Contenu du sommaire : Le rapport à la vérité dans l'éducation
Revue | Raisons éducatives |
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Numéro | no 24, octobre 2020 |
Titre du numéro | Le rapport à la vérité dans l'éducation |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Introduction : un recul pour mieux sauter ? - Charles Heimberg, Olivier Maulini, Frédéric Mole p. 5-27
Première partie : La vérité comme problème
- Le rapport à la vérité dans une perspective transactionnelle participative : l'expérience contre la production de l'ignorance - Maryvonne Charmillot p. 31-54 Et si la pensée moderne, en produisant de nouvelles connaissances, devenait à certains égards plus ignorante ? L'objectif de l'article est de questionner ce paradoxe en partant du postulat selon lequel l'impératif de neutralité, en excluant l'expérience vécue des chercheurs et des chercheuses dans la recherche de la vérité, reproduit des savoirs hégémoniques et empêche les actrices sociales et les acteurs sociaux de penser par eux-mêmes et elles-mêmes. Ce questionnement est travaillé à travers l'examen de la production de l'ignorance. Il s'agit de saisir comment le cadre conventionnel scientifique dominant participe à la fabrication de l'ignorance. En contre-point aux critiques formulées à l'égard de l'hégémonisme épistémologique occidental, l'article présente des alternatives qui incarnent une manière de produire de la connaissance à partir des interactions sociales, des groupes d'appartenance ou des ancrages institutionnels : « épistémologie sociale », « épistémologie de la résistance », « épistémologies libératrices », « épistémologies du Sud », « épistémologie du lien ».What if modern thought, in producing new knowledge, became in some respects more ignorant? The aim of the article is to question this paradox by starting from the postulate that the imperative of neutrality, by excluding the lived experience of researchers in the search for truth, reproduces hegemonic knowledge and prevents social actors from thinking by themselves. This questioning is worked through the examination of the production of ignorance. It is a question of grasping how the dominant scientific conventional framework is involved in the fabrication of ignorance. As a counterpoint to the criticisms of western epistemological hegemonism, the article presents alternatives that embody a way of producing knowledge from social interactions, membership groups or institutional anchors: "social epistemology", "epistemology of resistance", "liberating epistemologies", "epistemologies of the South", "epistemology of linkage".
- Vérité, neutralité et conflits de valeurs : les dilemmes de l'éducation civique aujourd'hui - Géraldine Bozec p. 55-73 Cette contribution examine l'éducation civique en France, son évolution et ses différentes formes, dont le récent « enseignement moral et civique ». Étroitement associée à l'histoire enseignée, l'éducation civique est marquée par un souci de vérité et de rigueur, mais aussi par la volonté de transmettre des valeurs politiques et morales. En examinant les controverses publiques qui ont porté sur cet enseignement ces dernières décennies, le texte interroge la possibilité d'une neutralité et la place des valeurs. À partir de données collectées dans des classes, il examine ensuite les postures, les représentations et les pratiques d'enseignant.e.s du primaire et du secondaire autour de ces valeurs.This contribution examines citizenship education in France, its development and its various forms, including in recent years the so-called ‘moral and civic education'. Closely linked to history education, citizenship education is based on a search for truth and rigour, while also aiming at passing on political and moral values. By examining the public controversies that have concerned citizenship education over the last decades, the paper questions the possibility of neutrality and the place of values. Then, using data collected in classrooms, it examines the positions, perceptions and practices of primary and secondary education teachers regarding these values.
- `ibMythistoires`/ib et contre-vérités dans l'histoire et les mémoires : quelle histoire apprendre et enseigner ? - Charles Heimberg, Sosthène Meboma, Alexia Panagiotounakos p. 75-97 Quel est notre rapport à l'histoire et à son enseignement du point de vue de la quête de vérité ? Nous évoquerons une série d'exemples dans lesquels la connaissance historique est soumise à des pressions, manipulations ou déformations dans l'espace public. Les biais sociaux qui les provoquent sont nombreux, notamment dans le domaine de la mémoire. En même temps, la notion de vérité dans une science sociale, si elle est nécessaire, demeure complexe, doit rester ouverte et ne pas mener à des injonctions prescriptives. Dans une seconde partie, ces questions seront analysées à partie d'observations en classe d'histoire.What relation to History and its Teaching do we have in the process of searching for the truth? From several examples, it will be shown how Historical knowledge is subjected to pressure, manipulation or misuse in the public space. A huge range of social factors contribute to this situation particularly in the memory area. Meanwhile, if relevant, the notion of truth in social Science still a hard nut to crack has to be accessible without necessarily giving a room to ordained injunctions. Thereafter, these data will be analysed following History Classroom observations.
- Le rapport à la vérité dans une perspective transactionnelle participative : l'expérience contre la production de l'ignorance - Maryvonne Charmillot p. 31-54
Partie 2 : La vérité comme enjeu d'éducation
- L'épistémologie des sciences biologiques et géologiques : une occasion d'enseigner l'incertitude ? - Fabienne Paulin, Sylvain Charlat p. 101-126 Les sciences de la nature portent à la fois sur la compréhension des processus, supposés intemporels, et sur la reconstitution d'évènements passés, uniques et non répétables. Ces deux pans, dits fonctionnalistes et historiques, mobilisent des épistémologies partiellement distinctes. Des travaux précédents ont montré une prépondérance marquée, dans l'enseignement, des questions fonctionnalistes, se prêtant aisément à des approches expérimentales, proches des canons préconisés dans la « démarche d'investigation ». Ce déséquilibre pourrait révéler plus généralement une tendance à enseigner une science menant au « vrai » plutôt qu'au « vraisemblable », gommant les zones d'incertitudes inhérentes à toute explication scientifique. C'est l'hypothèse que nous explorons ici, en analysant des séances d'évaluation de travaux pratiques. Les résultats révèlent une prise en charge trop partielle de l'incertitude, et soulignent l'urgence, pour (re)donner goût et confiance en la science, d'accorder une plus grande place à l'épistémologie, garante de l'esprit critique.Natural sciences deal with the explanation of timeless natural phenomena as well as the inference of unique events belonging to the past. These so called functional and historical sides of the scientific endeavour are funded on distinct, although partially overlapping, epistemic approaches. Past work as revealed that French education gives most of its attention to functional questions, that are easily amenable to experiments, in line with the typically recommended “investigation approach”. Such a disequilibrium may stem more generally from a tendency to teach a science leading to “true” rather than “most likely” statements, eluding the amount of uncertainty inherent to any scientific explanation. Here we explore this hypothesis by analysing the content of practical exams. Our results reveal that uncertainty is not sufficiently acknowledged, emphasising an urgent need for more epistemology in the classroom, if one aims at making scientific courses both trusted and exciting.
- Le rapport à la vérité dans l'enseignement. Deux cas spécifiques : histoire et littérature - Alain Muller, Valérie Opériol, Bruno Védrines p. 127-148 Deux risques majeurs guettent la question de la vérité dans un enseignement qui porte des valeurs démocratiques : le relativisme et le dogmatisme. Pour les éviter, notre réflexion essaie de montrer comment le concept de pluralisme des vérités peut ouvrir des perspectives didactiques à la fois fructueuses et rigoureuses. Pour cela nous avons choisi de nous pencher plus spécifiquement sur deux disciplines : l'histoire et le français dans sa dimension d'enseignement de la littérature ; toutes deux, mais de manière différente, ne peuvent se dispenser d'une réflexion sur la relation des connaissances qu'elles dispensent avec la vérité.There are two major risks to the question of truth in a teaching that carries democratic values: relativism and dogmatism. To avoid them, our reflection tries to show how the concept of pluralism of truths can open up didactic perspectives that are both fruitful and rigorous. To this end, we have chosen to look more specifically at two disciplines: history and French in its dimension of teaching literature; both, but in different ways, cannot dispense with a thinking on the relationship between the knowledge they provide and truth.
- Du rapport à l'erreur et à la vérité dans l'enseignement/apprentissage de l'improvisation au clavier : le cas de la séance initiale d'une `ibmaster class`/ib - Catherine Grivet Bonzon p. 149-175 Cette contribution s'intéresse à la prise en compte des erreurs des élèves dans l'enseignement de l'improvisation idiomatique au vibraphone. Par l'analyse didactique d'une séquence d'enseignement, nous nous demanderons si la transmission des compétences et savoirs musicaux spécifiques à cette pratique sociale de référence induit un rapport à l'erreur particulier de la part des acteurs dans leur relation, entre autres, à la « vérité de l'œuvre ».This contribution is concerned with taking into account the students' mistakes when taught idiomatic improvisation on a vibraphone. Through the didactic analysis of a sequence of lessons, we will ask ourselves whether the transmission of musical knowledge specific to this social practice induces a particular relationship to error on the part of the performers, particularly in the relationship to the “truth of the musical work”.
- L'épistémologie des sciences biologiques et géologiques : une occasion d'enseigner l'incertitude ? - Fabienne Paulin, Sylvain Charlat p. 101-126
Partie 3 : La vérité à propos de l'éducation
- Des régimes de vérité en tensions dans le champ des sciences de l'éducation (Suisse romande, années 1910 – 1920) - Frédéric Mole p. 179-201 Durant le premier tiers du XXe siècle, dans le champ des sciences de l'éducation en phase d'élaboration, les réformateurs – théoriciens et/ou praticiens – ambitionnent de fonder une pédagogie scientifique qui procurerait aux instituteurs des méthodes fiables leur permettant de rompre avec leurs vieilles habitudes et de révolutionner leurs pratiques d'enseignement. Dans le contexte romand, sous l'impulsion du psychologue Édouard Claparède, les réformateurs, à l'Institut Jean-Jacques Rousseau et dans les associations pédagogiques, entreprennent de rallier l'ensemble des instituteurs aux vérités nouvelles, suscitant aussi des résistances dans la corporation enseignante. Le texte examine la façon dont se construisent les divers arguments et les positionnements des acteurs dans les controverses relatives à ce qui peut légitimement être tenu pour vrai en éducation.During the first third of the 20th century, in the developing field of educational sciences, the reformers - theorists and/or practitioners - ambitioned to found a scientific pedagogy which would provide teachers with reliable methods, allowing them to break away from old habits and to revolutionize their teaching practices. In the context of French-speaking Switzerland, under the leadership of psychologist Édouard Claparède, the reformers at the Geneva Jean-Jacques Rousseau Institute and in educational associations undertook to rally primary teachers to new truths, arousing some resistance among the teaching profession. The text examines the way in which the various arguments and the positions of the actors were constructed in the controversies relating to what can legitimately be held to be true in education.
- Entre faillibilisme et convivialité : le rapport aux vérités professionnelles en formation des enseignant.e.s - Andreea Capitanescu Benetti, Olivier Maulini p. 203-221 La vérité est-elle une valeur chère aux professionnels de l'enseignement : non seulement dans leur travail avec les élèves, mais aussi entre eux, à propos de leurs propres savoirs ? Une démarche de recherche ancrée dans des pratiques de formation initiale et continue pour l'enseignement primaire montre une tension entre deux rapports au monde : faillibiliste et convivialiste. Le premier est valorisé par les formateurs, qui recherchent les conflits de normes pouvant mener à des connaissances attestées : des prétentions à la vérité dûment discutées. Le second domine chez les praticiens, d'abord soucieux d'intégration et de différenciation sans rapports de force : les controverses potentielles peuvent s'en trouver neutralisées. L'étude de deux situations emblématiques – l'une en formation initiale, l'autre en formation continue – montre chaque fois un même schème à l'œuvre : le besoin de s'accorder et/ou de cohabiter l'emporte sur la quête d'antagonismes susceptibles de trancher entre le vrai et le faux, le vraisemblable et le contestable, l'affirmation vérifiable et la préférence élective. L'opposition de sens commun entre théorie et pratique pourrait ainsi occulter la véritable tension entre deux rapports au savoir plus implicites et ainsi complexes à confronter. Il semble dès lors important de prolonger l'enquête en cherchant quelles dispositions peuvent sous-tendre le schème de neutralisation, entre souci de s'affilier et crainte d'en être altéré.Is the truth a value that teaching professionals consider important: not only in their work with students, but also among themselves, about their own knowledge? A research approach anchored in initial and in-service training practices for primary education shows a tension between two relationships to the world: fallibilism and convivialism. The first one is valued by teacher trainers, who seek conflicts of norms that can lead to attested knowledge: duly discussed claims to the truth. The second one predominates among practitioners, who are initially concerned with integration and differentiation without any power relations: potential controversies may be neutralized. The study of two emblematic situations – one in initial training, the other one in continuing training – shows each time the same pattern at work: the need to agree and/or cohabit takes precedence over the quest for antagonisms that can decide between the true and the false, likelihood and contestability, verifiable assertion and elective preference. The common-sense opposition between theory and practice could thus obscure the real tension between two more implicit and thus complex relationships to knowledge to be confronted. It therefore seems important to prolong the investigation by looking at what provisions may underlie the neutralization pattern, between concern to join and fear of being altered.
- Des régimes de vérité en tensions dans le champ des sciences de l'éducation (Suisse romande, années 1910 – 1920) - Frédéric Mole p. 179-201