear minimal, but it is in fact crucial, as sustainability cuts loose the idea of global justice which was central in the Brundtland Report. The social democratic vision of sustainable development has been dodged in favour of a neoliberal and depoliticised sustainability.
- L'idéal démocratique filtré par la théorie sociologique : Pour une philosophie politique sans surenchères - Stéphane Haber p. 65-78
Lectures critiques
- Laure Bereni, La bataille de la parité. Mobilisations pour la féminisation du pouvoir, Paris, Economica, coll. « Études politiques », 2015, 300 pages. - p. 161-164
- Isabelle Bruno et Emmanuel Didier, Benchmarking. L'État sous pression statistique, Paris, La Découverte, coll. « Zones », 2013, 211 pages. - p. 165-166