Contenu du sommaire : Politiques du cinéma
Revue | Politix |
---|---|
Numéro | vol 16, no 61, 2003 |
Titre du numéro | Politiques du cinéma |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Liste des auteurs - p. 7-9
- Editorial - p. 11-13
Dossier : Politiques du cinéma
- Histoire du cinéma et expertise culturelle - Jean-Marc Leveratto p. 17-50 Histoire du cinéma et expertise Jean-Marc Leveratto Cet article propose d'appréhender l'histoire du cinéma (et d'une certaine manière la sociologie du cinéma) du point de vue de l'expertise de la qualité cinématographique. Il démontre l'intérêt pour les chercheurs de l'étude des instruments de mesure de la qualité cinématographique qu'ils utilisent eux-mêmes. Celle-ci permet de mieux comprendre les conditions concrètes de l'exploitation cinématographique et de relativiser le critère de la qualité constitué par l'histoire de l'art cinématographique. Il examine ensuite, en s'appuyant sur l'imaginaire historique du « producteur », de l'« exploitant » et du « consommateur », les résistances opposées, dans la culture française, à la reconnaissance d'autres instruments de mesure de la qualité que celui représenté par le réalisateur. Il éclaire in fine la réhabilitation actuelle par les pouvoirs publics des instruments de mesure de la qualité constitués par le savoir-faire industriel, le marché, et la familiarité avec le cinéma, ainsi que la valorisation sociologique de la compétence du spectateur « ordinaire ».History of Cinéma and Expertise Jean-Marc Leveratto This article considers the history (and the sociology) of cinema from the point of view of the appraisement of the cinematographic quality. It demonstrates first the interest for researchers to study the instruments they used to measure the cinematographic quality, so as to get a better understanding of the effective conditions of cinema management, and of the limits of the history of art films as a means of valuation of the cinematographic quality. Then, through an analysis of the historical imagery of the "producer", the "cinema manager" and the motion pictures "consumer", it examines the cultural resistances, in France, to the recognition of the competence of these actors and the acceptation of other means of valuation than the artistic value of the director. Therefore, it highlights the contemporary rehabilitation by the French State of such means of valuation as industrial know-how, motion pictures market, and familiarity with current production, and the valorization by sociologists of the "ordinary" spectator's judgement.
- Des films muets aux films parlants. Naissance de la qualité cinématographique - Fabrice Montebello p. 51-80 Des films muets aux films parlants. Naissance de la qualité cinématographique Fabrice Montebello L'élévation progressive du cinéma au rang de « richesse nationale », au début des années 1920, a accompagné la transformation du film, de marchandise vendue au mètre (et principal support des spectacles de cabarets, de music-hall, de théâtre de « bas étage », de cafés) en objet culturel, caractérisant par ailleurs un divertissement de qualité, acceptable moralement. Cette action s'est traduite par la mise en place et la diffusion d'instruments de mesure de la qualité cinématographique sous l'effet des relations conjointes de l'Etat, des professionnels et du public (visa de censure, nationalité des films, durée standard, séance, cotes morales, critiques, critères artistiques et historiques, etc.). Elle a été rendue possible par la substitution progressive du marché des films parlants à celui des films muets, et par l'unification nationale du spectacle cinématographique qui en a résulté.From Silent Films to « Talkies »: The Birth of the Cinematographic Quality in France during the Interwar Period Fabrice Montebello The identification of motion picture industry as a "national wealth" at the beginnung of the twenties, went with the transformation of the film, from a good sold by the metre (used mainly by public houses, music-halls, third-rate theatres, popular cafes) to a cultural object, praised as a means of a quality entertainement, morally unquestionable. This changing operated through the implementation and diffusion, under the joined pressure of the State, the professionals and the audience, of instruments of measurement of the cinematographic quality (censorhip certificate, film nationality, standard play, cinema performance, moral ratings, reviews, artistic and historical categories). It has been made possible by the progressive substitution of the talking movies market to the silent films market and by the national standardisation of the cinema entertainement which resulted from it.
- Nuit et Brouillard : un tournant dans la mémoire de la Shoah - Christian Delage p. 81-94 Nuit et Brouillard : un tournant dans la mémoire de la Shoah Christian Delage La période des années 1950 se distingue-t-elle vraiment par une absence d'intérêt historiographique pour l'histoire du génocide des juifs d'Europe ? L'analyse du film réalisé en 1955 par Alain Resnais, Nuit et Brouillard, grâce à l'ouverture des archives du producteur Anatole Dauman, démontre qu'il n'en est rien. La genèse du film révèle une attention nouvelle portée par son commanditaire, le Comité d'histoire de la deuxième guerre mondiale (présidé par Henri Michel), à la politique d'extermination nazie au moment de la commémoration du dixième anniversaire de l'ouverture des camps. En comparant le manuscrit du scénario rédigé par Alain Resnais et le commentaire de Jean Cayrol, l'on apprend que c'est in extremis que la mention du génocide a disparu. Cet article revient sur les conditions de collaboration entre les différents partenaires du film et propose une série d'explications sur la vision du système concentrationnaire proposée.Night and Fog: A Turn in the Memory of the Shoah Christian Delage Night and Fog is the first major French film about the concentration camps. Since its first release, in 1956, it was played both in commercial and art theaters, thanks to a short running time (31 min.). Some demanding teachers organized current screenings of the picture in the classroom. Then, the authorities required the film to be one of the readers of the students, allowing it to become a sort of compulsory reference when it cornes to dealing with the Holocaust in schools or fighting the resurgence of antisemitism in French society (it was broadcast on all TV channels after the desecration of the Jewish cemetery in Carpentras in 1990). This official recognition could make us believe that Cayrol and Resnais's work, produced by Anatole Dauman for Argos Pictures, received as soon as it was released an enthusiastic welcome. Or that, at least, a consensus had been finally reached over the years, because of the gravity of the film's purpose and the aesthetic and ethic framework within which it was made. Actually, it proved to be problematic in 1956, and still is some 46 years latter. This paper deals, for example, with the following: why, at the very last moment, was the mention of the Final Solution cut from the commentary?
- Le prix de la qualité. L'Etat et le cinéma français (1960-1965) - Frédéric Gimello-Mesplomb p. 95-122 Le prix de la qualité. L'Etat et le cinéma français : 1960-1965 Frédéric Gimello-Mesplomb Le 28 mai 1946 à Washington, les accords Blum-Byrnes limitent à quatre par trimestre les semaines d'exploitations des films français de première exclusivité, une mesure qui mobilise l'ensemble de la profession et qui contribuera au développement d'un profond sentiment anti-américain. Durant les deux années qui vont suivre, grèves et lobbying professionnel poussent l'Etat à intervenir dans le débat. Une loi est votée en 1948 instaurant un « fonds de soutien » à l'industrie cinématographique. Le fonds est alimenté par le prélèvement d'une fraction de 10,9 % du prix du billet, dite TSA (Taxe supplémentaire additionnelle), et sa principale mission est la redistribution de l'argent au secteur de la création. Ce système, toujours en vigueur, connaîtra des fortunes diverses sans que son principe soit remis en cause. Avec la mise en place de l'Avance sur recettes en 1959, le point d'achoppement des critères de sélection se noue désormais autour de la notion de qualité qu'entend encourager l'aide. Les années 1960 voient apparaître sur les fonds publics une esthétique officielle avantageant la qualité « standard » des cinéastes aguerris, offrant ainsi une vitrine à des films sensés jouer un rôle sur la scène de la diplomatie culturelle francophone. Un véritable réseau symbolique se créera au fil des années autour de l'obtention d'une subvention publique, cette dernière servant de gage aux films portant les valeurs culturelles partagées par les milieux socioprofessionnels les mieux représentés au sein des commissions décisionnelles : ceux du cinéma et des lettres.The Price of the Quality. The State and the French Cinéma: 1960-1965 Frédéric Gimello Mesplomb May 28,1946 in Washington, the Blum-Byrnes agreements limit to 4 per quarter the weeks of exploitations of French films, a measure dissatisfied by the profession contributing to the development of a deep feeling anti-American. During the following two years, strikes and professional lobbying push the State to arbitrate the debate. A law is voted in 1948 founding "special funds of support" for cinema industry. The funds is fed by a tax on a fraction of 10,9% of the cinema ticket amount, and its principal mission is the redistribution of the money to the sector of cinema creation. This system is always in use. With the installation of the "Advance on receipts" (Avance sur recettes) in 1959, the point of obstacle into the criteria of selection is the definition of the concept of quality. Thanks to the public funds, the 60's see appearing a official esthetics favouring a "standard" quality into films, offering a window to films prepared to play a role on the scene of French-speaking cultural diplomacy. A symbolic network will be created to obtain a public subsidy. The state financial support is a pledge of quality for films carrying the cultural values shared by French socio-professional decision-makers of cinema and letters.
- La politique cinématographique de Jack Lang. De la réhabilitation des industries culturelles à la proclamation de l'exception culturelle - Jean-François Polo p. 123-149 La politique cinématographique de Jack Lang. De la réhabilitation des industries culturelles à la proclamation de l'exception culturelle Jean-François Polo Ces dernières années, le cinéma français a connu un véritable succès grâce à une politique qui a su s'adapter aux évolutions du marché cinématographique. Cette contribution vise à éclairer comment s'est transformée la politique cinématographique française, et particulièrement la norme d'action qui l'orientait, en se focalisant sur le rôle joué par J. Lang à partir de 1981. En opérant une rupture avec la politique menée par ses prédécesseurs et en construisant une nouvelle norme sectorielle plus en adéquation avec le marché, il participe au renouvellement de l'action culturelle française. La politique cinématographique rencontre alors l'hostilité de la CEE et du GATT, car elle reste de nature interventionniste. La défense de cette politique au niveau international conduit à construire une nouvelle norme, « l'exception culturelle », qui autorise la pérennisation du système d'aide.Jack Lang's Cinema Policy. From Rehabilitation of Cultural Industries to Proclamation of Cultural Exception Jean-Francois Polo This contribution aims at explaining how the French cinematographic policy, and particularly the standard of action which directed it, have changed since 1981. It highlights the role played by the French Minister for the Culture Jack Lang in this changing. By operating a rupture with the policy followed by its predecessors and by building a new sectoral standard more in adequacy with the market, Jack Lang has renewed the French cultural action. As an interventionist policy, the new French cinematographic policy has met the hostility of the EEC and GATT. The defense of this policy led to the building a new international standard, "the cultural exception", which authorizes the French system of national assistance to the cinema.
- Une politique publique du cinéma. Le cas de la République islamique d'Iran - Agnès Devictor p. 151-178 Une politique publique du cinéma. Le cas de la République islamique d'Iran Agnès Devictor Cet article se propose d'étudier la politique cinématographique en République islamique d'Iran. Celle-ci est un enjeu fort pour le régime depuis la révolution de 1979. Les gouvernants iraniens assignent au cinéma l'objectif de projeter de manière visible et exemplaire la « société islamique idéale », celle où les normes islamiques seraient strictement observées. Si par certains côtés, comme pour le soutien de la production nationale et la réglementation professionnelle, cette intervention se rattache à des modalités existant ailleurs, en France notamment, la politique du cinéma en Iran se singularise par son volet institutionnel - découlant de la théorie du velâyat-e faqih - et par son contrôle cinématographique. La censure a imposé un étroit contrôle des mœurs à l'écran. Ce contrôle a des retombées non seulement sur les thématiques abordées dans les films, mais aussi sur leur structure (éclairage, cadrage, montage, etc.), leur tournage et leur projection en salle. Ces procédures d'encadrement ont eu, de façon plus générale, une profonde influence sur l'esthétique cinématographique.A Public Policy For Cinema: The Example of the Islamic Republic of Iran Agnes Devictor This article focuses on the Iranian public policy in the matter of cinema. Similar, from some procedural points of view, with other national systems of intervention, the policy of Iran regarding cinema is very peculiar, due to its Islamic ideology. The central objective of this policy is that the movies present an "ideal islamic society" in which the islamic norms - in their puritan aspects - are strictly observed. Film censorship imposes a strict control on both sides of the movie-camera. Not only the themes of the movies but also their technical dimensions (lighting, shooting, editing...) and their screening are deeply transformed by this public control which also influences a new aesthetic in Iranian cinema.
- Histoire du cinéma et expertise culturelle - Jean-Marc Leveratto p. 17-50
Varia
- Le pouvoir de représentation. Remarques sociologiques sur le film de Raymond Depardon Profils paysans - Pascal Reysset p. 181-195 Le pouvoir de représentation. Remarques sociologiques sur le film de Raymond Depardon Profils paysans Pascal Reysset Cet article est une tentative d'analyse sociologique d'un film du cinéaste et photographe Raymond Depardon consacré à la situation des paysans en France. Si ce n'est pas le rôle du sociologue de formuler un jugement de valeur sur la qualité de cette œuvre, d'ailleurs unanimement saluée lors de sa diffusion à la télévision et au cinéma, un travail sociologique peut cependant être mené dans plusieurs directions reliées : saisir les conditions de possibilité de ce film, tant du point de vue de la trajectoire du réalisateur que de la conjoncture, montrer comment est socialement construite la légitimité du cinéaste pour filmer ces paysans. Ce film sur les paysans possède un pouvoir de représentation d'un groupe social, en l'occurrence d'un groupe social dominé. Ce pouvoir proprement politique contribue paradoxalement à la déconstruction symbolique du groupe social filmé, qui s'exprime concrètement dans les choix techniques et esthétiques gouvernant cette œuvre.The Power of Representation. Sociological Remarks on Raymond Depardon's Film Profils paysans Pascal Reysset This article is a try of sociological analysis about a director and photographer Raymond Depardon's film that is devoted to the peasants' situation in France. If the sociologist has not to express a value judgement about quality of this work, besides unanimously greeted at the time of its broadcasting, however, a sociological work could led in several linked directions: understanding the conditions of possibilities of this film, both director path and situation, showing how the director legitimacy to film these peasants is socially built. This film has a power of representation of a social group, in this case, a dominated social group. This really political power paradoxically contributes to the symbolic unmaking of the filmed social group, unmaking that is concretely expressed by the technical and aesthetic choices governing this work.
- Les croyances économiques en URSS et en Russie au tournant des années 1980 et 1990 - Natalia Chmatko p. 197-216 Les croyances économiques en URSS et en Russie au tournant des années 1980 et 1990 Natalia Chmatko Dans les années 1980-1990, la croyance en la toute-puissance de l'Etat et du régime communiste a été remplacée par la croyance en la toute-puissance du marché et de la science économique. Plus la crise de l'économie nationale s'aggravait, plus forte devenait la croyance que les économistes, en rupture avec l'idéologie soviétique, avaient une recette miraculeuse testée dans les pays occidentaux développés. Plus les mesures proposées par les économistes étaient radicales et pénibles, plus leurs auteurs et la population les croyaient efficaces. Les représentations produites et imposées par les économistes-réformateurs dans leurs discours et dans leurs publications analytiques ont été destinées au public large et non pas aux professionnels capables d'en comprendre le fond. Le marché, dans ces représentations, était « anonyme » et indépendant des consommateurs ; il était une « valeur démocratique universelle ». L'analyse des publications dans la presse spécialisée et générale (entre 1986 et 1994) montre que tous les économistes plus ou moins connus, apologistes des réformes démocratiques et de l'économie de marché, ont contribué, par l'intermédiaire des médias, à la constitution de ce genre de représentations. Au nom d'une neutralité de la science et du bon sens, qui confirme le « naturel » de l'économie de marché, les économistes-réformateurs russes - avec un support massif des journalistes et des politiciens - ont légitimé des valeurs et des modèles libéraux et néo-libéraux ; ils ont ainsi favorisé l'implantation de nouvelles croyances économiques.Economic Belief on a Boundary of the Eightieth and Ninetieth years (USSR- Russia) Natalia Chmatko In 1980-90s a belief in a power of the state and the socialist regime turned into a belief in a power of market and economic science. The more the crisis of national economy was deepening, the stronger was the belief that economists, who denied the soviet ideology and checked methods, had wonder-working ways tested in developed western countries. Market concepts which had been presented by reformers in their public speeches and analytical articles were directed toward generai public, rather than toward specialists who realized what the matter was. In these concepts a market appeared as "anonymous", independent from consumers and was declared as an "absolute democratie value". The analysis of publications in specialized scientific literature and in wide press (1986-1994) reveals that all more or less significant economists standing for democratie reforms and market relations took part in creating and promoting this kind of concepts by means of mass media. Appealing to the "value neutral" science, to the experience of leading western countries, as well as to the "common sense" which confirms "naturality" of market economy, Russian economists-reformers promoted the legitimating of liberal and neo-liberal economic models with an active support of journalists and politicians.
- Le pouvoir de représentation. Remarques sociologiques sur le film de Raymond Depardon Profils paysans - Pascal Reysset p. 181-195
Lectures
- Barbot J., Les malades en mouvements. La médecine et la science à l'épreuve du sida - Vololona Rabeharisoa p. 219-223
- Pinell P., Une épidémie politique. La lutte contre le sida en France 1981-1996 - Lilian Mathieu p. 224-227
- De Certeau M., Julia D., Revel J., Une politique de la langue. La Révolution française et les patois : l'enquête de Grégoire - Frédérique Niel p. 227-233
- Jobard F., Bavures policières ? La force publique et ses usages - Cédric Moreau de Bellaing p. 233-238
- Revue des revues - p. 239-253
- Résumés/Abstracts - p. 255-261