Contenu du sommaire : 25 ans de recherches sur la jeunesse (1995-2020)
Revue | Agora débats/jeunesse |
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Numéro | no 86, 2020/3 |
Titre du numéro | 25 ans de recherches sur la jeunesse (1995-2020) |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Éditorial - Yaëlle Amsellem-Mainguy, Marianne Autain p. 7-10
- Générations, jeunesses et classes sociales : Un quart de siècle d'analyse des inégalités - Camille Peugny p. 11-24 Cet article propose une synthèse des travaux qui ont questionné la jeunesse sous l'angle des inégalités au cours des vingt-cinq dernières années. Dans les années 1990, la question des inégalités entre les générations prend une place importante, portée par la comparaison du sort des générations nées dans les années 1960 avec celui des premières cohortes du baby-boom. Pour autant, les générations demeurent fracturées par les inégalités sociales : pour rendre compte de la situation des générations successives de jeunes, il convient d'articuler la prise en compte des inégalités intergénérationnelles et celle des inégalités intragénérationnelles. À partir de la fin de la décennie 2000, des travaux réalisés en comparaison européenne fournissent quant à eux des outils indispensables à la compréhension de la manière dont les politiques publiques ont un effet sur ces deux types d'inégalités.This article provides a synthesis of studies that have explored youth from the perspective of inequalities over the course of the last 25 years. In the 1990s, the question of inequality between generations rose to prominence through the comparison of the fate of generations born in the 1960s with those of the first cohorts of the baby boom. Yet generations remain deeply marked by social inequalities. To account for the situations of successive generations of young people, we must combine the perspective of intergenerational inequalities with that of intra-generational inequalities. From 2010 on, studies based on European comparisons have provided the necessary tools to understanding the way in which public policy can impact on these two kinds of inequalities.
- Les inégalités scolaires (1995-2020) : Effets de l'origine sociale et du genre - Pierre Merle p. 25-41 Cet article a pour objet l'analyse des inégalités scolaires d'accès au baccalauréat et à l'enseignement supérieur selon l'origine sociale des élèves et leur sexe. Au cours de la période 1995-2020, les inégalités d'accès au baccalauréat se caractérisent par une ouverture sociale des séries générales. Au niveau de l'enseignement supérieur, une ouverture sociale modérée des filières non sélectives est concomitante de la stabilité, voire de la fermeture sociale, de l'accès aux filières sélectives. Les inégalités scolaires selon le sexe se caractérisent notamment par une moindre inégalité d'accès des filles à la terminale scientifique et aux filières de l'enseignement supérieur les plus masculines.This article looks at academic inequalities in access to the baccalaureate and higher education, depending on the social background of students and their gender. Over the period between 1995 and 2020, inequality in accessing the baccalaureate was characterised by an openness of general streams toward disadvantaged social groups. In terms of higher education, moderate social openness was observed in non-selective courses, which was concomitant with stability – or even social restriction – in access to selective courses. Academic inequalities according to gender are characterised particularly by less inequality of access for girls to final year scientific courses and more traditionally masculine higher education streams.
- Quand la marge interpelle la norme : Évolution et actualité de la précarité étudiante - Philippe Cordazzo, Nicolas Sembel p. 43-60 La précarité étudiante qui se manifeste de façon spectaculaire aujourd'hui s'inscrit dans le long terme de la massification des études supérieures et de l'extension du déclassement dans les sociétés occidentales. Les données régulièrement publiées par les observatoires de la vie étudiantes (OVE) ont consacré l'existence de ce phénomène. Ses dimensions financière, résidentielle, familiale, migratoire, ses variations selon les catégories sociales questionnent les politiques publiques d'enseignement supérieur, de jeunesse et de prise en compte des inégalités sociales et de genre. La « formidable demande de culture générale » identifiée il y a vingt-cinq ans reste peut-être la piste la plus forte et la plus actuelle à accompagner pour relever le défi de cette précarité paradoxale.Student insecurity is spectacularly visible today and is an aspect of the long-term democratisation of higher education, and the extension of downward mobility in western societies. The data that is regularly published by observatories of student life (OVE) have documented the existence of this phenomenon. The financial, residential, familial, or migratory aspects of this insecurity vary depending on social categories. They throw into question public policies on higher education, youth, and the ways in which social and gender inequalities are addressed. The “formidable demand for general culture” identified 25 years ago perhaps remains the strongest and most current avenue to pursue in order to take up the challenge of this paradoxical insecurity.
- Pour un monde du travail ouvert à la jeunesse : Regards sur le marché du travail des jeunes en Europe - Patricia Vendramin p. 61-76 Le sésame de l'accès à la vie indépendante et à la citoyenneté est l'insertion dans le marché du travail, mais celle-ci se révèle laborieuse pour beaucoup de jeunes en Europe. Depuis une trentaine d'années, des politiques en faveur de l'emploi des jeunes se focalisent sur l'insertion sans prendre suffisamment en compte le rapport des jeunes au travail. Ces derniers, en dépit de conditions éprouvantes d'entrée dans la vie active, restent porteurs d'un rapport au travail relativement traditionnel, marqué d'un sens de l'éthique et du devoir, mais aussi investi d'attentes expressives fortes. Si le travail échoue de plus en plus souvent à assurer son rôle d'intégrateur social, il reste néanmoins perçu comme tel et aucune alternative au travail ne semble se dessiner. Peut-être est-il temps de réfléchir autrement à la demande de travail.Entry into the labour market is an open sesame for access to independent living and citizenship, but this proves to be laborious for many young people in Europe. Over the last 30 years, policies to promote young people's employment have focused on insertion without sufficiently taking into account young people's attitudes towards work. In spite of the difficult conditions in beginning their working lives, young people remain marked by a relatively traditional attitude towards work, with a sense of ethics and duty, but also characterised by strong expressive expectations. Although work increasingly often fails to promote social integration, it is nevertheless still perceived as having this role and no alternative seems to be emerging. Perhaps it is time to think differently about the demand for labour.
- L'action publique en direction des jeunes : à quand le changement ? - Francine Labadie p. 77-95 Cet article s'intéresse à l'expansion de l'action publique en direction des jeunes depuis vingt-cinq ans. Il montre combien l'institutionnalisation s'est renforcée avec la territorialisation de celle-ci, aboutissant à un mille-feuille de dispositifs complexe, illisible et générateur d'inégalités intragénérationnelles et territoriales. Le recours à une approche transversale n'a pas permis la mise en cohérence attendue et a, au contraire, conduit à un statu quo cognitif, empêchant la formulation de réformes structurelles.This article looks at the expansion of public policy targeting young people over the last 25 years. It shows to what extent institutionalisation has been reinforced along with territorialisation of this policy, leading to a series of overlapping layers of complex programs and protocols, which are illegible, and which generate intergenerational and territorial inequalities. Adopting a transversal approach has not brought the coherence expected and, on the contrary, has led to a cognitive status quo that prevents the development of structural reforms.
- Vingt-cinq ans de politiques publiques du traitement pénal de la jeunesse : Glissement paradigmatique et dissémination d'une logique de contrôle mondialisée - Nicolas Sallée p. 97-110 Depuis le milieu des années 1990, les mutations connues par le suivi des jeunes délinquants, en France, ont notamment été marquées par un remariage controversé entre éducation et enfermement – l'ouverture progressive, au milieu des années 2000, de nouveaux établissements pénitentiaires structurés autour d'une prétention (ré)éducative, apparaissant comme l'un des symboles les plus marquants de ce processus. Dans cet article, nous défendons l'idée selon laquelle, par-delà les débats légitimes que suscitent ces mutations sur l'incarcération des mineurs, celles-ci participent de transformations plus profondes qui touchent l'ensemble de la chaîne éducative – des services de suivi des jeunes délinquants en milieu ouvert aux services destinés à leur hébergement non pénitentiaire. Ces transformations témoignent de la prégnance croissante d'une logique mondialisée de gestion des risques à travers laquelle s'étendent, dans l'ensemble des pays occidentaux, des modèles de traitement des déviances juvéniles qui mettent à l'épreuve – sans jamais les annihiler pleinement – les ambitions éducatives historiquement constitutives des systèmes de justice des mineurs.Since the mid-1990s, the changes in the way young offenders are monitored in France have been marked by a controversial re-alliance between education and incarceration. The progressive opening of the new correctional facilities in the mid-2000's, structured around the goal of (re)education, emerge as one of the most striking symbols of this process. In this article we defend the idea that beyond the legitimate debates raised by these transformations in the incarceration of minors, these participate in the deeper transformations at work on the entire educational chain : from the services monitoring young offenders in open environments, to the services for non-custodial accommodation. These transformations demonstrate the increasing importance of a globalised logic of risk management in western countries, in which ways of managing juvenile deviants challenge – without completely undermining – the educational ambitions that have been historically fundamental to juvenile justice systems.
- L'entrée dans la vie adulte des jeunes pris en charge par le système de protection de l'enfance : Les apports de la recherche sur la sortie de placement et ses conséquences - Isabelle Frechon, Isabelle Lacroix p. 111-126 Cet article propose un tour d'horizon des vingt-cinq dernières années de recherches françaises sur l'entrée dans la vie adulte des jeunes sortis de protection de l'enfance, à travers leurs évolutions méthodologiques et thématiques. Les recherches se sont en effet de plus en plus axées sur la période difficile de la sortie de placement et ont mis en lumière les difficultés et ressources de ces jeunes sans soutien parental, dans leur insertion résidentielle et socioprofessionnelle. Dans un contexte où l'insertion professionnelle est fortement associée à l'augmentation de la durée des études, elle-même dépendante de la capacité des familles à subvenir aux besoins des jeunes, la prolongation de l'Aide sociale à l'enfance après la majorité permet aux jeunes qui l'obtiennent de trouver leur place dans la société.This paper presents an overview of the last 25 years of French research on young people's transitions from care to adulthood by integrating methodological and thematic approaches. Research focused mainly on the challenging period in their lives as leaving care, and identified young people's difficulties and resources in their residential and socio-professional integration when they have no parental support. In a context in which workplace integration is closely associated with an increase in the length of education, which in turn depends on abilities of young people's families, extended care after the age of majority allows to improved social integration.
- Un quart de siècle de mouvements étudiants : Permanences et mutations - Robi Morder p. 127-141 En un quart de siècle, si les mouvements étudiants ont conservé les caractéristiques et les répertoires d'action des mouvements précédents dans le cadre de l'université de masse, ils n'en ont pas moins subi des transformations profondes. Celles-ci sont liées aux mutations substantielles des institutions universitaires tendant vers plus d'autonomie, ainsi que des modifications des missions de l'enseignement supérieur. Des thèmes strictement universitaires ont été élargis à ceux touchant l'ensemble de la société tels le droit du travail, le chômage, la précarité, favorisant les convergences dans des luttes entre étudiants et salariés. C'est dans ces conditions que la représentation collective des étudiants, notamment syndicale, a connu des changements importants avec l'émergence de nouvelles organisations, et de nouveaux équilibres entre elles.Although student movements have maintained the characteristics and repertoires of action of their predecessors in the context of mass universities, they have nevertheless gone through deep transformations over the last 25 years. These are linked to the substantial changes in universities, moving towards greater autonomy, as well as changes to the missions of higher education. Themes strictly limited to universities have been broadened to those affecting society as a whole, such as labour laws, unemployment, or job insecurity ; and this has facilitated the convergence of struggles between students and workers. It is in these conditions that the collective representation of students, particularly by trade unions, has undergone substantial change, with the emergence of new organizations and new balances between them.
- Voter ne suffit plus : Renouvellement générationnel, rapport à l'élection et transformation de la participation politique - Vincent Tiberj p. 143-159 Lorsque l'on analyse les évolutions de l'abstention depuis les années 1980, le vote est de moins en moins automatique et trop souvent on en rend responsable les jeunes. D'abord, c'est l'abstention intermittente, et non l'abstention systématique, qui progresse. Ensuite, l'explication classique par le moratoire politique reste pertinente, mais elle ne suffit plus à rendre compte du comportement des électeurs français. Enfin, ce décentrement du vote est porté avant tout par le renouvellement générationnel et la transformation des cultures citoyennes qu'il porte. Dans les générations nées avant-guerre, le vote de devoir persiste, mais c'est de moins en moins le cas notamment parmi les générations post-baby-boom. Il faut cependant distinguer, dans les cohortes récentes, les citoyens investis politiquement pour qui le vote est un mode d'action parmi d'autres des citoyens en rupture avec le vote, mais aussi avec les autres formes de participation. Pour ces derniers, que l'on retrouve parmi les moins diplômés et les membres des catégories populaires, cela peut aboutir à leur silence politique. Leur absence des urnes et des mouvements sociaux est un défi majeur pour la démocratie française.When we analyse how abstention has evolved since the 1980s, we can see that electoral participation is less and less automatic, and often young people are blamed for this. However, firstly it is intermittent abstention and not systematic abstention that is progressing. Secondly, the traditional explanation based on the political moratorium of young people, although still relevant, is no longer sufficient to account for the behaviour of French voters. Finally, the decentralisation of the vote above all relies on generational renewal and the transformation of civic cultures that results. In the generations born before the war, duty voting persisted but this is less the case for post-baby-boom generations. However, in recent cohorts, it is important to distinguish between citizens who are politically involved, for whom the vote is one form of action among others, and citizens who have broken away from voting but also from other forms of participation. For the latter, who we observe among those with lower levels of education and members of the working classes, this can result in political silence. Their absence from voting booths and social movements is a major challenge for French democracy.