Contenu du sommaire : Vulnérabilités

Dans nos sociétés attachées à se prémunir de tout danger, tout aléa de l'insécurité devrait être écarté. C'est ainsi que les figures traditionnelles de la vulnérabilité (mineurs, malades mentaux, toxicomanes...) jadis susceptibles d'un traitement tendent à se retourner en figure de la dangerosité. Il en résulte, pour l'office de protection du juge, un dilemme : peut-il prendre un pari avec un individu, l'aider à faire un usage non pathologique de sa liberté, alors que la société se soucie avant tout de se protéger elle-même ? Et pour tenir cette place, le juge ne devrait-il pas lui-même sortir du déni de ses propres vulnérabilités ?

Jusqu'à peu la vulnérabilité ne faisait pas partie des mots des juristes. Avec la notion de vulnérabilité assisterions-nous à la naissance d'un concept ? Les précautions relatives à son usage tiendraient-elles à que ce mot cède trop au pathos et ne désignerait rien de bien consistant ; qu'il serait moins un concept qu'un mot-valise ? Ou bien l'irruption de cette notion dans l'univers juridique doit-elle être envisagée comme celle d'un impensé, cette notion venant contester le prométhéisme d'un humain qui refuserait toutes limites au nom d'une conception exaltée de l'autonomie ? Dans ce cas, existence placée sous le signe de la blessure, d'un être blessé, l'être de l'humain vulnérable révèle sa dimension dimensionnelle. La vulnérabilité serait une dimension de la condition humaine engageant son rapport au corps, au temps, à l'action, au sens et au non-sens. Lui donner une telle consistance interroge : comment le droit, du juridique au judiciaire, rend-il compte, se confronte-t-il et se constitue-t-il tout à la fois avec cette vulnérabilité ?

Le deuil est une épreuve de vulnérabilité et de révélation d'une vulnérabilité déjà-là. Il conduit à un combat pour ne pas abandonner les morts et pour ne pas s'abandonner aux pouvoirs destructeurs des morts. Il existe une maladie nosocomiale des cimetières, une migration de la douleur des morts. Ainsi, cette vulnérabilité est légitime et légitime devrait être aussi le droit d'être endeuillé. Or, cette gigantesque vulnérabilité du deuil est socialement remise en cause. Le deuil est hors-cadre du social. Les endeuillés sont des invisibles. On s'en méfie. L'époque n'arrive pas à tenir l'idée ancienne d'une vulnérabilité à accepter - en ceci qu'elle serait consubstantielle à notre humanité. Elle serait désormais un défaut, une défaillance avec la perspective du transhumanisme. Que faire ? Remettre au centre la parole, accepter la longue durée du deuil et critiquer le « deuil pathologique » qui interviendrait vite et nécessiterait de recourir vite aux médicaments.

Si la personne atteinte d'un cancer est vulnérable et a besoin de soins spécifiques dispensés par une équipe médicale, celle-ci a aussi besoin d'être réinstaurée dans son autonomie brisée. Face à la maladie, peut-on préserver la visée autonomiste qui consiste dans la possibilité pour le malade de faire des choix ? La vulnérabilité encadrée par le droit ne va jamais à l'encontre du principe de l'autonomie. Mais l'idéal de l'individu autonome est assez éloigné de la réalité médicale. L'asymétrie dans la relation de soin met en évidence une absence de réciprocité que le droit tente de corriger par la référence au principe d'autonomie et l'exercice du consentement éclairé. Cette asymétrie fonde la responsabilité éthique.

Sylvain, le frère de la narratrice, ouvrier agricole, est hospitalisé pour une leucémie. Il a été empoisonné en « traitant » les champs de son patron. La Malchimie de Gisèle Bienne ouvre la porte des chambres où souffrent les malades des pesticides, enquête sur les produits utilisés et sur l'histoire de ces firmes. Face à la « malchimie » mortifère, cependant, l'alchimie de l'artiste donne vie aux êtres, à son frère aimé, à leur enfance dans les champs et les prés « avant les pesticides ». Le récit rend présentes la souffrance de Sylvain, semblable à celle des grands blessés de guerre, et l'angoisse de sa sœur. Le lecteur, devant un bidon de glyphosate, en percevra les effets sur des corps vulnérables. La Malchimie résiste par sa force poétique à l'emprise du malheur - pour Sylvain et pour les « âmes errantes » victimes de cette insidieuse violence.

Si la notion de « vulnérabilité » peut se définir, simplement, par le renvoi à la personne qui peut être blessé, la simplicité de cette définition masque sa réelle complexité en droit. Définie précisément par le droit pénal, elle trouve pourtant une application privilégiée en droit des personnes, qui n'y fait référence qu'implicitement. Les applications de cette notion sont néanmoins diverses et transcendent les différentes branches du droit. Il convient alors de déterminer son domaine d'application, dont le champ semble devoir poursuivre son évolution.

La mission de l'institution judiciaire est de protéger les plus vulnérables - qu'il s'agisse de mineurs en difficulté, des personnes âgées, des sans domicile fixe, des malades souffrant de troubles psychiatriques... - mais est-elle la mieux placée pour cela ? Comment arbitrer entre la protection, l'accompagnement et la contrainte ? Quelle est la capacité réelle de l'institution de remplir sa mission de protection ? Et comment trouver l'équilibre entre la nécessité de la protection et le respect de la volonté de la personne ? Telles sont les questions abordées par ce texte qui se situe au plus près de la pratique judiciaire et des attentes des justiciables en situation de vulnérabilité.

À travers des exemples pratiques, Marie-Hélène Coste Vetro tente de répondre à la question de savoir ce que sont les vulnérabilités que doit apprécier le juge pénal dans l'exercice de son métier et comment il peut aider et protéger les personnes qui y sont soumises. Il y a d'abord les vulnérabilités qui sont prévues par les textes ce qui exige du magistrat d'en déterminer le degré. Il y a ensuite toutes les formes de vulnérabilités qui ne sont pas catégorisées et celles qui ne sont que probables ou induites.

Dans ses rapports avec le droit le concept de vulnérabilité, appliqué à ce qui donne prise à une atteinte préjudiciable, ne peut s'envisager qu'au pluriel. Les vulnérabilités des personnes se prêtent à une véritable recherche, qui appelle une prévention et un traitement, par protection ou fortification des personnes concernées. La jurisprudence convie sur ce point à un vaste et rigoureux voyage, dans un contexte de réalisme excluant l'inspiration paradisiaque.

Dans son récent classement relatif à l'indépendance des magistrats, le World Economic Forum a positionné en deuxième moitié de liste certains États d'Asie centrale, bien que leurs Constitutions et lois pertinentes prévoient des garanties d'indépendance des magistrats. Le présent article examine certains obstacles pratiques à l'exercice de l'indépendance des magistrats dans cette région et suggère des moyens possibles pour les surmonter. Il souligne également que la qualité de l'administration de la justice est importante non seulement pour le règlement de litiges spécifiques entre personnes physiques et morales mais, plus généralement, pour l'amélioration du bien-être social et pour le développement social et économique.

L'article s'emploie à examiner comment le concept de vulnérabilité s'est constitué en sciences sociales, et comment il s'est cristallisé dans le travail théorique de Robert Castel. Celui-ci propose une interprétation dynamique des situations de difficultés sociales propres à la société salariale telle qu'elle s'est constituée au 20e siècle, dans lequel le concept de vulnérabilité peut prendre place, à condition de se distinguer des lectures proposées dans le champ de l'environnement ou de la gériatrie.

On l'a dit, l'habit ne fait pas le moine, ni le bonnet le docteur, ni la barbe le philosophe, ni la robe le magistrat. Mais s'il en va bien ainsi, c'est à l'exception de celui-ci. Après avoir distingué son statut de sa fonction et de son rôle et avoir ressaisi les sens du vêtement en général, on s'attachera à éclairer l'essence de sa robe en particulier, signe certes, mais moins indice, signal ou symbole qu'allégorie au final. Et on le verra : il suffit à un homme d'avoir l'étoffe du magistrat pour avoir l'étoffe d'un magistrat - ce qui n'est pas peu dire.

Le droit a partagé le monde en deux : d'un côté, les personnes ; de l'autre, les choses, tout ce qui n'est pas une personne étant nécessairement une chose, objet de droit. Ce statut de chose n'est cependant pas adapté à l'animal « être sensible » que certains voudraient voir sujet de droit et imposent de rechercher un statut alternatif. Le statut de « personne non humaine » qui est le plus souvent revendiqué est cependant sujet à caution et ne peut être envisagé qu'avec d'infinies précautions. Sans doute conviendrait-il de lui conférer un statut intermédiaire entre la personne et la chose sans en faire la personne qu'il n'est pas, même non humaine, faire du respect de l'animal une obligation effective et fonder ces obligations sur la dignité de l'homme autant que sur la dignité animale.