Contenu du sommaire : Kinshasa Star Line
Revue | Multitudes |
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Numéro | no 81, hiver 2020 |
Titre du numéro | Kinshasa Star Line |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Icônes - Nidhal Chamekh p. 1-215
À chaud
- Marseille : Renouvellement intérieur et vassalisation extérieure - César Centi, Priscilla De Roo p. 5-18
- Femmes, que faire ? - Anne Querrien p. 18-24
- Un « Non » aux saveurs d'un « Oui » en Nouvelle-Calédonie - Anthony Tutugoro p. 25-34
Icônes
- Un trait de mémoire - Arafat Sadallah p. 40-45
Majeure - Kinshasa Star Line
- Kinshasa Star Line - Nadia Yala Kisukidi p. 51-57
- Le capital de l'imaginaire : Ce qu'il y a et ce qui n'est pas - Sinzo Aanza p. 59-62 Le romancier et plasticien Sinzo Aanza interroge la place de l'artiste face au pouvoir depuis l'époque précoloniale jusqu'à nos jours dans le Congo contemporain. Ce qu'il appelle le « capital de l'imaginaire » se déploie avec et contre le pouvoir sur le marché de la valeur : tandis que les vendeurs de masques sont asservis par des discours d'authenticité fantasmée sur de l'art rituel, d'autres artistes s'attachent à dire l'expérience coloniale, l'exploitation des corps et des terres, dont les prédations minières contemporaines sont la continuation. C'est le rôle du poète et de l'artiste congolais qui est analysé en définitive, eux qui sont porteurs d'imaginaires tournés vers le futur et le monde.The novelist and visual artist Sinzo Aanza questions the place of the artist in the face of power, from pre-colonial times to contemporary Congo. What he calls the “capital of the imaginary” unfolds with and against power on the market of value: while mask sellers are enslaved by fantasized speeches of authenticity about ritual art, other artists focus on the colonial experience, the exploitation of bodies and land, of which contemporary mining predators are the continuation. It is the role of the poet and the Congolese artist that is ultimately analyzed, they who are bearers of imaginaries turned towards the future and the world.
- Le Congo et Cuba : Pour une ré-existence des latitudes - Sara Alonso Gómez p. 64-72 Revisitant le voyage peu connu de Ernesto Che Guevara au Congo en 1965 à partir de son Journal du Congo, l'article propose une lecture décoloniale de la coopération entre Cuba et le Congo. Considérée comme un « échec » militaire, cette mission de soutien témoigne tout à la fois d'une alliance des pays du tiers-monde et d'une volonté anticoloniale et anti-impériale d'imaginer des possibles politiques alternatifs. Elle montre aussi les difficultés de faire front commun et d'implanter au Congo l'idéal marxiste cubain de « l'homme nouveau ». Malgré cette situation ambivalente, analysée à partir du journal du Che et de photographies, cette expérience militaire a été un premier jalon tiers-mondiste d'affirmation de « modernités multiples », qui ne sont pas assujetties aux seules modernités occidentales, comme en témoigne une description de l'exposition artistique du Sud Global de La Havane en 1989, conçue par l'auteure comme en étroite filiation avec le rêve du Che.Revisiting Ernesto Che Guevara's little-known 1965 trip to the Congo from his Congo Diary, the article offers a decolonial reading of cooperation between Cuba and the Congo. Considered a military “failure”, this mission of support testifies both to an alliance of Third World countries, and to an anti-colonial and anti-imperial will to imagine possible alternative policies. It shows also the difficulties of making a common front and implanting in the Congo the Cuban Marxist ideal of the “new man”. In spite of this ambivalent situation, analyzed from Che's diary and photographs, this military experience was a first Third World milestone in the affirmation of “multiple modernities”, which would not be subjected only to Western modernities, as shown in a description of the artistic exhibition of the Global South in Havana in 1989, conceived by the author as being closely related to Che's dream.
- Rappelle-moi de ne pas oublier nos territoires rêvés - Michèle Magema p. 74-83 La photographe, vidéaste, plasticienne et dessinatrice Michèle Magema analyse sa pratique artistique, marquée par l'exil et l'appartenance à des territoires multiples. La métamorphose, le Tout-Monde, l'état de postcolonie, la monstration du corps féminin : autant de motifs de son travail artistique. Oyé Oyé est une installation mêlant images de défilés du temps de Mobutu et reconstitution par l'artiste des codes gestuels imposés aux écoliers sous la dictature. Under The Landscape reproduit et interroge les frontières politiques du Congo. Evolve revient sur la catégorie coloniale d'« évolué ». Rappelle-moi de ne pas oublier nos territoires rêvés interroge le « retour au pays natal » de l'artiste, après plus de trente ans d'absence. Michèle Magema définit son travail comme une création de fiction, une exploration des relations entre le Congo, la France et la Belgique, une étude des effets politiques du monde globalisé sur les individus.Photographer, video artist, visual artist and cartoonist Michèle Magema analyzes her artistic practice, marked by exile and belonging to multiple territories. Metamorphosis, the All-World, the state of postcolony, the monstration of the female body: these are the motifs of her artistic work. Oyé Oyé is an installation mixing images of Mobutu's parades and reconstitution by the artist of the gestural codes imposed on schoolchildren under the dictatorship. Under The Landscape reproduces and questions the political borders of the Congo. Evolve returns to the colonial category of “the evolved”. Remind me not to forget our dreamed territories questions the artist's “return to the native country” after more than thirty years of absence. Michèle Magema defines her work as a creation of fiction, an exploration of the relations between the Congo, France and Belgium, a study of the political consequences of the globalized world on individuals.
- Tanina ntoto ! : Grand-maternités politiques - Nadia Yala Kisukidi p. 85-93 L'article entend constituer la grand-mère comme figure centrale de transmission, comme personnage politique radical : figure de récit, figure de continuité mémorielle là où la colonisation a sapé l'autorité des lignées paternelles. Se décalant d'un récit qui pense la colonisation comme une castration symbolique des pères, l'auteure interroge les lignées féminines et leur pouvoir de transmission de trames narratives et mémorielles. La grand-mère est érigée en force politique, capable de défaire l'autorité patriarcale et de recréer des liens défaits. La force des « petites histoires » racontées par les grand-mères face aux défaites de la « grande histoire » des pères : tel est le pouvoir des fabulations politiques de soi qui s'inventent au-delà ou contre les identités normatives et produisent de nouveaux imaginaires politiques.The article intends to constitute the grandmother as a central figure of transmission, as a radical political figure : a figure of narrative, a figure of continuity of memory where colonization has undermined the authority of paternal lineages. Moving away from a narrative that thinks of colonization as a symbolic castration of fathers, the author questions female lineages and their power of transmission of narrative and memory frames. The grandmother is set up as a political force, capable of undoing patriarchal authority and recreating broken ties. The strength of the “little stories” told by grandmothers in the face of the defeats of the “big story” of fathers: such is the power of political self-fabulations that invent themselves beyond or against normative identities, and produce new political imaginaries.
- Congo : Arbres fertiles près de la source - Sarah Ndele p. 95-99 L'artiste Sarah Ndele mêle une réflexion sur sa propre pratique, nourrie de l'art Yombé, à un plaidoyer en faveur du renouvellement de l'enseignement artistique au Congo qui intègrerait une histoire de l'art classique africain. Sarah Ndele explique comment ses propres créations de masques interrogent la fracture héritée de la colonisation qui est venue rompre les transmissions intergénérationnelles, produisant des « trous » de mémoire. Dans son œuvre, le plastique a remplacé le bois et les matières végétales des masques d'autrefois ; la fonte des matières plastiques récupérées forme des « larmes », qu'elle agence avec la volonté de se recomposer soi-même par son art. Les performances, réalisées au sein d'un collectif d'artistes kinois, investissent la rue et l'espace public pour interpeller les passants sur des sujets politiques parfois sensibles. Cette pratique collective de la performance est rattachée à tout un héritage culturel africain, défendu par l'artiste.Artist Sarah Ndele mixes a reflection on her own practice, nourished by Yombé art, with a plea for the renewal of art education in the Congo that would include a history of classical African art. Sarah Ndele explains how her own mask creations question the fracture inherited from colonization, which broke down intergenerational transmissions, producing “gaps” in memory. In her work, plastic has replaced wood and the vegetable materials of the masks of yesteryears; the melting of recovered plastic forms “tears”, which she combines with the desire to recompose herself through her art. The performances, realized within a collective of Kinshasa artists, invest the street and the public space to question the passers-by on sometimes sensitive political issues. This collective practice of performance is linked to a whole African cultural heritage, defended by the artist.
- Champ politique et champ musical populaire : Parallèle entre deux espaces de compétition à Kinshasa - Léon Tsambu p. 101-109 Le politique et le chanteur : deux figures qui semblent bien éloignées mais que l'auteur rassemble en partant de la scène kinoise. Stratégie de subversion, culte de la personnalité, culture du clash, soutien de supporters, fonctionnement en factions : avec humour, l'auteur dresse des parallèles entre les univers musicaux et politiques pour, d'une part, souligner combien la musique porte une large part de politique et pour, d'autre part, déconstruire l'autorité du champ politique par la dérision. La dictature est ainsi lue comme le plébiscite, par les masses, d'hommes de scènes, passés maîtres dans la gestion des slogans et des bonnes répliques. Les stars de la chanson, de leur côté, sont partie prenante des campagnes électorales et participent aux stratégies de marketing de la scène politique. Au-delà des jeux de rapprochement, l'article interroge la fabrication des élites, l'espace médiatique, la création des « stars » et l'usage de la parole politique.The politician and the singer: two figures who seem quite distant but whom the author brings together from the Kinshasa scene. Strategy of subversion, cult of personality, culture of clash, supporters' spirit, faction dynamics: with humor, the author draws parallels between the musical and political worlds in order, on the one hand, to underline how much music carries a large part of politics but also, on the other hand, in order to deconstruct the authority of the political field through derision. The dictatorship is thus read as the plebiscite, by the masses, of showmen who have become masters in the management of slogans and punchlines. The music stars are part of the electoral campaigns and participate in the marketing strategies of the political scene. Beyond the parallels, the article questions the fabrication of elites, the media space, the manufacture of celebrity, the use of political speech.
- Lubumbashi et l'idée de mémoire orale - Donatien Dibwe dia Mwembu p. 111-119 Le projet Mémoires de Lubumbashi, créé en 2000, a pour objectif de collecter des sources orales sur l'histoire de cette ville minière (deuxième ville du Congo et capitale du Katanga), ainsi que des sources picturales et des objets. L'objectif est de fournir un contre-point aux sources écrites coloniales pour venir dessiner une histoire plurielle de la ville, en proposant une démarche participative et inclusive aux habitants. Des récits de vie des travailleurs de l'Union Minière du Haut-Katanga pendant la période coloniale, des récits également de leurs compagnes et de leurs filles, trop souvent oubliées des enquêtes historiques, des photographies familiales, des créations de théâtre populaire en kiswahili (surtout de la troupe Mufwankolo) qui évoquent le quotidien de la colonisation, des répertoires de chansons populaires sont autant d'exemples de cette large collecte. C'est à une conception de l'histoire en lien avec les citoyens que l'auteur nous invite, attaché à écrire les vies quotidiennes des « sans voix ».The Memories of Lubumbashi project, created in 2000, with the aims at collecting oral sources on the history of this mining city (the second largest city in Congo and capital of Katanga) as well as pictorial sources and objects. The objective is to provide a counterpoint to written colonial sources, in order to draw a plural history of the city, by proposing a participatory and inclusive approach to the inhabitants. Life stories of the workers of the Mining Union of Haut-Katanga during the colonial period, stories also of their companions and their daughters, too often forgotten in historical investigations, family photographs, popular theater creations in Kiswahili (especially from the Mufwankolo troupe) that evoke the daily life of colonization, repertoires of popular songs are all examples of this large collection. The author invites us to a conception of history in connection with the citizens, attached to writing the daily lives of the “voiceless”.
- Covid-19 : Oxymores des totems et des signes de vie à Kinshasa - Lye Mudaba Yoka p. 121-130 L'auteur analyse les signes verbaux, non-verbaux, les rituels intégrés dans les discours dominants et dans les discours communs en réponse à la pandémie de Covid-19 à Kinshasa, entre mars et mai 2020. « Masque », « geste barrière », « confinement » sont tour à tours lus à travers leurs résonnances en lingala ou au sein de l'histoire récente du Congo. L'auteur montre comment ils se chargent d'« oxymores », où des significations antithétiques viennent se greffer sur le discours officiel, venant le contredire ou en tout cas le biaiser. L'auteur revient également sur les mesures prises par le gouvernement pour lutter contre l'épidémie, le confinement impossible de Kinshasa, la hausse des prix, les mises en scène médiatisées des hommes politiques et des hommes d'églises, les conséquences sociales dramatiques pour les plus pauvres. C'est finalement à un « éloge de la lenteur » que nous convie l'auteur, ainsi qu'à une politique du « care » et de l'accompagnement : dernière positivité paradoxale du virus.The author analyzes the verbal and non-verbal signs, as well as the rituals integrated into dominant and common discourses in response to the Covid-19 pandemic in Kinshasa, between March and May 2020. “Mask”, “barrier-gesture”, “lockdown” are read in turn through their resonances in Lingala or within the recent history of Congo. The author shows their oxymoronic uses, where antithetical meanings are grafted onto the official discourse, contradicting or in any case twisting it. The author also discusses the measures taken by the government to fight the pandemic, the impossible lockdown of Kinshasa, the rise in prices, the high-profile media coverage of politicians and churchmen, and the dramatic social consequences for the poorest. Finally, the author invites us to a “praise of slowness” and to a “policy of care”: the last paradoxical positivity of the virus.
- Ré-enchanter l'Afrique - Achille Mbembe p. 132-141 Au cours de cet entretien mené par Yala Kisukidi, Achille Mbembe revient sur les thèmes clés de son ouvrage Brutalisme (2020) : la définition de l'idée d'« Afrique », la nécessité de sortir d'une « histoire de la prédation » et de réinvestir des utopies par le « ré-enchantement », la revalorisation d'une « politique du soin » tandis que la terre est endommagée, la création d'un espace africain de libre circulation sont évoquées tour à tour. Convoquant les écrivains Amos Tutuola et Sony Labou Tansi, Mbembe souligne le rôle de l'imaginaire, et singulièrement de la littérature, dans la fabrique des utopies de demain. L'art, entendu comme réserve de vie et de possibles, constitue une ressource pour penser les migrations contemporaines et imaginer d'autres modèles alternatifs au modèle actuel néolibéral. Face à la criminalisation des circulations, le pillage des ressources, la violence du « brutalisme » contemporain, Mbembe en appelle à une « politique du soin » capable d'inclure, depuis l'Afrique, la question du commun et du partage de la Terre.During this interview conducted by Yala Kisukidi, Achille Mbembe returns to the key themes of his book Brutalism (2020): the definition of the idea of “Africa”, the need to get out of a “history of predation” and to reinvest utopias through “re-enchantment”, the revaluation of a “policy of care” in our damaged lands, the creation of an african space of free movement, all these themes are discussed in turn. Convening the writers Amos Tutuola and Sony Labou Tansi, Mbembe underlines the role of the imaginary, and particularly of literature, in the making of tomorrow's utopias. Art, understood as a reserve of life and possibilities, constitutes a resource for thinking about contemporary migrations and imagining alternative models to the current neo-liberal model. Faced with the criminalization of circulation, the plundering of resources, the violence of contemporary “brutalism”, Mbembe calls for a “politics of care” capable of including, from Africa, the question of the common and the sharing of the Earth.
Hors-Champ
- Le turfurisme ou L'invention du turfu - Makan Fofana p. 145-151 Pour entrer dans l'ère post-banlieue il faut passer du questionnement sociologique qui décrit le triste présent au questionnement philosophique qui invente le futur. La banlieue du turfu est un espace de connexion, producteur d'une culture hybride entre banlieue et monde, qui explore la banlieue comme une contrée lointaine et le monde comme une banlieue et trace une multiplicité de lignes de fuite possibles.To get in a post-suburban time, we have to leave the sociological way of thinking which let us describe sadness only. We should wonder around using philosophy questions about the future. turfu suburb is a space made of connexions, in which comes up a new culture, mixing the suburb and the world, discovering the suburb as a distant country and the wide world as a suburb, and offering a multiplicity of possible lines of flight.
Mineure - Interzones sud-américaines
- Interzones sud-américaines - Giuseppe Cocco, Clarissa Naback p. 163-168
- « A » comme Amérique, Amazonie et abeilles - Barbara Szaniecki p. 169-174 « Amérique latine » est un nom empreint d'un passé colonial qui ne correspond aucunement à la diversité de ce vaste continent. Oser un redesign de l'Amérique latine signifie ici ouvrir des possibilités… plutôt que conclure des projets. Cela implique de revoir en traits rapides l'histoire de la formation des États-nations et les conséquences récentes du national-développementisme. Ensuite, de présenter quelques initiatives biopolitiques dans les enchevêtrements d'une biozone partagée par plusieurs nations latino-américaines. Enfin, de suivre les « abeilles sans dard » de la forêt jusqu'en ville pour, au bout du chemin, grâce à leurs pollinisations et essaimages, percevoir les contours d'une ZAD amazonienne en formation.“Latin America” is a name with a colonial past that does not reflect the diversity of this huge continent. Daring to redesign Latin America here means opening up possibilities rather than concluding projects. It envolves revisiting in quick lines the history of the formation of nation-states and the recent consequences of national-developmentalism. Secondly, presenting some biopolitical initiatives in the tangle of a biozone shared by several Latin American nations. Finally, following the “stingless bees” from the forest to the city and, at the end of the road, thanks to their pollination and swarming, perceiving the contours of an Amazonian ZAD in formation.
- Généalogie du gouvernement Bolsonaro : Les deux hélicoptères de la guerre brésilienne - Giuseppe Cocco p. 175-182 L'arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro au Brésil a eu lieu dans l'affirmation d'un nouveau warfare : une guerre diffuse où la distinction entre l'ami et l'ennemi devient floue. C'est un double dispositif qui s'est mis en place. D'une part, le retour aux affaires de l'armée brésilienne dans le cadre des missions de paix menées pendant les gouvernements de la gauche, en Haïti et dans les favelas de Rio de Janeiro. D'autre part, la polarisation par Lula et la gauche a préparé la mobilisation d'une nouvelle extrême droite. Avec la crise du Covid, grâce à la mise en place d'un revenu de base, le « lulismo » se transmute en « bolsonarismo ».Jair Bolsonaro's arrival to power in Brazil has taken place in the affirmation of a new warfare: a diffuse war in which the distinction between friend and enemy becomes blurred. A double mechanism has been put in place. On the one hand, the Brazilian army's return to business as part of the peace missions carried out during the leftist governments, in Haiti and in the favelas of Rio de Janeiro. On the other hand, the polarisation by Lula and the left prepared the mobilisation of a new extreme right. With the Covid crisis, thanks to the establishment of a basic income, “lulismo” was transmuted into “bolsonarismo”.
- Radiographie du commandantisme vénézuélien : Du « chavisme » au « madurisme » - Jeudiel Martínez, Fabrice Andréani p. 183-189 Né du culte militaire et d'un coup d'État raté, le « chavisme » est devenu un phénomène politique. Après avoir survécu au coup d'État de 2002, il a commencé à coloniser l'État dans un processus progressif mais continu dans lequel est apparu un nouveau type de militarisme de gauche que l'on pourrait appeler le « comandantismo ». Ce régime est entré en crise avec la mort de Chavez et la chute des prix du pétrole. Avec Maduro, son successeur, une tentative de réforme a connu le succès dans la lutte pour le pouvoir mais a échoué à obtenir des changements mettant fin à un désastre systémique qui a commencé il y a plus de dix ans.Born from the military cult and a failed coup d'état, “chavism” became a political phenomenon. After surviving the 2002 coup d'état, it began to colonise the state in a gradual but continuous process in which a new type of left-wing militarism emerged that could be called “comandantismo”. This regime entered a crisis with the death of Chavez and the fall in oil prices. With Maduro, his successor, an attempt at reform was successful in the struggle for power but failed to achieve changes that ended a systemic disaster that began more than a decade ago.
- Le démantèlement des institutions démocratiques en Équateur - Carolina Viola, Decio Machado, Priscilla De Roo p. 190-195 La pandémie de la Covid-19 a entraîné l'accélération du processus de démantèlement des institutions démocratiques dans de nombreux pays du continent sud-américain. Mais les racines de ce processus d'affaiblissement des pratiques démocratiques sont bien antérieures. Dans cet article, nous retraçons quelques moments forts de ce remaniement de la démocratie en Équateur tout au long du XXIe siècle. Nous analysons les limites des progressismes et leur contribution à la consolidation d'un État intense en pratiques autoritaires et faible en participation et en démocratie.The Covid-19 pandemic has accelerated the process of dismantling democratic institutions in many countries of the South American continent. But the roots of this process of weakening democratic practices go back much further. In this article, we trace some of the highlights of this reshaping of democracy in Ecuador throughout the twenty-first century. We analyse the limits of progressivism and its contribution to the consolidation of a state that is intense in authoritarian practices and weak in participation and democracy.
- La politique en Amérique du sud, un pendule instable - Salvador Schavelzon, Priscilla De Roo p. 196-203 Entre le scénario d'arrivée de nouveaux gouvernements de droite et celui du retour au progressisme, l'Amérique du Sud fait preuve d'une instabilité politique et d'une crise de gouvernement qui montre la fin des structures politiques de consensus qui l'ont gouvernée ces dernières décennies. Alors qu'au Chili et dans d'autres pays, l'année 2019 a offert un panorama de nouvelles protestations, la période post-pandémique pourra peut-être engendrer une nouvelle mobilisation politique contre les formes actuelles de gouvernance et les arrangements politiques qui l'accompagnent.Between the scenario of the arrival of new right-wing governments and a return to progressivism, South America is experiencing political instability and a crisis of government that shows the end of the consensus political structures that have governed it in recent decades. While in Chile and other countries, the year 2019 has offered a panorama of new protests, the post-pandemic period may perhaps generate a new political mobilisation against current forms of governance and the political arrangements that accompany it.
- Amazonie Sentinelle - Alexandre Mendes p. 204-211 Cet article met en lumière une forme particulière de pouvoir dans le processus de colonisation de l'Amérique du Sud. Les expéditions des bandeirantes se distinguaient du pouvoir pastoral des missions jésuites ainsi que de l'exploitation minière ou de l'occupation territoriale en établissant un régime de chasse dont les cibles principales étaient les peuples indigènes. Ce régime servait de contrepoids au pouvoir souverain et à l'humanisme occidental. Aujourd'hui, la dimension technologique de la biopolitique donne lieu à une sémiotique de la chasse (capture de signes). L'auteur souligne l'importance de la forêt amazonienne comme réservoir de signes, et la position que certaines institutions et mouvements exercent, en tant que sentinelles de la démocratie, en opposition au populisme autoritaire et prédateur de Bolsonaro.This article highlights a particular form of power in the process of colonisation of South America. The expeditions of the bandeirantes differed from the pastoral power of the Jesuit missions as well as from mining or territorial occupation by establishing a hunting regime whose main targets were the indigenous peoples. It served as a counterweight to sovereign power and Western humanism. Today, the technological dimension of biopolitics gives rise to a semiotics of hunting (capture of signs). The author underlines the importance of the Amazonian forest as a reservoir of signs, and the position that certain institutions and movements exercise, as sentinels of democracy, in opposition to Bolsonaro's authoritarian and predatory populism.
Mineure - Interzones sud-américaines - supplément web
- La stratégie de la multitude au Chili : Entre biopolitique de l'hibernation et nécropolitique - Alejandro Donaire-Palma, Michèle Collin p. 241-248 Le printemps austral au Chili a été le théâtre d'un grand soulèvement qui a mis fin à la politique néolibérale de Piñera tout en critiquant le cadre constitutionnel, héritage de l'époque Pinochet. Au départ, le mouvement était une grève métropolitaine contre l'augmentation du prix du ticket des transports publics. Face à la répression qui a suivi la grève s'est transformée en un soulèvement des multitudes pour la démocratie et un nouveau système de protection sociale. Même les tentatives de médiation institutionnelles ne semblent ne pas avoir de succès pour bloquer le mouvement qui tout de même rentre en hibernation à cause de la pandémie. Mais le résultat du plébiscite pour une nouvelle constituante qui montre que le pays s'émancipe du cadre pinochetiste.The southern spring in Chile was the scene of a great uprising that put an end to Piñera's neoliberal policy while criticizing the constitutional framework, a legacy of the Pinochet era. Initially, the movement was a metropolitan strike against the increase in the price of public transport tickets. In the face of the repression that followed the strike, it turned into an uprising of the multitudes for democracy and a new system of social protection. Even institutional attempts at mediation do not seem to be successful in blocking the movement, which nevertheless went into hibernation because of the pandemic. But the result of the plebiscite for a new constituent shows that the country is emancipating itself from the Pinochetist framework.
- Montages de rue au Chili et ailleurs - Millaray Lobos Garcia p. 249-253 Cet article réfléchit à ce que nous dit une photo prise durant les manifestations de rue qui ont secoué le Chili à l'automne 2019. Une voiture sur laquelle a été peint un graffiti Esto es montaje aide à analyser les différentes couches de machination, de montage, de résistance, de frustrations et d'espoirs qui se sont retrouvées pendant quelques mois dans les rue de Santiago – et qui nous parlent aussi peut-être de mobilisations et d'immobilisation comparables en d'autres points du globe.This article reflects upon what is shown in a photograph taken during the street demonstrations that shook Chile in the fall of 2019. A car on which has been tagged the graffiti Esto es montaje helps understanding the various layers of manipulation, montage, resistance, frustration and hope that have coexisted in the streets of Santiago during a few months—and that can also probably be found in other mobilizations and immobilizations across the world.
- La transformation de la violence en Colombie : Macondo et la pulsion de mort - Sebastián Ronderos p. 254-259 La paix entre l'État et les FARC en 2016 a fortement limité le nombre de victimes de violences mais ces dernières risquent de repartir de plus belle. La moitié des guérilleros ont été désarmés par l'ONU, ce qui laisse le pays sans encadrement territorial pour s'opposer au narcotrafic. Les anciens FARC sont assassinés par de nouvelles structures criminelles en train d'occuper le terrain.The peace between the state and FARC in 2016 has greatly limited the number of victims of violence, but they are in danger of starting again. Half of the guerrillas have been disarmed by the UN, leaving the country without a territorial framework to oppose drug trafficking. The former FARC are being assassinated by new criminal structures occupying the field.
- Pourquoi Lucho et David ont remporté les élections en Bolivie ? - Pablo Solón, Priscilla De Roo p. 260-264 Le MAS a remporté les élections présidentielles boliviennes d'octobre 2020 dès le premier tour, avec 55,1 % des voix. Pablo Solón, ancien ministre d'Evo Morales, énumère dans cet article les raisons de ce triomphe et trace les défis qui s'imposent au nouveau gouvernement du président élu, Luis Arce. De fait, c'est une phase post Evo Morales qui s'ouvre, dans un pays profondément marqué par la pandémie, l'écocide, la corruption, les atteintes à l'état de droit, ainsi que par grave crise économique. La clé pour relancer un « processus de changement » repose dans la capacité d'autogestion et d'autonomie des organisations sociales.MAS won the Bolivian presidential elections of October 2020 in the first round, with 55.1% of the votes. Pablo Solón, former minister of Evo Morales, enumerates in this article the reasons for this triumph and traces the challenges facing the new government of the elected president, Luis Arce. In fact, it is a post-Evo Morales phase that is beginning, in a country deeply marked by the pandemic, ecocide, corruption, violations of the rule of law, as well as a serious economic crisis. The key to relaunching a « process of change » lies in the capacity for self-management and autonomy of social organizations.