Contenu du sommaire : Dossier : Patrimonialiser au Maghreb

Revue L'année du Maghreb Mir@bel
Numéro no 19, 2018
Titre du numéro Dossier : Patrimonialiser au Maghreb
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Éditorial

    • Éditorial - Katia Boissevain, François Dumasy, Éric Gobe p. 3-7 accès libre
  • Patrimonialiser au Maghreb

    • Dossier Patrimonialiser au Maghreb : Introduction - Clémentine Gutron, Ahmed Skounti p. 11-18 accès libre
    • Écrire au réconfort de Dieu. La patrimonialisation des savoirs administratifs des monarchies marocaine et tunisienne sous le Protectorat - Antoine Perrier p. 19-35 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      En instaurant le Protectorat en Tunisie (1881) et au Maroc (1912), les autorités coloniales décident une patrimonialisation des monarchie beylicale et chérifienne. Elles exercent un tri dans les institutions des deux États afin de sélectionner certaines administrations, procédés scripturaires et techniques qui demeurent malgré la rupture coloniale. Cette stratégie de contrôle laisse en réalité aux souverains musulmans et à leurs serviteurs des armes contre la puissance coloniale. À travers deux cas d'étude (les actes de nomination du Sultan et la Cour du Bey), ce patrimoine voulu traditionnel apparaît comme vivant et reformulé selon les circonstances politiques. L'examen de sources arabes met au jour cette forme de résistance qui ne se limite pas aux partis nationalistes et remet en cause les distinctions entre « modernité » et « tradition ».
      The Tunisian and Moroccan Protectorates have submitted the Sherifian and Beylical monarchies to a process of “patrimonalization”. French authorities have consequently selected few administrative methods and institutions among State patrimonies to maintain them under the colonial rule. This strategy let political tools to Muslim Sovereigns and their servants to resist the French domination. Through two case studies (Sultan's dahirs of appointment and Beys court) based on Arabic sources, this paper shows how Sovereigns and servants reinvented this patrimony and why resistance against colonial order was neither only a question of “modernity” vs. “tradition”, nor the monopoly of nationalist parties.
    • La fabrique du musée d'art marocain : L'œuvre de Prosper Ricard - Habiba Aoudia p. 37-53 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article se propose de retracer la genèse des musées d'art musulman crées sous le Protectorat marocain, dont l'apogée se situe dans les années 1920-1935, à l'époque où Prosper Ricard dirigeait le Service des Arts Indigènes. Il vise à éclairer les mobiles de la création de ces institutions et interroge le rôle de celles-ci dans le cadre d'une instrumentalisation politique de l'art élaborée par le Résident Lyautey. Il s'agit ainsi de décrypter l'émergence d'un modèle original de musée, héritier des expérimentations amorcées en Algérie de « rénovation » des arts traditionnels, en cherchant à reconsidérer le concept de « musée colonial ».
      This article aims to study the genesis of Muslim art museums founded under the Moroccan Protectorate, mostly in the years 1920-1935, when Prosper Ricard directed the “Service des Arts Indigènes”. It aims to shed light on the motives behind the creation of these museums and questions the role played by these institutions in the context of a political instrumentalization of arts by French Resident Lyautey. The purpose of this article is thus to analyse the emergence of an original museum model inherited from the protection measures of native arts initiated in Algeria. aiming eventually to re-consider the concept of “colonial museum”.
    • Entre classement et patrimonialisation : Les usages du patrimoine judéo-tunisien - Afef Mbarek* p. 55-69 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le patrimoine judéo-tunisien connaît actuellement une véritable reformulation. Sa construction en tant que tel a commencé dès l'époque coloniale, durant laquelle on observe les premières manifestations de sa reconnaissance et de sa protection. Parmi ces manifestations figure le classement de la nécropole antique de Gammarth et de la synagogue la Ghriba de Djerba en tant que monument historique. Cet article se propose d'analyser les cas de ces deux sites ainsi que celui de la Grande Synagogue de la Hara de Tunis, détruite en 1960, afin de comprendre la présence ou l'absence d'un processus de patrimonialisation de cet héritage. Ce travail essaye également d'étudier les rôles que les différents acteurs (communautaires et extra-communautaires ; sociaux et institutionnels) ont joué dans l'émergence de cette composante du patrimoine tunisien.
      The Judeo-Tunisian heritage is currently undergoing a genuine reformulation. Its construction as such began as early as the colonial period, when manifestations of its recognition and protection were first observed. Among these manifestations are the classifications of the ancient necropolis of Gammarth and the Ghriba synagogue of Djerba as historical monuments. This article analyzes the cases of these two sites as well as that of the Great Synagogue of Tunis Hara, destroyed in 1960, in order to understand the the presence or absence of a heritagization processes. This work also attempts to study the roles that different actors (intra and extra-community, social and institutional) have played in the emergence of this component of Tunisian heritage.
    • La Soumaâ du Khroub ou l'invention du « Tombeau de Massinissa » - Mathilde Cazeaux p. 71-80 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Non loin de Constantine (Algérie) s'élève un mausolée d'époque libyque appelé Soumaâ du Khroub (« Tour du Khroub ») ou « Tombeau de Massinissa », en référence au célèbre roi numide (202-148 aC). Le présent article retrace les différentes étapes de la patrimonialisation de cet édifice, et examine comment le fait d'associer un édifice à la mémoire d'un personnage historique joue dans ce processus. En effet, c'est au moment des campagnes scientifiques qui accompagnent l'armée de conquête française que la Soumaâ est répertoriée, décrite et représentée comme objet de patrimoine et ce sont des savants français qui formuleront les premiers l'hypothèse de son attribution à Massinissa, au début du xxe siècle. Après l'indépendance, les spécialistes écarteront cette possibilité, mais les institutions et les médias algériens continuent de la désigner sous le nom de « Tombeau de Massinissa ». Et c'est autour de cette mémoire, en contradiction avec le « regard savant » que se construit la cohérence du site actuel, dont la dernière partie vise à mesurer le degré de patrimonialisation.
      Near Constantine (Algeria) lies a Numidian tomb. It is usually called Soumaâ du Khroub (“Tower of El Khroub”) or “Tomb of Massinissa”, alluding to a famous king of Numidia (202-148 aC). The present article examines the steps of the patrimonalization of this building, and how associating it with the memory of a historical figure contributes to this process. The Soumaâ has been listed, described and assumed as a heritage site since the conquest of Algeria and the scientific expeditions in the wake of it. In the early 20th century, French academics attributed the tomb to Massinissa. After the independence of Algeria, new analysis proved this hypothesis wrong, but Algerian institutions and media still name it this way. The memory of the Numidian king mainly brings coherence to the current site, whose degree of patrimonalization the last part of this article aims to estimate.
    • Le rapport ordinaire à l'héritage bâti de l'époque de la colonisation française en Algérie : L'exemple de l'hôtel de ville de Kherrata (Bejaia) - Idir Benaidja p. 81-98 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La question de la reconnaissance patrimoniale ne dépend pas seulement des institutions et de la législation, mais aussi de la société. Le présent article traite de la question du rapport de la population locale à un héritage de la période coloniale française, à savoir l'hôtel de ville d'une petite agglomération algérienne située au nord-est du pays : Kherrata (Bejaia). Il entend, de ce fait, alimenter la réflexion scientifique sur la question de la patrimonialisation de ce cadre bâti. Quel rapport entretient la population avec l'hôtel de ville d'architecture coloniale ? Quel est son rapport aux autres bâtiments de l'époque coloniale ? Comment avec le temps se construisent les représentations sociales du bâti colonial ? À ces questions, le présent travail apporte des éléments de réponse et cherche à ouvrir la réflexion sur le rapport ordinaire des populations au bâti colonial. La méthodologie choisie combine la connaissance architecturale et urbaine de la ville avec un questionnaire destiné à comprendre les représentations que se fait la population de ce bâti comme objet patrimonial.
      The issue of heritagization does not only depend on the institutions and law, but also on society. This article deals with the relationship between the local population and the architectural legacy of the French colonization in a specific case: the city hall of a small Algerian city located in the North-East of the country: Kherrata (Bejaia). It aims to contribute to the scientific debate about the process of heritagization. How does the population relate to the town hall? How is their relationship to other colonial buildings? How are social representations of the colonial architecture constructed over time? This work provides some answers to these questions and seeks to open reflection on the ordinary relationship of populations to colonial buildings. The methodology combines architectural and urban knowledge of the city with a questionnaire designed to understand the representations that the population has of this built as a heritage object.
    • Le bien culturel de Tombouctou, une patrimonialisation discutée ? Conditions locales de réception de la notion de patrimoine de type UNESCO - Traoré Hadizatou p. 99-114 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La prise pour cible des mausolées de Tombouctou par les groupuscules islamistes lors de la crise sociopolitique de 2012 a sans doute relancé le débat sur l'avenir de ce patrimoine mais surtout rappelé qu'il ne faudra pas perdre en vue le caractère religieux de ces biens. On fait généralement référence au bien culturel de Tombouctou en tant qu'un ensemble de sites historiques exceptionnels tout en occultant sciemment ou inconsciemment leur dimension religieuse pourtant centrale dans leur considération sociale au niveau local. Pourrait-on parler de rupture dans l'idée patrimoniale lorsque les manuscrits anciens qui ont fait autrefois la renommée de la cité restent encore assez méconnus ? Tombouctou a-t-elle été victime de sa propre réputation ? Réputation de ses sites célèbres certes, mais dont les cultes qui y sont associés notamment le culte des saints semblent passer sous silence quand bien même qu'ils demeurent encore et toujours hautement controversés surtout par le courant islamiste salafiste dont les destructeurs des mausolées s'étaient revendiqués. L'UNESCO considère-t-elle cette question sensible de la dimension symbolique de ces sites ? L'hypothèse de départ étant l'existence de divergences entre représentations concurrentes des biens dits patrimoniaux dans ce contexte actuel de polémique grandissante autour de la question religieuse et de fort investissement international, Il est alors question d'apporter une connaissance supplémentaire sur les mosquées et mausolées et une compréhension du rôle et de la place véritable de ces sites à Tombouctou.
      The targeting of the mausoleums in Timbuktu by small Islamic groups during the socio-political crisis in 2012 has surely reignited the debate about the future of that heritage. However, it has, above all, reminded us that the religious nature of that heritage must not be lost sight of. The cultural heritage in Timbuktu is generally referred to as a collection of exceptional historical sites but its cultural dimension, which is central to its social consideration at the local level, is consciously or unconsciously overlooked. Can we talk of a breakdown in the way we understand cultural heritage, when the ancient manuscripts for which the city was once known remain quite unknown? Has Timbuktu been a victim of its own fame? It certainly has with regard to its famous sites, the worshipping of which, particularly the worshipping of saints seems to be glossed over, although they are still highly controversial, especially for the Islamic Salafist movement, of which those who destroyed the mausoleums claimed to be linked to. Does UNESCO take into account this sensitive question of the symbolic dimension of the sites? The initial hypothesis being the existence of divergences in opposing representations of the so-called patrimonial property in the current context of growing controversy over the issue of religion and of an intense international involvement, we must therefore provide additional information about the mosques and mausoleums and an understanding of the role and the legitimate place of these sites in Timbuktu.
  • France-Algérie : Les défis de la transmission

    • France-Algérie : l'impact de l'histoire commune - Tahar Khalfoune p. 117-131 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cette réflexion traite de l'impact de l'histoire commune, d'un siècle et trente-deux années de colonisation et des relations tumultueuses après l'indépendance, sur la construction de l'Algérie, mais aussi de la France. Plus d'un demi-siècle après l'indépendance, la centralité de la question franco-algérienne ne fait aucun doute. Ce passé colonial continue aujourd'hui encore de nourrir, de part et d'autre, les mémoires, les rancœurs, les méfiances, les conflits… mais aussi les attaches, les rapprochements, la coopération… alors que tout portait à penser que les traumatismes de la colonisation et de la guerre d'Algérie les éloigneraient définitivement. Le poids du passé colonial et les relations complexes et particulières qu'ils entretiennent plus d'un demi-siècle après la rupture des liens physiques entre les deux pays, oscillant depuis 1962 entre tensions et détentes, continuent de polariser les passions, et pèsent fortement sur la construction de l'Algérie. Mais on ne saurait se méprendre sur l'influence qu'ils exercent aussi, toutes proportions gardées, sur l'évolution de la France.
      This reflection deals with the impact of a shared history – a century and thirty-two years of colonization and the tumultuous relationships after the independence – with the construction of Algeria, but also of today's France. More than half a century after the independence, there is no doubt about the centrality of the Franco-Algerian question. On either side of the Mediterranean, this colonial past still continues to feed memories, resentments, mistrust, conflicts ... but also the ties, the cordial relationships, the cooperation ... whereas everything would lead observers to believe that the traumas of colonization and of the war of Algeria would oppose these two countries definitively. The weight of the colonial past and the complex and peculiar relationships that they maintain more than half a century after the severing of the links, oscillating since 1962 between tensions and detente, continue to polarize the passions, and weigh heavily on the construction of Algeria. But to a lesser extent, we must not be mistaken about the influence they have also exerted on the evolution of France.
    • L'histoire aux prises avec les mémoires. L'exemple du musée avorté de Montpellier sur l'histoire de la France et de l'Algérie - Jean-Robert Henry p. 133-164 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Plusieurs initiatives récentes ont entrepris de mettre les savoirs historiques produits sur les rapports franco-maghrébins à la portée du grand public, notamment scolaire. Le Musée d'Histoire de la France et de l'Algérie (MHFA) à Montpellier était l'une des plus ambitieuses. Reformulant un projet tourné initialement vers les attentes mémorielles des Français d'Algérie, il avait mobilisé des dizaines de professionnels du patrimoine et de chercheurs français et algériens pour tenter de proposer un parcours commun dans l'histoire des deux pays. Il s'agissait moins de confronter des mémoires multiples et divergentes que d'inviter les porteurs de celles-ci à se soumettre à un devoir d'histoire pour mieux entrer en dialogue. Mais en juin 2014, le nouveau maire de Montpellier a décidé brutalement d'arrêter le projet de musée, sous la pression notamment des associations algérianistes. Cette décision a suscité pendant plusieurs mois un très vif et large débat public. L'article, écrit par l'ancien président du Comité scientifique du musée, rappelle la genèse et le développement du projet et s'interroge sur les raisons structurelles et conjoncturelles, locales et nationales, qui ont pesé sur son abandon. En sens inverse, la forte réaction des milieux universitaires et culturels a cependant contribué à valider l'intérêt de l'entreprise, comme en témoignent la survie de certains aspects du projet et la tentative du chef de l'Etat de le relancer en 2016. La leçon qui reste de cette expérience est que l'histoire croisée de la France et du Maghreb est plus que jamais nécessaire, mais trouve difficilement sa place dans des politiques mémorielles aux objectifs ambigus.
      Various attempts have recently been undertaken to put the historical knowledge produced on Franco-Maghreb relations within the reach of the general public, especially students at school. The Museum of France and Algeria History in Montpellier was one of the most ambitious. Rephrasing a project initially focused on the memory expectations of the French in Algeria, he mobilized dozens of professionals of heritage and French and Algerian researchers to try to propose a common path in the history of the two countries. It was less a question of confronting multiple and divergent memories than of inviting the bearers of these to submit to a duty of history in order to enter into a dialogue. But in June 2014, the new mayor of Montpellier suddenly decided to stop the museum project, under pressure of Algerianist associations particularly. For several months, this decision provoked a very lively and wide public debate. The paper, written by the former chairman of the museum's scientific committee, recalls the genesis and development of the project and questions the reasons both structural and short-term, local and national, which have weighed on its abandonment. Conversely, the strong reaction of academic and cultural circles also led to validating the interest of the undertaking, as evidenced by the survival of certain aspects of the project and the attempt of the Head of State to relaunch it in 2016. The lesson that remains from this experience is that the crossed history of France and the Maghreb is more than ever necessary, but can hardly find a place in memory politics with ambiguous objectives.
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