Contenu du sommaire : Le vécu corporel dans la pratique d'une langue
Revue | Langages |
---|---|
Numéro | no 192, juin 2013 |
Titre du numéro | Le vécu corporel dans la pratique d'une langue |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Pour une ré-évaluation paradigmatique de notre conception du parleur - Gilles Louÿs, Danielle Leeman p. 3-10
- Pour une approche enactive de la parole dans les langues - Didier Bottineau p. 11-27 Le paradigme de l'enaction en sciences cognitives fait coïncider la cognition avec l'(inter) action des corps vivants d'une espèce donnée dans un environnement tel qu'elle le produit selon ses modalités propres. Cette approche de la relation cognition/corporéité a pour les sciences du langage des conséquences essentielles. La présente étude en décline les facettes dans les domaines de la parole, de la prononciation et de la grammaire des langues.Towards an enactive approach of languaging in languages. The paradigm of enaction in cognitive science identifies cognition with the (interaction) of the living bodies of a given species in the environment as it has construed it following its own modalities. This conception of the cognition/embodiment relation has a crucial impact for language science. This study itemizes its various facets in the domains of speech, pronunciation, and the grammar of languages.
- Langue maternelle et langue seconde : approche par l'observation gestuelle - Philippe Turchet p. 29-43 Diverses études montrent, d'un côté, l'implication de la gestuelle dans la production verbale et, de l'autre, que l'emploi d'une langue maternelle (langue natale) ou d'une langue seconde implique des ressources mentales différentes. Des observations éthologiques ont donc été réalisées, à partir de l'observation de la production gestuelle de deux locuteurs – comparables sous divers aspects que nous préciserons –, l'un anglophone, l'autre francophone, s'exprimant tous les deux dans la langue seconde de leur interlocuteur, le but étant de comparer leurs productions gestuelles en langue maternelle (L1) et en langue seconde (L2). Des traits saillants de comparaison ont ensuite été dégagés. L'analyse a permis de mettre en lumière plusieurs observations : (i) les gestes ne sont pas en majorité effectués avec la main dominante seule, quelle que soit la langue parlée ; (ii) en langue seconde, une communication à deux mains semble suppléer un déficit sémantique ; (iii) la nature des émotions ressenties pourrait modifier le choix non conscient des mains visibles dans l'espace de communication. Ces trois observations conduisent à penser que la dimension émotionnelle de la communication, liée à la conscience, peut modifier la cognition et la production gestuelle elle-même. L'observation de l'importance des émotions dans le choix non conscient des mains qui communiquent, s'il était consolidé par des observations répétées, pourrait être d'un intérêt majeur pour les didacticiens des langues. Il pourrait leur permettre d'observer, le moment où un apprenant, parlant dans une langue seconde, aurait acquis une réelle maîtrise de cette langue et comment cette dimension deviendrait repérable, dans sa gestuelle de communication. À terme, la production gestuelle pourrait constituer un indicateur pertinent de l'état émotionnel dudit locuteur.Native language and second language : observation of gesture production. Various studies show on one hand, the involvement of gestures in speech production and, on the other, that the use of the mother tongue (native language) or a second language, involves different mental resources. Ethological studies have therefore been made, from the observation of gesture production from two speakers – similar in many respects that will be specified – one having English as a mother tongue, the other French, both speaking the second language of the other party, the goal being to compare their gestures while using their native language (L1) and their second language (L2). Similarities were then highlighted and several observations were made : (i) gestures are not performed solely with the dominant hand, regardless of the language spoken ; (ii) while conversing using the second language, communicating with both hands seems to compensate for semantic deficits ; (iii) the nature of the emotions felt could unconsciously change the choice of how visibly hands are used in the communication space. These three observations lead us to believe that the emotional dimension of communication, linked to consciousness and cognition may change the gestural production itself. The observation of the importance of emotions in the unconscious choice of the hands used while communicating, if strengthened by repeated observations, could be of major interest to the didactics of languages. It could allow them to observe when a student, speaking in a second language, acquires a real mastery of said language and how this dimension could become recognizable in its gestures. Those gestures could ultimately be an important indicator of the emotional state of the speaker.
- L'apprentissage des gestes conventionnels en roumain et en français chez les enfants bilingues de 7 et de 11 ans - Catherine Garitte, Larisa Olteanu p. 45-55 Les gestes conventionnels peuvent se suffire à eux-mêmes : dire « bonjour » et « au revoir » de la main, « boire », « manger », etc. Ces gestes existent dans toutes les langues, mais leur forme diffère selon les langues. Les gestes conventionnels relèvent d'enculturation. Nous nous sommes donc posée la question de leur apprentissage chez les enfants bilingues, à savoir si, pour une même signification, ces gestes gardaient leur forme en fonction de la langue utilisée. Pour cela, nous avons demandé à des enfants bilingues roumains-français de 7 et 11 ans de produire dix gestes conventionnels qui s'expriment différemment en français et en roumain, mais qui ont la même signification. Les résultats montrent que le taux de connaissance est le même quelles que soient la langue et l'aisance dans la langue, mais que les enfants les plus jeunes produisent moins de gestes conventionnels et confondent plus les gestes que les enfants plus âgés.Learning of conventional French and Rumanian gestures in the bilingual children aged 7 and 11 years old. The conventional gestures can transmit a message by their own : say “hello” or “goodbye” with the hand, “drink”, “eat” and so on. These gestures can be found in all languages, but their form differs from one language to another. The learning of the conventional gestures is informal. That's why we started to get interested in this learning at bilingual children, although for the same meaning, these gestures didn't keep their shape across the languages. For this, we asked Romanian-French bilingual children aged 7 and 11 years old to produce ten conventional gestures that are expressed differently in French and Romanian but have exactly the same meaning. The results show that the rate of knowledge is the same regardless of the language and the fluency in the language, and they show that children younger produce less conventional gestures and confuse more gestures than older.
- Gestualité cogrammaticale : de l'action corporelle spontanée aux postures de travail métagestuel guidé. Maybe et le balancement épistémique en anglais - Jean-Rémi Lapaire p. 57-72 La grammaire n'échappe pas au principe général de la multicanalité qui régit la parole orale. Bien qu'il n'existe pas de correspondance biunivoque entre formes grammaticales et formes gestuelles, les mimiques faciales et les mouvements corporels participent à la coarticulation d'un grand nombre de notions, fonctions et significations grammaticales. Celles-ci ne sont pas seulement « codées » ou « exprimées », mais réalisées verbalement et gestuellement dans l'ici et le maintenant de la parole. Un exemple remarquable est fourni par les balancements et oscillations accompagnant l'expression de might et maybe en anglais, qui muent la modalité épistémique en véritable spectacle vivant de l'incertitude. Après avoir déconstruit la dynamique de cet acte de symbolisation et analysé son schématisme, nous montrons comment il est possible d'engager un travail d'observation, puis de « rejeu » cinémimique et phonomimique de la modalité avec de jeunes apprenants bilingues âgés de 9 à 11 ans. Nous analysons l'imagerie grammaticale obtenue à l'issue d'une expérimentation organisée autour d'un travail postural, métapostural et graphique structuré.Cogrammatical gesticulation : from spontaneous gestural action to controlled metagestural activity. ‘Maybe' and epistemic wavering in English Grammar does not escape the general rule of multimodal expression that applies to spoken language. Although grammatical forms are not systematically paired with gestural forms, facial expression and bodily motion are crucially involved in the coarticulation and corealization of many grammatical notions, functions and meanings. Grammatical processes are not simply “encoded” or “expressed” but realized verbally and physically during the situated performance of speech. A clear instance of this process is provided by the rocking or oscillating movements that are sometimes synchronized with might and maybe. The moves may be regarded as living forms of psychological wavering – or embodied manifestations of uncertainty. We describe the dynamics and schematicity of this particular kind of symbolic action, then report an experiment carried out with a group of bilingual schoolchildren aged 9-11. We analyze the grammatical imagery produced in the schematic or figurative drawings obtained after the children were physically engaged in the vocal and gestural “replays” of modal moves.
- L'ancrage corporel et praxique du langage. Communauté corporelle et altérité dans l'enseignement d'une « langue » orale étrangère - Amina Bensalah p. 73-86 La prise en compte, en orthophonie, du corps en tant qu'il est tonus, postures, du corps vivant comme premier lieu de mouvements ouverts et orientés vers autrui et vers le monde, est cruciale dans l'aide apportée au tout jeune enfant en acquisition. Ce travail s'élabore en particulier à travers le jeu qui met le corps et la pensée en mouvement avec leurs divers contours de vitalité. Cela suppose une reconnaissance de l'autre comme sujet psychique socialement et historiquement situé. Cette reconnaissance des possibilités du corps avec ses divers organes de sens suppose alors l'altérité d'une communauté corporelle. Une attention portée à cette communauté corporelle peut faciliter, même pour les adultes, l'apprentissage d'une langue étrangère, en particulier concernant l'acquisition des sons et des gestes phonétiques qu'ils mobilisent.Embedding the langage in body and praxis, collective body and alterity in the teaching of a foreign oral language. In speech therapy it is of the utmost importance to take into account the body. The living body, its tonus and attitude, is the first locus of open motions, oriented towards the others and the world. As such it is of crucial help for the young child's language acquisition. Such a work elaborates itself especially through playing activities. They aim to put the body and the mind in motion through various vitality shapes. This implies the acknowledgement of others as socially and historically located subjects. Such a recognition of the body's abilities and its various sensitive organs supposes the alterity of a physical common points. The attention given to these physical common points can facilitate, even for adults, the learning of a foreign language, especially concerning the acquisition of sounds and phonetic gestures acted by them.
- Apprendre une langue en tandem. Réinterprétation des tandems à la lumière d'une approche sociocognitive - Jörg Eschenauer p. 87-99 Depuis l'invention des tandems en tant que moyen spécifique d'apprentissage d'une langue, ce dispositif a beaucoup évolué (Helmling 2002 ; Schmelter 2004). Le but de cet article est de proposer une réflexion sur le tandem en présentiel en insistant sur sa dimension sociocognitive. À partir d'une description du dispositif de tandems mis en place à l'École des Ponts ParisTech, nous mettons en lumière la richesse pédagogique exploitable par ce dispositif, appliqué dans le contexte complexe des campus multiculturels. Le fait d'allier échange de connaissances et d'expériences, apprentissage de savoirs, enjeux d'interculturalité et pratique linguistique intensive crée une dynamique forte impliquant les deux apprenants de façon globale. S'en découle un renforcement de leur capacité d'empathie par rapport au partenaire, faculté centrale dans l'apprentissage des langues (Aden, Grimshaw & Penz 2010 ; Thirioux & Berthoz 2010 ; Bottineau 2011).Learning a language in tandem – Reinterpreting tandems using a sociocognitive approach. Since the tandem was invented as a method of language learning, it has evolved considerably (Helmling 2002 ; Schmelter 2004). This article focuses on the face to face tandem, highlighting sociocognitive aspects. The tandem format of the École des PontsParisTech is used as a starting point to analyse the specific features of this method. Applying this method in the context of a multicultural campus reveals its numerous advantages, such as allowing students to pursue several learning goals at the same time. The intensive “face to face” experience creates strong bonds and interpersonal dynamics, favorable conditions for cultivating intercultural skills. This reinforces the student's capacity for empathy, which is central in language acquisition (Aden, Grimshaw & Penz 2010 ; Thirioux & Berthoz 2010 ; Bottineau 2011).
- De la langue en mouvement à la parole vivante : théâtre et didactique des langues - Joëlle Aden p. 101-110 L'interculturation du monde, la réorganisation systémique des espaces socio-économiques et les avancées des neurosciences cognitives placent les didactiques des langues et des cultures dans un « paradigme de la reliance » (Aden, Grimshaw & Penz 2010). Nous nous intéresserons ici plus précisément aux théories neuro-phénoménologiques qui nous invitent à reconsidérer la place de l'expérience corporelle, sensorielle et émotionnelle dans le développement des compétences langagières. Dans cet article, nous verrons comment le théâtre, prenant appui sur les mécanismes d'empathie (imitation, résonance, anticipation), nous invite à imaginer de nouvelles pédagogies interculturelles et plurilingues.From languages in motion to embodied speech : theatre in language education. Given the ever greater degree of mutual exchange between cultures in today's world, the systemic reorganization of socioeconomic functioning, as well as the unprecedented advances made in the cognitive neurosciences, research into the teaching of foreign language and culture has moved into what some now call a “paradigm of interrelatedness” (Aden, Grimshaw, Penz 2010). Neurophenomenological theories enable scientific inquiry into the role of embodied, sensory and emotional experience in learning to communicate in a foreign language. In this article, we look at how theater arts can be used to design new intercultural and plurilingual approaches to foreign language teaching by drawing on learners' empathic dispositions to relate to others and otherness.
- « Je est un autre ». L'expérience du bilinguisme et du théâtre pour enseigner et apprendre une langue - Graça Dos Santos p. 111-117 Entre théorie et pratique, à partir d'une double expérience linguistique et professionnelle, nous partons du postulat que la découverte d'une langue seconde convoque le début de l'apprentissage de la langue première. La pédagogie habituelle de l'enseignement des langues dites « étrangères » renvoie l'apprenant au décryptage instinctif des lettres, associé à leur phonologie acquise lors de l'apprentissage de l'écriture à l'école (Dehaene 2007). Notre réflexion s'appuiera sur l'expérience d'auteurs bilingues (Kristof 2004 ; Makine 1995 ; Mizubayashi 2011) ainsi que sur notre pratique de l'art dramatique. Apprendre une autre langue c'est être transporté vers « le faire semblant, le théâtre » (Huston 1999). À partir d'une définition du corps comme « puissance vocale articulante et motrice » (Ryngaert 2002), nous abordons l'approche de la nouvelle langue avec des ateliers qui utilisent les techniques du théâtre. La composante sociale est indissociable de cette démarche (Bourdieu 1997 ; Detrez 2002) qui doit intégrer la question du positionnement de l'enseignant (Bourdieu & Passeron 1965) et demande une définition de la norme linguistique proposée (Lapeyre-Desmaison, Poulin & Roger 2011).“I is another one”. The experience of bilingualism an of theatre to teach and to learn a language. Based on a dual language and professional experience, this paper, between theory and practice, starts from the premise that the discovery of a second language reconvenes the early stages of the learning of a first language. Usually, the teaching of so-called “foreign languages” refers to the learner's instinctive decoding of letters in relation to the assumed phonology acquired when he learnt to write his first language at school (Dehaene 2007). Our discussion will be based on the experience of bilingual authors (Kristof 2004 ; Makine 1995 ; Mizubayashi 2011) as well as our practice of drama. Learning another language is to be transported to the “pretend theatre” (Huston 1999). Starting from a definition of the body as an “articulating and driving vocal power” (Ryngaert 2002), we discuss the approach of the new language workshops that use theater techniques. The social dimension is inseparable from this approach (Bourdieu 1997 ; Detrez 2002), which must include the question of the teacher's positioning (Bourdieu & Passeron 1965) and requires a definition of the proposed language standard (Lapeyre-Desmaison, Poulin & Roger 2011).
- Apprendre une langue : les enjeux du « jeu intérieur » - Stephen-Scott Brewer p. 119-130 Nous vivons une époque où l'on parle souvent de la nécessité de connaître des langues étrangères et d'aider les personnes à les apprendre plus efficacement. Or, que sait la didactique de l'expérience subjective de celui qui s'efforce d'apprendre une ou plusieurs langues ? Le point de vue de l'apprenant a-t-il véritablement sa place dans la pensée didactique contemporaine ? Poser le problème de l'appropriation d'une langue étrangère en termes du « jeu intérieur » mené nécessairement par le sujet apprenant ouvre sur un registre de problématiques inédites pour la science de l'enseignement des langues. Si, comme il est suggéré, de nombreux aspects en matière de gestion de l'apprentissage passent inéluctablement sous le contrôle de l'élève au fur et à mesure de son développement personnel et intellectuel, quelles conséquences cela a-t-il pour la théorie en didactique et la formation des enseignants de langues ?The Inner Game of Language Learning. We often hear in this day and age that it is necessary to speak foreign languages and help people learn them more effectively. But what does the field of didactics really know about the subjective experience of the person who is trying, and often struggling, to learn one or several languages ? Does the learner's point of view truly have its place in contemporary didactic theorizing ? Looking at foreign language acquisition in terms of the “inner game” that is necessarily played by the learner raises a host of new questions and issues for the science of language teaching. If, as suggested, numerous aspects of the learning enterprise inevitably come under the learner's control as he or she develops personally and intellectually, what consequences does that have for didactic theory and language teacher education ?