Contenu du sommaire : Histoire des idées linguistiques et horizons de rétrospection - II
Revue | Histoire, Epistémologie, Langage |
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Numéro | vol.33, n°2, 2011 |
Titre du numéro | Histoire des idées linguistiques et horizons de rétrospection - II |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Histoire des idées linguistiques et horizons de rétrospection - II
Articles
- Présentation. Formes et enjeux de la rétrospection - Christian Puech, Valérie Raby p. 5-14
- La linguistique naturaliste : de l'exclusion à l'histoire - Claude Blanckaert p. 15-31 Depuis les premières polémiques engagées par Michel Bréal puis Ferdinand de Saussure, la linguistique organiciste du 19e s. est couramment dénoncée comme une sorte de pseudo-savoir tirant son audience du seul prestige de la biologie ou des doctrines évolutionnistes et raciales en vogue. Sous ce rapport, l'historiographie des sciences du langage fait souvent cause commune avec la tradition disciplinaire. Son jeu de citations, ses critiques tranchées, ses visées normatives épousent les traits sélectifs et conventionnels de la mémoire vive académique. L'«horizon de rétrospection » organise son récit. Celui-ci se conforme alors aux procédés de légitimation ou de censure qui valorisent la bibliothèque des «classiques » au détriment d'autres corpus sans héritage reconnu ou admis. Du fait de son double aspect régulateur et contre-référentiel, la science des manuels assure sa représentation chronologique de deux manières opposées, mais complémentaires, soit par capitalisation des sources, soit par recentrage et exclusion. Cet article étudie les opérateurs de démarcation («canonisation » , «distanciation » et «exclusion » en particulier) qui caractérisent les usages performatifs de l'histoire dans un cadre professionnel. La dernière partie questionne ces présupposés historiographiques, et notamment l'hégémonie prétendue de la biologie en linguistique, pour en montrer la partialité et suggérer d'autres voies d'approche du paradigme naturaliste.Starting with the debates launched by Michel Bréal and then Ferdinand de Saussure, the organicistic linguistics of the 19th century is currently criticized as a sort of pseudo-science which draws on the prestige of biology or of evolutionary and racial doctrines which were popular at the time. The historiography of linguistics often joins up with the earlier disciplinary tradition. The historians' choice of citations, their harsh critiques, their normalizing goals espouse the selective and conventional traits of living academic memory. Their discourse is mapped out by the “ horizon of retrospection”. This discourse then conforms to the legitimizing or censuring processes which promote the “ classics” at the expense of unknown or unaccepted corpora. Through its twin regulatory and counter-referential aspects, the science seen in handbooks provides a chronological representation in two opposing but complementary ways, namely by capitalizing on sources or by recentering and exclusion. This article explores the operators of demar cation (notably canon formation, distancing and exclusion) which characterize the performative uses of history in a professional framework. The last section questions these histo rio graphical presuppositions, notably the supposed hegemony of biology in linguistics, to show their partiality and suggest other approaches to the naturalistic paradigm.
- Entre Priscien et Scaliger : quand les grammairiens médiévaux parlent de leurs prédécesseurs - Anne Grondeux p. 33-60 Objet de vénération et de méfiance, la grammaire antique est pour les médiévaux la voie incontournable vers la culture profane et vers la langue de l'Écriture. Un auteur est une autorité indépassable, son texte un socle sur lequel se fonde l'enseignement. Cependant les contradictions entre deux autorités du passé, Donat et Priscien, conduisent les maîtres du Moyen Âge à choisir, parfois malgré eux, un auteur plutôt qu'un autre, et ce choix est révélateur des lignes de fracture entre les tenants de la tradition et ceux d'un progrès constant de la connaissance humaine. Le problème se complique dans le cas de Priscien du fait de la légende noire qui en fait un hérétique, au prix d'une confusion chronologique dont le Moyen Âge peine à se débarrasser, et qui rend la tâche difficile à ses commentateurs qui voient leur auteur malmené par la critique. Le recours à l'histoire de la discipline qui affleure de ci de là montre un paysage sans homogénéité réelle, qui recourt parfois à la plus grande fantaisie pour inscrire la grammaire dans l'histoire universelle ou démontrer une maîtrise factice de son sujet, mais qui sait également, lorsqu'il s'agit de l'histoire proche de la discipline, distinguer écoles, traditions intellectuelles et générations, pour mieux cerner les courants doctrinaux qui font débat.Objects of veneration and suspicion, grammars were, to mediaeval scholars, the only way to secular culture and to the language of the Holy Scripture. An author is hence an unsurpassable authority, his text a foundation on which education is based. Yet the contradictions between the two main authorities from the past, Donatus and Priscian, force masters of the Middle Ages to make a choice, sometimes against their will, of one author over another. This choice reveals the fault lines between the proponents of tradition and those in favor of constant progress of human knowledge. The question gets more complicated in the case of Priscian, because of the black legend that makes him an heretic, due to a chronological confusion which the Middle Ages cannot get rid of, and that makes it difficult for commentators who see their author mauled by the critics. The use made here and there of the history of the discipline shows a landscape with no real consistency, which uses great creativity to position grammar in world history or demonstrate a dummy mastery of the subject. The history of the discipline is also capable, for recent history, of distinguishing between schools, intellectual traditions and generations, in order to better understand the current doctrinal debate.
- Des usages variables de la doxographie dans la tradition grammaticale arabe - Jean-Patrick Guillaume p. 61-78 Bien que la tradition grammaticale arabe ne se soit jamais posé la question de son historicité, elle n'en a pas moins accumulé une masse considérable d'informations sur son passé. Ces informations se répartissent entre deux grands genres textuels : les recueils biobibliographiques d'une part, les ouvrages doxographiques de l'autre. Après avoir brièvement examiné les premiers, on aborde les seconds, à travers trois cas particuliers, l'Inṣāf d'Ibn al-Anbārī, le Tashīl d'Ibn Mālik et un fragment du Šarḥ al-Kāfiya d'Astarābāḏī.Although the Arabic grammatical tradition never acknowledged its historicity, it nevertheless gathered a vast amount of informations about its past. These informations appear in two different textual genres : bio-bibliographic collection on the one hand, doxographical works on the other. After a brief survey of the former, this paper adresses the latter, through three particular cases, Ibn al-Anbārī's Inṣāf, Ibn Mālik's Tashīl and Astarābāḏī's Šarḥ al-Kāfiya.
- L'étrange histoire de l'ordonnance de Villers-Cotterêts : force du passé, force des signes - Hélène Merlin-Kajman p. 79-101 Le célèbre article 111 de l''Ordonnance de Villers-Cotterêts (1539) est constamment interrogé par les historiens du point de vue de sa signification législatrice, c''est-à-dire aussi du point de vue de sa valeur référentielle et des changements réels qu'il visait : quel langage existant désigne le syntagme «langage maternel français » ? Quelles contraintes, quelles transformations, quelles réactions a t-il entraînées ? L''analyse qui suit se penche sur une dimension autre de cet article : sa dimension monumentale. L''article 111 archive, dans un temps qui n''est pas celui de l''acte législatif mais celui de la mémoire fictive d''une entité abstraite en voie de constitution (Etat, nation), l''existence, peut-être fictive, d''une langue attachée à un royaume ; et non seulement son existence, mais sa perpétuité. Qu'aujourd'hui encore, l'interprétation de cet article suscite débats et passions prouve que nous appartenons encore à ce temps nonévénementiel (an-historique) institué à une date historique particulière, 1539. C'est ce paradoxe historique de l'institution d'un temps transhistorique («perpétuité » ) qu'explore la présente contribution.Historians are fascinated by the famous “ Article 111” of the “ Ordonnance de Villers-Cotterêts” (1539), analyzing it from the point of view of its legal meaning, namely in terms of its referential value and the real changes in policy it proposes. What existing language is meant by «langage maternel francais » ? What con s traints, transformations, reactions did the use of the term bring about ? The present analysis touches upon another aspect of the Article : its monumental nature. Article 111 documents, in a temporal dimension which is not that of the legislative act but rather of the fictitious memory of an abstract entity being constructed (State, nation), the existence, potentially ficti tious, of a single language connected with a single kingdom, and not only its existence but its perpetual nature. The fact that even today the interpretation of the Article still causes passionate debates proves that we are still living in this nonevent-based (and ahistorical) period construed at a particular historical date, 1539. It is the historical paradox of the establishment of a transhistoric time period (perpetuity) which will be explored in this paper.
- La philologie comme épopée : aspects de la tradition historiographique de l'indianisme en Allemagne au 19e s. - Pascale Rabault-Feuerhahn p. 103-119 L'historiographie de l'indianisme s'est écrite dès les débuts de la discipline, au tournant des 18e et 19e s. Elle reste abondante jusqu'à nos jours et est très largement produite par les indianistes eux-mêmes. L'Allemagne, grand foyer de l'indianisme en Europe à partir du romantisme, a particulièrement alimenté cette tradition. Au-delà de leur caractère souvent répétitif et hagiographique, les textes produits révèlent à la fois la perception que les acteurs de la discipline avaient de celle-ci et de son histoire, la manière dont ils se situaient par rapport à elle et l'image qu'ils voulaient en véhiculer. Philologues en chambre, les indianistes allemands du 19e s. présentaient volontiers leur travail sur le même mode que les aventures d'audacieux explorateurs sur le terrain. Le présent article analyse les fonctions de cette mise en scène épique comme ciment de la discipline, comme argument de promotion vis-à-vis des instances politiques et universitaires, et comme instrument ambigu de rivalité avec le colonisateur britannique.The historiography of Indology begins with the birth of the field, at the dawn of the 19th century. It has remained a lively branch of activity and is essentially the result of work by indologists. Germany, an important center of Indology in Europe starting from the Romantic Period, made significant contributions to this tradition. Beyond their often repetitve and hagiographic nature, the texts often reveal both how actors in the field perceived Indology and its history, how they positioned themselves in relation to the field, and what image of the field they wan ted to transmit. German indologists of the 19th century, who were amateur philologists, pre sented their work in the same style as the ad ven tures of field explorers. This article analy zes how this epic stage-setting cemented the field, was used to promote it to political and uni versity powers, and served as an ambiguous ins trument of rivalry with the British colonial power.
- On Tamil poetical compositions and their “limbs”, as described by Tamil grammarians (Studies in Tamil metrics-1) - Jean-Luc Chevillard p. 121-144 Écrire l'histoire de la tradition grammatical tamoule, c'est essayer d'expliciter la genèse, les éléments constitutifs et la finalité d'un dispositif qui s'est progressivement mis en place au cours du premier millénaire de notre ère. La cible principale de ce dispositif semble avoir été la caractérisation détaillée d'une langue raffinée, qui était peut-être l'un des composants dans une situation de diglossie, ressemblant à la situation actuelle, et qui serait adéquate pour la composition métrique (yāppu) par des poètes d'une variété de textes poétiques (ceyyuḷ), répartis en différents genres, le plus important étant pāṭṭu «chanson/ poème » . En conséquence, on observe la transmission en parallèle d'un corpus poétique qui s'enrichit progressivement et d'une série de traités grammaticaux. Le plus ancien traité disponible est le Tolkāppiyam, dont l'avant-dernier chapitre, le Ceyyuḷiyal, donne une caractérisation des 34 «membres » (uṟuppu) de la poésie. La liste des membres peut être divisée en sous-groupes, dont certains sont examinés dans cet article, notamment du point de vue de leur adéquation descriptive par rapport au corpus poétique aujourd'hui disponible, ainsi que du point de vue du caractère naturel (par rapport à la langue tamoule) des catégories utilisées. Vient ensuite un examen de l'articulation entre les catégories utilisées par le Tolkāppiyam (et son premier commentateur Iḷampūraṇar) et celles que nous trouvons dans des traités postérieurs tels que le Yāpparuṅkalam (et son commentaire).In writing a history of the Tamil Grammatical Tradition, one must try to make explicit the genesis, the constituent elements and the purpose of an ensemble that was gradually put together during the First Millenium of the Common Era. The main purpose of that collective endeavour seems to have been the detailed characterization of a refined language, which was possibly one of the components in a diglossic situation (analogous to that of Tamil today). That refined language would be used for the metrical composition (yāppu) by poets of a variety of poetical texts (ceyyuḷ) falling under different genres, the dominant one being pāṭṭu “ song/ verse”. As a consequence, we observe the simultaneous transmission of a poetical corpus, progressively enriched, and of a series of grammatical treatises. The oldest treatise available is the Tolkāppiyam, which gives in its penultimate chapter, the Ceyyuḷiyal, a characterization of the thirty-four “ limbs” (uṟuppu) of poetical compositions. Those limbs are subdivided into several groups, which are examined in this article, particularly with a view to matching them with phenomena attested in the existing poetical corpus and to assessing how naturally they fit the Tamil language. This is followed by an examination of the relationship between the conceptions found in the Tolkāppiyam (and its first commentator, Iḷampūraṇar) and those found in later metrical treatises such as the Yāpparuṅkalam (and its commentary).
Varia
- Du portugais au latin : la place de la traduction dans O Methodo Grammatical para todas as Linguas, d'Amaro de Roboredo (1619) - Marli Quadros Leite p. 145-166 Cet article présente une analyse de la Méthode Grammaticale pour toutes les langues (1619) d'Amaro de Roboredo, auteur portugais. Elle vise à déterminer le rôle joué par la traduction dans la construction d'une méthode pour enseigner le latin par l'intermédiaire du portugais. Dans la lignée de Sanctius (la Minerve), Roboredo a simplifié la théorisation grammaticale. Il a adopté une posture épistémologique qui se répercute méthodologiquement dans son oeuvre. Il a rédigé sa grammaire en portugais et l'a construite sur des principes de traduction pour rendre l'enseignement plus efficace. Selon lui, l'élève peut ainsi connaître théoriquement les règles de sa langue maternelle, afin de les comparer avec celles d'une langue étrangère qui est, dans notre cas, la langue latine. Dans ce cadre, nous cherchons à montrer, d'une part, comment l'auteur s'est servi du portugais pour enseigner le latin, et à relever, d'autre part, les stratégies qu'il a utilisées pour parvenir au latin en partant du portugais. Ce travail se structure en deux parties : dans la première, nous présentons quelques données sur l'auteur et sur l'oeuvre que nous étudions ; dans la seconde, nous explorons les principes de la Méthode et de la traduction à travers laquelle elle se construit. Ainsi, nous présentons des exemples, en particulier sur le verbe et la préposition, qui permettent de visualiser ce qui est exposé de façon descriptive.In this paper we analyze the Grammatical Method for All Languages (1619), by Amaro de Roboredo, a Portuguese author, in order to check the relevance of translation in the construction of a teaching/ learning methodology for teaching Latin using Portuguese language. In trying to Follow Sanctius, in Minerve, Roboredo simplified the grammatical theorization. This epistemological posture is also reflected on the methodology used in Roboredo's work. In an attempt to make teaching more effective, Roboredo wrote his grammar in Portuguese, using translation principles which would enable students to know theoretically the rules of their mothertongue in order to compare them with those of a foreign language, in this case, the Latin language. In this context, we are concerned with the role of translation in the Grammatical Method for All Languages, in order to show, on the one hand how the author made use of Portuguese to teach Latin, and on the other hand, to observe which strategies Roboredo used to make Latin be said in Portuguese. This paper has two parts : in the first one, we present some data about the author and his work ; in the second one, we explore the principles of the Methodology and the translation through which it is built, using examples, especially about verbs and prepositions, in order to be able to visualize that which is presented descriptively.
- Du portugais au latin : la place de la traduction dans O Methodo Grammatical para todas as Linguas, d'Amaro de Roboredo (1619) - Marli Quadros Leite p. 145-166
Lectures et critiques
Comptes rendus
- Andrighetto Giulia. Universali linguistici e categorie grammaticali. La teoria delle parti del discorso, 2009 - Fortis Jean-Michel p. 167-169
- Cadiot Juliette, Dominique Arel & Larissa Zakharova (Eds.). Cacophonies d'empire : le gouvernement des langues dans l'Empire russe et l'Union soviétique, 2010 - Simonato Kokochkina Elena p. 169-171
- Depretto Catherine. Le formalisme en Russie, 2009 - Ourjoumtseva Elena p. 171-173
- Brandom Robert. Rendre explicite, tome I, 2010. Brandom Robert. Rendre explicite, tome II, - Godart-Wendling Béatrice p. 173-176
- Ellen René, Francis Tollis. La « Gramática castellana » d'Antonio de Nebrija, tomes I et II, 2011 - Díaz Villalba Alejandro p. 177-179
Notes de lecture
- Conenna Mirella. La salle de cours : questions/réponses sur la grammaire française, 2010 - Chevalier Jean-Claude p. 180-180