Contenu du sommaire : Identification, visibilité et reconnaissance des populations autochtones : quels enjeux géographiques ?
Revue | Espace Populations Sociétés |
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Numéro | no 2, 2020 |
Titre du numéro | Identification, visibilité et reconnaissance des populations autochtones : quels enjeux géographiques ? |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Identification, visibilité et reconnaissance des populations autochtones : quels enjeux géographiques ? - Bastien Sepúlveda, Éric Glon, Frédéric Dumont
I. Définir, identifier, dénombrer les populations autochtones : qui est autochtone ?
- Introducing a Registry of Indigenous Persons in Russia: Rationale and Challenges - Gail Fondahl, Viktoriya Filippova, Antonina Savvinova De nombreuses lois reconnaissent des droits aux peuples indigènes au sein de la fédération de Russie. Ces populations ont pourtant des difficultés à accéder à ces droits et les leaders autochtones demandent depuis deux décennies au gouvernement russe de prendre en compte leur situation. Une loi a été adoptée au niveau fédéral en janvier 2020 pour la création d'un registre des personnes autochtones. Dans cet article nous insistons d'abord sur la genèse du problème, les mesures provisoires que les différentes régions ont prises pour traiter ces difficultés et les défis qui restent à surmonter pour envisager l'application de cette loi. Pour aborder ces différents points nous nous appuyons sur leur couverture médiatique dans la presse, sur le débat scientifique qu'ils suscitent ainsi que des entretiens avec les leaders autochtones et leurs alliés au sein de la fédération de Russie. Nous en arrivons à l'idée que ce registre reste problématique et controversé car l'Etat continue de délimiter l'indigénéité et l'exercice des droits autochtones de manière restrictive.Numerous Russian laws recognize rights of, and provide for benefits to, Indigenous peoples living within the Russian Federation. Yet in the past two decades, Indigenous persons have faced challenges in accessing these rights, having no way to prove that they are members of an Indigenous people. For almost two decades, Indigenous leaders have petitioned the Russian government to address this situation, and in January 2020, the Government of Russia passed a law to create a registry of Indigenous persons. Drawing on news coverage, scholarly discussion and interviews with Indigenous leaders and their allies in the Russian Federation, we describe the genesis of the problem, the interim measures various regions adopted to address the problem, and the unresolved challenges facing the implementation of this law. We recognize the registry as a problematic and contested legal site through which the state continues to delimit Indigeneity in ways that afford but also constrain rights.
- Thinking about Indigeneity with Respect to Time and Space: Reflections from Southeast Asia - Ian G. Baird La plupart des gens considèrent comme allant de soi qu'il est relativement facile de déterminer qui est autochtone et qui ne l'est pas. En effet, dans les Amériques et en Océanie, où se sont implantées d'importantes colonies de peuplement, les peuples autochtones sont généralement considérés comme les descendants de ceux qui habitaient ces espaces avant l'arrivée des colons blancs. L'Asie du Sud-Est, qui a moins été concernée par cette forme d'implantation, n'a toutefois pas moins été marquée par le colonialisme européen, rendant la question « qui est autochtone ? » beaucoup plus difficile à répondre. Cette question est par ailleurs contestée sur le plan politique, dans la mesure où tant les minorités ethniques que les populations majoritaires peuvent vraisemblablement revendiquer qu'ils sont autochtones là où ils vivent. Il est à cet égard symptomatique que, suivant ce que l'on connaît désormais comme la « théorie des eaux salées », la plupart des États en Asie du Sud-Est considèrent soit que leurs populations sont toutes autochtones, soit qu'il n'y a pas de peuples autochtones en leur sein. Aussi, de nouvelles conceptions globalisées de l'autochtonie circulent, s'hybrident et se mettent en place, bien qu'inégalement. Il est remarquable que les peuples autochtones tendent désormais à être conceptualisés en tant que « peuples colonisés », davantage que comme simples « peuples premiers », dissociant ainsi partiellement l'autochtonie de l'espace et du temps. Dans cet article, je soutiens que les idées associées à l'autochtonie sont en perpétuel changement et se trouvent mieux prises en compte sous l'angle du temps et de l'espace, concepts servant de fondement aux affirmations relatives à qui est autochtone et qui ne l'est pas.Most people take it for granted that it is relatively easy to determine who is Indigenous and who is not. Indeed, in the Americas and Oceania, where a lot of settler colonialism occurred, Indigenous peoples are generally considered to be the descendants of those who inhabited these spaces prior to the arrival of white settlers. In Southeast Asia, however, there was plenty of European colonialism, but much less white settler colonization. This has made the question of “who is Indigenous” much more difficult to answer, and politically contested, as both ethnic minority and majority populations are able to credibly claim that they are “Indigenous” to where they live. Indicative of the contested nature of the issue, and following what has come to be known as the ‘salt-water theory', most states in Southeast Asia stipulate that their populations are either all Indigenous, or that there are no Indigenous peoples within their borders. Yet new globalized conceptions of indigeneity are circulating, hybridizing and taking hold, albeit unevenly. Crucially, Indigenous peoples are now increasingly being conceptualized as “colonized peoples” rather than simply “first peoples”, thus partially uncoupling indigeneity from space and time. In this paper, I contend that relational ideas associated with indigeneity are perpetually changing and are best considered through the lens of time and space, concepts that serve as the foundation for assertions related to who is Indigenous and who is not.
- De l'invisibilité des Jummas du Bangladesh à leur identification comme peuples autochtones Quelle place, dans ce processus, aux représentations construites du territoire des Hill Tracts comme de ses habitants ? - Paul Nicolas Les Jummas qui habitent les Chittagong Hill Tracts au Bangladesh se sont affrontés à l'armée de ce pays de 1978 à 1997. Ils réclament encore aujourd'hui que soient appliqués les accords qui ont mis fin à la guerre. Ils se considèrent comme un peuple autochtone et certains de leurs leaders jouent un rôle actif, au sein de ce mouvement à l'ONU, espérant là un nouveau levier pour faire reconnaitre leurs droits. L'article interroge le processus par lequel des populations diverses, nommées Hill Tribes (Peuples des collines) par les Anglais au temps de la colonisation, ont progressivement trouvé leur unité sous le nom de Jummas avant de se considérer aujourd'hui comme peuples autochtones. Pour répondre à cette question, l'article s'appuie sur l'analyse de documents officiels (textes juridiques, recensements, etc.) et fait un bilan de la bibliographie sur ce sujet. Il a ainsi été possible de dégager l'évolution sur deux siècles, des formes de domination exercée sur les Peuples des collines et leur territoire par les autorités de l'Empire britannique (1860-1947), du Pakistan (1947-1971) puis du Bangladesh. L'article montre comment à chaque étape, les populations des Hill Tracts, considérées comme négligeables, ont été invisibilisées et comment les représentations construites par les puissances dominantes sur le territoire des Hill Tracts ont pesé sur leur destin. Dans ces contextes de domination, la solution pour certains a été l'exil (Inde, Birmanie). D'autres ont tenté de résister. Des chefs traditionnels et des mouvements politiques ont essayé, avec des succès limités, de faire entendre la voix des Peuples des collines jusqu'au moment où, face à l'accaparement de leur terre, ils en sont venus à une insurrection armée (1977-1997). C'est à ce moment-là que les Peuples des collines ont construit leur unité sous le nom de Jummas et trouvé une certaine visibilité renforcée récemment par leur implication au sein du mouvement des peuples autochtones.The Jummas who live in the Chittagong Hill Tracts in Bangladesh went to war against the army of this country from 1978 to 1997. They still claim today for the agreements that ended the war to be implemented. They see themselves as an indigenous people and some of their leaders play an active role in this movement at the UN, hoping there for a new leverage to have their rights recognized.The article questions the process through which various people, called Hill Tribes by the English in the time of colonization, gradually found their unity under the name of Jummas before considering themselves today as indigenous people. To answer this question, the article is based on the analysis of official documents (legal texts, censuses, etc.) and on a review of the bibliography on this subject. It was thus possible to draw the evolution over two centuries, of the forms of domination exercised over the Hill People and their territory by the authorities of the British Empire (1860-1947), of Pakistan (1947-1971) and then of Bangladesh. The article shows how, at each stage, Hill Tracts populations, considered negligible, became invisible and how the representations built by the dominant powers in the territory of the Hill Tracts weighed heavy on their destiny.In these contexts of domination, the solution for some of them has been exile (India, Burma). Others have tried to resist. Traditional leaders and political movements have attempted, with limited success, to make the voice of the Hill People heard until, when faced with the grabbing of their land, they came to an armed uprising (1977- 1997). It was at that time that the Hill People built their unity as Jummas and gained some visibility recently strengthened by their involvement in the indigenous peoples movement.
- From French Guiana to Brazil: Entanglements, Migrations and Demarcations of the Kaliña - Fabio Santos Cet article met en lumière le groupe amérindien Kaliña qui habite à la frontière franco-brésilienne. En combinant des travaux anthropologiques historiques existants avec des nouvelles perspectives ethnographiques de trois femmes vivant dans le nord du Brésil, cet article montre qu'une liaison de multiples facteurs a conduit à la délocalisation de ce groupe Kaliña de la Guyane française au Brésil dans les années 1950. Les discriminations historiques - y compris l'exploitation et l'exotisation des membres des Kaliña dans les « zoos humains » à la fin du XIXe siècle - et une poussée à l'assimilation à la suite de la départementalisation de la Guyane française sont des raisons jusqu'ici inexplorées de cette migration qui a abouti à la démarcation d'un territoire autochtone sur la rive brésilienne du fleuve Oyapock en 1982. En privilégiant des perspectives féminines, ce chapitre met également en évidence la place centrale du genre dans les inégalités enchevêtrées auxquelles les Kaliñas à la frontière franco-brésilienne ont été confrontés dans le passé et dans le présent.This article sheds light on the indigenous Kaliña in the French-Brazilian borderland. By combining existing historical anthropological work with new ethnographic perspectives from three Kaliña women living in northern Brazil, this article shows that a web of multiple factors led to this Kaliña group's relocation from French Guiana to Brazil in the 1950s. Historical discriminations—including the exploitation and exoticization of Kaliña members in ‘human zoos' in the late 19th century—and a push for assimilation in the aftermath of French Guiana's ‘départementalisation' are hitherto underexplored reasons behind this migration, which resulted in the demarcation of an indigenous territory on the Brazilian side of the Oyapock River in 1982. By privileging female perspectives, this chapter also points to the centrality of gender within entangled inequalities which the Kaliña in the French-Brazilian borderland were confronted with in the past and in the present.
- Introducing a Registry of Indigenous Persons in Russia: Rationale and Challenges - Gail Fondahl, Viktoriya Filippova, Antonina Savvinova
- Geographical issues on identification, visibility and recognition of Indigenous populations - Bastien Sepúlveda, Éric Glon, Frédéric Dumont
II. De l'identification des populations autochtones à la reconnaissance de leurs territoires : quelle(s) géographie(s) ?
- Construction de l'identité tribale et revendications territoriales des Miri-Mising au Nord-est de l'Inde - Emilie Crémin La construction d'une identité tribale ou d'une « autochtonie » pour revendiquer des territoires s'avère compliquée dès lors que les groupes sont issus de mouvements migratoires successifs et connaissent des processus d'assimilation et d'intégration au sein de groupes sociaux dominants. En Inde, bien qu'ils aient pu être mobiles, certains groupes répertoriés à l'époque coloniale bénéficient du statut juridique de scheduled tribes, depuis l'Indépendance du pays. La définition d'une identité tribale, « autochtone », reste néanmoins un enjeu important pour des communautés qui revendiquent une appartenance territoriale et une gestion autonome de leur territoire dans un contexte de croissance et de pression démographiques continues.Aux confins de l'Asie du sud, entre le Tibet, la Birmanie, le Bangladesh et le Bhoutan, le nord-est de l'Inde est peuplé d'une grande diversité de groupes ethnolinguistiques : tibéto-birmans, indo-européens et môn-khmères. Parmi ces communautés, se trouvent les Miri-Mising auxquels nous nous attacherons dans cet article. Cette communauté a construit son identité tribale sur des bases mythiques et sous l'influence de mouvements religieux (chrétienté, hindouisme panindien, syncrétisme local). Les Leaders de la communauté portent les revendications pour obtenir l'accès à des droits constitutionnels accordés aux communautés tribales. Ils réclament une gestion autonome tout en restant confrontés au dilemme d'un territoire discontinu.The construction of a tribal or indigenous identity to claim territories is complicated for groups whose history and social life are embedded in different migrations, assimilation and integration processes. In India, although they may have been mobile, certain groups listed in the colonial era have enjoyed the legal status of scheduled tribes since the country's independence. The definition of a tribal identity, "indigenous", nevertheless remains an important issue for communities which claim territorial belonging and autonomous management of their territory in a context of continuous demographic growth and pressure.On the borders of South Asia, between Tibet, Burma, Bangladesh and Bhutan, the northeast of India is populated by a great diversity of ethnolinguistic groups: Tibetan-Burmese, Indo-European and Mon - Khmer. Among these communities are the Miri-Mising to which we will focus in this article. This community has built its tribal identity on mythical bases and under the influence of religious movements (Christianity, Panindian Hinduism, local syncretism). Community leaders are pushing for access to constitutional rights granted to tribal communities. They demand autonomous management while remaining faced with the dilemma of a discontinuous territory.
- Settler-Colonial Spatial Logics and Indigenous internal (non)Migration in Australia - Sarah Prout Quicke En Australie, le concept nébuleux “d'isolement géographique” est au cœur de la politique sociale destinée au monde autochtone. Un imaginaire spatial tenace ancré dans la colonisation de peuplement considère l'Australie profonde simultanément en tant qu'espace de prédilection d'une autochtonie authentique, et comme un problème politique de grande complexité. Au cours des 50 dernières années, les petites communautés autochtones qui prédominent dans l'Australie profonde ont été essentiellement qualifiées, de façon cyclique et sur le plan discursif, de parasites : économiquement improductives (dans une logique néolibérale), socialement dysfonctionnelles et placées de ce fait sous perfusion de la dépense sociale gouvernementale. L'État soutient que l'investissement continu dans des services et des infrastructures essentielles dans ces petites communautés n'est pas viable. La justice spatiale et procédurale à l'origine de ces situations produit des géographies historiques dont la complexité et l'importance doivent être questionnées et prudemment analysées. L'objectif de cet article est cependant d'aborder de façon critique la « solution » politique envisagée au regard de « l'embarrassante tâche » de gouverner l'isolement géographique autochtone. En pratique, les politiques publiques australiennes reposent précisément sur l'idée tacite et largement infondée selon laquelle un accroissement de la migration autochtone des petites communautés rurales isolées vers de petites et grandes villes, parce qu'elle faciliterait l'accès des autochtones à l'éducation et à l'embauche, résoudra plus ou moins automatiquement ce problème politique complexe. Les données empiriques présentées dans cet article suggèrent que la population autochtone australienne expérimenterait actuellement une transition urbaine comparable à celle de nombreuses sociétés plus profondément rurales encore en Asie et en Afrique. Cependant, le contexte, la régulation, la gestion, l'expérience et les résultats de la migration des secteurs ruraux isolés vers la ville sont sans doute considérablement différents dans des États fondés sur des colonies de peuplement tel que l'Australie et dans des pays à faible et moyen revenu, et pas forcément toujours en phase avec les objectifs des politiques sociales étatiques. Cet article envisage de ce fait des approches alternatives à la manière d'aborder théoriquement la migration autochtone en géographie. Il revient en particulier sur la théorie des systèmes de migration rurale-urbaine de Mabogunje [1970], qui prête à la fois attention aux spécificités du contexte économique, socio-culturel et politique plus large dans lequel la migration prend place, et à la capacité d'agir des migrants, à leurs logiques, et à leur prise de décision et ses conséquences. Tout en dépassant ce que Kukutai et Taylor [2012] qualifient de « démographie postcoloniale » conventionnelle, une telle démarche invite à explorer les formes d'engagement possibles dans un savoir envisageant les décisions, catégories, expériences et conséquences de la migration autochtone dans une perspective décolonisée.In Australia, the nebulous concept of ‘remoteness' is central to Indigenous Affairs social policy. An enduring settler-colonial spatial imaginary positions remote Australia as simultaneously both the heartland of authentic Indigeneity, and a wicked policy problem. Over the last 50 years, the small Indigenous communities that predominate in remote Australia have been cyclically and discursively positioned as essentially parasitic: economically unproductive (in a neoliberal market sense), socially dysfunctional, and a consequent drain on government social spending. The state argues that continued investment in essential infrastructure and services in these small communities is not sustainable. The complex and important historical geographies of spatial and procedural justice that produce such renderings demand their own careful analysis and critique. The task of this paper, however, is to critically consider the preferred policy “solution” to the perceived predicament of governing Indigenous remoteness. Specifically, there are tacit, and largely untested, assumptions within Australian public praxis that greater Indigenous migration from small remote and rural communities to larger towns and cities, as a means of increasing Indigenous education and employment outcomes, will more or less automatically resolve this wicked policy problem. The empirical data presented in this paper suggest that the Indigenous Australian population is probably experiencing an urban transition at a similar rate to many more rurally-based societies in Asia and Africa. However, the context, regulation, management, experience and outcomes of remote/rural-urban migration are arguably vastly different in settler-states such as Australia than in low- and middle-income countries and not necessarily always aligned with State social policy objectives. This paper therefore considers alternative approaches to geographical theorising about Indigenous migration. In particular it returns to Mabogunje's [1970] systems theory of rural-urban migration which is attentive to the specifics of both the wider economic, socio-cultural and political environment within migration occurs, as well as migrant agency, logics, decision-making processes and outcomes. This facilitates a move beyond what Kukutai and Taylor [2012] refer to as conventional ‘postcolonial demography', to explore how we might engage in decolonising scholarship of Indigenous migration decisions, categories, experiences and outcomes.
- Nature's rights as Indigenous rights? Mis/recognition through personhood for Te Urewera - Brad Coombes En Aotearoa (nom indigène de la Nouvelle-Zélande), le principe de reconnaissance de la nature en tant que sujet de droit a été incorporé aux mécanismes de résolution des revendications du Traité de Waitangi. De nouvelles lois ont ainsi attribué une personnalité juridique aux paysages de deux parcs nationaux et aux relations que les Maori entretiennent à leur égard – et des dispositions similaires vont suivre pour d'autres parcs –, dans un souci de valorisation et de ménagement accru de ces espaces. Il n'est cependant pas certain que lier la reconnaissance des droits autochtones aux droits de la nature soit applicable et efficace. À Te Urewera, alors que les revendications formelles ont davantage procédé de la perte de terres que du mépris des valeurs bioculturelles, l'attribution du statut de sujet de droit à cet espace a constitué un moyen de contourner la restitution de terres ancestrales à la tribu locale, Ngai Tuhoe. Un tel statut ne sert par ailleurs que très partiellement les intérêts des membres de la tribu qui, en raison du maintien d'une forme stricte de conservation, vont difficilement pouvoir vivre ou travailler sur leurs terres. Plutôt que de s'attaquer à l'inclusion factice, aux injonctions essentialisantes et aux formes de reconnaissance circonscrites que l'on observe dans les processus de règlement de revendications ailleurs dans le monde, l'attribution du statut de personne à la nature au soi-disant bénéfice des Maori est un acte de mal/reconnaissance qui associe maladroitement l'autochtonie à l'environnement, le développement à la préservation et l'humain aux valeurs naturelles.In Aotearoa New Zealand, person rights for nature have been added to the suite of resolution mechanisms for Treaty of Waitangi claims. New laws for two national parks personify landscapes and Maori relations with them to encourage greater appreciation and care, and similar arrangements will follow for other parks. However, it is uncertain whether recognizing Indigenous rights by tying them to the rights of nature will be enforceable and effective. In Te Urewera, Treaty claims emerged more from land loss than disrespect for biocultural values, but the granting of person rights was intended to avoid return of ancestral land to the local tribe, Ngai Tuhoe. Personhood will realize only some of Tuhoe's interests because retention of preservationist conservation means that few will ever live or work on their homelands. Rather than resolving the false inclusion, repressive authenticity and delimited recognition observed in overseas processes for claims settlement, granting personhood to nature for the purported benefit of Maori is an act of mis/recognition. Disingenuously, it conflates Indigenous with environmental, development with preservation and human with natural values.
- “You are the Greenlandic one”. Saisir la place de la région d'origine dans la production de l'autochtonie chez les étudiant·e·s groenlandais·e·s au Danemark - Marine Duc En partant des expériences quotidiennes de minorisation rencontrées par des étudiant·e·s groenlandais·e·s au Danemark, je propose de voir comment l'imposition d'un stigmate territorial -comme sa négociation - participent à la production d'une autochtonie en tension. L'objectif de cet article est donc double. D'une part, en montrant comment les représentations de la région d'origine participent aux processus de racialisation, il s'agit de mettre en évidence la manière dont un ordre national chromatisé est performé au quotidien entre Danemark et Groenland. D'autre part, en montrant que la négociation de l'imposition du stigmate n'est pas la même selon les ressources dont disposent les individus, je soulignerai la nécessité de ne pas prendre la catégorie « peuples autochtones » comme un donné, mais au contraire, de penser l'autochtonie comme un positionnement social dynamique, qui se recompose selon les contextes, selon des logiques de race, de classe et de genre, mais également selon les trajectoires des individus.Relying on daily minorization experiences of students from Greenland studying in Denmark, I will examine the way the placing of a territorial stigma and its negotiation is taking part in the making of a tensioning indigeneity. The aim of this paper is twofold. First, showing how a chromatic national order is daily performed between Denmark and Greenland through negative views of the students' home region, contributing to racialization processes. Second, I will highlight the differential of individual resources in responding to the stigmatization. Consequently, I stress that it is necessary to not take the category « indigenous peoples » as given, but at the contrary, to think indigeneity as a dynamic social location, depending on contexts, class, race, and gender parameters, but also on personal trajectories of individuals.
- Construction de l'identité tribale et revendications territoriales des Miri-Mising au Nord-est de l'Inde - Emilie Crémin
III. Revendications identitaires et stratégies territoriales autochtones : quelles identités pour quels territoires ?
- ¿Dónde están los mayas ? Le tourisme communautaire comme revendication identitaire dans le Yucatán - Samuel Jouault L'arrière-pays maya, région située en retrait du littoral Cancún-Riviera Maya au Mexique, haut lieu touristique à l'échelle latinoaméricaine et mondiale, abrite de nombreuses entreprises sociales qui se dédient au tourisme communautaire. Au cours de ces vingt dernières années, la mise en tourisme progressive des villages se traduisant par la formation d'entreprises collectives impulsées par les politiques fédérales mexicaines a cédé le pas à une mise en réseaux des acteurs mayas qui se consacrent au tourisme communautaire. D'ailleurs, deux réseaux, Co'ox Mayab et Caminos Sagrados ont émergé au cours des cinq dernières années. Si à première vue, l'un des objectifs de ces réseaux est l'insertion dans le système touristique global, nul ne peut ignorer la revendication identitaire des acteurs mayas qui portent ces projets dans un contexte de conflits socio-environnementaux où le tourisme joue un rôle prépondérant. En effet, au boom touristique de Cancún puis à l'extension sur le couloir littoral Playa del Carmen – Tulum, succède une mise en tourisme du patrimoine bioculturel des Mayas (lagunes, cenotes, gastronomie locale, médecine traditionnelle). Certains acteurs locaux d'origine maya se sont emparés de cette nouvelle extension touristique. À partir d'un travail ethnographique basé sur des entretiens et des observations participantes dans les villages et au cœur du réseau de coopératives Co'ox Mayab, cet article invite à penser le tourisme comme forme de revendication identitaire mais aussi comme forme de visibilisation des sociétés locales d'origine maya.Located behind the Cancun-Riviera Maya coast in Mexico, the Mayan hinterland is both a Latin American and a global tourism hotspot. In addition, it is home to many social enterprises dedicated to community-based tourism whose increasing development in the Mayan villages over the past twenty years gave way to a community-based tourism actors networking process. Two community-based tourism networks, Co'ox Mayab and Caminos Sagrados, have thus emerged in the last five years. While the integration of the global tourism system is part of the development strategy of these networks, the identity claim of the Maya actors who carry these projects cannot be ignored in a context of socio-environmental conflicts in which tourism plays a leading role. Indeed, the Cancun tourism boom and its extension on the Playa del Carmen-Tulum coastal corridor is now getting to the Mayan hinterland where touristic products and services focus on the Maya biocultural heritage (lagoons, cenotes, local gastronomy, ceremonies, traditional medicine). Such a process definitely led local Mayas to take over tourism. Through an ethnographic inquiry based on interviews and participant observations in Mayan villages and at the heart of the Co'ox Mayab cooperatives network, this paper reflects on tourism as both a form of identity claim and a form of visibility of local Mayan societies.
- Indigenous Urban Geographies of Empowerment: Māori Urban Geographies of Whakamanatanga - Serge A. Marek Cet article porte sur la relation entre les urbanismes autochtones et les géographies urbaines autochtones de l'empowerment. La littérature disponible démontre que les potentialités et les possibilités des géographies urbaines autochtones vont au-delà de la marginalisation et de la résistance. Dans cet essai pour développer une approche théorique, nous proposons une définition des géographies urbaines autochtones de l'empowerment. La manière dont les Māori d'Aotearoa en Nouvelle-Zémande expriment cette géographie est explorée à titre d'exemple sur la base d'une recherche qualitative et de données collectées lors d'interviews et d'observations de terrain. Cette étude de cas montre le potentiel de ces géographies émergentes partout où l'indigénéité et le monde urbain s'interpénètrent. L'argument clé est que la matérialité de la ville (terre, territoire, lieux, environnements construits) est au coeur des luttes autochtones pour la décolonisation.This research focuses on the relationship between Indigenous urbanisms and Indigenous urban geographies of empowerment. It is argued that emerging literature is demonstrating the potentialities and possibilities of Indigenous urban geographies that are moving beyond marginalization and resistance. In an attempt to develop a theoretical understanding of these geographies, a definition of Indigenous urban geographies of empowerment is proposed. As an example, ways Māori in Aotearoa New Zealand are expressing these geographies are examined based on qualitative research and data collected from interviews and field observations. The Māori case studies put forward demonstrate the potential for these emerging geographies to develop wherever Indigeneity and cities engage and interpenetrate one another. A core argument presented is that the materiality of the city (e.g., land, territory, space, place, built environments) are at the core of Indigenous decolonizing struggles.
- Sortis du bois. Les nouvelles formes de visibilités des Wichis du Nord de l'Argentine - Alberto Preci, Pierre Gautreau, Bernard Tallet En Amérique latine, les peuples indigènes se caractérisent par une nouvelle « visibilité ». Pour comprendre ce processus, nous proposons une grille de lecture qui dépasse l'étude des dispositifs d'(in)visibilisation institutionnels pour reconnaître le protagonisme des indigènes. À partir de l'exemple des Wichis, qui vivent dans le Nord de l'Argentine, il s'agit de redonner sa place aux pratiques spatiales des indigènes afin de comprendre dans quelle mesure leur territorialité leur permet de se rendre visibles. Pour ce faire, nous analyserons leur mobilité et leur récente intégration en milieu urbain. Nous identifions divers « régimes de visibilité », au sens d'assemblages dynamiques d'éléments institutionnels et spatiaux, qui sont susceptibles de varier au fil du temps mais aussi de coexister selon l'espace pris en considération. L'analyse des nouvelles formes de visibilité des Wichis nous permet d'une part de remettre en cause une certaine essentialisation de leur identité, et, de l'autre, de proposer une géographie de leur visibilité.In South America Indigenous peoples recently gained a new “visibility”. To understand this dynamics, we propose a new approach which goes beyond the study of institutional mechanisms of (in)visibilisation to recognizing the protagonism of Indigenous peoples. Based on the Wichis case, who live in Northern Argentina, our aim is to put at the core of the analysis the indigenous' space practices in order to understand to what extent their territoriality allows them to make them visible. To do this, this article analyses their mobility and recent integration in urban areas. Thus, we identify different “regimes of visibility” in the sense of dynamic assemblages of institutional and spatial elements, which can vary over the course of time as well as coexist depending on the given location. The new visibility forms' analysis open to question the essentialization of Wichi identity as well as it gives us the opportunity to propose a geography of their visibility.
- À l'invisible nul n'est tenu : les conditions spatiales de l'identification métisse au Canada au XIXe siècle - Étienne Rivard Le « peuple oublié » (the forgotten people), telle est l'image qui collait aux Métis du Canada au tournant des années 1970. Il s'agit d'une époque cruciale où de jeunes intellectuels métis de l'Ouest canadien amorcent un long processus de réhabilitation de leur passé et de remise en question d'une historiographie canadienne qui les dépeint jusqu'alors comme des insurgés demi-sauvages et des menaces directes au développement du Canada moderne. En effet, suite à leur soulèvement en 1885, à l'intervention militaire des forces canadiennes et à la pendaison de leur leader politique, les Métis ont été, dans une large part, et pour la majeure partie du XXe siècle, relégués aux marges géographiques et sociales de l'ensemble canadien. À l'heure de la réconciliation nationale et du renouvellement des relations de l'État avec les peuples autochtones, cette réaffirmation métisse est certes dans l'air du temps. Elle s'accompagne toutefois d'un effet secondaire. À l'ombre de cette réalité métisse de l'Ouest, se multiplient aujourd'hui des communautés se réclamant de l'identité métisse et d'une histoire qui leur est propre, et cela bien au-delà du territoire des Prairies auquel est généralement associé cet espace identitaire au Canada. Ces revendications soulèvent des défis relativement à la définition des Métis comme peuple autochtone : d'une part, les communautés d'affirmation récente souffrent d'une invisibilité politique (reconnaissance) qui n'a d'égale qu'une certaine invisibilité historique (rareté des traces documentaires); d'autre part, ces revendications remettent profondément en question les représentations historiques et géographiques sur lesquelles reposent les processus d'identification de l'autochtonie. Cet article propose un nouveau regard géo-historique sur la question métisse dans l'Est, sensible aux jeux d'échelle et à la pertinence des preuves indirectes dans la construction des savoirs géographiques. Nous tirons profit d'une vingtaine d'années d'expérience en recherche fondamentale sur les questions métisses au Canada et d'une recherche plus appliquée découlant de notre rôle à titre de témoin expert pour une cause judiciaire au Québec.The “forgotten people” was the widespread perception that best fit the Métis in Canada at the turn of the 1970s. This was a pivotal time when young Western Métis scholars started a long process of historical revision challenging the image of the Métis as half-savage rebels and direct threats to the modern country's development that Canadian historiography had conveyed up to then. Following the Northwest uprising of 1885, the military intervention of Canada and the hanging of their political leader, the Métis had been, to a large extent and for most of the 20th century, pushed to the spatial and social margins of Canada's society. In the current context of national reconciliation and renewing relationships between the State and Aboriginal peoples, such a reinstatement of the Métis is timely. But it comes with side effects. In the shadow of the Western Métis stand an increasing number of communities claiming Métis identity and their own history, in places well outside the Prairies, the land usually associated to Métis identity in Canada. Those claims raise challenges with regards to Métis definition as an Aboriginal people: on the one hand, communities of recent affirmation suffer from a lack of both political visibility (of recognition) and historical visibility (scarcity of evidence); on the other hand, their claims deeply call into question historical and geographical representations that shape the identification processes of indigenousness. This paper offers a new geohistorical perspective on Eastern Métis issues, one that is more sensitive to the effects of scale and indirect evidence in the production of geographic knowledge. I shall capitalize on a twenty-year experience in fundamental research on Métis issues, and on a more applied research that results from my involvement as an expert witness in a court case in Québec.
- ¿Dónde están los mayas ? Le tourisme communautaire comme revendication identitaire dans le Yucatán - Samuel Jouault
Varia
- Substituer de l'espace vert privé par de l'espace vert public : un choix multifactoriel. L'exemple de l'unité urbaine de Rouen - Marie Havret Les espaces verts urbains représentent un véritable enjeu dans les logiques actuelles de développement durable, dans la mesure où ces espaces participent au bien-être des populations et à la durabilité des villes. Or, dans un contexte de forte tension foncière et de densification urbaine, ces espaces sont de plus en plus menacés et fragmentés. Une alternative pourrait résider dans la réduction de la taille des espaces privés (logement, jardin) pour créer des espaces verts publics, qui apportent davantage de bénéfices sociaux et écologiques que les espaces verts privés. A partir d'une enquête de terrain menée dans l'unité urbaine de Rouen (France), l'article s'intéresse aux facteurs explicatifs de la volonté de substituer de l'espace privé par de l'espace vert public.Urban green spaces constitute a real issue in the current logic of sustainable development, as much as these spaces contribute to the well-being of populations and to make cities more sustainable. However, in a context of land pressure and urban densification, these spaces are increasingly under pressure and fragmented. An alternative could be to reduce the size of private spaces to create more public green spaces, which bring more social and ecological benefits than private green spaces. Based on a field survey conducted in the urban unit of Rouen (France), the article focuses on the factors that explain the will to substitute private space for public green space.
- Substituer de l'espace vert privé par de l'espace vert public : un choix multifactoriel. L'exemple de l'unité urbaine de Rouen - Marie Havret
Dossier pédagogique
Comptes rendus
- Migrations, circulations, mobilités. Nouveaux enjeux épistémologiques et conceptuels à l'épreuve du terrain. Sous la direction de Nathalie Ortar, Monika Salzbrunn et Mathis Stock - Armelle Gaulier
- Gay'wu Group of Women. 2019. Songspirals : Sharing women's wisdom of Country through songlines - Olivier Marinos
- Face aux villes : les villages prennent leur revanche ? - Jean-Marc Stébé