Contenu du sommaire : La France en guerre dans le second XXe siècle : Représentations et mémoires contemporaines, 2000-2017
Revue | Guerres mondiales et conflits contemporains |
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Numéro | no 276, octobre-décembre 2019 |
Titre du numéro | La France en guerre dans le second XXe siècle : Représentations et mémoires contemporaines, 2000-2017 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier - La France en guerre dans le second XXe siècle : représentations et mémoires contemporaines, 2000-2017
- Introduction - Anne Bernou, Andrea Brazzoduro, Fabien Théofilakis p. 3-11
- Le Mémorial de l'Alsace-Moselle et le « Mur des noms » ou de la difficulté à créer une mémoire « consensuelle » - Jean-Noël Grandhomme p. 11-23 Au cours de la Seconde Guerre mondiale, l'Alsace et la Moselle, annexées par le IIIe Reich, connaissent un destin spécifique qui se reflète notamment par l'incorporation de force dans l'armée allemande et les Waffen SS. Après le combat pour les indemnisations matérielles, les associations s'emploient, à partir de la fin des années 1990, à obtenir une reconnaissance morale. Les « Malgré-nous » et « Malgré-elles » ne veulent plus être des « soldats honteux ». C'est dans ce contexte qu'est construit, en 2005, le Mémorial de l'Alsace-Moselle. L'article analyse en quoi cette politique « mémorielle » est essentiellement le fait des acteurs locaux. L'exigence d'une certaine forme de repentance de la part de l'État, nourrie par une vie politique régionale encore imprégnée par les douleurs rentrées du passé et parfois des revendications identitaires, a toutefois été ignorée jusqu'à la présidence Sarkozy en 2008-2009 alors qu'est discuté le projet d'un Mur des noms en la mémoire de toutes les victimes civiles et militaires du second conflit mondial en Alsace-Moselle. L'article montre pourquoi la polémique a eu raison du projet jusqu'à aujourd'hui.During the Second World War, Alsace and Moselle, annexed by the Third Reich, faced a specific fate which is reflected in particular by the forced enlistment of the region's men into the German Army and the Waffen SS. After the struggle for material compensation, toward the end of the 1990s associations worked on seeking moral recognition for their wartime experience. These former members of the Wehrmacht and the Waffen SS – the “Malgré-nous” and “Malgré-elles” – no longer wanted to be viewed as “soldiers of disgrace”. The Alsace-Moselle Memorial was built in 2005 in that context. This article analyzes how these politics of “memory” were essentially the work of local actors. The demand for a certain form of repentance by the State, nourished by a regional political life still imbued with past sorrows and sometimes with identity claims, was nevertheless ignored up until 2008-2009 in the Sarkozy presidency, when the project of a Wall of Names in memory of all the civilian and military victims of the Second World War in Alsace-Moselle was under discussion. This article shows why controversy has delayed the project up to this day.
- « Moi, j'ai déjà oublié… mais ce n'est pas le cas de tout le monde. » Les mémoires asynchrones de la guerre d'indépendance algérienne dans les années 2000 - Oonagh Hayes p. 25-38 La mémoire collective en France de la guerre d'indépendance algérienne n'a pu se réclamer ouvertement de la lignée des mémoires de conflits antérieurs que depuis les années 2000. Le cas d'un monument départemental, celui de la Vienne, érigé en 2007 à Poitiers, est révélateur à plusieurs égards de cette évolution. Outre l'esthétique du monument et ce qu'elle véhicule, ce cas permet de voir quelles ont été les négociations pendant la conception du monument, en amont et en aval de l'inauguration, en raison notamment de la confrontation entre la volonté d'inclusion (universelle) des initiateurs, et le sentiment d'exclusion (politique) des vétérans harkis. L'analyse du discours sur la mémoire de la guerre d'indépendance algérienne, fondée sur ce monument, montre que les formes mémorielles adoptées se situent à la fois dans la continuité de celles d'autres conflits mais contribuent néanmoins à renouveler les représentations des guerres du xxe siècle.Collective memory in France concerning the Algerian War of Independence has come into the open and found its place only in the opening years of the 21st century. This case study of a war memorial for the Vienne département, erected in Poitiers in 2007, can shed light on differing perspectives. Apart from the aesthetics of the monument and its meaning, the study shows the negotiations that were necessary both before and after its inauguration, due particularly to the confrontation between the initiators (who wanted to include everyone concerned) and the harki veterans (who did not want to be included). The article analyses the way the monument commemorates the war, in line with similar memorials to the wars of the 20th century.
- Antoine Grande, Entretien - Fabien Théofilakis p. 39-46 La mémoire ne constitue pas seulement un champ institué de la recherche en science humaine, elle renvoie aussi à des pratiques publiques qui sont l'objet d'une réflexion critique croissante dans la dernière décennie, notamment de leurs acteurs eux-mêmes comme Antoine Grande, chef du département de la mémoire et des Hauts lieux de la mémoire nationale à l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre. Dans son entretien, il souligne combien la mémoire et ses supports ont évolué pour devenir un « outil de transmission de valeurs », combien les politiques publiques ont dû diversifier les sujets à commémorer et se décentraliser pour correspondre aux échelles de mobilisation. Les exemples choisis parmi les Hauts lieux de la mémoire nationale montrent en quoi les politiques de mémoire doivent répondre au défi posé par la tension croissante entre héritage du passé et nécessité de le rendre contemporain. Quel est alors le rôle du pouvoir politique face à des devoirs de mémoire qui peuvent être concurrents s'interroge Antoine Grande.Memory is not only an established field of research in human science, it also refers to public practices that have been the subject of an increase in critical thinking in the last decade. A leader in this field is Antoine Grande, head of the Department of Mémoire et hauts lieux de la mémoire nationale at the Office national des anciens combattants et victimes de guerre. In this interview, Grande points out how memory and its media have evolved to become a “tool for transmitting values,” how public policies have had to diversify the subjects to be commemorated, and how they have had to be decentralized in order to correspond to the scale of mobilization. The examples chosen from the Hauts lieux de la mémoire nationale show how memory policies must respond to the challenge posed by the growing tension between the legacy of the past and the need to make it contemporary. What, then, asks Grande, is the role of political power face to face with viewpoints that may compete?
- Parler, écouter, voir. L'image du silence dans l'œuvre d'Esther Shalev-Gerz - Petra Bopp p. 47-52 L'exposition Entre l'écoute et la parole : Derniers témoins Auschwitz-Birkenau 1945-2005 d'Esther Shalev-Gerz fut inaugurée le 25 janvier 2005, soixante ans après la libération du camp Auschwitz-Birkenau. Le Mémorial de la Shoah, rouvert en même temps, a lancé une campagne avec la Mairie de Paris pour recueillir soixante témoignages des survivants de la Shoah. Ces interviews filmées furent montrées sur 60 lecteurs DVD ainsi que par une projection vidéo sur trois grands écrans. Les spectateurs pouvaient écouter individuellement les récits et voir ensemble sur grandes images les moments où les rescapés ont perdu les mots pour décrire les douleurs traumatiques et indicibles. L'image donne, entre l'écoute et la parole, une dimension complémentaire à l'imagination du visiteur.The exhibition Between Listening and Telling: Last witnesses, Auschwitz 1945-2005 by Esther Shalev-Gerz was inaugurated in Paris on January 25, 2005, sixty years after the liberation of the extermination camp Auschwitz-Birkenau. The Mémorial de la Shoah, which reopened at the same time, launched a campaign with the City Council to collect sixty testimonies from Shoah survivors living in Paris. These filmed interviews were made accessible to visitors on sixty DVD players and at the same time presented, in silence, on a large three-screen video projection. The faces of the survivors, filmed in close-up, are captured in the silences that fell between the posing of a question and the articulation of the answer. It is the moment when the survivors searched for the words to describe their traumatic experiences. The spectator could hear the interview individually and at the same time see the silent face on the video. Between the listening and the telling, the image provides a complimentary dimension for the visitor's imagination.
- Esther Shalev-Gerz, Entretien - Fabien Théofilakis p. 53-62 Comment rendre présent hors de la monumentalité des mémoriaux l'héritage du passé ? Comment faire entendre la contemporanéité de la parole des témoins ? En quoi l'artiste peut-il aider une société à se confronter à la violence sans la répéter ? Ce sont ces questions qu'Esther Shalev-Gerz, artiste internationale vivant à Paris, aborde dans son entretien. À partir de quelques œuvres emblématiques de sa démarche créatrice, notamment sur la mémoire de la Seconde Guerre mondiale, elle explicite comment son travail cherche à interroger la position de celui/celle qui regarde, mais aussi à rendre, par la vidéo et le son, la densité de l'expression de celui/celle qui parle, jusque dans ses « moments de non-parole ». Dans les œuvres d'E. Shalev-Gerz, l'artiste apparaît comme un éveilleur qui invite à ressentir l'expérience de la disparition et propose de « nouvelles mythologies ».How can we insert the legacy of the past into the present and create new forms of memorials? How can the words of the witnesses be turned into contemporary speech ? How can the artist bring people to confront violence without re-enacting the violence ? These are the issues that Esther Shalev-Gerz, an international artist living in Paris, discusses in her interview. Based on a few emblematic works that show her creative approach, and on the memory of witnesses, notably those of the Second World War and of contemporary historical events, she explains how her work questions the viewpoint of the viewer but also takes into account, through video sound and sculpture, the multi-layered density of the expression of the speaker, right down to his/her “moments of non-speech.” In the works of Shalev-Gerz, the artist appears as an awakener who invites us to feel and witness the experience of the Other by shifting preconceived notions about how we perceive reality and act out “the mythology of here and now.”
- De la violence de l'histoire. Mémoires, créations visuelles et cinquantenaires de la guerre d'indépendance algérienne - Émilie Goudal p. 63-75 À l'occasion du cinquantenaire de la fin de la guerre d'indépendance algérienne, des artistes, héritiers des conflits de mémoires, tant en Algérie qu'en France, convoquent le spectre de cette guerre depuis la France. Ces œuvres porteuses d'une critique sociale projetée sur une histoire du temps présent questionnent les limites des commémorations officielles de 2012 au prisme des représentations artistiques de la guerre d'indépendance algérienne. Certains artistes se confrontent alors à un inventaire critique face à l'histoire et proposent de nouvelles narrations visuelles, chargées du poids d'une historicité portée en héritage. Ces propositions artistiques depuis des documents d'archives du conflit semblent pointer la manière dont certains récits peuvent être enfouis, et mis au silence, par la violence de l'histoire.On the occasion of the fiftieth anniversary of the end of the Algerian War of Independence, some artists, heirs to memoirs that conflict, both in Algeria and in France, convoke the spectre of this war from the viewpoint of France. These visual works, which carry a social critique projected on present time, question the scope of the official commemorations in 2012. Some artists then offer new visual narratives. These artistic proposals, created from archival documents of the conflict, seem to show how certain narratives can be buried, and silenced, by the violence of history.
- Jean-Marc Cerino, Entretien - Anne Bernou p. 77-85 La sensibilité extrême de Jean-Marc Cerino aux guerres et aux génocides qui ont marqué le XXe siècle s'exprime à l'aide d'œuvres de visibilité faible qui contrarient la vision directe. À partir d'images d'archives, reprises sur des plaques en verre, il entame en effet un processus d'effacement qui, paradoxalement, amplifie l'intensité de la perception. Par ce geste de copiste sur support transparent, qui donne naissance à des représentations ouvertes, l'artiste se fait passeur d'histoire. Mais « le passé étant ce qui a eu lieu autant que ce qui a été rêvé et qui, de fait, a existé également », ses œuvres sont à l'image du réel, sans être l'image du réel.Jean-Marc Cerino's extreme sensitivity to the wars and genocides that marked the 20th century is expressed through works of low visibility that thwart direct vision. Starting from archival images, transferred to glass plates, he undertakes a process of erasure that, paradoxically, amplifies the intensity of perception. Through this specific gesture – copying onto a transparent base – the artist gives birth to open representations, and becomes a “conveyor of history.” But the past being “not only what took place but also what was dreamed and thus existed as well,” his works approach the real without being its image.
- « À la jeunesse d'Afrique ». La commémoration du 70e anniversaire du Débarquement en Provence le 15 août 2014 - Julie Le Gac, Claire Miot p. 87-97 Cet article analyse le processus et les enjeux de la commémoration du 70e anniversaire du débarquement en Provence, le 15 août 2014, au Mont Faron, sur les hauteurs de Toulon, puis sur le porte-avions Charles de Gaulle, par le président de la République François Hollande. À partir des archives de la Présidence et d'entretiens, il souligne la volonté politique de célébrer la diversité de ceux qui libérèrent le territoire national. Saluant des héros plutôt que des victimes, et appelant à l'unité nationale, la commémoration officielle reprend la tradition gaullienne et témoigne d'une volonté de dépasser les fissures créées par la décolonisation et de clore une autre guerre de trente ans, celle de 1939-1962.This article analyses the process and the issues raised by the commemoration, on August 15, 2014, of the 70th anniversary of the landings in Provence by President François Hollande, standing on Mont Faron above Toulon and also on the aircraft carrier Charles de Gaulle. Based on the French presidential archives and on interviews, it underlines the political will to show the diversity in the French forces that liberated France. Paying tribute to heroes rather than to victims, and calling for national unity, this official commemoration both perpetuates the Gaullist tradition and shows the desire to outsoar the divisions aroused by decolonization and to put an end to another “thirty years'war”, one that had lasted from 1939 to 1962.
- Devoir de mémoire ou travail de mémoire ? Du choix des formules dans les discours politiques (2000-2017) - Sébastien Ledoux p. 99-112 Cet article analyse les usages des formules devoir de mémoire et travail de mémoire dans les discours politiques relatifs à la Seconde Guerre mondiale et à la guerre d'Algérie entre 2000 et 2017. Dans le contexte de l'émergence (guerre d'Algérie) ou de l'intensification (Seconde Guerre mondiale) des politiques de mémoire nationales, le choix de ces formules évolue au gré des débats publics, des acteurs et des références symboliques. Devoir de mémoire perd ainsi son caractère référentiel qu'il avait acquis dans le vocabulaire politique autour des années 2000 pour connaître une désaffection à partir de 2007 du côté du gouvernement, moins présente chez les parlementaires. Avec les années 2010, travail de mémoire connaît en revanche une institutionnalisation de plus en plus forte pour mettre en récit et faire partager ces passés auprès de la collectivité nationale.This article analyses the uses of devoir de mémoire and travail de mémoire formulae in political speeches relating to the Second World War and the Algerian War that were given between 2000 and 2017. In the context of the emergence (in the Algerian War) and of the intensification (in the Second World War) of the “politics of national memory,” these formulae evolve in accordance with the public debates, the actors and the symbolic references. Devoir de mémoire thus loses the referential character it acquired in the political vocabulary of the first decade of the 21st century to experience a disaffection with government from 2007 onwards, a disaffection that is less evident among parliamentarians. In the 2010s, on the other hand, travail de mémoire has become increasingly institutionalized in order to have these past experiences put in narrative form and to be propagated to the national community.
Varia
- Bombardement de civils et science : la recherche opérationnelle au Bomber Command pendant la deuxième guerre mondiale - Victor Bissonnette p. 113-128 La recherche opérationnelle s'est développée en Grande-Bretagne à l'aube de la Deuxième Guerre mondiale. D'une façon toute novatrice, des chercheurs civils sont alors invités à l'intérieur même de l'appareil militaire afin de mettre à profit leur approche scientifique pour optimiser les méthodes de combat. Au Bomber Command de la Royal Air Force, ils ont contribué au bombardement des grandes villes allemandes, ce qui ne pouvait qu'entraîner un grand nombre de victimes civiles. Cet article démontre, en se basant sur le corpus, très peu utilisé, des rapports émis par ces chercheurs pendant le conflit, que la science soutint ainsi délibérément une telle offensive contre des civils.Research operations came into play in Great Britain at the onset of the Second World War. It was quite a novelty. Civil researchers were invited into the very interior of military organizations to apply their scientific approach to the optimization of combat methods. In Royal Air Force Bomber Command, they contributed to the bombing of Germany's major cities, which by necessity involved a large number of civilian victims. This article, based on the little used body of reports drafted by those researchers during the war, shows that science deliberately supported such an offensive against civilians.
- Bombardement de civils et science : la recherche opérationnelle au Bomber Command pendant la deuxième guerre mondiale - Victor Bissonnette p. 113-128
Note de lecture
- Guerre d'Algérie. Des mémoires apaisées ? - Claude Collin p. 129-148