Contenu du sommaire : L'érudition
Revue | Hermès (Cognition, Communication, Politique) |
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Numéro | no 87, 2021/1 |
Titre du numéro | L'érudition |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- « L'érudition ne sert à rien… » - Dominique Wolton p. 11-14
- Introduction - Franck Renucci p. 15-16
- Sélection bibliographique - p. 17
I. L'érudition en héritage
- L'érudition : usages et enjeux - Bernard Valade p. 21-35 Qu'entend-on par « érudition » ? Qu'est-ce qu'un « érudit » ? Nombreux sont les stéréotypes attachés à ce qu'il faut d'abord considérer comme une « méthode d'étudier » ainsi qu'à ceux qui la pratiquent. En se limitant au cas français, on examinera ici comment cette méthode a été mise en œuvre à la Renaissance, puis tout au long de l'âge classique, avant que d'être mise en question à l'époque des Lumières. Devenue au xixe siècle la servante des études historiques et littéraires, l'érudition est aujourd'hui l'objet d'interrogations nouvelles qui en font bien voir les usages et mieux mesurer les enjeux.What do we mean by “erudition” ? What is a “scholar” or a “learned” person ? Many stereotypes are attached both to what must be considered, first of all, as a “study method,” and to those who practice it. Limiting ourselves to the case of France, we shall examine how this method was applied during the Renaissance and the classical era, and was then called into question during the Age of Enlightenment. During the nineteenth century, erudition became the handmaiden of literary and historical studies ; at present, there are new questions that give a clearer picture of its uses and a better understanding of the issues that are at stake.
- Des cabinets de curiosités aux muséums, des classiques aux modernes - Vincent Lambert, Paul Rasse p. 36-43 L'érudition classique, depuis la plus haute Renaissance, s'entend comme une maîtrise de la culture savante puisée dans les sommes écrites et les raretés rassemblées dans les cabinets de curiosités des élites européennes. Cependant que la philosophie cartésienne révolutionne l'approche des sciences, le collectionnisme des Lumières hésite entre curiosité et rationalité. Cette érudition encyclopédique cède peu à peu à l'universalisme révolutionnaire : l'histoire du muséum d'histoire naturelle et de son dogmatisme épistémologique donne à comprendre l'émergence de l'érudition moderne, caractérisée par l'hyperspécialisation de la connaissance. L'analyse du rôle du musée dans ce moment-clé de la fin de l'érudition classique nous mène à observer comment aujourd'hui, en passant par une remise en question, il réinvente une forme d'érudition au cœur de l'espace public et de l'économie des savoirs, confrontant les différents scepticismes actuels.Since the peak of the High Renaissance, classical erudition has been understood as a mastery of learned culture drawn from the written records and the rare objects collected in the cabinets of curiosities that were possessed by the European elite. However, as Cartesian philosophy was revolutionizing the scientific approach, Enlightenment collectors wavered between curiosity and rationality. Encyclopedic erudition gradually gave way to revolutionary universalism ; the history of natural history museums, with their epistemological dogmatism, allows us to grasp the emergence of modern scholarship, which is distinguished by the “hyperspecialization” of knowledge. An analysis of the role played by museums at the turning point constituted by the end of classical erudition will reveal how museums are currently taking stock of their role and reinventing erudition within the public sphere and the knowledge economy ; they are thereby confronting various contemporary forms of skepticism.
- L'érudition, c'est l'altérité - William Marx p. 44-58
- Léonard ou la démiurgie - Brigitte Munier p. 59-67 Anatomiste, géologue et sculpteur, Léonard de Vinci fut aussi musicien, architecte, urbaniste et le premier des ingénieurs : la libido sciendi de ce génie quasi universel se tint au service d'une vision du monde dont témoigne son œuvre peint. À vocation démiurgique, la peinture, cosa mentale, devait exprimer au niveau du microcosme le processus créateur macrocosmique en perpétuelle transformation : cet art avait ainsi pour fin de représenter la dynamique du monde physique aussi bien que celle de l'âme offerte aux ambivalences. Le commentaire de cinq œuvres tardives souhaite rappeler combien l'érudition de Léonard fut au service de sa peinture qui, reine du savoir, devait réenfanter le monde.Leonardo da Vinci was not only an anatomist, geologist, and sculptor, but also a musician, architect, urban planner, and the first engineer. The libido sciendi, or desire for knowledge, of this virtually universal genius served the vision of the world to which his paintings bear witness. A demiurgic vocation, painting, as cosa mentale, should express, on a microcosmic level, the macrocosm of a creative process that is perpetually being transformed. Da Vinci's art thus aimed at representing the dynamics of both the physical world and a soul that had been given over to ambivalence. A discussion of five late works seeks to highlight the extent to which da Vinci's erudition served his painting, which, as the queen of knowledge, sought to bring about the renascence of the world.
- Philosophie et connaissances « érudites » - Philippe Nemo p. 68-75 Si l'on entend par érudition le rassemblement d'informations colligées pour leur valeur intrinsèque, sans qu'on sache nécessairement a priori aux questions de quel programme de recherche futur elles pourront éventuellement répondre, la philosophie vit d'érudition. En effet, le philosophe ne peut trouver de sens au monde qu'à la faveur d'une vision, sinon synthétique, du moins synoptique. À ce titre, il ne peut se contenter de méditer les philosophies académiques qui sont dépendantes d'états passés de la connaissance humaine. Il doit faire accueil à des connaissances venues de tous les horizons – sciences humaines, sciences de la nature, littératures, arts, etc. – qui deviendront peut-être les pierres d'angles d'une nouvelle vision philosophique.If we understand “erudition” as involving the collection of information that is gathered together because it is intrinsically valuable – even if the questions, and the future research agenda, which it may ultimately answer remain, a priori, unknown – philosophy subsists on erudite knowledge. Philosophers can only find meaning in the world when they have a vision that, if it is not synthetic, is at least synoptic. For this reason, philosophers cannot settle for contemplating academic philosophies that depend on human knowledge that has been rendered obsolete. They need to embrace knowledge from all perspectives : the humanities, the natural sciences, literature, the arts, and so on. These forms of knowledge may well become the cornerstones of a new philosophical vision.
- « Le confinement a prouvé que le livre était essentiel » - Denis Mollat p. 76-81
- L'essai littéraire polonais, une érudition ouverte sur le monde - Joanna Nowicki p. 82-85
- Les Jésuites, la Chine et l'érudition - Édouard des Diguères p. 86-89
- Académies, lettres et sociabilités. Des pratiques aux lieux d'érudition (XVIII`supbe`/supb siècle) - Léa Renucci p. 90-97 Au regard des pratiques intellectuelles au xviiie siècle, cet article aborde l'érudition, compétence individuelle dans les domaines des textes et de l'histoire, par les échanges épistolaires, les sociabilités et les institutions académiques. L'étude des lettres entre académiciens de l'Arcadie révèle l'existence de différentes pratiques érudites, allant de la transmission d'informations à la relecture de textes ; l'érudition est pensée dans une dynamique d'échange, de relation et de communication.In the context of the intellectual practices of the eighteenth century, this article takes up erudition – an individual competence in the domains of textual scholarship, criticism, and history – by examining correspondence, sociability, and academic institutions. The study of letters exchanged by members of the Accademia degli Arcadi demonstrates the existence of a variety of scholarly practices, ranging from the transmission of information to the revision of texts. Erudition is considered in a dynamic of interaction, relation, and communication.
- Georg Simmel : connaissance et culture, individu et vie - Patrick Watier p. 98-107 Georg Simmel a consacré de nombreux travaux à l'analyse de la culture et souligné combien les relations entre individu et culture relèvent d'une action réciproque. Dans ce cadre, la formation de soi suppose une appropriation érudite des contenus de culture, artistique, philosophique, religieuse, entre autres, mais ne prend tout son sens qu'à condition de maintenir un lien essentiel avec cette formation, autrement dit que la culture serve à l'autonomie et l'émancipation individuelle.Georg Simmel devoted a number of his works to cultural analysis, underscoring the extent to which relations between individuals and culture involve reciprocal action. In this context, the development of the self supposes that there is an erudite appropriation of the content of culture, including art, philosophy and religion. However, such appropriation does not take on its full meaning unless an essential link to this cultivation is maintained. In other words, culture serves the autonomy and emancipation of the individual.
- « L'érudit, c'est celui qui sait le mieux ce que les autres peuvent apporter » - Jean Pruvost p. 108-111
- L'École des chartes et l'érudition : une identité bicentenaire - Olivier Poncet p. 112-118 L'École des chartes, créée en 1821, a attaché une partie de son destin, de sa vocation et de son imaginaire au culte de l'érudition historique. Pendant deux siècles, en cultivant des disciplines indispensables à l'exploitation directe des sources de l'histoire, principalement écrites, mais non exclusivement, l'École des chartes et les chartistes ont progressivement acquis une place singulière dans le paysage de la science historique française. Ils se sont confondus presque totalement avec cette dernière dans le dernier tiers du xixe siècle, avant d'en représenter, souvent injustement, l'expression jugée la plus conservatrice durant le xxe siècle, puis de reconquérir des positions perdues à la faveur des nouveaux paradigmes documentaires du troisième millénaire.Founded in 1821, the École nationale des chartes has pinned a part of its fate, vocation, and vision on the worship of historical scholarship. By cultivating, over two centuries, the disciplines required for using the primary sources of history, which are principally but not exclusively textual, the school and its “chartistes” have gradually attained a singular place in the landscape of the science of history in France. In the final third of the nineteenth century, they were almost completely coextensive with this science. Then, in the twentieth century, they came to be represented, often unjustly, as the most conservative form of the latter. The third millennium has seen the school reclaim lost positions through new forms and approaches to documentation.
- « Faire entendre la voix de l'exigence » - Bruno Racine p. 119
- L'érudition : usages et enjeux - Bernard Valade p. 21-35
II. Le destin de l'érudition face à l'emprise des Gafam
- « Les bibliothèques donnent accès à une autre temporalité » - Christophe Evans, Anne Lehmans, Vincent Liquète p. 121-128
- Éditer numériquement des textes : galvaudage de l'œuvre ou démocratisation de l'accès ? - Marianne Froye p. 129-135 Opposer édition papier et édition numérique reviendrait à considérer que l'une serait de plus grande valeur scientifique que l'autre. Or, l'édition numérique de textes littéraires, en l'occurrence poétiques dans notre cas, peut alimenter une nouvelle forme d'érudition et lutter ainsi contre l'idée reçue que le numérique serait une sous-édition. La différence de supports entraîne un changement de paradigmes. Pour autant, l'édition numérique permet une édition enrichie et évolutive, ce qui la rend complémentaire de l'édition papier et érudite.To treat paper and digital publishing as opposed forms would imply that one of these has a greater scientific value than the other. Yet the digital publication of literary texts – in the present case, poetry – can fuel a new form of scholarship ; this counters the common preconception that digital publication is a lesser form. The difference in media leads to a change of paradigm. Further, digital publishing allows for publications that are enhanced and dynamic, which makes it a complement to scholarly and print media publishing.
- L'érudition à l'heure du « tout »-numérique - Clara Galliano p. 136-140
- Plaidoyer pour l'érudition - Olivier Pétré-Grenouilleau p. 141-142
- L'érudition scientifique, une exclusivité `ibin silico`/ib - Lionel Lavarec p. 143-144
- L'érudition numérique palimpseste - Gérald Kembellec p. 145-158 Les marqueurs textuels d'érudition ont évolué à travers les siècles et le numérique a provoqué leur transposition sans les renouveler complètement. À l'heure de la troisième évolution du Web, il est légitime de questionner les problématiques induites par l'hypertexte dans les mondes numériques érudits, en particulier celles liées à la publication et la diffusion de la science. Les couches successives de « code » qui sous-tendent le Web comme support d'écriture et de lecture finissent par former un véritable palimpseste d'informations visibles ou invisibles pour le lecteur final. L'existence même de ces strates de formes codifiées réforme pratiques et usages, triviaux ou érudits. Il convient de décrypter leur tension avec le renouveau des enjeux scientifiques, sociaux et communicationnels.Textual markers of erudition have developed over the course of the centuries, and the advent of the digital has led them to be transposed, which does not constitute a complete renewal. As we move towards Web 3.0, it is reasonable to examine the issues that the hypertext has raised in the worlds of digital scholarship, in particular those connected with the publication and dissemination of science. The successive layers of “code” that underpin the Web as a medium for writing and reading end up in forming a real palimpsest of information, which may or may not be visible to the end reader. The very existence of such strata of codified forms reshapes practices and uses, whether mundane or erudite. It is worthwhile to decipher the tension that exists between them and the renewal of scientific, social, and communication challenges.
- La figure de l'érudit dans les jeux télévisés français : entre fascination et discrédit - Laurence Leveneur p. 159-168 Dans les premiers jeux télévisés français, certaines figures de candidats érudits ont impressionné par leurs connaissances, au point que s'est développé autour d'eux un récit mythologique qui a parfois donné lieu à une histoire très tranchée – et parfois fausse – du genre. Nous revenons, dans cet article, sur ces figures et leur disparition des antennes. En nous fondant sur un repérage des jeux télévisés effectué lors d'un précédent travail de recherche (Leveneur, 2007 ; 2009), ainsi que sur des documents écrits issus des fonds d'archives de l'Institut national de l'audiovisuel (INA) et du Centre d'archives de Fontainebleau, nous montrerons que les discours qui se sont construits autour de ces figures ont concouru à l'élaboration d'un récit mythologique, et sont surtout révélateurs des différentes conceptions que les dirigeants, producteurs, journalistes et téléspectateurs ont eues du rôle de la télévision dans la diffusion du savoir et de la culture.The first televised game shows in France featured certain types of learned contestants whose knowledge made quite an impression, so much so that it gave rise to a mythology that sometimes included a very clear-cut, yet occasionally false, history of the genre. This article will revisit these figures and their disappearance from the screen. On the basis of prior research on television game shows published in 2007 and 2009, along with written documents from the archives held by the Institut national de l'audiovisuel and the Centre d'archives de Fontainebleau, we shall show how the discourse inspired by these figures led to the creating of a mythical narrative. This discourse reveals the different ways that executives, producers, journalists, and viewers conceived of the role of television in disseminating knowledge and culture.
- Les réseaux socionumériques, un mirage pour l'érudition - Stéphanie Lukasik p. 169-175 Les réseaux socionumériques constituent un mirage pour l'érudition. Alors que l'accès à une information diversifiée est une condition nécessaire à l'érudition, accéder aux sources via les réseaux socionumériques peut limiter la pluralité informationnelle. En raison de leur fonctionnement homophile, ces plateformes ne confrontent pas les contenus. Concrétisation à grande échelle de la communication à deux étages et de la figure du leader d'opinion, les réseaux socionumériques sont des plateformes au sein desquelles les usagers-récepteurs s'informent par l'intermédiaire des membres de leurs réseaux socionumériques. Cette réception de l'information par le biais du partage du leader d'opinion change la compréhension. Sans les différents aspects d'une information, l'érudition, qui nécessite l'approfondissement et la confrontation aux sources, semble difficilement atteignable. Seule la reconstruction personnelle d'une diversité de sources pourrait restituer l'hétérogénéité nécessaire à l'érudition.Digital social networks constitute a mirage for scholarship. While a necessary condition of scholarly research is the availability of a diverse range of information, using digital social networks to gain access to sources can limit informational plurality. As a result of their homophilous functioning, there is not much interplay of content on social media. In concretizing, on a large scale, both the two-step flow of communication model and the figure of the opinion leader, online social media are platforms within which users-receivers get their information from other members of their own social networks. Receiving information through an opinion leader changes how it is grasped. Without the different facets of a piece of information, it is difficult to attain a scholarly perspective, because this requires in-depth study and a comparison of sources. Only the personal reconstruction of a variety of sources can restore the heterogeneity that scholarship demands.
- Érudition et bibliothèques - Michel Melot p. 176-180
- La figure de l'érudit au risque d'Internet - Olivier Galibert p. 181-188 L'expert profane ou amateur tend à devenir un pilier de la production d'une connaissance sociétalement utile, et pour le moins financièrement rentable. Dès lors, l'expertise amateur ou profane, se présentant souvent comme désintéressée et participant d'un savoir commun émancipateur dans une communauté d'appartenance, peut-elle s'inscrire dans un processus d'érudition renouvelée ? Cet érudit 2.0 est-il en mesure d'échapper à l'institutionnalisation de la connaissance et aux affres d'une lutte perpétuelle pour la reconnaissance symbolique ? Dans le contexte de plateformisation mondialisée du Net, la marchandisation généralisée d'une connaissance partagée et distribuée ne rabat-elle pas la figure de l'érudit sur celle de l'influenceur avide de valoriser économiquement cette reconnaissance symbolique, jetant ainsi la suspicion sur toute forme d'incarnation numérisée du savoir ?Lay or amateur experts tend to serve as mainstays in the production of a sort of knowledge that not only is socially useful, but is also financially profitable, to say the least. Given this, does such lay or amateur expertise – which claims to be disinterested and to participate in a common, liberating knowledge within a community of belonging – fall within the scope of a renewed process of erudition ? Will such a “scholar 2.0” be able to elude the institutionalization of knowledge and avoid falling into the throes of a perpetual struggle for symbolic recognition ? In the context of the global platform of the internet, the widespread commodification of shared and distributed knowledge would seem to reduce the figure of the scholar to that of the influencer, who is eager to exploit and profit from that symbolic recognition. Would this not, in turn, cast suspicion on every form in which digital knowledge is embodied ?
- La plateforme Érudit : une utopie documentaire - Anne Lehmans p. 189-192
- L'érudition selon Paul Otlet, ou le dépassement utopique du livre - Rime Fetnan p. 193-195
- Les nouvelles formes de l'érudition « humaine » à l'heure de la traduction du monde - Michaël Oustinoff p. 196-202 L'érudition, notamment dans le monde occidental, est indissociable de la traduction au sens le plus large du terme, à l'instar de celui qu'on lui assignait déjà au Moyen Âge : à la fois transfert des connaissances (translatio studii) mais aussi transfert du pouvoir (translatio imperii). À l'heure de la désoccidentalisation du monde, la traduction – et par conséquent l'érudition – joue un rôle d'autant plus central que les nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC) ou la montée en puissance de l'intelligence artificielle (IA) ne font que renforcer. Aucune machine, aussi perfectionnée soit-elle, ne saurait cependant supplanter l'érudition « humaine » : la technique n'est jamais qu'un moyen, et non une fin en soi.Especially in the West, erudition is inextricably linked with translation, in the largest sense of the term, as it was defined in the Middle Ages : as involving both a transfer of knowledge (translatio studii) and a transfer of power (translatio imperii). As the world becomes increasingly de-Westernized, translation – and, consequently, erudition – has a role that is ever more central and is only reinforced by new information and communication technology (ICT) or the rise of artificial intelligence (AI). No machine, no matter how sophisticated, will ever supplant “human” erudition ; technique is always only a means, and never an end in itself.
III. Éruditions indisciplinées
- L'érudition : faire du neuf avec du vieux ? Interdisciplinarité, polymathie, indiscipline - Frédéric Darbellay p. 205-212 Qu'en est-il des valeurs de l'érudition aujourd'hui, quelle place est ou non encore laissée à la curiosité et l'exploration créative hors des carcans disciplinaires ? En se fondant sur les pratiques, les valeurs et les représentations historiques de l'érudition, cette contribution la resitue dans le débat actuel entre les tenant-e-s de la spécialisation et ceux et celles de l'interdisciplinarité. Les profils de l'interdisciplinaire, du polymathe ou de l'indiscipliné ont visiblement le vent en poupe. Ces nouvelles figures humanistes sont décryptées sous la loupe d'une pratique érudite à contre-sens disciplinaire.What is the value of erudition today ? Is there still any place for curiosity and creative exploration outside the confines of disciplines ? On the basis of the practices, values, and historical representations of erudition, this article seeks to resituate the latter within the current debate between proponents of specialization and advocates of interdisciplinarity. The interdisciplinarian, the polymath, and the scholar without a discipline [indiscipliné] : all of these profiles certainly seem to be riding high of late. These new humanistic figures are deciphered under the microscope of a practice of erudition that runs counter to disciplinarity.
- « Chaque culture a sa forme d'érudition » - Laure Adler p. 213-216
- Érudition et tradition orale en communication - Serge Dufoulon p. 217-225 L'objet de cet article est de comprendre la place de la parole et de l'érudition dans la communication et les sociétés. À travers une approche anthroposociologique, l'auteur revisite ces catégories culturelles classiques des sciences humaines en montrant comment l'évolution technologique, les nouveaux médias, vont contribuer à faire émerger de nouveaux acteurs dans l'espace médiatique et faire évoluer la place de « qui parle » dans nos sociétés modernes mais aussi dans quel sens s'effectue le changement du contenu de ce qui est communiqué. Cet article vise à rendre plus intelligibles les nouveaux modes de communiquer des communicants et de groupes identitaires.This article seeks to understand the place of speech and erudition in communication and societies. The author uses an anthroposociological approach to revisit the classical cultural categories of the human sciences, showing how developments in technology and new media will contribute to the emergence of new actors in media space. Such developments will also transform the place of “who speaks” in modern societies, as well as the direction in which the content of what is communicated is changing. The aim is to make the new modes of communication of publicists and identity groups more intelligible.
- Le corps dansant - Barbara Elia p. 226-229
- Érudition, oui mais… Retours d'expérience : « Les érudits tricotent les chaussettes de l'esprit » - Christian Gerini p. 230-234 La première phrase de ce texte résume ce dont il est question ensuite : « Quelles connexions peut-on imaginer entre érudition, tagueurs vandales des cités de banlieues, biographies d'Henri Poincaré et d'Albert Einstein, constructions de patrimoines et d'e-patrimoines ? ». On mesure dans les deux cas l'apport des TIC et des SIC, les nouvelles formes d'érudition qu'elles permettent, ce qui encouragera, nous l'espérons, davantage de travaux de recherche sur l'histoire des médias et archives (personnelles comme officielles) afin d'en faire voir les innombrables aspects et richesses comme leur importance dans de nombreux champs de production de connaissances, et en particulier celui que nous avons défini avec notre collègue Jean-Marc Ginoux sous le nom de « pop histoire des sciences », ou « pop history of science ».The first sentence of this text summarizes what will be addressed in this article : “What connections can be imagined between erudition, urban vandals who deface the city with graffiti, the biographies of Henri Poincaré and Albert Einstein, and the construction of heritages and e-heritages ?” This article assesses the new forms of erudition that have been made possible by information and communication technology (ICT) and communication studies. We hope that this will encourage more research to be undertaken on the history of the media and of archives (whether personal or official), so that their countless aspects, breadth, and importance to many fields of knowledge will be more fully appreciated. Of particular interest is the form that, in collaboration with Jean-Marc Ginoux, we have identified and named as the “pop history of science.”
- L'érudition dissidente des otakus japonais. Accumuler du vent, jouir de n'être que néant - Agnès Giard p. 235-242 Au Japon, les otakus pratiquent l'érudition comme une forme de résistance à l'ordre. Perçus comme irresponsables, hédonistes et improductifs, ils accumulent des données en apparence vaines sur des sujets jugés vulgaires : groupes de pop-idoles, dessins animés, maquettes de train… Bien qu'elle soit stérile, l'érudition des otakus a cependant une valeur stratégique. Le but est de gagner l'estime des pairs, en cultivant le mépris des valeurs qui régissent les sociétés modernes. S'agit-il, pour ces nouveaux « aristocrates », de revendiquer (tout en l'accentuant) la nullité de leur existence ? Ou s'agit-il, à l'instar des « sociétés savantes inutiles » (Oulipo), de défier la culture dominante, celle qui impose de mettre à profit le savoir ?In Japan, otaku practice erudition as a form of resistance to the established order. Viewed as irresponsible, hedonistic and unproductive, they collect data that seem pointless on subjects that are considered to be common : pop idol groups, anime, manga, model trains, and so on. Although their erudition is sterile, it nevertheless has a strategic value. The aim is to earn the esteem of peers by cultivating contempt for the values that govern modern societies. Are these new “aristocrats” trying to assert (while simultaneously accentuating) the inanity of their existence ? Or are they following the example of a “useless learned society” (OuLiPo) in defying the dominant culture, which requires that knowledge be put to good use ?
- L'érudit et sa pulsion de savoir - Cristina Lindenmeyer p. 243-247
- L'impératif de recherche - David Galli p. 248-250
- L'érudit, militant du cosmopolitisme - Ashok Adicéam p. 251-252
- `ibAprès Babel`/ib, ou la traduction comme clé de compréhension majeure du monde contemporain - Michaël Oustinoff p. 253-258 On ne soulignera jamais assez l'importance centrale de l'ouvrage de George Steiner, Après Babel. Publié en 1975, celui-ci constitue un tournant épistémologique majeur en plaçant la théorie de la traduction, jusqu'alors considérée comme périphérique, au centre des sciences sociales. La traduction n'est pas qu'une opération fondamentale du langage, que ce soit au sein de la même langue, en passant d'une langue à une autre ou d'un système de signes à un autre, comme l'avait déjà montré Roman Jakobson. Pour George Steiner, communiquer, c'est traduire. Sans traduction, pas de compréhension véritable du monde contemporain dans toute la complexité de sa diversité : le recours unique à une langue soi-disant planétaire comme l'anglais, voire la traduction automatique, ne saurait conduire qu'à l'impasse de l'incommunication.It is not possible to understate the pivotal importance of George Steiner's work After Babel : Aspects of Language and Translation. Published in 1975, its placing of translation theory – which had, until then, been considered peripheral – at the center of the social sciences was an epistemological turning point. Translation is not merely a fundamental operation of language, whether within the same language or when moving from one language, or one system of signs, to another, as Roman Jakobson had already shown. For Steiner, “all communication is translation.” Without translation, there can be no true understanding of the contemporary world in all its complexity and diversity ; relying solely on a supposedly global language such as English, or even on machine translation, will only lead us to the impasse of incommunication.
- L'érudition… dans la corbeille de l'ordinateur - Guy Maruani, Dominique Christian p. 259-261
- L'érudition située - Ian Simms p. 262-264
- L'érudition n'est pas l'accumulation de connaissances - Éric de Chassey p. 265-266
- Archéologie et érudition - Jean-Paul Demoule p. 267-270
- L'érudition face à la communication - Éric Letonturier p. 271-276 Après avoir présenté l'érudition comme une entreprise prédisposée à l'étude de l'altérité et conduisant à différentes formes d'indiscipline, l'article s'attache à montrer la redistribution entre information et communication qu'elle opère en privilégiant avant tout la première, pour mieux fixer in fine les réelles conditions de la seconde. Comme méthode d'objectivation tournée vers la vérité, l'érudition vaut socialement, à l'heure du « tout réseau », pour son examen critique des sources informationnelles et des données en ligne et repousse par une certitude mieux assurée de ce que l'on sait et ce dont parle, l'horizon d'incommunication inhérent à toute relation.This article begins by presenting erudition as an endeavor that is well suited to the study of alterity, one that leads to different forms of “indiscipline.” It then seeks to show the redistribution between information and communication that is carried out by erudition, by giving priority to the former for the ultimate purpose of better pinning down the real conditions of the latter. As a method of objectification that is directed towards truth, erudition has a social value at a time when networks are ubiquitous, because it brings critical scrutiny to sources of information and online data. By providing us with a stronger sense of certainty about what we know and discuss, it also pushes back the horizon of incommunication that is inherent in all relationships.
- L'érudition : faire du neuf avec du vieux ? Interdisciplinarité, polymathie, indiscipline - Frédéric Darbellay p. 205-212
Conversation avec
- « Je ne me suis jamais senti contraint par une définition disciplinaire » - Antoine Compagnon p. 277-292
Diagonales
- Le bolsonarisme, idéologie de l'acommunication - Juremir Machado Da Silva p. 293-299 Cet article examine les conditions qui ont rendu possible l'élection de Jair Bolsonaro, ancien capitaine de l'armée, à la présidence du Brésil. Il est question d'analyser le « bolsonarisme », idéologie d'extrême droite qui lui donne un poids politique. Il s'agit de considérer sa stratégie de communication basée sur la provocation, le politiquement incorrect et les attaques envers les minorités.This article explores the conditions that made it possible for the retired military officer Jair Bolsonaro to be elected president of Brazil. It examines “Bolsonarism,” the far right-wing ideology that gives him political clout. It includes a discussion of Bolsonaro's communication strategy, which is based on provocation, political incorrectness, and attacking minorities.
- Le bolsonarisme, idéologie de l'acommunication - Juremir Machado Da Silva p. 293-299
Lectures
- Lectures - Brigitte Chapelain p. 301-315
Hommages
- Alain Rey (1928-2020) : La gourmandise des mots - Thierry Paquot p. 317-325
- Yves Jeanneret (1951-2020) : Un chercheur humaniste - Bruno Ollivier p. 326-328