Contenu du sommaire : Technologies et jeux de pouvoir
Revue | Quaderni |
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Numéro | no 99-100, hiver 2019-2020 |
Titre du numéro | Technologies et jeux de pouvoir |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Fictions du pouvoir - Emmanuel Taïeb, Étienne Candel p. 5-6
- Hommage à Lucien Sfez - Pierre Musso p. 7-8
- Un témoignage sur Lucien Sfez - Daniel Dayan p. 9-12
- Utopie, fiction et politique dans les Quaderni - Marc Chopplet p. 13-25 Politique et fictions entretiennent des rapports constants et étroits dans des domaines extrêmement variés allant des nouvelles technologies aux politiques urbaines, de l'écologie à la création cinématographique, de l'enseignement aux médias. En posant un regard rétrospectif sur les dossiers publiés par les Quaderni depuis trente ans, cet article met en évidence une transformation radicale des formes, des figures et des enjeux de communication. Des utopies technologiques aux dystopies de la science fiction, des storytellings aux mini-récits fragmentaires, des fictions complotistes aux fake news, c'est l'ensemble du champ politique qui semble contaminé par la fiction et s'engloutir en elle. Un parallèle avec les travaux de l'américain Fredric Jameson permet de souligner l'apport spécifique de la démarche des Quaderni dans l'analyse critique des rapports entre technologie, communication et pouvoir.Politics and fiction have a constant and close links in a wide variety of fields, ranging from new technologies to urban policies, from ecology to filmmaking, from teaching to medias. By looking back on the files published by the Quaderni over the last thirty years, this article highlights a radical transformation of forms, figures and communication issues. From technological utopias to dystopias of science fiction, from storytelling to fragmentary mini-narratives, from conspiracy fiction to fake news, it is the whole political field that seems contaminated by fiction and engulfs itself in it. A parallel with the work of the American Fredric Jameson highlights the specific contribution of the Quaderni approach in the critical analysis of the relationship between technology, communication and power.
- La ville se métamorphose, elle se qualifie désormais de smart : que révèlent ces ‘nouveaux' récits ? - Cynthia Ghorra-Gobin p. 27-37 Après avoir rappelé l'invention de nouveaux mots et concepts pour qualifier les mutations de la ville en lien avec la mondialisation et la globalisation, l'article s'interroge sur le sens à accorder aux cinq principaux récits qui entourent la ville devenue smart. Il suggère d'adopter le principe d'une mobilisation sociale au profit de l'invention d'une condition éthique du recours à l'Intelligence Artificielle (IA).After recalling the invention of new words and concepts to describe the city's transformations in relation to globalization, the article questions the meaning to be given to the five main stories that surround the city that has become smart. It suggests adopting the principle of social mobilization in favor of the invention of an ethical condition for the use of Artificial Intelligence (AI).
- La communication et l'entreprise, d'un siècle à l'autre : De l'entreprise post-marshallienne à l'entreprise plateforme.Le point de vue d'un économiste - Bernard Paulré p. 39-67 L'introduction de la communication dans l'étude économique de l'entreprise pose à l'économiste un problème intéressant même s'il n'est pas nouveau : celui de la nature et du degré d'abstraction requis pour que les conclusions de son analyse de l'entreprise aient une certaine portée générale et permettent de répondre aux problèmes qu'il se pose, en tant qu'économiste. Nous allons nous intéresser d'abord à la façon dont la théorie microéconomique commence par évincer, puis réintroduit la communication et l'information. Les limites de ce cadre d'interprétation conduiront, dans le prolongement des travaux des économistes behavioristes notamment (H. Simon, R. M. Cyert et J. G. March), à privilégier l'organisation et non plus l'entreprise comme cadre et objet d'analyse. Nous rendrons compte des diverses façons dont la communication et l'information sont alors introduites comme éléments de l'organisation. Mais le dépassement de cette perspective devient à son tour nécessaire à partir du moment où la diffusion et la pénétration massive du numérique et des réseaux sociaux changent la nature et la logique de fonctionnement de ce qu'on appelle les entreprises plateformes. Une nouvelle forme d'entreprise émerge, que certains considèrent déjà comme la forme emblématique de la société de l'information. Ses caractéristiques sont telles que ni le cadre d'analyse microéconomique, ni le cadre d'analyse organisationnel ne sont adaptés à sa nature. Plus particulièrement, l'idée d'un fonctionnement « intérieur » produisant un comportement global en interaction avec un environnement ne semble plus une façon pertinente d'aborder cette nouvelle structure. Un nouveau type de représentations'impose.The introduction of communication in the economic study of the firm raises an interesting problem for the economist, even if it is not new : what are the nature and degree of abstraction required for the conclusions of his analysis to be general in nature and to address the problems he raises as an economist.
We will first focus on this question : how microeconomic theory first eliminates, and then reintroduces communication and information ? The limits of this approach will lead, on the basis of the works of behaviorist economists (H. Simon, R. M. Cyert and J. G. March..) more particularly, to emphasis the organization and no longer the firm as framework and object of analysis. We will report on the various ways in which communication and information are then introduced as part of organizations.
But a new form of enterprise is now emerging, platform companies, which some already consider to be the emblematic form of the information society. So looking beyond the organization approach seems to become necessary as the massive diffusion and penetration of digital and social networks is changing the nature and operating logic of firms. Its characteristics are such that neither the microeconomic analysis framework nor the organizational analysis framework are adapted to its nature. More particularly, the idea of an internal operation producing a global behavior in interaction with an environment no longer seems a relevant way to approach this new structure. A new type of representation is thenneeded. - Management et évaluation de l'enseignement supérieur dans les années 2000 - Christine Barats p. 69-80 Cet article examine les transformations dans l'Enseignement supérieur et la recherche (ESR) en mettant l'accent sur les liens entre technologies, management et évaluation. Après avoir examiné les enjeux de pouvoir au cœur du déploiement des technologies de l'information et de la communication (TIC) et leurs liens avec les impératifs managériaux et de gestion, il montre que les transformations sont le fruit de logiques plurielles. Les impératifs managériaux et gestionnaires ont ainsi rencontré un autre impératif prégnant dans les années 2000, celui de l'évaluation qui s'est traduit par la mise en place d'agences et la multiplication de classements, en particulier internationaux, traits saillants des transformations de l'ESR.This article examines transformations in higher education and research with an emphasis on the links between technology, management and evaluation. After examining the power challenges at the heart of the deployment of information and communication technologies (ICT) and their links with managerial and management imperatives, he shows that transformations are the result of plural logics. Managerial imperatives thus met another imperative that prevailed in the 2000s, that of evaluation, which resulted in the establishment of agencies and the multiplication of rankings, particularly international ones, which are salient features of higher education's transformations.
- La démocratisation culturelle, illusion ou utopie en devenir ? - Patrick Germain-Thomas p. 81-95 Axe central des politiques culturelles publiques, la notion de démocratisation fait l'objet de débats récurrents. Si le principe de l'intervention du pouvoir politique dans un processus d'élargissement au plus grand nombre de l'accès aux expériences esthétiques s'impose dans les esprits à partir de la première moitié du XXe siècle, le terme même de démocratisation reste porteur d'une ambivalence entre l'idée d'un partage de l'art et de la culture et le nombre relativement restreint d'acteurs participant effectivement au processus de valorisation et de reconnaissance des artistes et des œuvres. Les critiques peuvent porter à la fois sur l'illégitimité du projet politique – un processus idéologique d'imposition de valeurs dominantes – et sur son inefficacité – une incapacité à dépasser les stratifications sociales. L'objectif de cet article est d'apprécier la contribution de la revue Quaderni au sein de ces débats, tout en la situant dans un dialogue avec d'autres sources. Loin de se figer sur des positions acquises, l'article cherche à ouvrir de larges perspectives sur des recherches à venir, notamment sur le thème des « droits culturels » et sur le potentiel de nouvelles formes de médiation.A veritable lynchpin of public cultural policies, the notion of democratisation gives rise to frequent debate. It is a fact that the intervention of the political authorities in order to open access to aesthetic experience to the general public became widely accepted from the first half of the 20th Century onwards. Yet the very term democratisation expresses a certain ambivalence due to the contradiction between the idea of shared access to art and the relatively limited number of players who actually participate in the process of appreciation and recognition of artists and their works. Criticism can be directed both at the illegitimacy of the political project – an ideological process involving the imposition of dominant values – and at its inefficiency – an inability to transcend class barriers. The aim of this article is to assess the contribution of the journal Quaderni to this debate, while at the same time comparing and contrasting this contribution with alternative sources. Far from seeking to establish an entrenched viewpoint the article aspires to open up areas of reflection for forthcoming research, notably regarding the topic of “cultural rights” and the potential for new forms of mediation.
- La démocratisation culturelle et les promesses des médiations culturelles numériques : mirage ou tournant ? - Dominique Pagès p. 97-112 Depuis plus de vingt ans, la diversification et la redéfinition des médiations culturelles sont énoncées comme des réponses à la critique portée à l'entreprise de démocratisation de la culture. Cet article se focalise plus particulièrement sur les médiations culturelles numériques et sur les promesses qui accompagnent leur déploiement comme l'une des « solutions » à la supposée inadéquation entre les moyens et les fins de la démocratisation de la culture. Au fil de l'étude d'un échantillon de dispositifs et d'une relecture de textes de chercheurs, il questionne le contexte d'émergence de ces médiations, les discours évangélisateurs qui les portent et les expériences données à vivre, relançant une critique de la culture numérique, notamment dans les pratiques muséales.For more than twenty years, the diversification and redefinition of cultural mediations have been described as responses to the criticism of the democratization of culture. This article focuses more specifically on digital cultural mediations and on the promises that accompany their deployment as one of the "solutions" to the supposed inadequacy between the means and the ends of the democratization of culture. Over the course of the study of a sample of devices and a review of the texts of researchers, it questions the context of emergence of these mediations, the evangelizing discourses that convey them and the provided experiences, reviving a critique of digital culture, especially in museum practices.
- Le désir technologique de Dieu - Pierre Musso p. 113-124 Les références au sacré et à Dieu sont omniprésentes dans les discours sur les techniques. L'invocation du divin, de l'immortalité et de la transcendance est censée apporter un supplément d'âme à la prolifération des innovations technicistes. La Silicon Valley est portée par une « idéologie technico-mystique » héritière de la cybernétique et revivifiée par le New Age. L'anthropologie souligne le lien entre le symbolique et la technicité pour définir le rapport d'extériorité et d'objectivation de l'homme au monde. Toutefois la technique ne peut pas symboliser, mais elle ne va pas sans récit, sans imaginaire et sans fictions. La technique est biface : fonctionnelle et fictionnelle. Si la technique ne peut symboliser, elle n'est donc pas « instituante » comme l'a montré Lucien Sfez. Elle ne peut instituer, mais l'institution entrepreneuriale qui la met en œuvre, elle, le peut. La technique est « instituée » par l'industrie.References to the sacred and to God are omnipresent in the discourses on techniques. The invocation of the divine, immortality and transcendence is supposed to bring more soul to the proliferation of technological innovations. Silicon Valley is driven by a "technical-mystical ideology" that inherited cybernetics and was revived by the New Age. Anthropology underlines the link between symbolism and technicality to define man's relationship of exteriority and objectification to the world. However, technology cannot symbolize, but it cannot go without a narrative, without imagination and without fictions. The technique is functional and fictional on both sides. If technology cannot symbolize, it is not "instituent" as Lucien Sfez has shown. It cannot institute, but the entrepreneurial institution that implements it can. The technique is « instituted » by industry.
- Transhumanisme et santé parfaite - Emmanuel Taïeb p. 125-135 Cet article examine divers textes du courant transhumaniste portant spécifiquement sur la question de la médecine, pour montrer qu'ils relèvent du paradigme de la « santé parfaite », et plus largement du biopouvoir. Dans ce mouvement, le corps devient le support d'un gouvernement de soi passant par la technique pour lutter contre un destin somatique jugé inacceptable. Étudié à nouveaux frais, ce transhumanisme apparaît comme une utopie réaliste, ou au moins raisonnable, où les technologies seraient au service du soin. Loin de la réception exclusivement critique dont elle fait l'objet en France, la dimension médicale du transhumanisme relève finalement du souci de soi et de la recherche d'un « bonheur biologique ».This paper reads several transhumanist papers that focus on the medical issue, in order to show that they belong to the “perfect health” paradigm, and more largely to the biopower. In this logic, the body becomes the support on which the government of the self is based. It's channeling by the technology to fight against an inacceptable somatic fate. In this perspective, this branch of the transhumanism appears to be a realistic utopia, or at least reasonable, where technologies serve the care. Far for its French unanimous critic reception, the medical dimension of the transhumanismis is finally a kind of “care of the self” and the pursuit of a “biological happiness”.
- Les nouveaux outils du pouvoir : tours et atours technologiques de l'autorité - Étienne Candel p. 137-150 En quoi le numérique est-il porteur, au juste, de pouvoirs ? Cet article propose une approche des médias informatisés ancrée avant tout dans la matérialité écrite de ces outils, qui assurent des médiations sociales et humaines, investissent leurs usagers de capacités symboliques et leur permettent de déployer leur action dans le monde. Tenant à la fois le cas strictement politique des outils de contrôle et de maîtrise mis à disposition des gouvernants et la puissance sourdement impliquée dans les jeux ordinaires des interfaces, l'article analyse avant tout le pouvoir des objets numériques sous l'aspect du visible. À cette étude est adjointe une observation du faire numérique, entre manipulation des objets et régime généralisé de leur valorisation. Les tours technologiques de l'autorité, explique-t-il ainsi, sont indissociables de leurs atours, par lesquels des outils sont investis symboliquement comme signes de la puissance.In what way does digital technology bring with it powers ? This article proposes a computerized media approach anchored above all in the written materiality of these tools, which ensure social and human mediations, invest their users with symbolic capacities and allow them to deploy their action in the world. Taking at the same time the strictly political case of the tools of control put at the disposal of the governors and the power deafly implied in the ordinary games of the interfaces, this article analyzes above all the power of the digital objects under the aspect of visible. To this study is added an observation of the digital phenomenon, between the manipulation of objects and the generalized regime of their valorization. The technological towers of authority, he explains, are inseparable from their finery, through which tools are symbolically invested as signs of power.
Politique
- Gilets Jaunes : la carte (les réseaux sociaux) précède le territoire (les ronds-points) - Jean-Marie Vernier p. 151-158 Peu d'attention a été portée aux significations de la « forme » prise par le mouvement des Gilets Jaunes : le triptyque rond-point /gilet jaune/réseaux sociaux. Ces formes singulières sont analysées dans cet article. En premier lieu, il est rappelé l'importance symbolique de la voiture qui est au cœur de ce mouvement, les manifestants se sentant victimes d'une « chasse à l'automobiliste ». Le mythe de la voiture est écorné. Mais ces manifestations ne tombent pas du ciel, elles ont été largement préparées, dès le début 2018, par des groupes nés sur Facebook intitulés « Colère ». L'emblème du mouvement (le gilet jaune) se révèle vide de sens et le moyen d'action (le blocage des ronds-points) une impasse. Tout cela ne pouvait que s'effilocher dans un simulacre de démocratie sans État.Little attention has been paid to the meanings of the « form » taken by the Yellow Jacket movement : the triptych roundabout/ yellow vest/social networks. These singular forms are analyzed in this article. First of all, it is reminded of the symbolic importance of the car that is at the heart of this movement, the protesters feeling victims of a « car hunt ». The myth of the car is chipped. But these events do not fall from the sky, they were largely prepared, in early 2018, by groups born on Facebook entitled « Anger ». The emblem of the movement (the yellow jacket) is meaningless and the means of action (blocking roundabouts) a dead end. All this could only end in a simulacrum of stateless democracy.
- Gilets Jaunes : la carte (les réseaux sociaux) précède le territoire (les ronds-points) - Jean-Marie Vernier p. 151-158
Livres en revue
- Arnaud Mercier, Nathalie Pignard-Cheynel , #info, Commenter et partager l'actualité sur Twitter et Facebook - Christine Barats p. 159-167
- Yves-Marie Bercé, Esprits et Démons. Histoire des phénomènes d'hystérie collective - Véronique Campion-Vincent p. 169-172