Contenu du sommaire : I. Travaux
Revue | Travaux de linguistique |
---|---|
Numéro | no 65, 2012 |
Titre du numéro | I. Travaux |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Aperçu des emplois de bien en français contemporain - Estelle Moline p. 7-26
- Bien face à ses homologues en d'autres langues romanes : divergences, influences, convergences - Cyril Aslanov p. 27-43 La comparaison entre les diverses langues romanes fait apparaître qu'à partir d'une même origine latine vulgaire, l'adverbe bene a connu de nombreuses variations. La mise en contraste de ces divers emplois peut même toucher à des questions de pragmatique : il n'est que de comparer la différence entre le français je veux bien, expression affaiblie de la volonté ou du consentement mou, avec l'italien ti voglio bene, variante à peine atténuée de ti amo. Dans d'autres langues romanes, les locutions comportant les aboutissements de l'adverbe latin bene se sont figées au point de devenir de simples procédés visant à exprimer l'action ou l'état de ‘plaire' : on pense notamment au roumain pare bine ou à l'espagnol caer bien ‘plaire', à parecer bien, quasi-équivalent d'un verbe d'approbation, ou mieux encore, à l'italien va bene ‘d'accord'. Le spectre différentiel des diverses acceptions des continuateurs de bene selon les langues romanes amène à se poser la question de savoir si les développements sémantiques de cet adverbe ressortissent à une logique de monogenèse qui s'est ramifiée dans diverses directions ou bien à une polygenèse présentant quelques points communs inhérents à la valeur initiale de bene en latin tardif.The comparison between the various Romance languages reveals that on the basis of the same origin in Vulgar Latin, the adverb bene knew many variations. A contrastive presentation of those various occurrences can even involve pragmatic dimensions. Let us consider, for instance, the difference between French je veux bien, which is an understatement expressing an attenuated will or a soft acceptation, and Italian ti voglio bene, a slightly attenuated variation of ti amo. In other Romance languages, the phrases involving the continuations of the Latin adverb bene specialized in the expression of the act or the situation of ‘pleasing' like Romanian pare bine, Spanish caer bien or parece bien and Italian va bene ‘alright'. The diapason of meanings achieved through the recycling of the continuation of Latin bene in the various Romance languages raises the question whether the semantic developments of this adverb rely on a monogenesis ramified into different directions or on a polygenesis of phrases united by several common points derived from the initial value of bene in Late Latin.
- Un parcours de subjectification. Bel et bien : du redoublement de la manière au renforcement de l'assertion - Pierre Larrivée, Estelle Moline p. 45-64 En français contemporain, l'adverbe de phrase bien participe à l'expression de valeurs modales mal définies. Cet article contribue à leur caractérisation, en analysant la locution adverbiale bel et bien, de sens proche, mais qui manifeste exclusivement une valeur de ‘confirmation'. Cette valeur est le produit d'un parcours de subjectification, qui conduit de la coordination de deux adverbes de manière en ancien et en moyen français à la constitution d'une expression figée en français moderne. La comparaison de bien et de bel et bien en français contemporain montre que la valeur confirmative doit être mise en relation avec un énonciateur qui se porte garant du contenu propositionnel, sans que celui-ci soit nécessairement vrai, dans la mesure où bel et bien peut apparaître dans des énoncés au conditionnel (Elle pourrait bel et bien refuser). Par conséquent, la notion de ‘verum focus' généralement utilisée pour décrire ce type de phénomène semble inadéquate. Cette étude suggère également quelques pistes pour une compréhension plus fine de la sémantique des particules modales.Adverbial bien ‘well' in French expresses a variety of ill-understood modal values. Contributing to pin down these values, this paper analyzes the comparable adverbial expression bel et bien ‘beautifully and well' which is exclusively associated to confirmative values (as is e.g. indeed). This value is arrived through a prototypical diachronic process of subjectification, from the coordination of two manner adverbials to a fixed phrase. A comparison between the phrase and the adverbial bien in contemporary French demonstrates that this confirmation value has to do with the speaker as being the warrant of the propositional material ; it is not to do with truth since averidical and modal statements can be confirmed (Indeed she could still refuse), casting doubts for instance on the adequacy of the term ‘verum focus' as a general descriptor of such phenomena. Elements are thus proposed for a finer-grained understanding of modal particle semantics.
- Pouvoir bien - Cécile Barbet p. 65-84 Le verbe modal pouvoir se rencontre souvent accompagné de l'adverbe bien (cf. par ex. La clé peut bien s'être cassée net dans la serrure). Les études portant sur les modaux comme sur l'adverbe sont nombreuses mais peu ont abordé la question problématique de l'emploi de l'adverbe avec les verbes modaux. Si dans les interrogatives avec pouvoir bien (Qu'est-ce que ça peut bien faire ? par ex.), il semble que l'on soit en présence de l'adverbe de phrase, dans tous les autres emplois de pouvoir bien, l'adverbe n'est réductible ni à l'adverbe de phrase ni à l'adverbe de constituant. Il partage dans ce cas avec l'un et l'autre des caractéristiques qui sont contradictoires : il est gradable mais n'est pas inclus dans la portée de la négation par exemple. Nous concluons que dans l'état actuel des recherches, il faut accepter la catégorie spécifique d'adverbe de prédicat modalisant proposée par Martin (1990) pour rendre compte de l'emploi de bien avec le verbe modal pouvoir.The French modal verb pouvoir (‘can'/‘may') is often accompanied by the adverb bien (‘well'), e.g. : La clé peut bien s'être cassée net dans la serrure (‘The key may well have snapped in the lock'). Among the numerous studies on bien and on modal verbs, very few have addressed the problem which arises when both markers appear together. Whilst we certainly have to do with the sentence adverb in interrogatives sentences, for instance, in all other uses of pouvoir bien, the adverb cannot be equated with a sentence adverb nor with an intraphrasal adverb. In such cases, bien exhibits incompatible features of both adverb types : for instance, bien is gradable, but cannot be in the scope of negation. We conclude that we must accept, in the current state of research, the specific category of modal predicate adverb (“adverbe de prédicat modalisant”) suggested by Martin (1990) in order to account for the use of bien with the modal pouvoir.
- Aussi bien que et le marquage de l'adjonction - Michel Pierrard p. 85-103 L'objectif de cette étude est de préciser le statut de aussi bien que à partir de sa composition interne, mais aussi en situant son emploi en coordination par rapport à celui des autres adjonctifs. Dans la construction adjonctive, le morphème bien cesse d'être le noyau syntaxo-sémantique de aussi bien que, mais continue à remplir un rôle de support indispensable envers aussi et à déterminer la structuration informationnelle de la coordination adjonctive. L'analyse des emplois de l'ensemble des marqueurs adjonctifs nous a appris que la distinction entre ceux qui soulignent l'égalité ou l'identité par rapport à une propriété donnée et ceux qui expriment la concomitance de manière se reflète aussi dans leur emploi dans la construction adjonctive. Dans ce cadre, l'étude nous a permis de mettre en évidence les propriétés spécifiques de aussi bien que adjonctif en emploi scindé (aussi bien X que Y) et en emploi lié (X aussi bien que Y).This paper aims to specify the status of the expression aussi bien que by analyzing its internal composition and by situating its coordinative use in relation to that of the other adjunctives. In the adjunctive construction, the morpheme bien is no longer the syntactic and semantic core of aussi bien que, but continues to provide a crucial support for aussi and determines as such the informational structure of the adjunctive coordination. The analysis of the uses of all adjunctive markers shows that the distinction between those markers which express equality or identity with respect to a given property, and those expressing concomitance of manner, is also reflected in their use in the adjunctive construction. In this context, the study allows us to highlight specific properties of adjunctive aussi bien que in a separate (aussi bien X que Y) or in a linked (X aussi bien que Y) configuration.
- Ben en tant que collocatif discursif - Gaétane Dostie p. 105-122 Cet article porte sur un aspect ciblé, ignoré à ce jour, du comportement de ben : il s'agit de sa propension marquée à apparaître, dans les conversations informelles, associé à une autre unité de sa catégorie (nommément, la catégorie des marqueurs discursifs). L'attention est centrée sur les cas de semi-figement, c'est-à-dire sur les cas où ben, qui a le statut de collocatif discursif, se trouve sélectionné par un marqueur-tête, comme oui, non, regarde et écoute. On met en relief le fait que ben a le statut de collocatif discursif dans deux contextes ciblés : l'un où il apparaît antéposé à son marqueur-tête (cf. ben1, sélectionné à titre d'exemple par oui) et, l'autre, où il lui est postposé (cf. ben2 sélectionné notamment par écoute). Les sens exprimés par ben1 et ben2 sont décrits et le lien sémantique qui les unit est mis en évidence : ils renvoient, tous deux, à ce qui est pleinement assumé par le locuteur. Voilà pourquoi ils viennent appuyer (ou insister) sur les sens transmis par les marqueurs-têtes auxquels ils sont joints. Enfin, on montre que ben1 et ben2, sont également directement liés à certains sens non collocatifs du marqueur considéré. Ainsi, la problématique de la collocation discursive croise celle de la polysémie.This article deals with a specific and hitherto neglected aspect of the behaviour of ben, namely its marked tendency, in informal conversation, to appear associated with another unit of its category (i.e. the category of discursive markers). The text examines cases of semi-fixed expressions, in other words cases in which ben, which has the status of a discursive collocative, is selected by a head-marker such as oui, non, regarde or écoute. The article highlights the fact that ben has the status of a discursive collocative in two specific contexts : that in which it is placed before its head-marker (cf. ben1, selected for example by oui) and that in which it comes after it (cf. ben2 selected for example by écoute). The meanings expressed by ben1 and ben2 are described, and their semantic link is underscored : they both refer to what is fully assumed by the speaker. This is why they support (or emphasize) the meaning conveyed by the head-markers to which they are joined. Finally, the article shows that ben1 and ben2 are also directly tied to certain non-collocative meanings of the marker in question. The problem of discursive collocation therefore intersects with that of polysemy.
- Eh bien comme évaluateur de discours - Florence Lefeuvre p. 123-143 L'objet de cet article est d'examiner bien comme évaluateur du discours, à l'oral spontané ou représenté, sous la réalisation du segment eh bien. Bien évalue le discours sur sa gauche alors que eh ouvre, en le focalisant, sur le discours de droite. C'est pourquoi il se trouve régulièrement dans les configurations discursives suivantes : au début de la reprise d'un schéma syntaxique abandonné, d'un tour de parole, d'une réponse à une question, du discours rapporté. Il se trouve ainsi dans une position de préfixe, soit comme tout premier préfixe, soit après un circonstant ou un élément disloqué : la présence d'eh bien souligne le fait que ces éléments se trouvent pris en considération par rapport à l'unité prédicative suivante.The aim of this paper is to examine bien used as a discourse assessing device in spontaneous spoken discourse and in spoken discourse as it is reproduced in literary texts. Bien assesses the discourse on its left ; by contrast, eh brings the right discourse to the fore. That is why this marker is regularly found at the beginning of the uptake of a syntactic schema that has been given up, at the beginning of a speaking turn, of a reply to a question or of direct speech. It is a “prefix” (according to the terminology used in Blanche-Benveniste, 1997), either at the very beginning of the utterance, or after an adverbial adjunct or a detached phrase : eh bien underscores the fact that these phrases are taken into account in relation to the subsequent predicative unit.