Contenu du sommaire : Dossier : L'inévitable prison
Revue | L'année du Maghreb |
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Numéro | no 20, 2019 |
Titre du numéro | Dossier : L'inévitable prison |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Éditorial
- Éditorial : Captivant Maghreb ! - Katia Boissevain, Myriam Catusse, Céline Lesourd p. 3-5
L'inévitable prison
- L'inévitable prison. Éléments introductifs à une étude du système carcéral en Algérie de la conquête coloniale à la gestion de son héritage aujourd'hui - Marc André, Susan Slyomovics p. 9-31
Prisons algériennes
- Un établissement pénitentiaire singulier dans «l'archipel punitif» de l'armée française en Algérie : L'établissement des fers de Douera puis de Bône (1855-1858) - Nadia Biskri p. 35-57 Au printemps 1855, un établissement pénitentiaire pour des soldats et marins condamnés à la peine des fers est installé en Algérie, dans le camp militaire de Douera puis dans la forteresse de Bône. Sa création résulte de la nouvelle politique pénitentiaire mise en œuvre par le Second Empire fondée sur le peuplement colonial par les mauvais sujets, rejetés hors du territoire métropolitain. Bien que son existence ne perdure pas au-delà de trois années, ce lieu de punition pour les déviants à l'ordre militaire se révèle pour l'historien un véritable observatoire d'une expérimentation pénitentiaire singulière en situation coloniale. Unique au sein des structures punitives de l'armée française en Algérie, l'établissement des fers de Douera/Bône, témoigne de la perméabilité des systèmes carcéraux civil et militaire dans un contexte de vif conflit de compétences entre l'autorité militaire et l'administration civile. Les discours et pratiques carcérales à l'égard des condamnés aux fers permettent de saisir la double conception punitive et pénitentielle de la prison tenue de châtier autant que d'amender les militaires dégradés tout en servant les intérêts de la colonisation par la mise au travail forcé.In the spring of 1855, a prison facility for soldiers and sailors sentenced to chains was set up in Algeria, in the Douera military camp and then in the fortress of Bône. Its creation resulted from the Second Empire's penitentiary policy based on the settlement of undesirables in the colonies, at a remove from the metropolis. Although these centers of detention did not last more than three years, this place of punishment for deviants to the military order has proven for the historian to be a real observatory of a penitentiary experiment in a colonial situation. Unique among the punitive structures of the French army in Algeria, the establishment of chain imprisonment in Douera / Bône, testifies to the permeability of the civil and military prison systems in a context of sharp conflict of competences between military and civil authorities. Prison discourse and practices regarding those sentenced to chains allow us to grasp the double punitive and penitential conception of prison as punishment as much as rehabilitation of degraded servicemen while serving the interests of colonization through forced labor.
- Exil pénal et circulations forcées dans l'Empire colonial français - Linda Amiri p. 59-76 La loi du 30 mai 1854 sur l'exécution de la peine des travaux forcés fait de la Guyane un territoire expérimental de l'utopie pénale, agricole et coloniale. Entre 1852 et 1867, les transportés coloniaux représentent à peine 1,32 % des effectifs, la catégorie « forçat arabe » fait son apparition en 1866 dans les statistiques officielles de l'administration pénitentiaire guyanaise. En 1867, la décision du gouvernement français d'arrêter provisoirement les convois de transportés européens modifie considérablement la sociologie du bagne : afin de trouver un second souffle à ce projet de colonie pénitentiaire, décision est prise de puiser dans le vivier des transportés indigènes pour continuer à alimenter la Guyane de forces vives. De 1868 à 1887, ce vivier est majoritairement composé de « forçats arabes » originaires principalement d'Algérie. L'objet du présent article est de revenir sur le contexte politique et social dans lequel s'ouvre la période algérienne des bagnes de Guyane (1867-1887), de réinscrire ces derniers dans la géographie des circulations forcées « trans-impériales », tout en dessinant les contours de la première génération de forçats algériens. Pour ce faire, nous avons choisi d'établir notre corpus de sources autour du convoi du 27 juillet 1868 qui semble avoir été le premier convoi de condamnés algériens depuis l'arrêt provisoire des condamnés européens vers la Guyane.The law of May 30,1854 on the execution of the sentence of hard labor turned French Guiana into an experimental territory for a penal, agricultural and colonial utopia. Between 1852 and 1867, penal colonists represented only 1.32% of the workforce. The category «Arab convict» made its appearance in 1866 in the official statistics of the penitentiary administration of French Guiana. In 1867, the decision of the French government to temporarily halt the transport of European undesirables greatly altered the sociology of the penal colony. In order to impart a second wind to the prison colony project, a decision was made to tap into the pool of indigenous convicts to supply French Guiana with vital recruits. From 1868 to 1887, this pool was composed mainly of «Arab convicts» mostly from Algeria. The purpose of this article is to revisit the political and social context of the Algerian period in the French Guiana penal colony (1867-1887), to record these as part of the geography of «trans-imperial» forced transports, tracing the contours of the first generation of Algerian convicts. To do this, we chose to establish our body of sources around the convoy of July 27, 1868, which seems to have been the first convoy of Algerian convicts since the provisional suspension of European convict transports to French Guiana.
- Bagnards, « arabes » et porte-clefs en Guyane : Naissance et usages d'un rôle pénal et colonial (1869-1938) - Marine Coquet p. 77-92 Loin d'être constituée de membres également traités d'une catégorie homogène, l'entité « bagnard » est morcelée selon des catégorisations administratives qui organisent les relations sociales dans et hors les murs des camps. Parmi ces leviers, celui de la « race » est encore peu étudié. Or, selon les années, entre 20 % et 60 % des bagnards transportés en Guyane viennent des colonies du Maghreb et sont catégorisés parmi les « Arabes ». Sur la base des statistiques enregistrées à des fins organisationnelles par l'administration pénitentiaire, il est possible de rendre compte de l'ampleur de la transportation des « Arabes » en Guyane. Croisées aux publications d'époque et à la correspondance de l'administration pénitentiaire avec le ministère des Colonies, ces données chiffrées mettent en perspective les effets de cette typologie pénale sur les relations entre les transportés. Dans les écrits des contemporains, bagnards, journalistes ou médecins, les « Arabes » apparaissent tout particulièrement lorsqu'ils endossent le rôle d'aide-surveillants. « Bagnard », « arabe », et « porte-clefs » : dans une telle configuration punitive, se structure une situation singulière qui semble, a priori, pouvoir ébranler la hiérarchie des « races » communément admise en métropole. C'est à travers cette figure du bagnard « arabe » et porte-clefs que cette contribution se propose de questionner l'organisation sociale des bagnes guyanais.Far from constituting a homogeneous category, the entity of the “convict” is fragmented according to administrative categorizations which organize social relations inside and outside camp walls. One such category, based on “race,” remains understudied. Depending on the year, between 20% and 60% of convicts transported to French Guiana were from France's North African colonies and categorized as “Arabs.” Statistics recorded for organizational purposes by the penal administration make possible a study of “Arabs” in French Guiana. Cross-checked with publications from the period and administrative correspondence between penitentiary and Colonial Office, these figures put into perspective the effects of penal typologies on relations among the transported convicts. In contemporary writings by convicts, journalists or doctors, the “Arabs” appear especially when they assumed a role assisting prison guards. The punitive configuration of “convict,” “Arab”, and porte-clefs structured a unique situation that seems, a priori, to undermine the hierarchy of “races” commonly accepted in France. Through the figure of the “Arab” convict and the porte-clefs, this contribution interrogates the social organization of Guyanese bagnards.
- Regroupment Camps and Shantytowns in Late-Colonial Algeria - Benjamin Claude Brower p. 93-106 Cet article examine la manière dont l'État français a réagi à la crise de souveraineté à laquelle il était confronté en Algérie à la fin de la période coloniale : le confinement de civils algériens dans des camps de regroupement comme les politiques à l'égard des habitants des bidonvilles d'Alger sur lesquels se penche cette étude présentent des modalités différentes d'exercice du pouvoir mais se caractérisent par la même logique de neutralisation des capacités d'action politique des Algériens.This paper examines how the French state responded to the crisis of sovereignty it faced in late-colonial Algeria by confining Algerian civilians in regroupment camps, as well as by the way that it approached people living in the shantytowns of Algiers. It concludes that although different modalities of power distinguished the regroupment camps from the shantytowns, that both sought to neutralize the political agency of Algerians.
- Les papiers de Baya Hocine. Une source pour l'histoire des prisons algériennes pendant la guerre d'indépendance (1954-1962) - Sylvie Thénault p. 107-122 En 1958, une fouille de la prison de Barberousse, à Alger, conduit à la confiscation du Journal, de notes et de correspondances d'une toute jeune détenue de 17 ans, condamnée à mort pour un attentat : Baya Hocine. Écrits du for privé, ils constituent une source précieuse au regard de l'historiographie des prisons pendant la guerre d'indépendance algérienne (1954-1962). L'objectif de cet article est d'en reconstituer la trajectoire, de la prison aux Archives françaises où ils figurent sous forme dactylographiée ainsi que d'en élucider les circonstances d'écriture. S'ils ne permettent pas de reconstituer les conditions matérielles de vie dans la prison, en raison de leur nature d'écrits du for privé, ils mettent en relief la spécificité radicale de Barberousse dans ces années de guerre : lieu de détention et d'exécutions de condamnés à la sentence capitale, elle est un lieu où la mort est omniprésente.In 1958, a search of the prison of Barbarossa in Algiers led to the confiscation of the Journal, notes and correspondence of Baya Hocine, a young female detainee of 17 years, sentenced to death for an attack. Written in the intimate style of a personal diary, Hocine's papers are a valuable source for the historiography of prisons during the Algerian War of Independence (1954-1962). The purpose of this article is to reconstruct the trajectory from prison to the French Archives where they appear in typed form, as well as to elucidate the circumstances of their composition. While these are insufficient to reconstitute the material conditions of life in the prison due to their nature as private thoughts, they highlight the radical specificity of Barbarossa in these years of war as a place of detention and execution of those sentenced to capital punishment, in an atmosphere permeated with death.
- La prison des femmes de Tifelfel : Enfermement et corps en souffrance - Khedidja Adel p. 123-138 Dans l'Aurès, fin novembre 1954, l'administration et l'armée sont en guerre, les opérations militaires s'intensifient : les bombardements ciblent les greniers collectifs et leurs précieuses provisions, l'évacuation des villages se généralisent… Instrument de terreur et d'humiliation, les femmes sont devenues un enjeu pour l'armée française : en portant atteinte aux femmes, on porte atteinte aux hommes et à leur dignité et on ébranle toute la société. Dans cette contribution, notre propos est de rendre visible le cas d'une prison bien singulière,- érigée en août 1955- et destinée aux épouses des maquisards de la vallée de l'Oued el Abiod entre les djebels Ahmar Khaddou et Lazreg, dans le village de Tifelfel (2000 habitants). Aujourd'hui, de ces lieux de détention, il ne subsiste plus de traces matérielles sans parler du silence des archives et du silence que ces femmes se sont imposé depuis l'indépendance. Arrêtées, soumises à de violents interrogatoires puis enfermées, elles ont certes gardé enfoui le souvenir de cette période traumatisante, mais les traumatismes se sont inscrits durablement dans leur corps, ce corps territoire de l'identité familiale dans le contexte d'une guerre. Notre enquête a pour objet de reconstruire cette histoire sur la base des témoignages d'anciennes prisonnières encore en vie. Les entretiens qui tentent de reconstituer ces fragments de vie abordent les exactions, les tortures, les peurs, le quotidien de leur incarcération. Mais la voix de ces femmes, – dont beaucoup sont encore en deuil –, ne restitue qu'en partie les épreuves et les souffrances de cet emprisonnement. Les émotions et les blessures sont encore perceptibles et donnent la mesure de l'ampleur de ce que ces femmes et enfants ont subi.In the Aurès mountains, at the end of November 1954, the administration and the army are at war, the military operations intensify: the bombings target the collective granaries and their precious provisions, the evacuation of the villages is generalized ... The French army instrumentalizes women as a tool of terror and humiliation, attacking men and their dignity and shaking up the entire social fabric! This contribution highlights a very singular jail - erected in August 1955 - and intended for the wives of the ‘maquisards' of the Oued el Abiod valley between the djebels Ahmar Khaddou and Lazreg, at the village of Tifelfel (2000 inhabitants). Today, there is no longer any material trace of this place of detention. The archives are mute as were the women in their self-imposed silence since independence. Arrested, subjected to violent interrogations and then locked up, these women buried the memory of this traumatic period. But these traumas have been lastingly embedded in their bodies, bodies that are the territory of family identity in this war context. Our investigation aims to reconstruct this fragment of history based on the testimonies of former prisoners that are still alive. Interviews that attempt to reconstruct this difficult period, address the exactions, the tortures, the fears and the daily life of their incarceration. But the voices of these women, many of whom are still in mourning, only partially restore the trials and sufferings of these imprisonments. Emotions and injuries are still noticeable and measure the extent of what these women and children have experienced.
- Des lieux pour un « non-lieu » : Le camp algérien Paul-Cazelles et Hocine Kahouadji, militant FLN - Susan Slyomovics p. 139-158 Un ensemble d'espaces carcéraux et de pratiques politico-légales ont produit, pendant la guerre d'indépendance algérienne, des Algériens sans droits. Avec le développement de l'incarcération d'Algériens par les autorités françaises à travers un usage continu et dynamique de la loi, de multiples espaces de détention ont de fait ainsi été créés pour accueillir les populations ayant bénéficié de « non-lieux » judiciaires : à défaut de charges suffisantes contre le mis en examen, le juge d'instruction prononçait un « non-lieu », mais, malgré cette décision rendue par le système judiciaire français, de nombreux militants algériens du FLN, arrêtés en France, ont été maintenus en prison dans divers espaces carcéraux et transférés des prisons métropolitaines vers les prisons coloniales en Algérie. Bien que les camps de prisonniers français en Algérie soient divers, nous nous concentrons ici sur le Camp Paul-Cazelles situé à Ain Ousseras, à 195 km au sud d'Alger, à la lumière du témoignage oral de Hocine Kahouadji, militant FLN.A set of carceral spaces and politico-legal practices produced during the Algerian War of Independence Algerians without rights. Based on the development of incarceration by French authorities through the continuous and dynamic use of the law, multiple spaces of detainment were created to accommodate populations under the legal condition of “non-lieu” (illegal detention): absent sufficient charges against the indicted party, the investigating judge dismisses the case with “non-lieu.” Despite decisions of “non-lieu” rendered by the French legal system, many Algerian FLN militants arrested in France were kept imprisoned serially in carceral sites and transferred from metropolitan prisons to Algeria's colonial ones. Although French prison camps in Algeria varied, this essay concentrates on Camp Paul-Cazelles located in Ain Ousseras, 195 km south of Algiers. The focus is on the oral testimony of Hocine Kahouadji, FLN militant.
- Fresnes, « prison algérienne »*? (1954-1962) - Fanny Layani p. 179-194 La maison d'arrêt de Fresnes, point nodal du dispositif de répression en métropole, devient au cours du conflit, sous l'effet des politiques de regroupement de l'administration pénitentiaire comme de la systématisation des décisions d'incarcération prises par les tribunaux parisiens, une prison majoritairement algérienne. Elle permet donc de saisir avec précision les moments de bascule de la question carcérale au cours de la guerre, d'autant qu'elle donne lieu à la production d'une masse documentaire importante, largement conservée, contrairement aux autres prisons de métropole. Fresnes est ainsi le lieu où se joue, en grande partie, la question du statut des détenus et leur rapport au pouvoir, tant français qu'algérien. Au cœur des grandes grèves de la faim de l'été 1959, le groupe des détenus s'y structure de façon très solide autour des deux organisations politiques qui sont les leurs, le FLN et le MNA. Cet article pose enfin la question de la politisation des détenus, de leur éventuelle capacité d'action collective, et des conditions de possibilité de la poursuite d'une activité politique derrière les barreaux.During the Algerian War of Independence, Fresnes Prison, crux of the range of repressive measures in France, becomes essentially an Algerian prison, because of the French correctional administration's policy of grouping together Algerian inmates, and because of Parisian courts' across-the-board rulings of imprisonment. Fresnes helps us locate the precise turning points of the penitentiary issue during the war, particularly as it has produced a massive amount of archival material which, unlike most French prisons, has been largely preserved. Therefore, primarily at Fresnes does the problem arise about the prisoners' status and their relationship both to French authorities and Algerian nationalist parties. The inmates strongly close ranks around two existing nationalist organizations, the National Liberation Front (FLN) and the National Algerian Movement (MNA), and Fresnes becomes the origin of widespread hunger strikes during the summer of 1959. Finally, this essay broaches the subject of prisoner politicization and capacity for group action, and the conditions of their potentially pursuing a measure of political activity behind bars.
- Du camp à l'asile : Les hospitalisations psychiatriques d'internés et de détenus politiques pendant la guerre d'indépendance algérienne - Paul Marquis p. 179-194 Au cours de la guerre d'indépendance algérienne, plusieurs dizaines de détenus politiques font l'objet d'une évacuation psychiatrique à l'occasion de leur emprisonnement ou de leur internement. En s'interrogeant sur les modalités d'hospitalisation de ces individus en provenance des camps et des prisons, la présente enquête cherche à déterminer la façon dont l'institution psychiatrique se positionne vis-à-vis des impératifs et des pratiques des structures pénitentiaires entre 1954 et 1962. À travers l'analyse des dossiers administratifs et médicaux des internés et prisonniers hospitalisés, elle tend à montrer que les perspectives thérapeutiques des psychiatres sont systématiquement subordonnées aux logiques répressives de l'administration pénitentiaire.Throughout the Algerian War of independence, dozens of political detainees were subjected to psychiatric hospitalization after being jailed or interned. By looking at conditions for hospitalizing individuals brought from camps and prisons, this article seeks to highlight how the psychiatric institution deals with the requirements and practices of prison and internment camps between 1954 and 1962. A study of case files from hospitalized prisoners tends to show that the therapeutic perspectives of psychiatrists were systematically subordinated to the repressive logic of the penal administration.
- Expériences carcérales et traductions picturales - Marc André p. 195-223 La guerre d'Algérie a longtemps été considérée comme une guerre sans images, du fait de la censure d'État et de l'autocensure des artistes. Pourtant, ces dernières années, des œuvres d'art émergent, longtemps conservées dans le secret des archives personnelles. Cet article suit le parcours carcéral d'un objecteur de conscience, membre de l'Action civique non-violente, qui a réussi, en détention, à dessiner sa vie quotidienne. Cet objecteur-artiste a connu de très nombreux lieux de détention : poursuivi et arrêté pour manifestation interdite, insoumission, refus d'obéissance et désertion, il a été détenu à onze reprises dans divers sites carcéraux (prisons, camps et casernes) en France. C'est un double voile qui se lève, sur des œuvres nées de la guerre comme sur les conditions de détention des objecteurs de conscience. En effet, en observant attentivement les œuvres de Didier Poiraud – montrées ici pour la première fois – et en les replaçant à chaque fois dans leur contexte de production, on perçoit mieux l'acharnement répressif et l'arbitraire de la détention qu'il a pu connaître, à l'instar d'autres objecteurs. Grâce à l'art, la résistance en prison est réinscrite dans une lutte qui a non seulement servi à contester la guerre d'Algérie mais qui a aussi permis de réformer le service militaire.The Algerian War has long been considered a “war without images”, owing to a combination of state censorship and the self-censorship of artists themselves. However, recent research has revealed numerous art works preserved thus far in the privacy of personal archives. This article follows the trajectory of a conscientious objector, member of the Non-violent Civic Action group, whose detention drawings depict his everyday life as an inmate in several prisons and camps. Pursued and arrested for illegal protest, disobedience, and desertion, this artist-objector was detained and incarcerated eleven times at various detention sites in France. Didier Poiraud's experiences shed light on the conditions under which wartime artwork can emerge and on the detention conditions faced by conscientious objectors. By carefully observing his drawings - shown here for the first time - and by analyzing them in the context of their production, we gain a better understanding of the relentless and arbitrary repression to which conscientious objectors were subjected during the Algerian War. Through his artwork, resistance in prison can be reinscribed within a larger fight that not only contested the decolonisation war but also led to the reformation of the military service.
- Les camps d'internement du sud en Algérie (1991-1995). Contextualisation et enjeux - Saphia Arezki p. 225-239 Cet article vise à éclairer un pan peu connu de l'histoire contemporaine de l'Algérie : l'internement de milliers d'hommes au Sahara entre 1991 et 1995. Cette séquence historique n'a jamais fait l'objet de recherche historique alors que les témoins de l'époque s'accordent à écrire qu'elle constitue un tournant et a joué un rôle clef dans le ralliement des maquis par de nombreux Algériens. Il s'agit donc ici de rappeler le contexte dans lequel ces camps sont ouverts, d'expliquer le processus décisionnel qui a conduit à leur instauration tout en brossant un premier portrait collectif des hommes qui y furent envoyés. Ce faisant, cet article espère contribuer à l'écriture de l'histoire de la guerre civile algérienne dont de nombreux aspects restent encore méconnus.This article aims to shed light on a part of Algeria's contemporary history largely unknown: the internment of thousands of men in the Sahara from 1991 to 1995. This historical sequence has never been the subject of historical research while contemporary witnesses agree that it constitutes a turning point and played a key role in rallying numerous Algerians to the maquis. It is thus a question of recalling the context in which these camps were open, explaining the decision-making process which led to their establishment while sketching a first collective portrait of the men who were sent there. In doing so, this article hopes to contribute to writing the history of the Algerian Civil War, many aspects of which are still unknown.
- Un établissement pénitentiaire singulier dans «l'archipel punitif» de l'armée française en Algérie : L'établissement des fers de Douera puis de Bône (1855-1858) - Nadia Biskri p. 35-57
Une comparaison tunisienne
- Bourguiba d'une prison l'autre - Antoine Hatzenberger p. 243-259 Cet article revient sur les séjours en captivité qui ont jalonné l'histoire politique de Habib Bourguiba. Inscrits à la fois dans une géographie du pouvoir colonial – des pénitenciers du sud au nord de la Tunisie, des prisons militaires aux résidences surveillées en métropole –, dans l'histoire de la Seconde Guerre mondiale, et dans la période de l'avènement de l'indépendance, ces jalons sont autant de chapitres de l'histoire du mouvement national tunisien souvent recomposés. Cet article étudie comment s'est composée la figure du zaïm (leader) au cours de ces années de détention, et comment la prison est devenue un lieu de mémoire du bourguibisme.This article comes back to the periods of captivity which marked out Habib Bourguiba's political history. Inscribed in the colonial geography of penitentiaries in South and North Tunisia, civil jails, military prisons, house arrests, as well as in the histories of Second World War and of the last struggle for independence, these periods are recomposed chapters of the history of the Tunisian national movement. This article aims at exploring how the figure of the zaïm (leader) was composed during these detention years, and how jail became an important place of bourguibism's memory.
- Bourguiba d'une prison l'autre - Antoine Hatzenberger p. 243-259
Varia
- Algérien en Nouvelle-Calédonie : Le destin calédonien du déporté Ahmed Ben Mezrag Ben Mokrani - Isabelle Merle p. 263-281 Ahmed Ben Mezrag Ben Mokrani, frère du principal leader de l'insurrection kabyle de 1871, membre de la prestigieuse famille Mokrani, dont le père fut Khalifat de la Medjana et allié du bey de Constantine, est condamné à mort le 27 mars 1873 pour incitation à la guerre et faits insurrectionnels. Sa peine est commuée le 13 octobre 1873 en déportation simple à la Nouvelle-Calédonie, où il débarque en octobre 1874. L'homme est célèbre du fait de son histoire algérienne mais son devenir en Nouvelle-Calédonie où il réside jusqu'en 1904 est beaucoup moins connu. Ce sont pourtant les longues années passées dans cette île du Pacifique qui nous intéressent ici, au cours desquelles Ahmed Ben Mezrag rallie les forces françaises pour combattre l'insurrection kanak de 1878 puis s'installe à Nouméa pour monter et faire fructifier une entreprise postale. L'itinéraire est intéressant parce que paradoxal. Le fier notable kabyle, combattant contre l'occupation française, saura, en Nouvelle-Calédonie, s'accommoder de la « situation coloniale » en devenant un loyal représentant de la cause française et un honorable « habitant » de la colonie. L'enjeu est de mieux comprendre les logiques malheureuses ou heureuses d'un tel dénouement.Ahmed Ben Mezrag Ben Mokrani, brother of the main leader of the Kabyl insurgency of 1871, and member of the prestigious Mokrani family, whose father had been Khalif of Medjana and an ally of the Bey of Constantine, was sentenced to death on March 27, 1873, for incitement to war and insurrectional facts. His sentence was commuted on October 13, 1873 to deportation to New Caledonia, where he landed in October 1874. If the man was famous for his role in the Unfaq Urrumi (the Kabyle uprising of 1871) much less is known of his life in New Caledonia where he resided until 1904. This paper deals with his long years in exile on this Pacific island, years in which Ahmed Ben Mezrag rallied French forces to fight the Kanak insurrection of 1878 and then moved to Nouméa to found and develop a postal company. The route is interesting because paradoxical. The proud Kabyle, a fighter against the French occupation, knew how to adapt to the «colonial situation» in New Caledonia by becoming a representative of the French cause and an honorable «inhabitant» of the colony. The challenge is to better understand the unfortunate or fortunate logics of such a denouement.
- Algérien en Nouvelle-Calédonie : Le destin calédonien du déporté Ahmed Ben Mezrag Ben Mokrani - Isabelle Merle p. 263-281