Contenu du sommaire : Politiques de transparence
Revue | Revue française d'administration publique |
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Numéro | no 165, 2018/1 |
Titre du numéro | Politiques de transparence |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Promesses et usages des dispositifs de transparence : entre approfondissement et redéfinition de la démocratie - Hélène Michel p. 5-15
I. – Intégrité et transparence
- Moraliser au nom de la transparence. Genèse et usages de l'encadrement institutionnel du lobbying en France (2004-2017) - Guillaume Courty, Marc Milet p. 17-31 Cet article vise à rompre avec une lecture héroïque d'un encadrement juridique du lobbying introduit au sein de l'article 25 de la loi Sapin II du 9 décembre 2016, réduite aux seules pressions des ONG prônant la transparence et aux seuls membres de l'équipe du ministre porteur de la réforme. Il s'agit de montrer dans quelle mesure la fabrique de ce texte procède de l'investissement d'une diversité d'acteurs enrôlés, directement ou indirectement, dans la saisie du lobbying par le droit et s'inscrit dans un processus de résistances à l'élévation du lobbying comme sujet de débat législatif et à sa mise à l'agenda de l'exécutif. C'est un sujet à risque par sa capacité à redéfinir les acteurs impliqués et à dévoiler les règles peu visibles du jeu politique. La sociogenèse de son encadrement montre en premier lieu dans quelle mesure seule l'insertion du lobbying dans la politique plus générale de réassurance de la confiance publique a rendu possible une élévation de traitement au sein de la hiérarchie des normes (des dispositifs réglementaires de 2009 et 2013, à l'adoption d'un dispositif législatif en 2016). Est mis au jour en second lieu dans quelle mesure la loi Sapin II manifeste toute l'ambivalence de la question et du traitement du lobbying en France. Car son insertion au sein d'une loi anti-corruption consacre l'aporie de cette légitimation sociale par le droit : l'association entre lobbying et corruption vaut aussi acceptation du modèle critique et manifeste la persistance des désaccords originaires entre acteurs enrôlés.Moralizing in the name of transparency. Genesis and uses of the regulation of lobbying in France (2004-2017)–This article breaks with a heroic reading of a legal framework of lobbying introduced in 2016. This regulation regarded only how to deal with the pressure of NGOs advocating transparency and concerning only the team members of the minister carrying out the reform. This article shows how bill derives from the investment of a diversity of actors involved, directly or indirectly, in the legal regulation of the lobbying. It also derives from a resistance against the rise of lobbying as a subject of legislative debate and its setting on the agenda of the executive. It is a risky subject because it might redefine the actors involved and reveal the barely visible rules of the political game. The sociogenesis of its institutionalization shows firstly the extent how it is the insertion of lobbying into the more general policy of reassurance of public trust that made possible an increase in treatment within the hierarchy of norms (from regulatory mechanisms of 2009 and 2013, to the adoption of a regulation in 2016). Secondly, the 2016 reform shows the ambivalence of both the question and the lobbying treatment in France. Its insertion in an anti-corruption legislative provision consecrates the aporia of this social legitimization by the law. The association between lobbying and corruption also means an acceptation of the critical model and shows the persistence of early disagreements between actors enlisted.
- La transparence des activités de lobbyisme au Québec : la grande illusion ? - Stéphanie Yates p. 33-47 En 2002, le gouvernement du Québec adoptait la loi sur la transparence et l'éthique en matière de lobbyisme, présentée alors comme la « plus avancée au monde ». Or, seize ans après son entrée en vigueur, force est de constater que la loi québécoise est loin d'avoir rempli ses promesses : le registre des lobbyistes mis en place permet une transparence fort limitée. D'une part, les informations devant y figurer sont de portée très générale et ne permettent pas de rendre compte du détail des activités d'influence réellement exercées. D'autre part, la définition restreinte de ce qu'est un lobbyiste au sens de la loi permet à plusieurs acteurs influents d'échapper à l'impératif de transparence. Les dispositions visant à limiter le phénomène des portes tournantes (revolving doors) s'avèrent par ailleurs peu efficaces, alors que les pouvoirs et les ressources dévolus au commissaire au lobbyisme lui permettent de ne jouer que partiellement son rôle de chien de garde. Malgré ses lacunes importantes, la loi québécoise a tout de même permis de lever le voile, ne serait-ce que partiellement, sur les démarches d'influence menées auprès des titulaires de charges publiques québécois comme en témoigne le nombre en hausse d'inscriptions au registre. La présente contribution permet, sous l'éclairage de l'expérience québécoise, d'identifier les écueils liés à un tel projet législatif et les possibilités permettant de les surmonter.Transparency of lobbying activities in Quebec: the great illusion?
In 2002, the Government of Quebec adopted the Lobbying Transparency and Ethics Act. It was presented as the « most advanced in the world ». And yet, fifteen years after its adoption, the law is far from having fulfilled its promises: the Lobbyists Registrar allows for a very limited transparency. On the one hand, information that must figure to the register has a very general scope and does not account for the details of the influence activities that were truly exerted. On the other hand, because of the narrow definition of what is a lobbyist, many influential individuals escape from the transparency imperative. Besides, the provisions aiming at limiting the revolving doors phenomenon are not much efficient. At the same time, the limited power and resources of the Lobbying Commissioner hinder its watchdog role. Nevertheless, despite its important flaws, the Quebec law has unveiled a part of the influence exerted toward public office holders as shown by the increasing number of register entrees. In light of the Quebec experience, this contribution allows to identify the potential pitfalls of such a legislative project and the solutions to overcome them. - Dispositifs de transparence et régulation des conflits d'intérêts dans le secteur du médicament - Boris Hauray p. 49-61 En s'appuyant sur le cas du médicament, cet article s'interroge sur la capacité de « dispositifs de transparence » à constituer une réponse aux enjeux relatifs aux conflits d'intérêts. Après avoir brossé un rapide historique du renforcement continu depuis trente ans des politiques de déclaration des conflits d'intérêts dans le domaine du médicament, il étudie les dynamiques ayant présidé à l'adoption en 2011 d'une loi instaurant en France une base de données publique sur les échanges financiers entre les entreprises du secteur pharmaceutique et les autres parties prenantes. Il analyse ensuite les conflits et les doutes auxquels son application a donné lieu et s'interroge sur les effets de cette politique.Transparency mechanisms and the regulation of conflicts of interests in the field of medecine
Focusing on the pharmaceutical indutrie, this article questions the capacity of « transparency mechanisms » to provide an answer to conflict of interests issues. It presents first, a brief history of conflicts of interests' disclosure policies in the pharmaceutical sector. Second, it studies the dynamics explaining the adoption in 2011 of a law creating a public database on the financial relationships between the pharmaceutical industries and the other stakholders. The article ends with an analyse of the conflicts and doubts raised by the implementation of this law and examines its effects. - Entre valeur du service public et instrument déontologique : quelle place pour la transparence dans la « bonne » conduite des fonctionnaires en France (1970-2016) ? - Thomas Scapin p. 63-77 L'objectif de cet article est d'analyser la place de la transparence dans la déontologie administrative en France depuis les années 1970. L'étude historique de la transparence à la fois comme valeur du service public et instrument déontologique de contrôle des comportements permet de mettre en perspective les innovations de la loi sur la déontologie du 20 avril 2016. Cette dernière consacre l'utilisation de mécanismes préventifs de transparence pour s'assurer de la « bonne » conduite des fonctionnaires mais relègue la transparence dans la hiérarchie des valeurs fondamentales du service public. Elle réaffirme par ailleurs le rôle de la Commission de déontologie de la fonction publique et du Conseil d'État en tant que gardiens des bonnes pratiques administratives.Between public service value and ethical tool:v
Which place for transparency in the “right” behavior of public sector officials in France (1970-2016)?–This article analyses the role of transparency in public administration ethics in France since the 1970s. The historical study of transparency, both as a public service value and an ethical tool used to control behaviors, puts into perspective the innovations of the ethics law of 20 April 2016. This law supports the use of preventive mechanisms of transparency in order to ensure the “right” behavior of public sector officials but at the same time lowers the place of transparency in the hierarchy of public service's core values. The law also consolidates the role of both the Public Service Ethics Commission and the Council of State as the guardians of good administrative practices.
- Moraliser au nom de la transparence. Genèse et usages de l'encadrement institutionnel du lobbying en France (2004-2017) - Guillaume Courty, Marc Milet p. 17-31
II. – Transparence et surveillance citoyenne
- Paraître transparent ? Les usages des déclarations d'intérêts des maires des grandes villes françaises - Abel François, Éric Phélippeau p. 79-94 Cet article présente une enquête qui porte sur les déclarations d'intérêts des 452 maires des communes de plus de 20 000 habitants qui ont été rendues publiques fin 2015 par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), et qui sont examinées sous deux angles. Il s'agit, en premier lieu, d'analyser le cadre légal proposé et les réactions des élus locaux à ces nouvelles obligations déclaratives visant à faire apparaître leurs « activités professionnelles passées ou présentes, les différentes participations aux organes dirigeants d'organismes publics ou privés, les activités bénévoles ou la profession du conjoint » ; en second lieu, d'apprécier les usages politiques de ce dispositif de prévention des situations de conflits d'intérêts.Creating the impression of being transparent? The uses of the declarations of interests by mayors of big French citiesThis paper presents a survey concerning the declarations of interest of the 452 mayors of municipalities with more than 20,000 inhabitants that were made public at the end of 2015 by the French transparency regulatory authority. These declarations are examined from two angles. First, the paper analyses the legal framework and the reactions of involved people to the new declarative obligations aiming at disclosing their « past or present professional activities, the various participations in the boards of public or private bodies, the voluntary activities or the profession of the spouse ». Secondly, it proposes an appreciation of the political uses of these conflicts of interests' preventive mechanism.
- Contraindre le fait syndical par sa mise en transparence financière aux États-Unis (années 1950 – années 2010) - Émilien Julliard p. 95-108 Cette étude revient sur le Labor-Management Reporting and Disclosure Act, loi votée en 1959 aux États-Unis, qui est un des premiers dispositifs de transparence financière applicable au syndicalisme, rendant publics les comptes des organisations syndicales. Cette étude considère que les déclarations des comptes syndicaux sont un instrument d'action publique, dont les usages au fil du temps restent dépendants d'un cadrage négatif du fait syndical qui a présidé au vote de la loi. Cette loi a fait des déclarations comptables des outils pour lutter contre la criminalité et des pratiques anti-démocratiques qui seraient diffuses dans le syndicalisme en permettant à toute personne intéressée de regarder comment les cotisations syndicales sont utilisées. La faible promotion des déclarations par les pouvoirs publics a laissé le champ libre à des intermédiaires privés aux intérêts hétérogènes (des employeurs, des dissidents syndicaux), qui se saisissent des informations comptables pour mobiliser les syndiqués actuels ou potentiels contre les directions syndicales. Par ailleurs, l'exigence de transparence a contraint les responsables syndicaux à trouver des moyens de professionnaliser la gestion des finances de leur organisation pour se plier à l'exercice de la déclaration annuelle des comptes. Cet effet de la transparence sur le fonctionnement des syndicats a pu être utilisé par des acteurs à la tête de l'État fédéral pour peser sur les activités syndicales, en augmentant le volume des informations à faire figurer dans les déclarations.Curbing unionism through financial transparency in the United States (1950s-2010s)This paper deals with the Labor-Management Reporting and Disclosure Act enacted in 1959. This act was one of the firsts mechanisms of unionism financial transparency. Notably, it aimed at disclosing unions' financial records. This paper analyses the transparency of these documents as a public policy instrument. The ways it has been used since the 1950s rely on a negative conception of unionism. Unions' public financial records are considered to be tools that can help to get rid of criminality and undemocratic practices, which were supposed to be common within unions. Nevertheless, the government has not really promoted those financial records to the general public. Instead, private intermediaries such as employers and union dissidents have been using those documents in order to mobilize workers and union's members against union officials. Besides, financial transparency has forced union leaders to professionalize union finances management in order to cope with annual disclosure requirements of their organization's financial records. This consequence on the daily functioning of unions may have been used by the Federal State to hinder union activities, by increasing the items required into those public financial records.
- La transparence dans l'Union européenne : réalisation de la bonne gouvernance et redéfinition de la démocratie - Hélène Michel p. 109-126 Partant du constat que la transparence se déploie dans différents secteurs, souvent disjoints (accès aux documents, lisibilité des procédures, lutte contre la fraude financière, réformes de la fonction publique, groupes d'intérêt...), cet article montre comment les diverses mesures prises s'articulent dans un ensemble cohérent. En restituant la manière dont des acteurs institutionnels, politiques et sociaux ont investi la transparence, il montre comment la promotion de la transparence au sein de l'Union européenne a accompagné et façonné la réalisation d'une « bonne gouvernance » dite démocratique, où l'élection est reléguée au second plan au profit de la surveillance généralisée dans laquelle les citoyens ne jouent d'ailleurs qu'un rôle secondaire.Transparency in the EU: achieving good governance and redefining democracy
Starting from the observation that transparency is spread in different sectors, often disconnected from each others(access to documents, readability of procedures, fight against financial fraud, reforms of the civil service, interest groups...), this article shows how the various measures taken are articulated in a coherent whole. It reconstructs the way in which institutional, political and social actors have invested transparency. It shows how the promotion of transparency within the EU has accompanied and shaped the realization of a so-called democratic “good governance” in which election is relegated to the background in favor of generalized surveillance where citizens only play a minor role. - Évolution et enjeux du droit d'accès aux documents administratifs depuis la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique - Marc Dandelot p. 127-133 Ce témoignage dresse un bilan de l'action de la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) et de l'évolution des notions de document administratif d'une part et d'accès à ces derniers d'autre part. Il aborde ensuite, les apports de la loi pour une République numérique de 2016 un an après sa mise en œuvre, notamment quant à la question de l'ouverture des données publiques et quant aux relations que la Commission entretient avec la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), garante de la protection des données personnelles.Evolution and stakes of the right of access to administrative documents since the “Law of 7 october 2016 for a digital republic”This statement gives an overview on the achievements of the French Authority in charge of the implementation of the right of access to administrative documents. It also provides a conceptualization of the evolving notion of administrative document and of its access to it. It then focuses on the implementation on a 2016 French Law setting new standards on the open data issues and on the relationship between this Authority and another Authority, the one in charge of the protection of the personal data.
- Paraître transparent ? Les usages des déclarations d'intérêts des maires des grandes villes françaises - Abel François, Éric Phélippeau p. 79-94
Varia
- Servir l'État aujourd'hui - Jean-Marc Sauvé p. 135-144 La représentation de l'État au service de l'intérêt général et du bien commun est aujourd'hui confrontée à de profondes mutations qui ont fait évoluer ses principes et ses fondements et mettent en cause sa légitimité. La capacité de l'État à promouvoir et porter un projet collectif et à demeurer un acteur pertinent des politiques publiques se trouve ainsi questionnée. Pourtant, l'État ne disparaît pas et n'a pas vocation à s'effacer à moyen terme. En revanche, ces mutations doivent le conduire à se réformer et à repenser son positionnement par rapport aux autres acteurs publics et privés, comme sur la scène internationale, afin de continuer à servir, dans un contexte nouveau, l'intérêt général.Being a State servant today
The depiction of the State at the service of the public interest and the common good now faces deep transformations that challenge its legitimacy, its principles and its foundations. In particular, the ability of the State to promote public policies and carry a collective project is questioned. Yet, the State hasn't faded away, nor should it be the case in the near future. These transformations must however lead it to reform itself and to rethink its position with respect to other private and public actors, as well as on the international stage, in order to keep on acting in the public interest.
- Servir l'État aujourd'hui - Jean-Marc Sauvé p. 135-144
Chroniques
- Chronique de l'administration - Antoine Fouilleron, Jean-François Monteils, Jean-Luc Pissaloux, Didier Supplisson, Frédéric Edel, Véronique Champeil-Desplats, Stéphanie Hennette-Vauchez p. 145-186
- Chronique du secteur public économique - André G. Delion, Michel Durupty p. 187-196
- Chronique de l'administration européenne - François Lafarge, Eleftheria Neframi, Michel Mangenot p. 197-225
Notes de lecture
- Notes de lecture - p. 227-230