Contenu du sommaire : Cultures numériques en Afrique francophone

Cet article a pour objectif d'interroger le rapport entre littératie et littérarité numériques : quelles doivent être les compétences de l'écrivain sur le web ? En quoi ses qualifications strictement informatiques participent-elles de son autorité ? Notre hypothèse est que l'importance accordée à la dimension technique des œuvres numériques répond d'abord à un besoin de légitimation, et non à des critères de littérarité. Là où l'éditeur assumait autrefois un rôle de garant, ce sont aujourd'hui les compétences numériques de l'écrivain qui assurent la qualité littéraire d'une œuvre – au risque de la survaloriser ou au contraire de la sous-estimer. Ces compétences numériques sont en effet notamment évaluées en fonction des connotations symboliques associées à l'usage de certains outils et plateformes. Ces connotations deviennent d'autant plus importantes à l'heure où les GAFAM semblent imposer un nouveau monopole éditorial, fondé sur des outils et des plateformes ne requérant que des compétences informatiques minimales. Massivement investis par les écrivains, ces nouveaux dispositifs éditoriaux (CMS, réseaux sociaux) permettent l'émergence d'une génération qui est loin de partager la même littératie numérique que celle qui l'a précédée. Aurions-nous alors affaire à une génération d'écrivains « analphabètes » ? On démontrera plutôt l'existence d'un déplacement du sens même de nos « compétences numériques », qui désormais ne se fondent plus seulement sur un savoir technique, mais aussi sur une culture numérique.

Depuis novembre 2018, les publications Facebook de l'imam Ahmadou Makhtar Kanté agitent une partie de la société sénégalaise et les milieux médiatiques et religieux. À travers ses posts, l'imam commente l'actualité et alimente des polémiques sur des sujets aussi variés que l'orientation sexuelle d'un chanteur populaire, le rôle des femmes dans la société, l'influence française dans la politique sénégalaise ou l'inauguration d'une nouvelle mosquée de la confrérie mouride à Dakar. Agissant en auto-entrepreneur médiatique, son usage des réseaux socionumériques lui permet d'influencer l'agenda médiatique du Sénégal. Notre contribution propose de caractériser la forme de communication particulière et la stratégie « agendatique » employée par celui que nous nommons « l'imam 2.0 ».

Cet article prend pour objet le « malparlage » et l'« attachement » en ligne : il s'agit de pratiques technosociodiscursives ivoiriennes qui s'apparentent au trolling et au « grammar nazisme ». L'analyse écologique de cas singuliers de publications Facebook permet de mettre au jour des mécanismes de recontextualisation de ces comportements langagiers en ligne, dans un environnement socioculturel et sociodiscursif ivoirien caractérisé par un usage subversif de la violence verbale. Selon une perspective technolinguistique, cet article montre que le trolling et le « grammar nazisme », usuellement associés à une appréciation péjorative des contenus, font l'objet d'une (ré)appropriation localisée qui amène à un renversement des perceptions de la cyberviolence discursive par des manifestations cathartiques et humoristiques.

La musique urbaine des grandes métropoles de l'Afrique de l'Ouest est de plus en plus marquée par des propos transgressifs. Cette rupture de ton est constatée depuis les années 2010 dans des contextes où les interactions sont marquées par la pudeur. Comment peut-on expliquer le développement de telles productions ? En questionnant le processus d'éclosion ainsi que les divers usages de ce phénomène social, l'enquête révèle que les médias sociaux ont joué un rôle majeur dans l'essor et la diffusion de cette musique en rendant toute censure quasi impossible. Qui plus est, on assiste à la naissance d'une subculture liée à cette nouvelle expression artistique, qui atteste de sa portée sociale, culturelle, économique, politique.

Cet article exploite les concepts de mémoire et de manipulation à partir de discours politiques et de formules impliquant des mythes clés de la nation ivoirienne. L'hypothèse fondamentale est que les réseaux sociaux sont un outil de vulgarisation qui participe activement à la manipulation discursive à partir de la mémoire collective comme mythème argumentatif. L'intérêt de questionner la construction sociale de la mémoire, les imaginaires ou les stratégies de manipulation autour des mythes fondateurs de la nation en lien avec les réseaux sociaux est de révéler leur dimension manichéenne en rapport avec la construction de la démocratie en Côte d'Ivoire. En libéralisant la parole, les médias informatisés favorisent l'expression du citoyen lambda mais l'exposent à des discours manipulatoires de tous ordres de la part des hommes politiques. La portée de ces discours impliquant des mythes est questionnée à partir de l'analyse argumentative du discours comme ancrage méthodologique.

Cet article interroge les transformations des relations familiales dans le contexte de l'éloignement géographique et de l'usage de WhatsApp. Le modèle SPEAKING est convoqué ici pour une analyse sémio-contextuelle du groupe Famille SANNA, qui réunit les membres de ladite famille sur WhatsApp. Par ce canal, les aînés tentent de transposer l'autorité traditionnelle, de transmettre un certain nombre de normes et de valeurs, signe que, si la mondialisation entraîne une uniformisation dans la mission accordée aux TIC, à savoir établir du lien, elle n'arrive pas à gommer les spécificités locales de leur usage. Au terme de cette investigation on peut dire qu'en tant qu'espace public domestique, les fondements de pouvoir au niveau familial restent prégnants dans le groupe Famille SANNA.

L'ouverture démocratique des années 1990 a préparé les mobilisations politiques ayant secoué depuis 2010 de nombreux pays d'Afrique subsaharienne francophone. L'essor d'Internet accompagne les bouleversements sociopolitiques à l'œuvre depuis trente ans dans ces pays et vient, en lien avec les médias traditionnels, redessiner ce que l'on qualifie habituellement d'« espace public ». Dans un double mouvement, l'article sollicite ce concept, forgé à partir de cas européens et non dénué d'intentions normatives, après un réexamen critique de ses soubassements théoriques ; et il l'enrichit, le cas africain permettant notamment de penser à nouveaux frais les formes d'articulation entre sphères privée et publique.

Nous nous intéressons aux enjeux de la représentation de la science dans des milieux de conception à partir d'une filature de trois ans de deux physiciens impliqués dans des dispositifs de conception. Notre hypothèse est que les scientifiques y modulent leur posture et y affirment certains aspects de la science en adoptant plusieurs « rôles », au sens de Goffman, afin de permettre de nouvelles collaborations entre les disciplines. Cette analyse permet de repérer des formes de dramaturgie de la science, au sens de Habermas, au travers de cinq « figures » tirées des discours des deux physiciens : « le professeur universitaire », « l'honnête homme », « l'expert », « le chercheur-mentor et le scientifique-créateur ». Nous observons que ces figures sont représentatives mais plus encore, qu'elles sont créatives et donnent lieu à de nouvelles situations de conception.